Effets d’une relance de la construction sur l’économie et l’emploi

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Un argument couramment utilisé pour justifier le soutien de la construction par l’intervention publique est que cette activité a des effets positifs sur les autres activités économiques et sur l’emploi. L’objet de ce texte est de tenter une quantification de ces effets multiplicateurs pour les comparer au soutien éventuel à d’autres activités. On présente d’abord l’information fournie par le tableau entrées-sorties de la comptabilité nationale. On mesure ensuite les effets directs sur la richesse et l’emploi d’un accroissement de la demande dans les branches immobilières. On envisage enfin les moyens utilisés par les pouvoirs publics pour accroître cette demande.

1 L’information fournie par le tableau entrées-sorties de la comptabilité nationale

1.1 L’équilibre ressources-emplois

La comptabilité nationale, élaborée en France par l’INSEE, fournit une masse d’informations structurée à partir d’une égalité comptable fondamentale qui exprime l’équilibre entre les ressources et les emplois des biens et services. Cette égalité exprime que tout ce qui est produit, noté P, ou importé en France, noté M, est utilisé sur place ou exporté. Une partie des ressources est utilisée dans le processus de production des autres biens et services sous forme de consommations intermédiaires, notées CI. Le reste est absorbé par les demandes finales intérieures, notées D, et la demande extérieure, notée X. Les demandes finales intérieures sont la consommation finale des agents économiques (ménages, administrations, sociétés), la formation brute de capital fixe, c’est-à-dire l’investissement, et la variation des stocks. La nature de l’usage final des biens importe peu pour cette analyse-ci. Au niveau agrégé l’équilibre comptable s’exprime sous la forme simplifiée suivante : Production + importations = Consommation intermédiaire + demandes finales intérieures + exportations.

On écrit symboliquement l’égalité comptable :

P + M = CI + D + X             (1)

On s’intéresse aux effets d’une relance de la demande finale intérieure D sur la production intérieure P. Dans ce but, on exprime P en fonction de D, ou plus exactement la variation de P, notée DP, en fonction de la variation de D, notée DD, où le symbole D représente la variation de la variable considérée. La demande extérieure est considérée comme exogène, c’est-à-dire échappant à toute décision des agents intérieurs, y compris des pouvoirs publics. On ne la prend donc plus en considération dans les équations suivantes. Mais les effets d’un choc de demande extérieure seront les mêmes que ceux d’un choc de demande intérieure.
On considère que les consommations intermédiaires et les importations sont dans un rapport constant avec la production, soit CI = T.P où T représente les coefficients techniques. De même M = m P. Ceci suppose que la production est à coefficients fixes, c’est-à-dire que les quantités de biens et services nécessaires à la production sont proportionnels à cette production. Pour des effets de court terme cette approximation est acceptable. A plus long terme des effets de substitution se manifestent. On remplace ces expressions dans l’équation (1), ce qui donne :
DP – T. DP + m. DP = DD
Au niveau agrégé cette équation se réécrit :
(1 – T + m) DP = DD,
On en déduit :
DP = DD/(1 – T + m),
où le facteur 1/(1 – T + m) est le multiplicateur de demande. Il exprime de combien s’accroît la production pour un accroissement donné de la demande intérieure.
Les données des agrégats utilisées sont celles fournies par le tableau entrées-sorties, le TES, qui fournit cette information au niveau agrégé mais aussi au niveau des branches et des produits. On utilise le dernier TES publié par l’INSEE, celui de 2013. L’importance du tableau explique qu’il ne soit par reproduit dans ce texte. Les données ont disponibles sur le site de l’INSEE sous le lien suivant :
http://www.insee.fr/fr/indicateurs/cnat_annu/base_2010/donnees/xls/tes_17_2013.xls.
Le tableau permet d’abord de quantifier la relation (1). On met entre parenthèses après chaque variable de l’équation sa valeur en milliards €, taxes incluses, principalement la TVA :
P (3986) + M (642) = CI (1869) + D (2156) + X (603).
Il faut noter que la mesure de la production qui est indiquée ici n’est pas le PIB qui correspond à la somme des valeurs ajoutées des branches (cf. infra). La mesure de la production utilisée ici dépend de la nomenclature des branches, laquelle a une incidence sur la valeur des consommations intermédiaires et donc sur le total de la production.
Ces données chiffrées permettent la mesure du multiplicateur agrégé sur la production, 1/(1 – T + m) = 1,36. Pour obtenir le multiplicateur de richesse disponible, c’est-à-dire la valeur ajoutée, comparable au PIB, on multiplie par le taux de valeur ajoutée dans la production, ce qui donne un multiplicateur de dépense de 0,69. Autrement dit 1 € supplémentaire de demande globale accroit la richesse disponible de 69 centimes. Le résultat est inférieur à 1 comme on l’obtient souvent dans les estimations macroéconomiques basées sur de toutes autres modélisations[1].

1.2 L’immobilier dans le tableau entrées-sorties (TES)

Le tableau entrées-sorties présente l’équilibre ressources-emploi dans chacune des branches. Dans le TES, l’immobilier est représenté par deux branches, la branche construction et la branche « activités immobilières ».
Le TES 2013 est établi dans la dernière base, celle de 2010, qui, même dans la nomenclature la plus fine, ne ventile plus la construction entre bâtiments et travaux publics. On travaille donc sur les données en 17 branches.
L’observation des données appelle quelques observations concernant les branches qui concernent l’immobilier. La branche construction, notée FZ, couvre toutes les activités de production de bâtiment quel qu’en soit l’usage, résidentiel ou non résidentiel, ainsi que la production de génie civil, ponts, routes, grands équipements, etc. Elle représente 7,4% de la production totale et 5,9% de la valeur ajoutée totale. Dans les données en 40 branches de l’année 2008 (base 2005) où était opérée la ventilation entre les deux types de produit, le bâtiment représente plus des ¾ de la branche construction.
L’autre branche concernée est celle des « activités immobilières », notée LZ. Elle relève des services alors que la construction est traditionnellement placée à la limite de l’industrie et des services. Les « activités immobilières » recouvrent deux activités sensiblement différentes. Il s’agit d’abord de l’usage des locaux, résidentiels ou non résidentiels, quel qu’en soit l’utilisateur. Quand cet usage a une contrepartie monétaire, c’est le loyer. Mais la branche comporte également les loyers dit imputés, qui sont la valeur économique de l’usage des biens immobiliers occupés par leur propriétaire. Ces utilisations des biens immobiliers sont dénommées « locations immobilières » dans les comptes nationaux. L’autre composante des « activités immobilières » est celle des intervenants dans le processus de production ou d’exploitation des biens immobiliers, les promoteurs immobiliers et tous les prestataires de services dans la production et la gestion des biens immobiliers. Cette composante des « activités immobilières » ne représente qu’une petite part de la branche, l’essentiel étant fourni par les locations immobilières.
Sur les données de l’année 2008 en base 2005 en 40 branches où est opérée la ventilation entre les deux types de produit, les locations immobilières représentent 87% de la production de la branche « activités immobilières ». La branche « activités immobilières » dans sa totalité représente 8% de la production totale des 17 branches et 12,8% de la valeur ajoutée totale. L’immobilier dans son ensemble représente donc un peu moins de 20% du PIB.
L’égalité de l’équation (1) est vraie pour chaque produit, c’est-à-dire ligne par ligne du TES. Elle révèle quelques spécificités des activités liées à l’immobilier.
Les « activités immobilières » sont des activités de service. En tant que telles elles n’existent que lors de leur consommation. Dès lors elles ne font pas l’objet d’investissement ni de stock. Par ailleurs, également par nature, elles ne sont ni importées ni exportées. Elles doivent être consommées à l’endroit où elles sont produites. La plus grande part de l’immobilier est du logement, la consommation des locations immobilières est donc majoritairement le fait des ménages.
Les produits de la branche construction présentent la même caractéristique de n’être ni importés ni exportés. On n’exporte ni n’importe de la construction, on doit la réaliser à l’endroit où elle va être comptabilisée comme produit.
La nature de l’immobilier en fait donc une activité purement intérieure, à la différence des activités industrielles, mais aussi de certains services comme le transport ou les « activités spécialisées, scientifiques et techniques ». Ceci va impacter l’effet de relance d’une activité sur l’économie française par l’immobilier en comparaison d’autres branches. Ainsi la construction automobile importe une large part de ces produits mais en exporte plus encore. Il en est de même de la fabrication d’équipements électriques, électroniques et informatiques.
Les produits de la construction, là aussi du fait de leur nature, sont en large partie investis. Plus précisément ils vont augmenter la composante construction des biens immobiliers et donc la valeur de l’usage de ces biens, s’ils sont occupés. Cela n’a pas d’incidence sur l’effet multiplicateur, mais cela indique, d’une part, une durée de vie longue pour ces produits qui réduit les besoins de renouvellement et, d’autre part, contribue à terme à accroître la valeur des locations immobilières qui représente l’usage de ces produits.
Le compte de production fourni également par le TES donne le poids des consommations intermédiaires dans la production. La différence entre la production et les consommations intermédiaires constitue la valeur ajoutée. Ces éléments sont fournis par branche et au niveau global. La valeur ajoutée totale est le produit intérieur brut, le PIB. La répartition de la production entre consommation intermédiaire et valeur ajoutée est une mesure du recours de la branche aux produits des autres branches.
La branche construction fait un recours aux produits des autres branches sous forme de consommations intermédiaires à hauteur de 60% du produit, nombre qui n’est pas très éloigné de la moyenne. Le nombre correspondant est plutôt supérieur dans les branches industrielles mais inférieur dans les branches de services. A l’intérieur de la branche construction, le génie civil recourt un peu plus aux consommations intermédiaires que la production de bâtiment. La production de la branche construction requiert des consommations intermédiaires issues principalement de la branche « fabrication d’autres produits industriels », de la branche construction, et de la branche les « activités spécialisées, scientifiques et techniques ».
La branche « activités immobilières » est celle dont le recours aux consommations intermédiaires est le plus faible. Dans cette branche c’est l’activité locations immobilières qui explique ce résultat. La valeur ajoutée produite résulte essentiellement du capital immobilier et nécessite peu d’autres produits. La production des « activités immobilières » requiert des consommations intermédiaires produites majoritairement par la branche « activités financières et d’assurance », puis par la branche « activités spécialisées, scientifiques et techniques ».
La valeur ajoutée représente la vraie richesse produite. Elle est partagée comme rémunération entre les deux facteurs de production, le travail et le capital, et dans une moindre mesure en impôts sur la production. Au niveau agrégé la répartition est environ de 60% pour le travail et un peu moins de 40% pour le capital, y compris les revenus des entrepreneurs individuels. La branche construction présente une répartition de la valeur ajoutée peu différente de l’ensemble des branches. Dans la branche construction, la part du travail est plus importante dans la production de génie civil que dans la production de bâtiments. L’explication réside dans la différence de recours au travail et au capital pour la production.
Dans la branche « activités immobilières », l’essentiel de la valeur ajoutée va au capital. L’explication réside dans la composante locations immobilières de la branche dont la production nécessite un bien immobilier et peu de travail.
Il s’agit maintenant de calculer la valeur du multiplicateur pour un accroissement de la demande dans chacune des branches de l’économie, dont notamment la construction et les activités immobilières.

2 Les effets multiplicateurs de l’immobilier

2.1 La formulation mathématique du multiplicateur

L’égalité comptable qu’exprime le tableau entrées-sorties des comptes nationaux est valable pour chaque produit. On peut lire ce tableau sous la forme mathématique d’une matrice dont les lignes représentent les produits. Les colonnes de P et CI sont les branches, en nombre égal aux produits puisque chaque branche produit un produit et un seul. On écrit alors sous forme matricielle :
(I – T + m) DP = DD,
où I est la matrice unité. L’égalité exprime de combien doit s’accroître la production pour satisfaire une augmentation de la demande d’un ou de tous les produits. On peut en déduire l’accroissement de production nécessaire en exprimant DP en fonction de DD :
DP = (I – T + m -x)-1. DD                  (2)
où (I – T + m -x)-1 est l’inverse de la matrice (I – T + m -x). L’inverse de la matrice est l’équivalent de 1/(1 – T + m) dans le calcul du multiplicateur agrégé. Le calcul de l’équation matricielle (2) donne l’accroissement de production qui résulte d’un accroissement (par exemple) d’un milliard d’euro de la demande dans une branche donnée. Par ce calcul on inclut également les effets de l’accroissement de la production de la branche considérée sur toutes les autres branches par les consommations intermédiaires. On effectue ce calcul pour chacune des branches séparément.

2.2 Effets sur la valeur ajoutée

Les résultats obtenus en valeur de la production peuvent être transformés en valeur ajoutée, en appliquant à chacune des valeurs des produits le taux de valeur ajoutée de la branche qui le produit. Ces chiffres permettent une comparaison directe avec le PIB qui est égal à la somme des valeurs ajoutées produites par les branches. Les résultats figurent dans le tableau 1.

Tableau 1: Effets multiplicateurs d’un accroissement de la demande d’un produit en 2013

Effets-T1

 Il importe de noter que les chiffres obtenus dans le tableau sont les effets multiplicateurs d’un accroissement de la demande de 1 milliard € dans chacune des branches prises isolément, la demande de toutes les autres restant inchangée.Il apparaît que les effets multiplicateurs sont sensiblement différents selon les branches. Ils sont le plus souvent inférieurs à 1. Autrement dit, un milliard € de demande supplémentaire crée moins d’un milliard € de richesse. L’effet multiplicateur le plus faible revient à la fabrication de matériel de transport, principalement les automobiles. Cela s’explique par le recours très important aux importations dans la réalisation des produits. Les branches où les effets multiplicateurs sont les plus importants sont celles de services marchands, en particulier les « activités spécialisées, scientifiques et techniques » qui sont génératrices d’une valeur ajoutée nettement supérieure à l’accroissement de la demande

Les deux branches immobilières sont dans une situation différente. La branche construction a un effet multiplicateur sur le PIB de 0,55, soit près de moitié moins que la dépense supplémentaire requise pour ce résultat. Un soutien de la construction est donc de ce point de vue peu efficace.
Plus efficace est le soutien de la demande d’activités immobilières. Composée essentiellement de la valeur d’usage des biens immobiliers, la branche est fortement génératrice de valeur ajoutée. Le coefficient multiplicateur de la demande est un peu supérieur à 1. On discutera plus loin les moyens d’accroître la demande dans les branches immobilières. La satisfaction d’un accroissement de cette demande passe aussi par de la construction supplémentaire, si les biens immobiliers existants sont déjà occupés.

2.3 Effets sur l’emploi

On calcule l’accroissement d’emplois requis par l’augmentation de la demande de 1 milliard € dans une branche donnée. Pour ce faire on applique aux augmentations de la production calculées précédemment (mais non fournies dans le tableau 1) le nombre d’emplois en équivalents temps pleins nécessité pour la production d’un milliard € de produit de chaque branche. Ce faisant on suppose aussi que la production est à coefficients fixes pour le facteur travail. Cette hypothèse est acceptable à court terme où un accroissement de production va entraîner des heures supplémentaires (comptabilisées en équivalents temps plein) et des embauches. A plus long terme la substitution du capital au travail atténuera l’effet multiplicateur de l’emploi.
Les résultats figurent dans le tableau précédent. Les effets multiplicateurs sur l’emploi sont les plus importants dans les branches où les effets multiplicateurs sur la production sont aussi les plus importants. La branche des « activités spécialisées, scientifiques et techniques » est de très loin la branche où l’impact d’une relance sur l’emploi est le plus important. Du point de vue de l’efficacité économique, comme de l’impact sur l’emploi, il vaut mieux aider par exemple la création de start up de l’économie numérique que toute autre activité.
La branche construction est 12ème sur les 17 branches quant aux effets de l’accroissement de la demande sur l’emploi. Un milliard d’euros de demande supplémentaire dans la construction crée 9000 emplois dans l’ensemble des branches. Notons pour expliquer ce chiffre assez faible que 1 milliard € ne représente que 1/3% de la production de la branche qui emploie 1830 mille équivalents temps plein. Quant à la branche « activités immobilières » elle est 14ème dans le classement. Un milliard d’euros de demande supplémentaire ne crée que 3900 emplois. Ceci résulte du fait que c’est une branche très capitalistique.
En définitive, le soutien à l’emploi par la relance de la construction et l’immobilier en général est donc peu efficace. Il vaut mieux soutenir les autres services mais aussi d’autres branches industrielles comme la fabrication d’autres produits industriels (les industries diverses) ou l’agriculture, la sylviculture et la pêche.
Comme on peut s’y attendre les effets multiplicateurs sur l’emploi sont très corrélés avec le contenu en emploi dans des branches, mesuré par le ratio emplois/production de la branche. Ce contenu en emploi est plus élevé dans les services, sauf dans les activités immobilières, que dans l’industrie, la construction étant dans une position moyenne. Mais les effets multiplicateurs sur l’emploi ne sont pas totalement corrélés avec le contenu en emploi car un accroissement de la demande n’a pas les mêmes effets sur toutes les branches du fait notamment des différences dans le recours aux importations et aux consommations intermédiaires.
Rappelons que ces résultats ne font pas de différences entre les emplois, qu’ils soient qualifiés ou non.

3 L’efficacité des actions publiques pour accroître la demande d’immobilier

Le TES ne fournit pas d’indications sur les voies par lesquelles l’accroissement de la dépense finale d’une branche peut être obtenu par les pouvoirs publics. Les deux voies les plus habituelles sont, d’une part la dépense publique directe et, d’autre part, les mesures incitatives sous forme de subventions ou d’exonérations fiscales. La première consiste à augmenter la demande des administrations publiques. Cette demande peut porter sur des fournitures, des équipements ou des prestations de services. Ce peut être le cas par exemple dans le domaine des travaux publics où l’accroissement de la demande publique est classiquement utilisé comme mesure de soutien à l’activité économique générale.
Si la demande de travaux publics est largement dépendante de la commande publique, celle des logements l’est peu. Elle ne l’est qu’indirectement par l’intermédiaire du secteur HLM. Encore celui-ci est-il largement indépendant dans ses décisions d’investissement.
Dès lors, la relance de la production immobilière passe par des mesures incitatives. Se pose alors la question de leur efficacité, c’est-à-dire du rapport entre le coût fiscal et l’accroissement de demande.
Commençons par les activités immobilières. Une partie consiste dans l’intervention de professionnels qui est liée à la production de biens immobiliers. On l’examinera en étudiant le cas de la branche construction.
La plus grande part des « activités immobilières » est constituée des locations immobilières, principalement en logement. Une partie des utilisateurs de logement sont aidés pour la consommation des locations immobilières au moyen des aides à la personne. On peut penser qu’un accroissement de ces aides peut contribuer à une augmentation de la consommation de locations immobilières. En fait ces aides sont plutôt conçues pour alléger la dépense de service de logement que pour accroître sa consommation. De fait cette consommation est caractérisée par une faible sensibilité au prix. Par ailleurs les 2/3 des ménages atteignent le plafond de l’aide, ce qui rend l’aide sans effet sur la consommation de logement qui excède ce plafond. L’effet de ces aides sur la demande de locations immobilières est donc limité.

Par ailleurs ces aides sont récurrentes. Elles n’ont donc d’effet conjoncturel qu’en cas d’une modification significative des barèmes. Même dans ce cas, les effets du choc mettront des années à faire sentir leur plein effet, car l’accroissement de la consommation de logement passe le plus souvent par un déménagement.

Enfin, pour que la consommation de logement puisse s’accroître, il faut que l’état du stock le permette ou que s’opère un ajustement du stock par la construction. C’est précisément sous l’effet d’une croissance de la construction qu’est conçue le plus souvent la relance de l’activité économique. Il faut alors distinguer la construction de nouveaux logements des travaux sur l’existant.
La construction de nouveaux logements entraîne une demande de produits de la branche construction. Mais la construction de nouveaux logements nécessite aussi la mobilisation de terrains. La valeur des terrains représente près de 20% de la valeur totale des constructions neuves selon le compte du logement 2013. Si l’aide publique conduit à de la construction neuve, 20% de cette aide ne contribue pas à la demande de construction. On n’a pas d’information sur l’utilisation des encaisses résultant de la cession des terrains pour la construction. Mais comme ces terrains sont des éléments de patrimoine on peut penser que le produit de leur vente va plus vraisemblablement entraîner une réallocation des patrimoines qu’une dépense en biens et services. Le rendement de l’incitation publique est donc réduit d’autant.
L’autre contribution à l’activité de la construction est constituée des travaux sur les biens immobiliers existants. Pour information en tendance, les travaux sur les logements représentent en volume de construction l’équivalent de la construction neuve. Si les incitations publiques ont un effet, cet effet s’exprime intégralement sous la forme d’une demande de construction puisqu’il n’y a pas de dépense foncière. Dans l’objectif de soutien de l’activité de construction, les incitations aux travaux sont donc à privilégier par rapport aux incitations à la construction neuve.
Dans les deux cas, la relance a un effet sur la branche construction, mais aussi sur la branche locations immobilières puisque les logements construits ou améliorés vont générer un surplus de locations immobilières. Encore faut-il que la construction ne contribue pas à vider d’autres logements. Or c’est ce qui se passe en partie en France depuis 2006 où le nombre de logements neufs est de l’ordre de 330000 logements par an mais où la vacance s’accroît de 80000 logements par an. Ainsi le rendement des incitations à la construction en termes de locations immobilières n’est environ que de 75%.
Reste maintenant à envisager l’efficacité des différents types d’incitations. Les résultats dépendent des dispositifs mises en œuvre. Il n’existe pas de résultats confirmés pour chacun d’eux. Aussi se limitera-t-on à des remarques générales. On trouvera des remarques sur certaines aides dans Cornuel (2014)[2].
Premièrement, pour mesurer les effets incitatifs des actions publiques, il ne suffit pas de comptabiliser dans quelle mesure elles ont été effectivement mobilisées. Par exemple on ne peut pas imputer la totalité des investissements locatifs privés bénéficiant d’un des dispositifs fiscaux qui leur sont destinés pour conclure que les incitations sont à l’origine de la totalité de ces investissements. En effet un certain nombre d’opérations d’investissement auraient été réalisées en l’absence d’incitations. La mesure de l’efficacité est celle du nombre d’opérations réalisées en plus de celles qui auraient été réalisées en l’absence d’aides. On conçoit que la réponse à la question soit plus difficile.
En second lieu, les incitations sous formes de subventions ou de dépenses fiscales sont des aides monétaires. Elles n’ont pas nécessairement un impact direct sur l’économie réelle comme peut l’avoir la demande publique. Ces incitations passent par les circuits des revenus et de l’épargne avant d’éventuellement se transformer en demande de biens et services. Elles peuvent donc conduire, au moins en partie, à des augmentations de prix. Ce phénomène est documenté en ce qui concerne les aides à la personne, mais il est concevable pour beaucoup d’autres aides.
En définitive, « les pertes en ligne » dans la transmission des dépenses publiques en matière de logement contribuent à amenuiser des effets multiplicateurs déjà peu importants. Ceci devrait conduire à un réexamen de l’ensemble des aides au logement.

[1] http://www.ofce.sciences-po.fr/blog/une-revue-recente-de-la-litterature-sur-les-multiplicateurs-budgetaires-la-taille-compte/

[2] Site economieimmobiliere.com : Comment économiser dix milliards de dépenses publiques en logement ?

Auteur/autrice

  • Didier Cornuel

    Didier Cornuel est professeur émérite d’économie à l’Université de Lille, laboratoire LEM. Il est docteur en économie et en sociologie. Il travaille depuis plus de 40 ans sur le logement, sujet sur lequel il a réalisé plus d’une centaine de travaux. Il a publié en 2013 « Economie immobilière et des politiques du logement » aux éditions De Boeck. Il tient un blog, www.economieimmobiliere.com

2 réflexions sur “Effets d’une relance de la construction sur l’économie et l’emploi

  • 1 mars 2016 à 18:11
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    Excellent article, clair et chiffré. L’importance du secteur des travaux est bien pointée, ce qui n’est pas toujours le cas dans un discours de la profession très « construction neuve ». Sur l’accroissement de la vacance, il faut se méfier de la vacance longue et de la vacance frictionnelle : c’est surtout cette dernière qui a augmenté depuis 2007.

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  • 1 mars 2016 à 21:09
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    Rendre constructibles des terrains qui ne le sont pas a un fort effet multiplicateur sur le PIB pour un coût nul.

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