Bidonville

Même si des agences internationales (ONU Habitat en particulier) et des travaux savants en proposent, il n’existe pas de définition indiscutée du bidonville. L’expression désigne, sous des appellations localement variées, plusieurs types d’habitations, d’installations et d’organisations urbaines.
Quoi de commun entre le petit campement de trois ou quatre baraquements ou tentes, au cœur d’une grande ville française, et le quartier de plusieurs dizaines de milliers, voire plusieurs centaines de milliers d’habitants, au cœur d’une ville africaine ou asiatique ? Au moins deux choses : d’abord, une situation de délabrement et de fragilité de l’habitat ; ensuite, un mot, précisément celui de bidonville.
Certains instituts statistiques, en Inde notamment, ont fait explicitement du bidonville un objet de recensement et d’investigations poussées. Dans d’autres cas, en Europe, aux États-Unis ou en Russie, les bidonvilles sont parfois présents dans quelques zones urbaines, mais ils sont absents de la statistique officielle.
Le retour aux origines éclaire. Dans les années 1930, Bidonville, mais aussi Gadoueville ont été des toponymes au Maroc, plus précisément à Casablanca. Un quartier fait principalement de tôles et de bidons y fut ainsi baptisé, avant de devenir un mot générique, plutôt dépréciatif, pour décrire des zones misérables et insalubres. Dès l’origine, le mot sonne comme une marque et une étiquette de dépravation, de mauvaise gestion et de mauvaise réputation. Tout comme Bidonville à Casablanca, Favela était à Rio un nom propre avant de s’étendre à bien d’autres sites.
Des noms de lieux deviennent ainsi des noms communs et, dans certains cas, des catégories statistiques officielles.
Les définitions et traductions sont en réalité peu assurées. Les termes « taudis », « bidonvilles », « habitats informels », « établissements informels », « quartiers informels », « squats » ou bien « foyers à faibles revenus » sont souvent employés de manière interchangeable dans les travaux d’experts et les documents officiels (issus par exemple des sources FMI, Banque mondiale, AFD, ONU Habitat, PNUD, etc.).
Les diverses formes de logements informels reçoivent une multitude d’appellations dans de nombreuses langues, dialectes et argots, partout dans le monde. La terminologie est en fait très riche, avec des noms propres à chaque langue, voire à chaque ville. Il s’ensuit des querelles d’experts pour savoir ce qu’est vraiment un bidonville et ce que sont les termes les plus ajustés. Il va s’agir également de trouver le qualificatif le plus adéquat à l’habitat, « précaire », « informel » ou « spontané ».
Ces trois épithètes comptent parmi les plus employées pour des quartiers qui ne sont pas seulement des bidonvilles et qui correspondent à une vision plus large des difficultés et marginalités urbaines. Il reste que les trois qualifications s’adaptent parfaitement aux bidonvilles. Ils sont précaires, car habitats et habitants y sont peu protégés physiquement et juridiquement. Ils sont informels, car leurs constructions et les modes de vie qu’ils abritent passent largement à côté du droit de la construction et de l’urbanisme. Ils sont spontanés, car généralement ils n’ont pas été planifiés et leur existence signe l’impuissance à maîtriser la croissance urbaine.
À l’échelle internationale, les analyses, données et recommandations de ONU Habitat prévalent. L’agence accumule les enquêtes et perfectionne les analyses. Elle a établi une première approche, plutôt qu’une stricte définition, du bidonville, en 2002, lors d’une réunion d’un groupe d’experts organisée notamment avec la Division statistique des Nations Unies. Elle fait l’objet depuis d’innombrables commentaires, critiques et réponses. Comme toute définition sur un sujet politique sensible.
Le mot « bidonville », tel qu’utilisé par les experts de ONU Habitat, se réfère à une définition qui décrit un « ménage de bidonville » comme un ménage où les habitants souffrent d’une ou plusieurs « privations » dans cinq domaines. Ce sont les conditions de vie qui sont prises en compte lors de l’évaluation de l’état d’un ménage, indépendamment de l’appellation locale, souvent coutumière, de son habitat.
Précisément, selon la définition révisée en 2012, « un bidonville correspond à un groupe d’individus vivant sous un même toit dans une aire urbaine et manquant d’au moins l’une des cinq aménités suivantes :

  1. un logement durable (une structure permanente qui assure une protection contre les conditions climatiques extrêmes) ;
  2. un surface de vie suffisante (pas plus de trois personnes par pièce) ;
  3. un accès à l’eau potable (de l’eau qui puisse être accessible en quantité suffisante, qui soit abordable et sans effort excessif) ;
  4. un accès aux services sanitaires (toilettes privées ou publiques, mais partagées par un nombre raisonnable de personnes) ;
  5. une sécurité et une stabilité d’occupation (protection contre les expulsions) ».

La définition du bidonville selon ONU Habitat, à visée plus opérationnelle que normative, se concentre de la sorte sur les caractères physiques (mauvaise qualité des logements, absence d’accès à l’eau et à l’assainissement) et juridiques (illégalité de l’occupation du sol et de la construction).
L’expertise française, à l’université et à l’AFD, plutôt réticente quant au terme « bidonville », lui préfère l’expression de « quartier précaire ». L’AFD propose une typologie croisant différents critères : statuts fonciers, types de bâti, rapport au centre, profils socio-économiques des habitants. Il s’ensuite une typologie des quartiers précaires, le bidonville étant la forme la plus dégradée de ces types.
Les bidonvilles sont des quartiers de logements globalement conformes à la définition de ONU Habitat. Les caractéristiques, telles que repérées par l’AFD, sont classiques : foncier non sécurisé, vulnérabilité du bâti et de la localisation, construction en matériaux de récupération, manque voire absence totale d’infrastructures.
Se distinguent ensuite les quartiers informels en voie de consolidation. Le plus souvent, il s’agit de bidonvilles se consolidant progressivement, avec établissement d’une trame viaire et durcification du bâti. Ces améliorations procèdent de leur ancienneté, d’une certaine sécurisation foncière, de la mixité croissante des profils socio-économiques, ainsi que de la densification de l’habitat.
Se repèrent également des quartiers aménagés sans puissance publique. Situés généralement en périphérie, ces quartiers s’apparentent visuellement à la ville formelle. Ils sont constitués de constructions « en dur », mais bâties en dehors du cadre légal et de toute planification. L’occupation du foncier relève souvent de la coutume. Les réseaux y sont sommaires. Ces quartiers, dits également « illégaux », « irréguliers » ou « non règlementaires », pallient la faiblesse de l’offre de logements à destination des classes moyennes qui s’affirment.
Enfin, l’Agence française de développement (AFD) différencie des quartiers anciens dégradés de la ville formelle. Dégradation, évolution des peuplements et des usages et manque d’entretien peuvent transformer en quartiers précaires des pans entiers de la ville formelle. Devenus insalubres, sur-densifiés, dépourvus d’accès suffisants aux réseaux débordés, ces quartiers peuvent être vus comme du patrimoine urbain, mais ce sont surtout des poches de pauvreté.
Les quatre catégories de l’AFD spécifient deux faces aux dynamiques qui affectent les bidonvilles. D’un côté, de bric de broc, se crée de l’habitat illégal qui progressivement s’améliore et se formalise. Il y a gradation, mais tant qu’ils ne sont pas pleinement intégrés à la ville, ces quartiers sont toujours un peu à côté, ne serait-ce que sur le plan du droit. D’un autre côté, la constitution de bidonvilles passe par la dégradation. De l’habitat établi et formel s’abîme. Les équipements et conditions de vie se détériorent. Progressivement, ce qui était un quartier de ville « normal » se bidonvillise.
Ce couple gradation/dégradation rappelle que les situations ne sont pas figées, tout comme les frontières entre ce qui est formel et informel ne sont pas définitivement fixées.

Julien Damon
Décembre 2017

Cabane

Auteur/autrice

  • Jean Bosvieux

    Jean Bosvieux, statisticien-économiste de formation, a été de 1997 à 2014 directeur des études à l’Agence nationale pour l’information sur l’habitat (ANIL), puis de 2015 à 2019 directeur des études économiques à la FNAIM. Ses différentes fonctions l’ont amené à s’intéresser à des questions très diverses ayant trait à l’économie du logement, notamment au fonctionnement des marchés du logement et à l’impact des politiques publiques. Il a publié en 2016 "Logement : sortir de la jungle fiscale" chez Economica.