L’observation des loyers d’habitation privés : pas si simple…

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Avec plus de 6 millions de logements, le parc locatif privé de métropole représente plus d’une résidence principale sur cinq et est le deuxième parc d’habitation, après celui en propriété occupante (16 millions d’unités) et devant le parc social (4,9 millions).
Cependant, plus que sa place dans le stock de logements, c’est sa contribution à la mobilité des ménages qu’il est intéressant de regarder : ce parc concentre en effet plus de la moitié des emménagements avec plus d’un million de mouvements par an contre 500 000 emménagements de propriétaires occupants et environ 440 000 dans le parc social. Il a de fait un rôle essentiel dans les parcours résidentiels des ménages et constitue le principal parc d’accueil de nombreuses catégories de ménages : jeunes actifs, étudiants, ménages en mutation professionnelle…

Un déficit d’observation…

Or, alors que les enquêtes officielles abondent sur le parc social, les loyers du parc privé sont encore mal connus. Certes l’Insee réalise une enquête trimestrielle sur les loyers et les charges et une enquête logement tous les 4 à 6 ans dont quelques questions portent sur ce thème. Mais leurs résultats sont peu détaillés, notamment géographiquement et la statistique publique ne produit aucune information fine sur les loyers du secteur privé.
La seule exception notable concerne l’agglomération parisienne où l’Observatoire des Loyers de l’Agglomération Parisienne (Olap) produit depuis plus de 25 ans des statistiques sur les loyers du parc privé selon les caractéristiques des logements (nombre de pièces, époque de construction, ancienneté du locataire…) et la localisation (Paris, petite couronne, grande couronne, département). La méthodologie utilisée dans l’agglomération parisienne a été récemment étalonnée par le Cnis.
Il convient de rappeler aussi la production depuis plus de 20 ans des niveaux et évolutions de loyer calculés sur un panel de 11 agglomérations de province par l’Olap pour le compte de la DHUP et avec le concours des Adil et agences d’urbanisme, selon une méthodologie très proche de celle de l’agglomération parisienne.
Plusieurs rapports se sont alarmés de cette situation et ont préconisé différentes solutions pour mettre en place un dispositif de mesure et d’information sur le sujet des loyers du secteur privé.

 … que vise à combler la constitution d’un réseau national d’observatoires locaux

Partant de l’expérience parisienne, une expérimentation a été conduite pour étendre ce dispositif d’observation, en application du rapport Baïetto-Beysson – Vorms qui recommandait la constitution d’un réseau national d’observatoires locaux des loyers. Il a été préconisé un réseau décentralisé d’observatoires associé à un centre national de traitement et à un pilotage national. Cette configuration permet en effet d’associer étroitement les acteurs locaux et d’utiliser et de valoriser leur connaissance irremplaçable des spécificités de leur territoire mais aussi de mutualiser des compétences statistiques dans un centre unique et de négocier des partenariats nationaux.
La mise en place d’observatoires locaux des loyers (OLL) agréés constitue, dans les 28 zones tendues de métropole, un préalable à l’encadrement des loyers prévu par la loi ALUR. Cette même loi fixe les conditions d’agrément : respect des prescriptions méthodologiques validées par un Comité Scientifique indépendant, et gouvernance équilibrée de l’observatoire.
On ne peut cependant pas limiter l’intérêt d’un réseau d’OLL à la seule finalité de l’encadrement des loyers. En effet les demandes, par les acteurs publics comme privés, d’une information fiable sur le niveau des loyers privés sont multiples tant au niveau local que national. On peut citer à titre d’exemples l’établissement d’un PLH, le calcul de la rentabilité locative avant l’achat ou la construction d’un bien, la mise au point d’un zonage pour l’investissement locatif, l’opportunité de programmer des PLS sur un territoire…
Sans prétendre répondre à tous les besoins, l’observation des loyers mise en place doit notamment trouver un équilibre entre besoins locaux et nationaux. Dans le premier cas les résultats doivent être déclinés à un niveau géographique suffisamment fin pour rendre compte de la diversité du territoire, dans le second, les comparaisons entre territoires doivent être possibles, ce qui implique une méthodologie commune à l’ensemble des OLL.
Le présent article rappelle les difficultés à mesurer les loyers et les principes d’observation, de collecte et de traitement ainsi que les règles de gouvernance à respecter.
On peut distinguer schématiquement deux catégories de conditions :

  • techniques pour la production des données,
  • administratives pour le fonctionnement de l’observatoire.

 La difficile mesure du niveau des loyers

La fixation du loyer d’un logement privé est, sauf contraintes réglementaires spécifiques comme dans le cas des logements soumis à la loi de 1948, le résultat d’un accord entre un bailleur et un locataire. Le loyer dépend donc à la fois de critères objectifs comme la taille et la localisation du logement mais aussi d’éléments plus subjectifs et difficilement quantifiables auxquels le locataire a été sensible et qui le conduisent à choisir un logement plutôt qu’un autre. Chaque logement est en effet un bien unique et peut avoir, en théorie, un prix (ici le loyer) différent de celui de tous les autres logements.
Il convient toutefois de préciser que depuis août 2012, cette liberté des loyers n’est plus toujours la règle car un décret annuel limite, dans les zones tendues, la hausse des loyers à l’IRL (Indice de Référence des Loyers) en cas de relocation, sauf cas particuliers. Le niveau de loyer du logement résulte alors de la dernière négociation « libre » bailleur – locataire et de la durée d’occupation du dernier locataire, les hausses annuelles en cours de bail étant limitées à l’IRL depuis de nombreuses années sauf procédure spécifique de réévaluation très rarement appliquée.
Par ailleurs, à la différence de ce que l’on rencontre dans certains pays (Allemagne par exemple), le parc de logements est, sur certains territoires dont l’agglomération parisienne mais aussi certaines grandes agglomérations de province, très hétérogène : on trouve par exemple à Paris des deux pièces dont la surface peut varier de 30 à 70 m², dans les Yvelines des petites maisons de ville et de grandes villas. La diversité des logements est un élément non négligeable de la dispersion des loyers. A cela s’ajoutent de nombreuses autres caractéristiques (ascenseur, terrasse…) dont l’influence sur le loyer est plus ou moins forte selon les territoires.
Sans entrer dans la définition du parc observé, on indiquera simplement que le champ de la loi ALUR est plus étendu que les seuls logements non meublés à loyer libre, champ originel de la loi de 1989 et donc de l’Olap, mais inclut désormais les meublés non touristiques et certaines catégories de conventionnement comme les PLS privés.
Il découle de ce qui précède que la mesure des loyers, si elle veut être un reflet fidèle de la réalité du marché, ne peut consister en une simple agrégation de données partielles facilement disponibles, comme c’est en général le cas pour les publications émanant de réseaux professionnels ou associatifs. Elle doit au contraire respecter des règles précises et intégrer au mieux les différents facteurs influant sur le niveau des loyers, en pondérant les résultats en fonction d’une structuration fine et valide du parc locatif.
Le marché dont il est question ici doit être interprété au sens large à savoir l’ensemble du parc locatif privé (le stock) et non celui des seuls emménagés d’une période donnée (le flux). Les écarts entre les loyers des locataires stables et les loyers dits « de marché » sont en effet un facteur non négligeable dans les décisions des ménages à changer ou non de logement et peuvent expliquer, quand ils sont importants, la faiblesse des taux de rotation comme c’est le cas dans le centre de la région capitale.
Les nombreuses statistiques et en particulier les évolutions publiées à partir de données de gestion sur des segments de parc plus ou moins bien identifiés, doivent donc être utilisées avec la plus grande prudence, les échantillons n’étant pas stables dans le temps et mélangeant évolution pure de prix et effets de structure.

 Le respect d’une méthodologie rigoureuse de collecte, de contrôle et de traitement

Le recours à une méthode classique de tirage aléatoire d’un échantillon au sein de la population à étudier se heurte à différents écueils dont deux peuvent être mentionnés ici : l’absence d’un fichier exhaustif de bailleurs et/ou de locataires, ou sa mise à disposition des observatoires locaux et le coût d’une telle collecte si l’on souhaite des échantillons importants pour avoir des résultats déclinés finement, notamment géographiquement.
Une méthodologie hybride, combinant les deux approches par échantillon et par récupération de fichiers de gestion a donc été proposée aux OLL. Elle a été adoptée par le Comité Scientifique de l’Observation des Loyers, organe composé d’experts indépendants, garant de la qualité scientifique des données produites par le réseau.
Les prescriptions méthodologiques détaillées sont publiées sur le site du Ministère chargé du Logement. On trouvera ci-après les principaux points de passage obligé à respecter pour obtenir des résultats fiables, non biaisés et non contestables.
Bien mesurer le niveau des loyers suppose tout d’abord de connaître correctement la structuration du parc locatif à observer à la fois dans ses caractéristiques physiques (localisation, taille, équipements…) mais aussi en terme d’ancienneté d’occupation ou de type de gestion et de propriété.
L’observatoire devra notamment définir un zonage pertinent au regard de la donnée observée, donc constituer des zones homogènes en terme de niveau de loyer, toutes choses égales par ailleurs. C’est une étape très délicate puisque c’est l’observation qui va permettre de délimiter des zones homogènes et, dans la plupart des cas, une période minimale de deux ans d’observation s’avère nécessaire pour stabiliser le zonage.
Les zones obtenues regroupent généralement des territoires non contigus. La finesse du zonage dépendra de la finalité recherchée (et des capacités de collecte de l’observatoire local).

Exemples : deux zonages utilisés dans l’agglomération parisienne

 1 – zonage « isoloyers » en 7 zones sur l’agglomération parisienne

Olap1

Ce zonage donne une vision synthétique de la hiérarchie des loyers dans les différentes communes de l’agglomération et dans les arrondissements parisiens. Il est utilisé pour produire des résultats agrégés en niveau et en évolution sur les loyers de l’agglomération parisienne.
Face à la nouvelle mission de l’observatoire de produire des médianes pour l’encadrement des loyers, ce zonage a été considéré comme insuffisamment fin et l’Olap a donc procédé à la définition d’un nouveau zonage plus détaillé pour Paris.

 2 – Zonage en 14 zones pour l’encadrement des loyers à Paris

Olap2

Ensuite l’observatoire des loyers s’attachera à réaliser une collecte de données représentative de l’ensemble des segments de parc. Il sera aidé dans cette tâche par des tableaux d’objectifs de collecte déclinés au minimum par zone, type de gestion (directe par le propriétaire ou déléguée à un professionnel de l’immobilier) et nombre de pièces et établis à partir de sources externes comme le recensement de la population.
Réaliser une collecte pour chaque type de gestion est essentiel pour bien appréhender l’ensemble du parc locatif privé alors que dans un souci de réduction des coûts de collecte, un OLL pourrait être tenté de se contenter d’une collecte auprès des professionnels, moins coûteuse que l’interrogation de locataires ou de bailleurs privés. Deux raisons principales peuvent expliquer les éventuels écarts de loyer entre gestion directe et gestion déléguée : la structure de chacun des parcs (localisation, typologie, qualité) et les pratiques en matière de fixation des loyers et d’augmentation en cours de bail.
En l’absence d’une source centralisée sur les loyers privés comme peuvent l’être les bases BIEN et Perval des notaires pour les prix, l’observatoire devra identifier les principales sources de données de loyer et leur part dans l’ensemble du parc observé. La diversité des sources est essentielle pour éviter les biais (administrateur de biens spécialisés dans les logements hauts de gamme ou dans les logements pour étudiants…).
La collecte sera ensuite contrôlée et enrichie par l’OLL (harmonisation des adresses, codage des zones…) puis transmise au centre national pour son traitement statistique et l’établissement des résultats : loyers moyens, médians, indicateurs de dispersion, avant un retour à l’OLL pour la validation des résultats et leur diffusion et valorisation locale. Des règles de diffusion ont été adoptées au sein du réseau : un résultat ne peut être publié que s’il repose sur au moins 50 observations.

Une structure pérenne neutre et indépendante

L’observation des loyers s’inscrit dans le temps, il est donc important de constituer une équipe pérenne qui va capitaliser son expérience et augmenter son expertise dans la collecte et le contrôle des données mais aussi dans le développement d’un réseau de partenaires locaux et l’analyse et la valorisation des résultats.
Outre son rôle technique de producteur de données, l’observatoire a en effet aussi une mission d’animation et un rôle fédérateur des différentes parties prenantes du domaine des loyers : élus, collectivités locales, professionnels de l’immobilier, représentants des bailleurs et des locataires… , qu’il s’agisse de mettre en place des partenariats de collecte avec les professionnels (administrateurs de biens, notaires, promoteurs…) ou d’organiser les comités de pilotage de restitution et de validation des résultats. Ces missions impliquent une neutralité et une indépendance vis-à-vis des différents acteurs pour que les chiffres soient acceptés par tous.
L’observatoire des loyers peut être une structure autonome mais peut aussi être porté par une structure existante dont les missions sont plus larges. Dans la pratique, la plupart des observatoires existants ont comme structure porteuse une agence d’urbanisme ou une Adil (Agence départementale d’information sur le Logement).
Et, bien sûr, corollaire de ce qui précède, l’observatoire des loyers devra disposer d’un budget propre lui permettant de mener à bien ses missions.

Auteur/autrice

  • Geneviève Prandi

    Geneviève Prandi est entrée à l’Olap (Observatoire des Loyers de l’Agglomération Parisienne) en 2002 comme directrice des études et des enquêtes et en est devenue la directrice en 2011. C’est une spécialiste des loyers du secteur privé. Elle a précédemment travaillé pendant 10 ans dans le secteur de la construction à la Fédération Nationale des Travaux Publics où elle était responsable des enquêtes de conjoncture auprès des entreprises, pour le compte de l’Insee.

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