La consolidation conservatrice en matière d’aides et de logement social

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Selon Christine Whitehead, professeur à la London School of Economics, « le logement social est confronté à son plus grand défi des 40 dernières années » car l’accès au financement est devenu de plus en plus difficile depuis le credit crunch et la récession qui s’en est suivie. De plus, les gouvernements successifs de Cameron poursuivent la même ligne directrice dictée par leur volonté de réduire les dépenses publiques. Or cette réduction concerne avant tout le logement social et les politiques sociales qui ont été les premiers affectés par ce durcissement budgétaire. Le logement comme « filet de protection » (housing safety net) s’est ainsi affaibli au cours des années Cameron. La Big Society encourageait les Anglais à compter sur eux-mêmes plutôt que sur le soutien des institutions publiques.
Le Vice-premier ministre Nick Clegg, chef de file des libéraux démocrates, tentera de tempérer les ardeurs des conservateurs lors du premier gouvernement de la coalition (2010-2015). Aux élections de 2015, les conservateurs obtiennent la majorité absolue et affirment leur détermination à revenir aux principes de 1988. Cette consolidation « néo-conservatrice » de la politique du logement s’illustre par la volonté de durcir les critères de l’allocation logement, puis de la fusionner dans une « aide sociale universelle » (1). Mais on observe surtout un démantèlement du modèle du « logement abordable » (2) au profit d’une incitation à l’accession à la propriété (Voir l’article « L’extension du domaine de la propriété privée comme priorité politique »).

Les transformations des aides à la personne sous les gouvernements de David Cameron

Une des priorités stratégiques des gouvernements Cameron repose sur la maîtrise des dépenses en matière d’aides à la personne dont l’évolution a été qualifiée d’ « out of control ». On a ainsi observé une hausse de 50% des dépenses entre 1999 et 2010. Celle-ci est imputable essentiellement à la hausse de l’allocation logement dont bénéficient les locataires du parc privé (Local Housing Allowance – LHA). Notons aussi que, contrairement à la France, les aides à la personne relèvent de dépenses comptabilisées dans le programme du Ministère des affaires sociales (Department of Social Security) et non du Ministère du logement.

Origines intellectuelles, justifications et premières mesures

La réforme des aides à la personne s’inscrit dans une pensée conservatrice qualifiée de « conservatrice progressive » (Somerville, 2016), en opposition à la pensée conservatrice réactionnaire (i.e. M. Thatcher). Sous la houlette d’essayistes comme Max Wind-Cowie, auteur d’un essai intitulé « Recapitaliser les pauvres, pourquoi la propriété n’est pas un vol » (2009), la nouvelle génération de conservateurs britanniques considère que les ménages modestes doivent reconstituer un capital qu’ils ont perdu – mais l’ont-ils déjà possédé ? En matière de logement, la proposition de Wind-Cowie est la suivante : les bénéficiaires de l’aide à la personne doivent être capables de « capitaliser » cette aide en investissant son montant dans un prêt à l’accession à la propriété au taux d’intérêt fixe et provenant d’une banque publique qu’il faudrait ainsi créer. Précisons que les prêts britanniques sont traditionnellement à taux variables. Mais si l’aide au logement est réinvestie directement dans un prêt à l’accession, comment les locataires assurent-ils le paiement de leur loyer ? La constitution d’un capital sous forme de propriété-occupante se heurte ainsi à la réalité d’un marché immobilier dont la maîtrise de la hausse des prix, selon les conservateurs, leur échappe.
David Cameron a justifié sa réforme des aides à la personne par un discours populiste. Il a en effet pointé des exemples extrêmes où certains allocataires ont bénéficié jusqu’à 60 000 € par an d’aides. Or en 2010 seules 139 familles sur 4,79 millions d’allocataires percevaient 60 000 livres annuelles d’aides à la personne, et 4% plus de 24 000 €, toutes localisées à Londres (Hodkinson et Robbins, 2013, p. 16).
Quelques mois après son élection, le montant des aides à la personne a ainsi été plafonné à 480 € par semaine, soit environ 2000 € par mois pour la seule aide au logement. De plus, l’aide au logement ne peut être perçue qu’à condition que le montant du loyer compte parmi les 30% les moins élevés de la zone, rétrécissant ainsi drastiquement l’offre de logements disponibles aux allocataires. Plus de 100 000 ménages ont ainsi vu leur aide baisser de 36 € par semaine (180 € par mois). Outre des conditions d’éligibilité de plus en plus restrictives, la volonté des conservateurs a été de « rééquilibrer » l’aide à la personne au bénéfice des locataires du secteur locatif privé. En 2008, un quart du budget de l’allocation logement bénéficiait aux locataires du secteur privé et les trois quarts aux locataires du parc public. En 2016, c’est un tiers du budget total de l’allocation logement qui est versé aux locataires du parc privé (les deux autres tiers bénéficiant aux locataires du parc public), soit un report de l’aide au logement de 11,2 milliards d’euros au profit des locataires du parc privé (The Guardian, 2016). On observe ainsi une volonté délibérée de soutenir les propriétaires bailleurs privés au détriment des bailleurs sociaux (Cf. tableau 1 et son analyse ci-après).

Le Welfare Reform Act de 2012 : Réduire les aides sociales en les fusionnant

C’est la loi dite de « Modernisation sociale » (Welfare Reform Act) de 2012 qui modifie en profondeur le système des aides à la personne. Rebecca Tunstall relève les principaux éléments de la loi relatifs à l’aide à la personne (Tunstall, 2015). Dans l’objectif de « simplifier le système social et d’encourager l’emploi », il s’agit de :

  • Réduire l’allocation logement en cas de sous-occupation du logement social (cette mesure est appelée « taxe sur la chambre à coucher »). Or la « taxe sur la chambre à coucher » n’a pas eu l’effet escompté. En effet, l’objectif était de libérer les grands logements occupés par des ménages vieillissants. Ceux-ci ont préféré, pour 95% d’entre eux, voir leur allocation logement baisser plutôt que de déménager, leur logement étant souvent adapté au vieillissement de leurs occupants. Notons que pour la loi, les enfants de moins de 16 ans, du même sexe, sont censés partager la même chambre. Ainsi, si deux garçons de 15 ans occupent chacun une chambre, la taxe s’applique au ménage !
  • La fin du versement direct de l’aide au logement au bailleur social (fin du tiers payant) : l’aide au logement est dorénavant versée à l’allocataire qui est ainsi « responsabilisé » pour assurer le paiement de son loyer et/ou constituer un apport immobilier. Cette mesure fragilise les bailleurs sociaux qui voient augmenter le risque d’impayés de loyer, ce que redoutent aussi les bailleurs français (Bosvieux, 2015).
  • Le plafond des aides sociales incluant les aides au logement est désormais fixé à 600 € par semaine pour un couple et 420 € par semaine pour une personne seule ;

Le fait le plus marquant de la loi de Modernisation sociale est la création, en avril 2013, d’une « aide universelle » (universal credit) qui fusionne aide au logement, allocations chômage, allocation handicapé, aides fiscales, aides au retour à l’emploi etc. Cette unification des aides sociales vise à simplifier un système complexe mais surtout à diminuer les dépenses sociales. Les bailleurs sociaux ont ainsi craint une croissance du niveau d’endettement de leurs locataires et des impayés de loyers, à cause de la fin du tiers payant (Power et al., 2014). L’affaiblissement du système social a été en partie compensé par le soutien financier des collectivités locales qui, par le biais de leur Fonds de solidarité logement (Discretionary Housing Payments), ont vu leurs dépenses passer de 72 millions d’euros en 2012/2013 à 216 millions d’euros en 2013/14 et 198 millions en 2014/15 (Tunstall, 2015, p. 18). Ces aides locales ont aussi contribué à accentuer les écarts territoriaux pour les allocataires sociaux : le montant de ces aides est fonction des moyens des collectivités locales ou de leurs priorités politiques.

Mais une hausse continue du budget des aides à la personne

Malgré un resserrement des conditions d’allocation de l’aide à la personne, de la fixation de plafonds de plus en plus bas, la dépense totale que constituent les aides à la personne a augmenté de 2,5 milliards d’euros entre 2010 et 2013, passant de 27,5 milliards d’euros à 30 milliards, soit une augmentation de 9% (Tunstall, 2015, p. 32). La hausse du budget relatif aux aides à la personne est due à la progression du nombre de personnes sans emploi ou avec des revenus modestes depuis 2008 ainsi qu’à la hausse des loyers, du secteur social comme du secteur privé. Le nombre d’allocataires est ainsi passé de 4,7 millions – dont 1,4 millions dans le secteur privé – à 5 millions sous les gouvernements de la coalition.
Cette augmentation doit aussi être analysée à la lumière d’un autre chiffre : en 2010, les aides à la personne comptaient pour environ 58% des dépenses publiques en matière de logement. Les 42% restants relevaient des aides à la pierre. En 2013, la part des aides à la personne a compté pour plus de 70% des dépenses publiques et la part des aides à la pierre est tombée à 30%. Cette évolution s’explique par la volonté d’assécher le budget alloué aux aides à la pierre qui bénéficient au secteur social. Ce même secteur doit aussi faire face à la fragilisation de ses locataires dont l’aide à la personne est soumise à des conditions plus strictes et n’est plus directement versée au bailleur.
Le versement des aides à la personne a connu aussi une évolution profonde au bénéfice des locataires du parc privé. Entre 2008 et 2016, le nombre de bénéficiaires de l’allocation logement habitant dans le parc social est resté stable, passant de 3,1 millions à 3,2 millions d’allocataires. Par contre, le nombre d’allocataires logés dans le parc privé est quant à lui passé de 1 million à 1,5 millions, soit une augmentation de 42% (National Housing Federation, 2016). Le tableau ci-dessous précise l’évolution des montants de l’aide à la personne en fonction de la nature du parc locatif, privé ou public. Entre 2006 et 2015, le montant des aides à la personne à augmenté de près de 8,4 milliards d’euros, mais cette augmentation a bénéficié avant tout aux locataires du parc privé.

Or cette évolution est fort coûteuse pour les finances publiques : le montant moyen de l’allocation logement pour un locataire du privé s’élève à 132 € par semaine contre 107 € pour les locataires du public, compte tenu du montant plus élevé des loyers du parc privé. La National Housing Federation a ainsi calculé le montant de ce surcoût : « Au cours des sept dernières années, entre 2009 et 2016, si les allocataires habitant dans le secteur privé avaient vécu dans un logement social aux normes de confort identiques, les dépenses totales en matière d’allocation logement auraient été réduites de 18,7 milliards de livres » (National Housing Federation, 2016, p. 6). Selon cette organisation, ces montants conséquents auraient pu ainsi être investis dans la construction de logements publics, généralement de meilleure qualité que ceux du parc locatif privé. Selon la National Housing Federation, les choix politiques effectués par les gouvernements de la coalition auraient ainsi contribué à l’allongement des listes d’attente du logement social dans les zones tendues, Londres en particulier, au renforcement de la sur-occupation et à la colocation des 25-34 ans qui ne peuvent plus bénéficier de l’aide au logement.

La lente agonie du système de logement social britannique

Depuis 1919, l’Etat britannique considère le logement social comme une responsabilité nationale. Il subventionne massivement les collectivités locales qui produisent et gèrent le parc. Dans un marché immobilier libéralisé, le logement social a une action régulatrice. A son apogée de 1981, 5,5 millions de ménages étaient locataires du parc public.
Cette politique publique a connu des évolutions mais le bouleversement majeur fut la mise en place du Right To Buy via le Housing Act de 1980. Il crée la possibilité pour un locataire d’acquérir son logement. Margaret Thatcher – qui avait initié ce dispositif – amplifie le processus avec le Housing Act de 1988. Le gouvernement anglais oblige les collectivités à céder leur parc de logement social en-deçà des prix du marché (Le Goff, 2007). 1 760 000 logements sociaux ont été cédés aux locataires entre 1980 et 2009 (Fée, 2010). Par ailleurs, suivant la même politique d’un désengagement de l’Etat dans sa fonction de loger les britanniques, le gouvernement conservateur organise le transfert massif du stock de logements sociaux (Large Scale Voluntary Transfer) des collectivités locales vers les Housing Associations.
Le gouvernement Thatcher souhaitait réformer l’Etat-providence et s’attaquait, entre autres secteurs publics, au logement social, auquel les conservateurs sont opposés idéologiquement car il incarne une forme de dépendance des locataires vis-à-vis de l’Etat. Par ailleurs, le système de financement est coûteux. Ainsi, Thatcher restreint les dépenses publiques. Elle hiérarchise les priorités en délaissant la politique du logement. En ne soutenant plus financièrement les collectivités locales, l’Etat les contraint à céder leur patrimoine au nouvel acteur issu du secteur associatif (Voluntary Sector).
Le désengagement de l’Etat a eu trois conséquences directes (Fée, 2010) : une chute importante de la construction, la montée en puissance du secteur associatif et la résidualisation du parc social en concentrant les ménages défavorisés dans les logements abordables.

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L’arrivée des travaillistes au pouvoir en 1997 n’infléchira pas la dynamique. A contrario, Tony Blair renforce cette politique en continuant le transfert du parc social aux Housing Associations. 970 000 logements sociaux leurs seront transférés entre 1988 et 2009.Suite au transfert du parc public aux Housing Associations (Large Scale Voluntary Transfer), le secteur associatif voit son statut changer. Il accroît son intervention de manière considérable : il ne logeait que 375 000 anglais en 1979 et compte 2,38 millions de logements en 2015 (Office for National Statistics, 2015).

In fine, 2 millions de logements (dont seulement 83 000 issus du parc associatif) seront vendus aux locataires (Shelter, 2009).

Tony Blair a impulsé la politique du logement abordable en Angleterre, qui est une politique publique nationale qui promeut un secteur associatif puissant ainsi que le dispositif dit du « droit d’acquérir son logement ». Mais en 2010, le think tank conservateur Policy Exchange publie un rapport sur la production de logements abordables qui remet en cause cette politique : selon lui, le logement social « augmente la pauvreté des enfants, les problèmes de santé mentale et l’inégalité des chances » (Morton, 2010).

Le retour du conservatisme dans le domaine du logement : L’élargissement de la notion de « logement abordable » à l’accession à la propriété

David Cameron, inspiré par les idées et politiques conservatrices des gouvernements Thatcher et du rapport du Policy Exchange, prône, dès son accession au pouvoir, des changements importants dans le mode de financement du logement social (discours de Birmingham 3 août 2010).
Suivant un objectif de réduction des dépenses publiques, il accélère le basculement du système basé sur les aides à la pierre vers un financement reposant sur les aides à la personne. Cette dynamique initiée en 1980 connaît un second souffle. Comme nous l’avons déjà évoqué dans la partie 1, le budget dédié aux aides à la personne en 2010 s’élève à 24 milliards d’euros et presque 30 milliards en 2015. Concernant les aides à la pierre, 5,4 milliards d’euros sont investis par l’Etat entre 2011 et 2016 dans le cadre du programme Affordable Homes Programme 2015-2018 (Rapport du Comité consultatif sur la sécurité sociale, novembre 2010 ; Homes and Communities Agency, 2014). Le gouvernement dit de coalition, alliance des conservateurs et des libéraux démocrates, vise à diminuer les subventions directes – certaines subventions indirectes se développent (offre de terrains à bon marché, produit de la vente des logements avec décote à des bailleurs privés) – et à encourager les primo-accédants, via notamment les dispositifs des starters homes et du Help To Buy (cf. article « Extension du domaine de la propriété privée », encadré « le dispositif du Help to Buy »).
A ce titre, David Cameron fait évoluer la définition du logement abordable en y incluant les acquisitions immobilières. La bataille sémantique a été initiée par Cameron lors d’un déplacement le 11 janvier 2016 : « Les gens sont trop accroché aux définitions. La définition de logement abordable est une maison que quelqu’un peut se permettre d’acheter ou de se permettre de louer ». Cette manœuvre, empreinte d’idéologie, illustre l’engagement des conservateurs à poursuivre le modèle du « tous propriétaires », confirmant que le logement abordable est outre-Manche un enjeu politique fort mais au contenu extensible.
En 2016, le Housing and Planning Act fixe une nouvelle définition de la notion de logement abordable. Désormais, est considéré comme abordable tout logement destiné aux personnes dont les besoins ne sont pas satisfaits de façon adéquate par le marché privé, ce qui inclut les logements construits dans le cadre du programme Starter Homes. Par conséquent, la propriété-occupante est considérée comme un élément de la politique du logement abordable. Concrètement, cette nouvelle définition s’applique aux logements qui bénéficient des mesures fiscales et d’aide à la pierre, quels que soient les montants des loyers ensuite pratiqués. De cette façon, le stock de « logements abordables » augmente considérablement, sans que cette nouvelle offre soit destinée aux ménages modestes.
Les Starters Homes sont des logements neufs à vendre dont le prix est inférieur de 20% aux prix du marché. Ils sont réservés aux primo-accédants de moins de 40 ans. Leur prix maximum s’élève à 450 000 livres (540 000 €) à Londres et 250 000 livres (300 000 €) dans le reste du pays. La production de 200 000 logements neufs, stimulée par ce dispositif, est attendue par l’ancien Premier ministre d’ici à 2020 (The Guardian, 7 octobre 2015, voir aussi l’article « Extension du domaine de la propriété privée »).
En inscrivant cette nouvelle définition dans la loi-cadre de l’urbanisme (National Planning Policy Framework), les conservateurs ont ainsi profondément et durablement modifié le concept de logement abordable qui n’a désormais plus aucun rapport avec les revenus des ménages.
Outre cette « simple évolution sémantique », les réformes conduites dans le champ du logement social visent à une réduction de l’attractivité du logement social à travers la mise en œuvre de dispositifs tels que la remise en cause du droit au maintien dans les lieux (limitation du droit d’occupation) et l’augmentation des loyers. De plus, avec la vente du parc de logement social, les conservateurs ont pour objectif d’affaiblir le système actuel du logement public aidé.

Le bail à durée indéterminée : la remise en cause du droit au maintien dans les lieux 

Jusqu’en 2011, une des garanties fondamentales du logement social était d’assurer le droit au maintien dans les lieux. Auparavant considérée comme un choix dans le parcours résidentiel, l’occupation d’un logement social est devenue un filet de sécurité essentiel pour les populations les plus fragiles (Fitzpatrick, Pawson, 2007). La crise économique a accru cette fonction.
Or, le 3 août 2010, David Cameron annonce un plan pour mettre fin aux baux d’occupation à vie, au motif notamment que ce principe n’inciterait pas les personnes sans emploi à en rechercher un. Le Localism Act de 2011 donne ainsi la possibilité aux bailleurs d’accorder aux nouveaux locataires du parc social – et aussi à l’occasion de certaines relocations – un bail limité. La législation incite les bailleurs sociaux à proposer ces nouveaux types de baux dont la durée est comprise entre deux et cinq ans (flexible tenancy). A l’issue de cette période, ils devront procéder à un examen de la situation du locataire avant de reconduire ou résilier le bail.

Augmenter les loyers (Pay To Stay) et résidualiser le parc locatif social (fin des mixed income)

Cet affaiblissement du secteur locatif social est amplifié par un deuxième chantier gouvernemental, l’augmentation massive des loyers (Pay To Stay). Avant 2010, les niveaux de loyer du secteur locatif social s’établissaient à 60 à 65% du prix du marché. Ils atteignent aujourd’hui 80% du prix du marché (Affordable rent regime). Cette augmentation recherche deux effets.
Tout d’abord, l’augmentation des loyers produit naturellement un départ des locataires aux revenus les plus élevés. Ils s’orientent alors vers l’acquisition immobilière, notamment les starters homes lorsqu’ils répondent aux critères d’éligibilité au dispositif. Ce phénomène peut conduire à accroître la résidualisation du modèle anglais (Ghekière, 2007), à savoir le recentrage du secteur locatif public sur les populations les plus précaires (Lévy-Vroelant 2011) au détriment d’un modèle généraliste où la part des ménages à revenus moyens reste importante.
En matière de financement de la construction de logements sociaux, les gouvernements de David Cameron reviennent aux principes de 1988. La politique de « logements abordables » repose sur la hausse des loyers des Housing Associations afin de leur permettre d’augmenter leur capacité d’emprunt. L’Affordable Homes Programme de 2011-2015 repose sur une baisse des aides à la pierre compensée par l’augmentation des loyers qui permet d’équilibrer financièrement les opérations immobilières (Whitehead, 2013).

L’extension du Right To Buy au secteur associatif

Après avoir augmenté les loyers et remis en cause le droit au maintien dans les lieux, le gouvernement incite le secteur associatif – principal propriétaire de logements sociaux – à vendre une partie de son parc.
En 2011, la part du logement social locatif s’élève à 18% du parc immobilier anglais partagé entre les Housing Associations (10%) et les collectivités territoriales (8%). C’est en 2007 que la part du secteur associatif dépasse celle des collectivités territoriales (Department of Communities and Local Government, 2012). Afin de réduire le parc de logements sociaux, le « droit à l’achat » (Right To Buy) va désormais concerner les locataires des Housing Associations. Dès 2016, elles pourront céder leurs logements à tout acquéreur souhaitant faire valoir ce droit, locataire auprès du même bailleur depuis au moins trois ans. Selon le gouvernement, 1,3 million de locataires sont éligibles au dispositif. Les logements sont vendus à un prix inférieur à celui du marché où la réduction maximale est de 103 900 livres (125 000 €) à Londres et 77 900 livres (93 000 €) dans le reste du pays. Celle-ci dépend de la durée de location, du type de bien et de la valeur immobilière du logement.
Contrairement au Right To Buy de 1988 – où le produit de la vente avait été capté en totalité par l’Etat – les gouvernements de David Cameron usent de cette manne financière pour financer les réductions fiscales, réinvestir dans la construction de logements sociaux moins coûteux via les subventions aux Housing Associations et abonder un fond d’un milliard de livres (1,2 milliards d’euros) pour la régénération de friches industrielles.
L’extension du Right To Buy va contribuer à diminuer sensiblement le stock de logements abordables, principalement dans les zones où les tensions sur le marché du logement sont les plus fortes, telles que Londres, Oxford ou Cambridge.

La mise en concurrence des opérateurs associatifs et privés

Au cours des années 1980, les Housing Associations sont devenues les seules bénéficiaires des subventions de l’Etat, et se sont ainsi substituées aux collectivités locales comme opérateurs de logement social. Désormais, les promoteurs immobiliers sont sur un pied d’égalité avec les opérateurs historiques du logement social en bénéficiant des subventions pour développer l’offre locative abordable. Or cet investissement est aussi moins risqué que l’investissement dans le locatif libre.
L’Etat limite son intervention en ciblant les financements pour le bénéfice des ménages les plus défavorisés. Dans les zones tendues, Housing Associations et promoteurs privés entretiennent une concurrence musclée, qui induit un double mouvement.
D’abord les Housing Associations fusionnent entre elles. Ce processus de fusion existe depuis les années 1990 (Beider, 2012). Cependant, il connait un nouvel essor impulsé par la politique des gouvernements Cameron. Citons à titre d’exemple le nouvel organisme résultant du regroupement prévu au 1er décembre 2016 de L&Q et East Thames dans le Grand Londres. Ces deux Housing Associations gèrent ensemble 90 000 logements et se fixent pour objectifs un investissement de 30 milliards d’euros afin de produire 100 000 logements d’ici à 2026.
Ensuite, elles développent des joint-venture avec des promoteurs. A cet égard, L&Q a développé en 2013 un partenariat avec le constructeur Barratt London (acteur majeur de la promotion britannique) qui sera poursuivi avec le nouveau groupe fusionné. Cette alliance permet de constituer une capacité d’investissement d’environ 1,5 milliard d’euros et la livraison de 1 700 logements à Islington, Fulham et Vauxhall.

Un déficit de construction imputable à l’affaiblissement du secteur social

La politique du gouvernement conservateur en matière d’aides et de logement social soulève de vives inquiétudes au Royaume-Uni. Malgré le contexte d’incertitude dans lequel plonge le Royaume-Uni suite au référendum pour le Brexit, le marché immobilier britannique atteint toujours des prix très élevés. Exacerbé dans la capitale londonienne, le prix moyen d’un logement est de 730 000 euros (450 000 euros à Paris).
De surcroît, le volume de construction demeure globalement faible. Le taux de construction est de 2 pour 1 000 habitants au Royaume-Uni en 2013, alors qu’il est de 6 pour 1 000 habitants en France à la même période (Eurostat, 2015).
Le faible niveau structurel de construction de la Grande-Bretagne (et de l’Angleterre) s’explique par l’affaiblissement continu du secteur social. En effet, à population égale, la Grande-Bretagne construit moins de 200 000 logements par an (et même moins de 150 000 depuis 2008, cf. graphique 1). Le graphique 1 souligne aussi la relative stabilité de la production du secteur privé, qui, entre 1969 et 2015, livre en moyenne 150 000 logements par an. Jusqu’à l’arrivée de Margaret Thatcher au pouvoir (1979), les collectivités locales produisaient en moyenne 150 000 logements sociaux par an. Ce secteur participait ainsi à la moitié de la construction totale de logements (Cf. graphique n°2). La chute dramatique de la construction résidentielle relève ainsi de l’arrêt du développement du parc locatif social, que le développement du secteur des Housing Associations n’a pas su combler. Le pic de construction atteint par les Housing Associations se situe en 1995 avec près de 40 000 logements, ce qui reste quatre fois inférieur au niveau moyen des collectivités locales entre 1969 et 1979 (Graphiques 1 et 2). La volonté radicale de Margaret Thatcher de détruire le parc locatif public a ainsi conduit à l’affaiblissement général du secteur de la construction. A l’exception des années où Tony Blair se trouvait au pouvoir, le Royaume-Uni n’a pas vu son niveau de construction de logements dépasser les 200 000 unités annuelles, ce qui a contribué au manque persistant de logements en zone tendue.

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Les assauts contre le parc social ont aussi affaibli sa fonction régulatrice : les loyers des Housing Associations et a fortiori ceux du parc locatif privé demeurent plus élevés que ceux du parc public. Or le montant des aides à la personne est calculé, en partie, en fonction des niveaux de loyers réglés par les locataires. Par conséquent, le montant des aides à la personne n’a cessé de croître de façon exponentielle : il est passé de 340 millions d’euros en 1979 à 4,3 miliards d’euros en 1987. Il culmine aujourd’hui à 30 milliards d’euros (contre 18 milliards d’euros en France) malgré les mesures prises pour en limiter l’inflation.
Les dispositifs mis en place par les gouvernements de Cameron, renforcés par ses dernières annonces, ne rassurent pas les acteurs du logement social. Cependant, certains voient une possible inflexion au dogmatisme des conservateurs dans les récentes déclarations de Gavin Barwell, nouveau ministre du logement (The Guardian, 19 juillet 2016). Il considère que la politique du logement doit prendre en compte davantage la mixité d’occupation propriétaires-locataires du parc social.
La nouvelle première ministre, Theresa May, ne semble pas opposée à faire voter un nouvel Housing Act en revenant quelque peu sur les échecs de la politique du logement abordable de Cameron.


Bibliographie

Auteur/autrice

  • William Le Goff, Martine Drozdz et Romain Desforges

    William Le Goff est professeur-associé à l'UFR de géographie et d'aménagement de l'Université Paris 4-Sorbonne. Lauréat du prix de thèse sur la ville en 2007 (Divisions sociales et question du logement en Grande Bretagne, entre ethnicisation et privatisation. Les cas de Leiscester et Bradford), il a travaillé dans le domaine du logement dans différentes institutions (Délégation interministérielle à la ville, Agence nationale pour la rénovation urbaine, ville de Montreuil, Conseil régional d'Ile-de-France). Martine Drozdz est chargée de recherche au Laboratoire Techniques Territoires et Sociétés rattaché au CNRS et à l'Ecole des Ponts et Chaussées. Ses travaux portent sur les politiques urbaines londoniennes, en particulier les grands projets de renouvellement urbain. Dans le cadre du projet "Skyline" financé par l'Agence Nationale de la Recherche, elle réalise une comparaison entre Paris et Londres. Romain Desforges est doctorant au Lab’Urba (Université Paris-Est) dans le cadre d'une thèse CIFRE au sein du bailleur social Paris Habitat. Sa recherche porte sur la politique du logement abordable du Grand Paris à la lumière des expériences de Londres et Madrid, sous la direction de Jean-Claude Driant. Il est boursier de la Fondation Palladio en 2015 et 2016.

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