Le marché américain et la crise immobilière de 2006 : retour sur trois affirmations.

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L’effondrement du marché américain du logement à partir de la fin 2006 a conduit, moins de deux ans après, à une crise financière et économique dont le monde développé n’est pas encore sorti. Malgré le temps passé, le débat fait encore rage sur les responsabilités à l’origine de la crise, et le marché américain reste encore mal connu en Europe.
Cet article revient rapidement sur trois affirmations fréquentes et pourtant inexactes.

Première affirmation inexacte : « Aux Etats-Unis, les prêts immobiliers sont à taux variable »

Contrairement à la plupart des marchés nationaux, et à la ressemblance du marché français, le marché du crédit immobilier américain est largement un marché de taux fixes. Après avoir brièvement dépassé 60 % en 1993/95, la part des prêts à taux variables a oscillé entre 30 et 20 %, a connu une très forte progression en 2004/2005 jusque 50 %, alors que même que la Federal Reserve remontait ses propres taux, et est tombée à moins de 10 % ces dernières années.
Ces prêts à taux fixe (FRM) vont jusqu’à 30 ans et ont été largement promus par les acteurs publics du marché américain, notamment la Federal housing administration (FHA). Ils sont de plus facilement renégociables, car la pratique est qu’ils sont remboursables par anticipation sans pénalité. Les prêts à taux variable (adjustable rate mortgages ou ARM) présentent pour leur part une grande variété de schémas, y compris des prêts à amortissement négatif.
La sécurité offerte aux emprunteurs à taux fixe se paye par un taux relativement élevé : 4 % à mi 2015, un point de plus qu’en France pour une inflation comparable.
La pression exercée par les régulateurs (Comité de Bâle) en faveur des taux variables ne provient donc pas d’une volonté de copier un « modèle américain », du moins sur ce point précis.
Par contre, les taux ajustables ont certainement nourri la crise de 2006. Dans les dernières années précédant l’éclatement de la bulle immobilière (2003-2005), la part des prêts à taux variable a progressé très vite et les prêteurs ont développé des formes de prêt très agressives commercialement et très risquées financièrement : taux très progressifs, prêts à amortissement négatif, bâtis sur l’hypothèse que la hausse des prix compenserait les risques… En apparence attractifs pour les emprunteurs, les prêts à taux variable étaient plus facilement titrisables, et les excès de de la titrisation (notamment la complexité des opérations et l’absence de lien avec les « originators[1] ») ont aussi nourri la bulle immobilière.
Les prêts risqués ont été largement distribués à la clientèle dite subprime, c’est-à-dire présentant un mauvais risque de crédit et/ou pour laquelle les prêteurs avaient fortement réduit leurs exigences. Enfin ils ont été distribués dans un contexte de très faibles taux d’intérêt, les rendant très vulnérables à une hausse telle qu’elle s’est produite à partir de mi 2004.
Lors de la crise commencée en 2006, la baisse des prix a  fait chuter les opérations récents en valeur négative[2] et les les taux de défaut ont été nettement plus élevés, bien sûr, pour la clientèle subprime que pour les autres segments de marché. Mais les taux de défaut sur les prêts à taux variable et encore plus sur les prêts les plus exotiques ont été sensiblement plus élevés. Au plus fort de la crise (2008), les taux de défaut étaient de 5 % pour les prêts « prime » à taux fixe, 18 % pour les « prime » à taux variable, 22 pour les  subprime à taux fixe et 42 % pour les subprime à taux variable.
En fait les deux composantes de fragilité se sont nourries l’une de l’autre, le marché des subprime étant largement un marché de prêts à taux variable ou exotiques : en 2006, 90 % des prêts dits  subprime étaient à taux variable, très risqués dans un environnement de taux faibles.

Deuxième affirmation inexacte : « les prêts  subprime sont la cause de la crise immobilière de 2006 ».

Si on considère l’enchaînement qui a conduit à la crise de 2006, on constate que les prix de l’immobilier aux Etats-Unis ont amorcé une croissance rapide à partir de 1998, croissance qui s’est accélérée à partir de 2001, quand la Federal Reserve a baissé très fortement ses taux d’intérêt à la suite à l’éclatement de la bulle des valeurs internet. Les prix ont presque doublé sur cette brève période, alors même que la production progressait très vite.
Les mises en chantier fluctuent considérablement aux Etats-Unis, entre des points bas à un million par an et un point haut à deux millions. La crise de 2006 a marqué la fin d’une période de hausse continue de la production commencée en 1990, d’une durée rarement observée.
Par rapport à ces évolutions et ces échelles de temps, l’envolée des prêts subprime est beaucoup plus récente et brève, elle commence en 2003 et pour l’essentiel tient sur trois ans, de 2004 à 2006 : la part des subprime dans la production annuelle passe alors de 5 % à 23,5%. Cette croissance se fait alors qu’un des facteurs à l’origine de la bulle immobilière, les taux d’intérêt bas, commence à s’inverser. C’est d’ailleurs à ce même moment que la hausse des prix commence son ralentissement.
Fait moins remarqué, en 2005 et 2006 la part des achats que l’on peut qualifier de spéculatifs (résidence secondaire ou investissement) avait atteint 40 et 36 %.
Au regard de cette chronologie, plus qu’une cause de la crise, les  subprime apparaissent d’abord un symptôme de son dernier stade, un moyen (risqué !) d’entretenir un marché arrivé en bout de course et devenu très fragile. Ensuite ils sont un facteur d’amplification, puisque les taux de défaut sur ce segment de marché ont été les plus élevés. Les défauts et les saisies qui ont suivi ont aggravé la baisse des prix.

Troisième affirmation inexacte : « Les financeurs publics sont à l’origine de la crise ».

Une particularité du marché américain est la présence d’un assureur public de prêts hypothécaires (la FHA) et d’entités parapubliques (GSE, Governement sponsored enterprises) de refinancement de prêts hypothécaires : Fannie Mae, Freddie Mac, Ginnie Mae. Cette intervention est limitée à certains types de prêts, dits « conforming », au sens où ils se conforment à diverses exigences réglementaires.
Les trois refinanceurs ont subi de lourdes pertes à partir de 2006 et ont été recapitalisés par l’Etat, à hauteur de près de 200 milliards de dollars au total . Certains commentateurs en ont fait les responsables de la crise. La réalité est plus nuancée.
D’une part, leur importance avait tendance à diminuer dans les années pré crise, au profit des acteurs de marché.
La FHA (qui se limite pour l’essentiel à des taux fixes) était devenue un acteur très marginal (2 % du marché).
La part de marché globale des deux principales GSE (Fannie Mae et Freddie Mac) était passée de 57 % en 2003 à 37 % en 2006. Côté « subprime », 84 % avaient été émis par des prêteurs purement privés en 2006, et la part des  prêts subprime rachetés par les GSE était passée de 44 % en 2003 à 22 % en 2005. Une des inquiétudes des dirigeants des deux GSE était d’ailleurs le recul de leur part de marché qui les a incités, tardivement, à assouplir leurs critères de conformité pour tenter de lutter avec les pratiques de marché du moment et donc à commencer à racheter des prêts  subprime.
Post 2006, l’effondrement du marché a conduit les GSE à prendre une part énorme du marché, mais il s’agit là avant tout d’une suite du retrait total des acteurs privés. De même, la part de la FHA a bondi après la crise à 18 % : le taux de défaut sur sa clientèle est  comparable à celui du marché en général, et inférieur à  celui  constaté sur les subprime.
Au  regard du reste du marché, les performances des deux GSE ne sont pas si médiocres : le taux de défaut sur leurs prêts a été inférieur à celui du marché. La recapitalisation de 200 milliards de dollars (en voie d’ailleurs d’être au moins en partie récupérée car les GSE sont de nouveau en bénéfice) se compare à des pertes sèches estimées à 1800 milliards de dollars subies par les acteurs de marché.
La responsabilité d’autres acteurs dans la crise peut être plus facilement mise en évidence :
– les taux très faibles de la Federal Reserve à partir de 2001 ont à la fois encouragé l’endettement et poussé les financeurs à créer des mécanismes ingénieux et risqués pour préserver leur rentabilité. On peut trouver des échos de ces risques dans la situation actuelle des marchés financiers ;
– l’assouplissement des réglementations financières a facilité une prise de risque excessive par les banques. Ainsi, en 2004, les banques d’investissement américaines ont bénéficié d’une révision très favorable des limites imposées à leur « levier » (le rapport entre les fonds propres et les prêts). Parmi ces banques, deux victimes de la bulle et détonateurs de la crise : Bear Stearns (2007) et Lehman (2008).

[1] Les responsables de la souscription, qui sont souvent des courtiers.

[2] Negative equity : la valeur du bien est  inférieure au capital restant dû.

Auteur/autrice

  • François de Ricolfis

    François de Ricolfis est Directeur général de la Société de Gestion des Financements et de la Garantie de l’Accession Sociale à la propriété depuis décembre 2008. Auparavant, il a occupé différents postes au ministère des Finances (Direction des relations économiques extérieures et Direction du Trésor), le dernier étant celui de sous-directeur chargé du financement international des entreprises.

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