Vendre les HLM, bonnes et mauvaises raisons.

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Le projet de loi ELAN prévoit, à côté de dispositions répondant à des objectifs poursuivis par la plupart des lois récentes sur le logement, un véritable bouleversement de l’organisation du monde HLM. Sa mise en œuvre pourrait être facilitée par le fait que ses implications n’apparaissent pas immédiatement aux yeux du grand public et surtout par une configuration politique inédite : la majorité parlementaire compte parmi ses membres peu d’élus locaux et par là-même peu de présidents ou d’administrateurs d’offices publics HLM ou d’OPAC, lesquels se trouvaient être les défenseurs naturels du « monde HLM », tant à gauche qu’à droite.
Les objectifs de cette réorganisation sont divers, mais elle répond avant tout à une préoccupation budgétaire. L’importance de la trésorerie HLM a toujours été dans la ligne de mire du ministère du budget. A défaut de la récupérer, comme cela avait été fait en partie lorsque Pierre Méhaignerie était Ministre de l’Équipement, dans la foulée du rapport dit Laxan de l’Inspection générale des finances en 1987, le regroupement forcé des organismes gérant moins de 15 000 logements impliquera la réunion de leurs moyens et leur mutualisation entre « dodus dormants » et organismes moins bien dotés, lesquels sont plus dépendants des aides publiques. Il n’est pas non plus impossible que ce regroupement génère quelques économies d’échelle, mais le premier objectif est bien de trouver au travers de la mobilisation des actifs détenus par le monde HLM des ressources susceptibles de se substituer en totalité ou en partie à l’aide publique d’État. Il est vrai que le volume de cet actif a de quoi faire rêver un État endetté. Obéissant à des règles administratives spécifiques, sa valorisation comptable apparaît comme sans commune mesure avec la valeur qu’auraient sur le marché ces logements s’ils étaient libérés des contraintes qui découlent de leur statut.

Les différentes modalités de vente

Il existe plusieurs modalités de vente qui répondent à des objectifs différents et qui soulèvent des problèmes tout à fait distincts. La première est la vente, par un organisme, d’une partie de son patrimoine à une autre structure HLM, mais ce type de cession, à un prix qui peut être inférieur à l’évaluation des domaines, ne permet pas de dégager de réelles plus-values et répond à une logique de gestion, par exemple de regroupement géographique du patrimoine, ou de désendettement. Il n’en sera pas question ici. La deuxième est la vente au locataire occupant ou à un autre locataire de l’organisme vendeur, laquelle obéit à une toute autre logique. La cession se fait alors au prix des domaines, dans une fourchette de plus ou moins 35%, en prenant pour base le prix d’un logement comparable libre d’occupation.  Cette référence, comme indiqué précédemment, correspond à un prix qui peut être très supérieur à la valeur qui figure au bilan des organismes. Le produit de la vente reste à l’actif de l’organisme HLM vendeur et ne peut être redistribué aux actionnaires. Une troisième modalité, au cœur des débats relatifs à la loi ELAN et qui a fait l’objet de vifs débats tant en commission qu’en première lecture à l’Assemblée Nationale, consisterait en une cession en bloc à une société tiers détenue par des investisseurs privés soit de l’intégralité des biens, soit de leur seule nue-propriété. Dans ce cas de figure, l’investisseur tablerait sur une sortie du conventionnement qui libérerait le logement des contraintes en matière d’occupation, qu’il s’agisse du droit au maintien dans les lieux ou des loyers réglementés, soit à un horizon économique raisonnable, soit à l’occasion du départ du locataire, ces deux approches pouvant d’ailleurs se combiner. La sortie du conventionnement est donc la clef de la réalisation des plus-values latentes. Cela constituerait un changement considérable, puisqu’aujourd’hui la durée du conventionnement HLM est illimitée, sauf dans le cas où le logement est vendu à un locataire et dans quelques autres cas très spécifiques. Le débat politique porte alors sur le bien-fondé, la légitimité et les conditions d’une telle « ouverture ».
En encourageant la vente effective d’une partie du parc social, la France ne fait pas œuvre originale. C’est l’occasion de se demander à quelles logiques répond ce choix, tant à l’étranger qu’en France.

À l’étranger

Un choix de doctrine, abusivement qualifiée de libérale, conduit à privilégier les aides à la demande plutôt que le soutien de l’offre. Ainsi, la Banque mondiale, lorsqu’il s’agit d’aider les ménages les plus modestes à se loger rejette les programmes de constitution d’un parc locatif public. Soutenir l’offre plutôt que la demande priverait la puissance publique de l’outil de régulation que constituent les prix. Ensuite, il est reproché à cette forme d’intervention à la fois de favoriser la constitution de rentes de situation au profit des locataires en place et de concentrer les plus pauvres dans les mêmes immeubles. Enfin, cela prêterait plus facilement le flan aux risques de clientélisme et de corruption.
A contrario, lorsque le marché est efficient, les subventions à la demande, du type de l’aide personnelle, permettraient aux locataires d’optimiser l’usage de l’aide publique. C’est cette logique qui fonde en partie la politique des vouchers[1] aux États-Unis. L’aide fédérale au logement destinée aux personnes à très faible revenu, aux vieux et aux handicapés, prend la forme de bons qui les aident à se loger dans le parc locatif privé de droit commun. Cela explique que la question de la vente du parc ne se soit pas vraiment posée aux États-Unis.
C’est dans les pays anciennement socialistes, dits « en transition », que le mouvement de vente a été le plus radical. Plutôt que de vente, il s’est agi d’un transfert gratuit ou à des prix fortement décotés du parc locatif à ses occupants. Ces derniers n’ont pas forcément apprécié ce « cadeau », dans la mesure il s’est accompagné de l’obligation pour eux de supporter les charges d’entretien des immeubles, alors même que leur bail présentait nombre des garanties associées habituellement au statut de propriétaire. Le bail pouvait même, dans certains cas, être transmis à leurs descendants. Il s’agissait surtout en l’occurrence de débarrasser les grandes entreprises, qui allaient être confrontées à la concurrence, de la responsabilité de loger leurs salariés et, plus largement, de libérer la collectivité d’une gestion immobilière dont elle s’acquittait mal.
L’Allemagne présente un autre cas de figure, puisqu’il n’y a pas dans ce pays de parc social proprement dit, mais des logements dont le loyer est conventionné pour une durée déterminée et inférieur à ceux du marché pendant la durée de la convention. Il n’existe qu’un type de bail, à durée indéterminée, et il n’est assorti d’aucun droit à la reprise pour vente. De ce fait, tous les locataires, et ils représentent près de la moitié de la population, bénéficient d’une garantie de maintien dans les lieux. C’est ce qui a permis que la vente des anciens logements sociaux, ceux des grandes villes ou de grandes entreprises comme la Poste ou les Chemins de fer, ait été réalisée en bloc sans que la situation des occupants, leur droit au maintien dans les lieux et leur loyer ne soient modifiés. C’est également ce qui a interdit à des investisseurs de s’approprier le parc social pour en réaliser rapidement la valeur comme le feraient des marchands de biens, la pleine disposition du logement étant conditionnée par le départ du locataire, alors même qu’il s’agit d’une population très stable. Pour autant les collectivités locales ne se désintéressent pas nécessairement du logement des ménages fragiles. Désormais, elles peuvent accorder une aide à un investisseur à la condition que celui-ci offre pendant une durée déterminée des logements à des loyers inférieurs à ceux du marché à des ménages modestes. Le montant de l’aide, le niveau des loyers, les caractéristiques des bénéficiaires potentiels et la durée de la convention sont négociés entre la collectivité et l’investisseur. Par exemple Munich, ville la plus chère d’Allemagne, signe des conventions pour 60 ans avec des coopératives. A l’issue de la convention, le logement peut rentrer dans le droit commun ou faire l’objet d’une nouvelle convention. La logique du système actuel peut être rapprochée de celle qui prévaut pour l’investissement locatif privé en France, à ceci près qu’en Allemagne, la collectivité négocie les conditions de la convention, sa durée, mais surtout désigne les locataires et garantit le paiement du loyer.
Dans plusieurs pays européens, la vente des logements sociaux a conduit à réduire le champ de leurs bénéficiaires potentiels aux seuls ménages qui ne peuvent accéder à un logement sur le marché. C’est ce ciblage social plus étroit des locataires que l’USH appelle la résidualisation des HLM. Il s’agissait de revenir sur la vocation du parc social à accueillir une large partie de la population. A l’exception de l’Allemagne, ce mouvement est allé de pair avec les politiques en faveur de l’accession à la propriété.
Ainsi, aux Pays-Bas, alors qu’aucun plafond de ressources ne venait limiter l’accès à un parc social dont le rôle avait été très important dans la reconstruction qui a suivi la seconde guerre mondiale, la décision de faire varier les loyers en fonction du revenu des locataires visait à encourager les plus aisés d’entre eux à libérer leur logement et à se tourner vers l’accession à la propriété.
Avec le right-to-buy[2], l’Angleterre de Margaret Thatcher a brutalement réduit le volume du parc social, Le Housing act de 1980 a ouvert le droit à tous les locataires d’acquérir le logement social qu’ils occupaient à des prix décotés. Ce faisant, le gouvernement privait les communes travaillistes d’un de leurs outils électoraux. D’autres opérateurs ont été mobilisés, d’abord les « housing associations » mais aussi des investisseurs privés, la hausse des loyers devenant alors un élément important de l’équilibre de l’opération. « À son plus haut niveau au début des années 1970, le logement social concernait presque un tiers des ménages britanniques. En 2011, cette part n’était plus que de 18 %. » [3]

En France

En France, l’incitation à la vente par les organismes d’HLM d’une partie de leur parc n’est pas chose nouvelle, même si les motivations affichées varient avec la sensibilité des gouvernements. Ce n’est pas le monopole des partis conservateurs. Pierre Mauroy avait ainsi annoncé que, dans certaines conditions, les locataires du parc HLM pourraient acheter leur logement. Seule la droite en fait un enjeu idéologique, opposant une « France de propriétaires » à la « France des HLM ».
Ces divergences sont longtemps restées rhétoriques, et n’ont pas eu d’effet significatif sur la réalité des ventes[4] dont les effectifs sont restés modestes. Ils sont passés en quelques années de 4 à 5000 ventes par an à environ 8000, soit moins de 1% du parc, et ce nombre est stable depuis quatre ans. 20% des bailleurs sont à l’origine de 80% des ventes, et, selon l’ANCOLS, la moitié des bailleurs sociaux ne pratique pas la vente.  Autre élément de constat : la proportion des locataires, locataire en place ou autre locataire du bailleur social, chez les acheteurs est en diminution et se situe en moyenne à 60%[5].

Plusieurs éléments expliquent la modestie du nombre de ventes. Seuls les locataires les plus solvables peuvent en profiter, or dès lors qu’ils peuvent accéder à la propriété, c’est souvent pour eux l’occasion de quitter le parc HLM et les quartiers où il se concentre. Quant aux organismes, ils sont réticents à se défaire de la partie la plus attractive de leur parc et à ne garder que leurs locataires les plus modestes. L’importance des gestionnaires se juge aussi à la taille et à la qualité de leur patrimoine. S’agissant d’appartements situés dans des immeubles collectifs, ils veulent éviter d’avoir à gérer des copropriétés mêlant locataires HLM et copropriétaires occupants. La crainte que les immeubles vendus se transforment en copropriété en difficulté est souvent avancée, même si la plupart des copropriétés en difficulté existantes sont issues de copropriétés privées dès l’origine. La crainte existe aussi que le produit de la vente facilite le désengagement de l’État ou encore que les fonds dégagés soient affectés à d’autres usages que le logement social (logement intermédiaire ou même financement des retraites).
Au-delà de ces réactions, la vente est souvent perçue, tant par les responsables de HLM que par l’administration, comme une dilapidation du patrimoine public : pourquoi brader des logements locatifs sociaux construits à grand frais grâce à l’aide de la collectivité ?
Quels que soient les bénéfices que l’on met en avant – récompenser les bons locataires, favoriser la mixité des statuts et donc la mixité sociale dans les immeubles, encourager la mobilité alors qu’elle est inversement proportionnelle à la qualité des logements et à l’attractivité de leur localisation, faire « respirer le parc » ou favoriser l’accession à la propriété -il s’agit surtout d’apporter aux organismes vendeurs des ressources propres qu’ils pourront investir dans la construction de nouveaux logements ou dans la rénovation et la restructuration de leur parc.
Le gouvernement actuel semble décidé à aller plus loin et à prendre appui sur le produit des ventes pour développer les capacités d’autofinancement des bailleurs, lesquelles auront été mutualisées par le regroupement des organismes. Or, ce besoin d’autofinancement sera d’autant plus pressant que les mesures financières prises fin 2017 pour compenser la baisse de l’APL concomitante à la baisse des loyers (disposition dite de la RSL/Réduction de loyer de solidarité) sont temporaires (limitées à trois ans) et ne seront vraisemblablement pas reconduites.
Ceci intervient à un moment où le discours sur le déficit de logements tend à reconnaître la diversité des situations, avec des besoins quantitatifs concentrés dans quelques métropoles et dans des zones en croissance démographique. L’État verrait peut-être des avantages à transférer aux collectivités locales le soin d’apprécier plus finement la réalité des besoins, ce qu’elles seront incitées à faire avec d’autant plus de soin qu’elles devront prendre une part plus importante dans le financement des nouvelles opérations. Enfin, les voix ne manquent pas qui suggèrent aux pouvoirs publics de permettre à l’investissement privé de s’intéresser au logement social en recourant à des montages reposant sur un conventionnement à durée limitée, « à l’allemande ».
Deux questions distinctes se posent alors. D’abord qu’est-il raisonnable de vendre ? Ensuite, qu’est-ce qui pourrait inciter des investisseurs qui, en France comme dans tous les pays du monde, se sont retirés du secteur du logement, à investir dans le logement social ?

Que vendre ?

Il en est de la vente HLM comme de l’ensemble des problèmes de logement : l’approche doit être territoriale et non théologique.  Il faut éviter de procéder à l’image de ce qui se fait pour les logements vacants que l’on taxe à Paris parce qu’ils abondent à Vierzon.
Il va sans dire que l’ensemble du parc n’est pas vendable.  Pour autant le parc potentiellement concerné reste considérable. Une hypothèse, minimaliste ou « réaliste »[6], est donnée dans un rapport récent qui avance un objectif de vente de 20 000 logements par an, chiffres à rapporter au niveau actuel des ventes (7 à 8 000). Les plus optimistes tablent sur un objectif de 40 000 qui correspond peu ou prou à 1% du parc. Ceci posé, toutes les situations dans l’hexagone ne sont pas identiques.
Dans les zones relativement détendues, la vente permet de dégager des ressources qui seront utilisées localement à la rénovation urbaine mais aussi en partie pour réhabiliter le parc existant ou pour construire, éventuellement ailleurs. La vente aux occupants y sera d’autant plus aisée qu’il s’agira de maisons individuelles ou de petits collectifs. On ajoutera qu’aujourd’hui ces logements sont difficilement mobilisables pour répondre à la demande nouvelle car la rotation y est très faible. Reste qu’il ne sera pas facile de faire admettre qu’il faut vendre à Vitré pour construire dans la périphérie immédiate de Rennes, à ceci près que des groupes nationaux intégrés le feront plus aisément que de petits organismes locaux.
Dans les zones les plus tendues, le plus souvent des zones chères, là où la demande est plus pressante, les choses se présentent de façon tout à fait différente. Le cas le plus emblématique est celui de Paris intramuros. Il est difficile de trouver des motifs qui pourraient y justifier la vente d’une partie du parc. Le déséquilibre entre la demande et l’offre est tel que le seul fait de réserver aux locataires de l’organisme d’HLM la possibilité d’acheter blesse l’équité car cela revient à conférer un privilège, un véritable droit-acquis, à ceux qui ont eu la chance d’obtenir un logement HLM, alors qu’ils ont été beaucoup moins nombreux que ceux des ayants-droit qui l’auraient souhaité. L’argument selon lequel la vente d’un logement permettrait de dégager les fonds propres susceptibles d’en construire deux, voire trois, ne vaut qu’autant que le manque de financement constituerait le principal obstacle à la construction de nouveaux logements sociaux.  Or aujourd’hui, la Ville de Paris préempte l’achat de logements existants pour en faire des logements sociaux. Nul doute que ce financement gagnerait à être utilisé pour de nouvelles constructions si c’était possible. À quelle logique répondrait le fait de vendre des HLM amorties pour financer la transformation de logements existants en logements sociaux ? A contrario, même en zones tendues, la vente, surtout là où il existe des opportunités foncières, permet de lever le frein financier. Cela s’applique au premier chef aux communes qui ont un taux de logements sociaux très largement supérieur à 25%, voire à 50%.  La vente constitue un outil bienvenu de diversification de l’offre, à supposer que les organismes trouvent des acheteurs et qu’existe, au sein d’un même territoire, un minimum de mutualisation financière entre organismes.

A quels investisseurs ?

Les investisseurs institutionnels, dont tous les gouvernements, en France comme dans nombre de pays, invoquent religieusement le retour, ne détiennent plus qu’un pourcentage résiduel du parc locatif privé en France. Selon les Comptes du logement, en 1984, environ 1 200 000 logements étaient détenus par des investisseurs institutionnels. Aujourd’hui, ce chiffre s’élève à seulement 250 000 sur un parc global locatif privé de l’ordre de 7.2 millions (soit moins de 4%).  Ce parc est entre les mains des ménages, 60 % des propriétaires disposant de moins de 3 logements. Une étude conduite sous la direction de la London School of Economics[7] a montré que cette tendance est mondiale : l’investissement dans le logement devient le fait des personnes privées alors que les institutionnels s’en retirent, quand ils le peuvent, pour se tourner vers l’immobilier commercial ou l’immobilier d’activité. Seule la Suisse fait exception. Les quelques investissements récents dans le logement ne pourront être considérés comme une inversion de tendance « durable » que si les taux d’intérêt restent bas, voire négatifs. Pour un investisseur institutionnel, la liquidité des investissements dans le logement est insuffisante, en droit ou même en fait. Les règles du jeu qui régissent les rapports entre locataires et bailleurs sont en permanence susceptibles d’être remises en cause, notamment à chaque alternance politique. Quand bien même le droit permet à l’investisseur de réaliser son actif, il court le risque d’en être empêché par la pression sociale. Ainsi en France, le « scandale de la vente à la découpe » est né du souhait de compagnies d’assurance d’arbitrer de façon parfaitement légale entre plusieurs éléments de leur actif et en l’occurrence de se défaire de logements qui, dans le cas d’espèce, n’avaient rien de particulièrement social. La logique des personnes physiques qui investissent dans le logement est différente : elle ne répond pas au seul critère de la rentabilité, comme l’illustre la décorrélation observée ces dernières années entre les prix de l’immobilier résidentiel et les loyers. Les loyers des logements ont connu une hausse plus modérée que celle de leurs prix, alors que les prix de l’immobilier commercial et d’activité ont connu une évolution strictement parallèle à celle des loyers[8].
Qu’est-ce qui pourrait donc attirer dans le logement social des investisseurs qui se sont détournés du logement privé ? Les règles du jeu n’y sont pas moins fragiles, comme vient de le montrer la récente baisse de l’APL. L’incertitude sur le loyer accroît l’incertitude sur la valeur. En secteur HLM, le capital peut être rémunéré, mais cette rémunération reste fortement encadrée avec un plafonnement au nominal de l’action portant intérêt au taux du Livret A majoré de 250 points de base. A règles du jeu constantes, la rentabilité est donc strictement encadrée et les espoirs de plus-value sont inexistants. Une implication significative des investisseurs privés supposerait donc une modification de ces règles du jeu définies par le cadre réglementaire en vigueur à ce jour pour les organismes d’HLM.  Là est le véritable enjeu de la réforme. Changer le statut juridique et les obligations qui pèsent sur les logements sociaux pourrait avoir le même effet sur leur valeur que l’opération qui autorise la construction sur un terrain bien placé mais jusque-là limité à un usage agricole.
L’investisseur prendra trois éléments en compte : le prix d’achat dont dépendent la plus-value latente et la rentabilité, il est toujours possible de déterminer un prix qui assure l’équilibre d’une opération ; le niveau des loyers et la possibilité de les augmenter, facteur essentiel de la rentabilité et partant la même de la valeur de marché en cas de revente ;  enfin et surtout la possibilité de s’approprier ces plus-values, ce que ne peuvent pas faire les actionnaires actuels d’une société d’HLM.
Participe de cette évasion la possibilité pour les organismes d’HLM d’investir une partie de leurs fonds propres, et surtout du produit de la vente des logements sociaux, dans des sociétés dédiées à des logements conventionnés, à l’allemande, c’est-à-dire de logements dont le caractère social et/ou intermédiaire serait limité dans le temps et disparaîtrait à terme.  Des investisseurs privés pourraient être présents au capital de ces sociétés. L’enjeu porterait alors sur un transfert des plus-values latentes du parc social vers le secteur privé[9]. En termes techniques, les fonds dévolus au Service d’intérêt économique général (SIEG) pourraient être affectés à un autre usage que le logement social. Obéit à cette même logique la disposition ouverte à titre expérimentale par la loi ALUR, rendue pérenne en première lecture à l’Assemblée Nationale à l’occasion du vote de la loi ELAN, qui permet la cession dans les seules zones tendues de la nue-propriété de logements sociaux au secteur privé, assortie d’un usufruit temporaire au profit de l’organisme d’HLM. Bien évidemment, à l’issue de cette période, les obligations liées au conventionnement s’éteindraient. Il s’agir là d’une réelle nouveauté puisque jusqu’alors ce type de montage était limité à quelques opérations neuves ; il serait étendu au stock existant. L’intérêt immédiat pour l’organisme est d’en retirer des fonds pour investir. L’intérêt de l’acheteur réside, lui, dans l’espoir de plus-values liées à la sortie du conventionnement, hypothèse d’autant plus profitable que les logements sont situés en zones tendues et que le prix de vente sera fixé par l’organisme et non plus par les domaines. Dès lors que le prix est libre, il est toujours possible d’assurer la profitabilité d’une opération, que celle-ci repose sur la rentabilité ou sur la réalisation d’une plus-value.
Le maire gardera-t-il le pouvoir de s’opposer à la vente ? Dans l’état actuel du texte, il conserverait un droit de préemption, mais dès lors que la Convention d’utilité sociale/CUS prévoit la vente, il y serait tenu. En l’absence de CUS, son avis serait déterminant.

En matière de logement social, les réformes imposées font souvent figure d’agression. Comme ce fut le cas en son temps pour la démolition, la vente ne fait plus aujourd’hui l’objet d’un tabou ; de l’usage qui en sera fait dépend le risque de l’ériger à nouveau en marqueur politique. La valeur de marché du parc social (estimée par certains à plus de 300 milliards d’euros), aujourd’hui virtuelle, fait autant rêver des investisseurs à l’affut d’une opportunité exceptionnelle que les fonctionnaires du budget, légitimement préoccupés par le niveau de la dette publique. Ce n’est pas une raison suffisante pour en faire l’objectif unique de la politique en matière de logement social et pour brader un patrimoine qu’il ne sera pas possible de reconstituer dans les conditions actuelles de prix dans les zones où il est le plus nécessaire.

Bernard Coloos et Bernard Vorms
Juin 2018


[1] https://www.hud.gov/program_offices/public_indian_housing/programs/hcv/about/fact_sheet

[2] https://righttobuy.gov.uk/

[3] Christine Whitehead 2013 L’évolution du rôle du logement social au Royaume Uni

[4] Source CGEDD cité par Pierre Quercy

[5] Source CGDD, cité par Pierre Quercy 2018 Rapport sur la vente des logements sociaux

[6] Pierre Quercy, page 4, Rapport au Ministre de la Cohésion des Territoires sur la vente des logements sociaux. 28 pages, 28 février 2018.

[7] Towards a sustainable private rented sector. The lessons from other countries

LSE London 2011 Edited by Kath Scanlon and Ben Kochan.

[8] Arnaud Bouteille, 2018, Retour sur une flambée sans précédent des prix immobiliers, La revue Foncière, Mars-avril 2018

[9] Un amendement dépose sur la création d’une société foncière de portage et de valorisation stipule que pour les actionnaires privés, « l’investissement dans la SFPV représente un risque limité avec une performance adaptée plutôt issue du résultat annuel d’exploitation et complétée par un espoir de plus-values lors de la revente des logements à la découpe ».

Auteur/autrice

  • Bernard Coloos et Bernard Vorms

    Bernard Coloos est directeur aux Affaires économiques, financières et internationales de la Fédération Française du Bâtiment depuis 1996. Il a été chargé du Bureau des études économiques à la Direction de l’habitat et de la construction de 1990 à 1994 et directeur de l’Observatoire immobilier et foncier du Crédit foncier de France. Titulaire d’une maîtrise de droit privé et d’un doctorat de 3e cycle en sciences économiques, il est également professeur associé au master Aménagement et urbanisme à l’IEP Paris. Il a publié en 2016 "Logement : sortir de la jungle fiscale" chez Economica. // Bernard Vorms est économiste spécialisé dans le domaine du logement, IEP de Paris et DES d’économie politique. Il a dirigé l’ANIL/agence nationale pour l’information sur le logement et présidé la SGFGAS/société de gestion du fond de garantie de l’accession sociale jusqu’à la fin de l’année 2013. Il a présidé le Conseil national de la transaction et de la gestion immobilière de 2014 à 2019. Il a réalisé de nombreux rapports pour le gouvernement et publié des études mettant l’accent sur les comparaisons internationales.

3 réflexions sur “Vendre les HLM, bonnes et mauvaises raisons.

  • 21 juin 2018 à 12:20
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    Très bonne analyse
    Ce système n est il pas un moyen de réguler l indice du logement privé ???

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  • 22 juin 2018 à 16:27
    Permalien

    Vendre 40000 logements est un leitmotiv depuis dix ans du Ministère des Finances qui espère avoir un parc HLM autoporteur. Si 40000 ventes en financent vraiment 80000 logements neufs, on a presque le rythme actuel de production et le parc HLM s’accroit comme il le faisait dans les années 90 (soit 40000 / ans). Et on restructure le parc comme l’espèrent certains dirigeants. Mais vendre 30 logements à Trappes ou à Cergy Croix Petit va –t-il vraiment permettre d’en faire 60 à Viroflay ? Comme l’indique l’article cela ne se décrète pas mais relève d’une analyse fine des enjeux des marchés locaux.
    On aimerait mettre la main sur l’étude où Pierre Quercy retient le chiffre potentiel de 20000 ventes (où est –elle accessible?). Cela fait effectivement peu dans un marché national de 800000 ventes d’occasion, mais cela peut être élevé localement. Il faut aussi s’entourer de précautions sur les effets ultérieurs des reventes à la hausse (spéculation comme pour le parc social londonien) ou à la baisse (dégradation). Ainsi avec une copropriété dégradée créée par la vente de logements publics en Ile de France, même pas HLM, c’était une caserne…
    Prendre en compte un logement vendu dans le quota de l’article 55 semble raisonnable sur 5 ans, durée usuelle de reconstitution de l’offre. Prolonger sur dix ans est une autre ambition, sans doute destinée à lever les réticences d’élus dans des communes attractives qui sont proches du seuil réglementaire. Mais on ne peut pas dire qu’un logement HLM vendu réponde à la demande locative sociale pendant dix ans après sa vente. Assumer cette contradiction renvoie justement au rêve de récolter des fonds propres par des ventes dans des endroits où justement on a besoin de locatif social, et la crainte de ne pas gagner beaucoup d’argent dans les zones où le HLM abonde.
    L’autre sujet analysé par l’article est la question du conventionnement à durée limitée. En Allemagne c’était la durée du prêt soit plusieurs dizaines d’années. Mais une Date Limite de consommation (DLC) de 15 ans semble bien courte face aux enjeux sociaux. Tant que les montages d’usufruit locatif social (ULS) porte sur des quantités marginales, on peut admettre que les OLS arriveront à reloger les locataires modestes. Mais si cela devenait un montage systématique, nous laisserions à nos successeurs une situation sociale très délicate à gérer…

    Jean-Pierre SCHAEFER

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