Logement social : le financement en question

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Dans un communiqué de presse du 21 novembre 2019[1], l’Union sociale pour l’habitat (USH) déplore que le rapport commandé par le gouvernement sur la diversification des sources de financement du logement social[2] ne prenne jamais en considération « la situation des familles aux revenus modestes logées en HLM, ni les deux millions de ménages en attente de logement social ». Le même document mentionne que « le mouvement HLM attend du gouvernement qu’il s’oppose sans ambiguïté à toute forme de financiarisation du logement social au profit d’intérêts privés et au détriment de sa mission sociale ». Le présent article s’efforce d’éclairer les raisons qui pourraient pousser à une adaptation du modèle de financement du monde HLM et de mettre en évidence les enjeux associés aux différentes solutions envisagées.

De profonds bouleversements.

Le monde HLM connaît de profonds bouleversements de nature très différente.
– Les votes de la loi de ALUR (2014) et de la loi ELAN (2018) ont engagé une vaste réorganisation du secteur en rattachant les OPH communaux aux EPCI et en obligeant le regroupement pour les opérateurs gérant moins de 12 000 logements.
– La même loi ELAN a considérablement modifié les possibilités de vente des logements détenus par les organismes HLM (transfert de l’agrément préalable des communes aux EPCI, création d’un organisme dédié à la vente, vente en bloc possible des logements de plus de 15 ans financés en PLS à des investisseurs privés).
– La loi de finances pour 2018 a instauré la réduction de loyer de solidarité (RLS), qui a donné lieu à la signature d’un pacte en avril 2019, dit clause de revoyure. La RLS contraint les bailleurs sociaux à réduire les loyers des locataires dont les ressources sont inférieures à un plafond, soit une baisse en masse de 1,3 milliards[3] d’euros ; simultanément l’aide personnelle est diminuée d’un montant équivalent (98%)[4]. La clause de revoyure prévoit à la fois des engagements de production et diverses mesures d’accompagnement. Il reste que « cette mesure se traduit par une perte de recettes locatives pour les bailleurs »[5] de l’ordre de 800 millions d’euros.
– L’accroissement des prix de sortie des opérations et la réduction des apports en subventions déstabilisent le modèle financier, rendant problématique le retour sur fonds propres.
– Le mode de financement par endettement massif appuyé sur la transformation de ressources liquides du livret A, historiquement très robuste, se trouve fragilisé par le niveau actuel des taux d’intérêt. Les prêts de la Caisse des dépôts et consignations (CDC) sur les plus courtes durées , apparaissent moins compétitifs que les prêts de marché du fait du coût de la ressource du livret A à laquelle ils sont adossés. « Dans ce contexte, les bailleurs sociaux, face à la contrainte financière de la RLS, sont à la recherche de nouvelles marges de manœuvre financière. Certains envisagent de recourir davantage à des financements alternatifs à ceux de la CDC »[6]. L’expérience du passé fonde néanmoins une grande prudence des organismes qui ont peu recouru jusqu’ici au refinancement de l’encours de prêts souscrits auprès de la CDC. Il est vrai que la politique de réduction et/ou de suppression des intérêts sur certains prêts souscrits, pratiquée intensivement depuis 2012 par la CDC, comme par exemple la remise des intérêts des prêts consentis pour financer les démolitions a permis de limiter les refinancements extérieurs. Évidemment, la solution « idéale » pour éviter toute fuite ou presque serait la diminution du taux du livret A mais cette solution a jusqu’à présent été écartée, le gouvernement redoutant d’en payer le prix politique auprès des Français et de provoquer un effondrement de la collecte.
– Les collectivités locales, soucieuses de la qualité de leur notation, liée parmi d’autres critères au volume des prêts souscrits et des garanties données, seront de moins en moins enclines à offrir leur garantie auprès de la CDC. Le fait que l’Etat ne compense pratiquement plus l’exonération de TFPB qu’il accorde[7] à tous les logements HLM construits[8] renforce cette réticence à construire des logements locatif sociaux. La disparition de la taxe d’habitation, perçue au profit des communes ou de leurs groupements, n’est pas de nature à modifier cette attitude. Développer un parc social ne génère aucune recette mais coûte en équipements.
– À ces risques avérés, pourrait s’ajouter dans un avenir proche la mise en place du Revenu universel d’activité (RUA), fusionnant le plus grand nombre d’aides dont les aides personnelles au logement. Le monde HLM redoute en effet que l’éventuelle disparition du versement de l’aide en tiers payant se traduise par une explosion de la sinistralité, compte tenu du profil très social des bénéficiaires. Les propositions du gouvernement d’instaurer, dans le cadre du RUA, un supplément logement versé en tiers payant pourraient éloigner ce risque[9]. Les prochains mois nous diront ce qu’il en sera dans les faits. Des opinions divergentes continuent, en effet, de s’affronter. François Ecalle propose, par exemple, au nom de la suppression des supposés effets inflationnistes des aides logement, une fusion totale et refuse la solution retenue de maintenir l’aide au logement sous la forme d’un supplément. Les ménages doivent être libres de leur choix. « L’intégration des allocations logement dans le RUA aurait une signification politique forte puisqu’il s’agirait de remplacer les aides à la consommation de biens et services particuliers, dans une approche tutélaire, par une prestation non affectée, dans une approche plus libérale laissant aux ménages la responsabilité de leur choix de consommation »[10].

[typography font= »Cantarell » size= »14″ size_format= »px »]Le livret A, une bonne affaire pour l’État[/typography]
[typography font= »Cantarell » size= »14″ size_format= »px »]Le rapport mentionné des inspections souligne à l’envi la solidité du système de financement de la CDC et sa faible sinistralité, mais met également l’accent sur les risques qu’il y aurait à le déstabiliser, pour au final déclarer néanmoins que « la solidité du système de financement du secteur ne signifie pas, pour autant, un faible coût de risque pour les fonds d’épargne »[11]. Or, comme le reconnaissent les auteurs du rapport, le risque de crédit est inexistant. Il ne reste donc que le risque global de taux. Ce dernier résulte d’un éventuel écart de taux entre le coût de la ressource (le passif) et celui des emplois (l’actif). Les prêts souscrits par les bailleurs sociaux sont à taux variable indexé sur le taux du livret A, ce qui offre une couverture parfaite. Mais les dépôts sur le livret A servent également, pour une part importante, à l’adossement de crédits à taux fixe, d’où, en cas de mouvements de taux à la hausse, une exposition à des pertes conséquentes. En résumé, selon les termes du rapport, les prêts au logement social (actif) étant indexés sur ce même TLA, « un déficit d’emploi indexé au TLA par rapport à un excès de ressources créerait en revanche un déséquilibre, de même que des prêts à taux fixe consentis sur une ressource TLA »[12]
Il reste que le coût du risque, sous la forme d’une garantie d’État, est lourdement facturé par le trésor (500 millions d’euros en 2018), après dotation aux fonds propres d’un milliard. Comme indiqué par la Cour des Comptes[13], la rémunération de la garantie correspond de fait à l’excédent des fonds propres dégagés ou au résultat après dotation aux fonds propres. Nul en 2008, ce résultat était de 764 millions en 2016 et 618 millions en 2017. Son montant global sur la période 1980 à 2008 se monte environ à 131 milliards d’euros en Euro 2008.[/typography]

Les solutions envisagées pour diversifier les sources de financement.

Afin de faire face aux enjeux à venir, en particulier du fait d’un haut niveau d’investissement et de la ponction opérée par la RLS, un surplus de dettes auprès des banques classiques ou sur le marché obligataire, en lieu et place des prêts de la CDC, ne semble pas être la solution. Les bailleurs devraient alors financer leur opération avec des emprunts plus courts qui pèseraient sur leur trésorerie à court terme, voire créerait un besoin massif de refinancement en cas de prêts in fine par trop conséquents. Le principal risque serait toutefois pour la CDC qui ne serait plus en mesure d’assurer la péréquation entre les prêts les plus subventionnés (PLAI, éco-PLS) et les prêts les moins subventionnés. De plus, la CDC serait cantonnée à porter les prêts les plus risqués des organismes qui ne trouveraient pas à se refinancer sur les marchés. Conséquence, et c’est là le nœud du problème, les résultats financiers des fonds d’épargne se dégraderaient et la CDC ne serait plus en mesure de payer l’État pour sa garantie (cf. encadré). L’importance du circuit de livret A pour le financement de l’économie et les recettes associées pour le budget justifient que l’État défende ce circuit de financement spécialisé pour le logement social. Il est vrai a contrario que, comme l’affirment les auteurs du rapport, « la perception positive qu’ont les agences de notation de la qualité de crédit des organismes de logement social s’explique avant tout par l’existence d’un système réglementé et non pas la notation intrinsèque des organismes »[14]. Une telle affirmation doit toutefois être nuancée. Il reste que la crainte d’une accélération du mouvement conduit les auteurs du rapport à proposer que les créances sur les organismes de logement social détenues par la CDC acquièrent la nature de dettes privilégiées pour ne pas se retrouver « juniorisées[15]» en cas d’appel au marché massif associé à des prises de garantie hypothécaire. On le voit, la défense du modèle social HLM passe avant tout par la défense des fonds d’épargne. C’est d’ailleurs pour éviter l’apparition d’un nouveau concurrent à la CDC que le même rapport préconise l’interdiction à Action Logement d’intervenir sous forme de prêt. L’affirmation par la quasi-totalité des partenaires sociaux qu’Action logement ne saurait être assimilée à une banque devrait permettre d’apaiser ces craintes.
Il importe donc plutôt de réfléchir aux moyens d’accroître les fonds propres[16]. Des solutions sont déjà à l’œuvre avec les prêts haut de bilan et la vente aux occupants. Une autre voie consiste, à recettes inchangées, à diminuer les dépenses. L’ANCOLS estime à un milliard d’euros le niveau des économies potentielles sur les frais de fonctionnement de nombreux organismes. Cette estimation est obtenue en ramenant le niveau des charges de fonctionnement de l’ensemble des organismes au niveau constaté pour les plus performants. Le chiffre précis est 1 068 millions d’euros, dont 456 millions pour les OPH et 612 millions pour les ESH[17]. Ces marges résiduelles ne prennent pas en compte le gain potentiel lié à une restructuration ou une réorganisation sectorielle. Les organismes HLM et leurs représentants restent, néanmoins, pour le moins dubitatifs quant à ces estimations.
D’autres solutions sont donc en parallèle envisagées pour, selon les termes du rapport des inspections déjà mentionné, apporter des fonds privés au secteur du logement social. Lucidement, le rapport note à ce sujet que l’intérêt des investisseurs privés s’exerce par défaut de trouver ailleurs des rentabilités attractives, du fait de la baisse des rentabilités sur les autres classes d’actifs, en particulier les titres souverains sans risque. Cet intérêt porte d’ailleurs aussi sur le résidentiel privé, mais dans le secteur social il est limité aux logements financés en PLS voire en PLUS, situés en zone tendue. Tous les organismes de logement social et tous les parcs ne sont donc pas concernés.
Les règles européennes du Service d’intérêt économique général (SIEG) limiteront de plus les possibilités d’évolution trop forte. Les contraintes qui pèsent sur le secteur social (pas de liberté de choix du locataire, loyer réglementé) justifient en effet des compensations sous forme d’aide et/ou d’exonération fiscale. Les capitaux investis se trouvent exclus de toute logique de rentabilité. Les compensations offertes ne doivent pas cependant excéder « ce qui est nécessaire pour couvrir les coûts nets occasionnés par l’exécution des obligations de service public, y compris un bénéfice raisonnable »[18]. Ce dernier, même si la notion reste floue, doit à l’évidence demeurer limité à un taux de rendement du capital de l’ordre de 3% en 2019 selon les auteurs du rapport (taux swap à 10 ans plus 100 points de base), taux assez proche du taux plafond pouvant être servi aux actionnaires des ESH (taux du livret A majoré de 250 points de base, soit en 2019, 2,25%). De tels niveaux ne sont pas nécessairement ceux escomptés par les porteurs de fonds privés.

Sous ces diverses contraintes, le rapport examine les différentes pistes suivantes.

a/ La vente[19] de logements sociaux attractifs. Aujourd’hui limitée à moins de 10 000 logements par an sur la période 2011/2017, se révèle très en deçà de l’objectif affiché par les pouvoirs publics de 1% du parc social (soit environ 45 000 par an). Les ouvertures sur le parc PLS de plus de 15 ans n’y suffiront pas (cf. supra) puisque le stock concerné ne représente que moins de 60 000 logements en 2019, stock qui ne croîtra que de moins de 15 000 logements par an. Un développement supposerait que les cessions en bloc puissent concerner le parc PLUS de plus de 15 ans (66% du parc). Une telle ouverture pose la question des garanties à offrir à des locataires au profil plus social et donc moins mobile[20]. Le rapport note que « cette formule ne saurait constituer une solution de grande ampleur, susceptible de concerner l’ensemble des bailleurs, ni l’ensemble des territoires »[21].

b/ La transformation de logements sociaux en logements intermédiaires ou libres, tout en restant dans le patrimoine de l’organisme, option financièrement attractive, comporte de nombreuses limites : création d’une dichotomie dans le parc ; nécessité de reconstitution du parc par réinvestissement des plus-values de cession ; concurrence déloyale avec les acteurs privés ; incompatibilité avec les règles européennes en matière d’aides d’État ; plus grande complexité de gestion. Pour toutes ces raisons, la piste ne paraît, aux yeux des rapporteurs, guère prometteuse. Son potentiel financier est, certes, élevé, et elle pourrait favoriser la mixité dans le parc social, mais elle se trouve de facto limitée à une faible fraction du parc, la plus attractive.

c/ Le démembrement de propriété, appelé plus communément l’Usufruit locatif social (ULS), souvent évoqué, ne répond que très partiellement à la logique et aux attentes des investisseurs institutionnels. De fait, durant toute la durée des quinze années[22] de l’usufruit au profit de l’organisme social, le nu-propriétaire investisseur privé ne perçoit aucune rémunération et ne dispose d’aucune maîtrise patrimoniale. Certes, à la fin de la période d’usufruit, l’organisme s’engage à libérer les lieux (obligation de relogement) et à remettre à l’état neuf les logements. Il n’en reste pas moins une incertitude pour l’investisseur quant au respect de ses engagements à un horizon de quinze ans minimum. Tous ces éléments, mis bout à bout, conduisent à limiter la portée d’une telle voie qui, dans la pratique actuelle, ne concerne qu’une clientèle marginale très ciblée d’investisseurs individuels guidés par des préoccupations en grande partie fiscales[23]. Ce qui conduit les rapporteurs à conclure que « L’ULS ne constitue pas une option crédible pour susciter l’entrée de capitaux privés institutionnels dans le logement social »[24]. L’option symétrique de démembrement, les OLS conservant la nue-propriété et cédant l’usufruit à des investisseurs privés, permet d’évaluer de manière très précise la VAN des loyers cédés. Cette option se heurte toutefois à des obstacles juridiques, la cession de l’usufruit s’accompagnant d’un droit à la gestion locative pour l’investisseur, droit en contradiction avec les dispositions du SIEG. De ce fait, « la formule présente un degré de complexité et d’incertitude juridique et financière dissuasif pour des investisseurs institutionnels »[25].

d/ L’émission de titres participatifs, possibilité ouverte par la loi ELAN, permet à l’organisme de logement social de lever des fonds assimilés à des fonds propres sans modifier le pouvoir de décision. L’investisseur est toutefois placé dans une situation moins favorable que les autres prêteurs : le remboursement de sa créance n’intervient, en cas de difficultés, qu’après désintéressement complet de tous les autres créanciers ; les porteurs de titres n’ont aucune visibilité sur la date de remboursement, laquelle est à la libre initiative de l’émetteur après une durée minimale de sept ans. On comprend, dans ces conditions, la faible appétence du privé pour ce type d’opération, sauf à se voir offrir une rémunération attrayante et garantie de l’ordre de 6 à 7%. Le rapport conclut que seule la CDC, avec l’appui d’Action logement, se trouve en capacité d’offrir ce type de produits aux ESH ou aux SEM. Il suggère également d’ouvrir la possibilité de souscrire des titres participatifs émis par les OPH aux collectivités locales. « Dans la mesure où les OPH, en tant qu’établissements publics, n’ont pas de capital, contrairement aux ESH ou aux SEM, cette option pourrait permettre à la collectivité de rattachement d’un office de lui apporter des quasi fonds propres »[26] .

e/ La création de fonds ou de véhicules d’investissement, dits fonds dédiés, est une autre solution envisageable. L’organisme de logement social apporte au fonds des logements sociaux détenus en patrimoine, en échange de parts du fonds qu’il peut céder pour partie à des investisseurs privés contre du numéraire. Un tel mécanisme permet à l’organisme et aux investisseurs privés de partager la propriété des seuls logements détenus dans le fonds (principe du cantonnement), afin que chacun puisse obtenir chaque année des dividendes (à des règles inchangées) et récupérer après une certaine période de détention les plus-values associées en cas de cession du parc dès lors que ce dernier a été déconventionné. Le résultat, au plan financier, dépend, outre de la réputation de l’organisme, surtout de la qualité du patrimoine apporté. Dans les faits, ce type d’opération aboutira à privilégier des logements existants largement amortis et situés en zone tendue pouvant faire plus facilement l’objet de vente. On retrouve ici, pour l’essentiel, les caractéristiques du parc PLS. Ce type de montage n’a toutefois de sens que s’il est accompagné d’un régime fiscal adapté et s’il respecte les règles relatives au code de la commande publique, lequel exige une mise en concurrence pour la gestion des logements. Les auteurs du rapport notent, par ailleurs, que la vente doit se faire à la valeur de marché, ce qui permettrait à l’organisme de logement social de disposer de fonds permettant la reconstitution du patrimoine.

f/ La création d’un nouveau statut de bailleur social sous la forme d’une foncière d’habitat social. Cette option serait optionnelle pour les ESH et les SEM existants. Elle aurait pour avantage de créer un nouveau type d’opérateur ayant un objet social plus large « permettant d’acquérir et de construire, en vue de leur location, des logements sociaux, intermédiaires et libres, et la capacité de céder une partie du parc à l’horizon de vingt ans, sous condition de reconstitution d’un nombre équivalent de logements, prioritairement les plus sociaux de type PLUS et PLAI. De la sorte, les investisseurs privés (entrant au capital) pourraient bénéficier de rendement correspondant à leur horizon d’investissement »[27]. Pour les OLS, la transformation, soumise à l’agrément, s’accompagnerait du versement d’une « Exit tax » sur les plus-values latentes. En contrepartie notamment de l’exonération d’impôt sur les sociétés pour l’activité logement social, certaines contraintes réglementaires devraient être prévues : obligation de reconstitution de parts sociales détenues ; préservation des droits des locataires. Le rapport juge que cette formule s’avérerait complexe à mettre en œuvre ne serait-ce que parce qu’elle crée un secteur dual.

g/ Une autre option consisterait à assouplir les règles applicables aux ESH et aux SEM pour permettre l’entrée au capital de nouveaux investisseurs privés. Cette option supposerait de fortes adaptations des contraintes actuelles, tant en ce qui concerne la structuration du capital que la lucrativité. Les auteurs indiquent que « les investisseurs rencontrés par la mission n’ont pas spontanément évoqué cette formule comme susceptible de répondre à leurs attentes, à la différence des fonds dédiés à des opérations définies et organisées sous un mode davantage contractuel »[28]. Il y a donc loin de l’idée à la mise en œuvre, d’autant que cette option a un caractère systémique puisqu’elle s’appliquerait à toutes les ESH et SEM alors que seules quelques-unes d’entre elles pourraient bénéficier de l’entrée d’investisseurs. Le rapport conclut que cette option « porte également un risque de multiplication de situations pouvant aboutir à un enrichissement indu qui devait être prévenu par la création de taxes dédiées ».[29]

h/ La dernière option examinée consisterait à ouvrir la possibilité pour des acteurs privés, dans le cadre d’un cahier des charges précis, de détenir et gérer des logements sociaux. Cette approche par l’activité et non par l’opérateur s’inscrit dans la logique du SIEG qui permet l’octroi d’un mandat par la puissance publique à des opérateurs pour la réalisation d’une mission d’intérêt général. Cette formule aurait de lourdes conséquences à court et moyen terme : pour les nouveaux entrants qui devraient être agréés ; pour les organismes de logement social existants qui se trouveraient en situation de concurrence avec des opérateurs beaucoup plus agiles ; pour la politique du logement social qui ne pourrait plus se dérouler dans le cadre encadré actuel comme le montre le suivi, ou plutôt l’absence ou presque de suivi, des dispositifs de conventionnement privé des logements existants.

Que penser de ces options ?

Même dans l’hypothèse d’une réduction progressive des frais de fonctionnement, les besoins financiers, en lien avec le développement du parc en zone tendue, la rénovation urbaine et l’adaptation du parc à la fracture territoriale, s’avèrent considérables. D’autant que l’État ambitionne de réduire, à défaut de pouvoir les supprimer, les aides au parc locatif social. Le besoin de fonds gratuits nécessaires pour équilibrer les opérations n’en serait que renforcé. Ces derniers ne peuvent provenir que d’une mobilisation du parc. Comme indiqué plus haut, le choix paraît se limiter à deux voies bien identifiées :
– la vente aux occupants avec toutes ses limites[30] mais qui procure l’avantage considérable de ne pas créer une bombe sociale à retardement ;
– l’appel à des investisseurs privés qui recherchent à la fois des rendements immédiats mais surtout l’espoir de plus-value.
Au-delà des avantages et inconvénients de la première option[31], il s’agit bien, dans le cas de la deuxième option, de permettre la cession en bloc d’une fraction du parc après ou avec promesse de déconventionnement. La signification de ce terme est simple : il s’agit de substituer, après une certaine période, à un loyer social, un loyer libre. La plus-value attendue se calcule alors simplement par la formule suivante :

(loyer de marché – loyer réglementé) / a,
avec a = taux d’actualisation ou coût des fonds propres.

En d’autres termes, si l’écart entre loyer libres et loyer réglementé est faible, voire nul, l’opération aux yeux des financiers n’a d’intérêt que si le prix retenu à l’entrée dans le dispositif fait l’objet d’une forte décote. A contrario, lorsque cet écart est élevé, le déconventionnement générera de substantielles plus-values. L’intérêt de l’opération au plan financier repose donc sur le respect de l’échéance de déconventionnement. Il n’est pas sans intérêt de rappeler que depuis les années 1980, nos voisins allemands et anglais ont conduit des politiques libérales, certes de nature très différente[32], mais qui ont engendré dans les deux cas une diminution de leur parc de logements sociaux de près de -20% en Allemagne et de 35% en Angleterre. À tel point que dans les deux pays des mesures fortes sont envisagées, comme l’introduction du contrôle des loyers dans les grandes villes d’Allemagne pour faire face à la pénurie de logements sociaux et à l’envolée des loyers privés[33]. Outre ce risque d’attrition du parc, les expériences passées font surtout craindre que si les volumes concernés sont par trop importants, l’État et/ou les collectivités locales, sous la pression des locataires, majoritaires en Allemagne parmi les électeurs – se voient contraints de réinvestir dans le logement social en rachetant des logements beaucoup plus cher qu’ils n’ont été vendus (Berlin) ou en louant certains de ces logements pour héberger des sans-abri (Royaume-Uni).
L’exemple de la vente des logements appartenant à la société Icade constitue une parfaite illustration de ce risque. Il s’agissait de 34 000 logements, du parc social de fait[34], construits par la SCIC, filiale de la Caisse des dépôts et consignations avec des fonds publics, situés dans des villes de première et deuxième couronne de la région parisienne. La plupart de ces appartements étaient occupés par des familles aux revenus modestes, qui ne pouvaient se loger dans le secteur privé. À l’origine, de nombreuses municipalités avaient mis à disposition des terrains, au franc symbolique, ou offert des conditions particulières dans le but de construire des logements sociaux ou intermédiaires. Une grande partie de ces logements ont été conventionnés en contrepartie de prêts d’État. La SCIC a été, de surcroît, subventionnée pour réaliser des travaux d’aménagement et d’entretien. En échange, le bailleur s’engageait à plafonner les loyers. Mais en 2000, le bailleur put déconventionner ses logements. S’ensuivit une hausse impressionnante des loyers qui atteignit souvent les 50%, en quelques années. Si lors de l’entrée en bourse de la société Icade, qui a repris les actifs de la SCIC en 2006, ce parc de logements avait été évalué par l’autorité des marchés financiers à 1,426 milliard d’euros, le prix affiché pour la vente en 2009 fut de 2,935 milliards d’euros, alors que le patrimoine de la société comptait 10 000 logements de moins, vendus entre-temps[35].
Les critiques de l’époque portaient sur le choix fait en 2005 par la Caisse des dépôts d’introduire en bourse Icade, sa filiale, alors que celle-ci ne s’était pas délestée de tous ses « logements sociaux ou quasi-sociaux ». Une fois cotée, il était pourtant évident que la foncière agirait comme n’importe quelle autre société privée au moment de céder le parc locatif : en tirer le meilleur prix. La Cour des comptes a d’ailleurs évalué les plus-values à 1,8 milliard d’euros sur la période, les actionnaires privés minoritaires ayant bénéficié d’une fraction importante, alors que ces immeubles « avaient été financés par des fonds publics » et « n’ont pu être vendus par Icade que grâce à des dispositifs mobilisant de nouveaux concours publics ».
Cette opération présente, on le voit, de fortes analogies avec les montages envisagés de cession en bloc. Les obligations de réinvestissement, si elles sont respectées, mettraient notre pays à l’abri des désagréments observés à l’étranger liés à l’attrition du parc social. À l’inverse, il reste la question de la faisabilité politique du déconventionnement massif, condition sine qua non pour dégager des plus-values. Or, dans le cas d’Icade, le tollé politique produit par cette cession conduisit à la création d’un groupement constitué d’une vingtaine de bailleurs sociaux, mené par le groupe SNI, qui se porta candidat à l’acquisition de ces logements. Les esprits chagrins ont alors considéré que céder dans de telles conditions le patrimoine d’Icade à des bailleurs sociaux revenait à faire financer ces logements une deuxième fois par des fonds publics. L’intérêt de cette acquisition en bloc fut naturellement de pérenniser la vocation sociale et d’éviter le déconventionnement de logements sociaux et de garantir l’occupation sociale.
A contrario, cet exemple permet de souligner les risques politiques d’un déconventionnement. Soit, il est mené à terme et les investisseurs pourront capter les plus-values attendues, mais le politique devra accepter les conséquences des hausses de loyer et/ou des congés pour vente. Soit, l’État revient sur sa parole et les investisseurs seront floués. Fort probablement, s’esquissera plutôt un scénario de reprise à prix fort par les bailleurs sociaux.


[1] Financement du logement social : l’Union sociale pour l’habitat appelle le gouvernement à sortir du double jeu. Communiqué de presse le 21 novembre 2019, Paris.

[2] La diversification des sources de financement du secteur du logement social. Juillet 2019. Rapport IGF – CGEDD, 53 pages plus annexes.

[3] Et non pas 1,5 milliards d’euros comme prévu, il reste néanmoins que la perte de recettes a été majorée par rapport aux 900 millions de la première génération 2018.

[4] Pour clause de revoyure, voir Actualité habitat numéro N° 111 du 15 novembre 2019. Comment se matérialise la de revoyure dans le PLF 2020 ?

[5] Op. Cit. Rapport juillet 2019, page 3.

[6] Op. Cit. Rapport juillet 2019, page 10.

[7]La durée d’exonération est de 25 ans pour les logements financés entre le 1er juillet 2004 et le 31 décembre 2018, 15 ans pour ceux financés en dehors de cette période.

[8] En 2018, le montant de l’allocation compensatrice versée aux communes et groupements de communes n’a été que de 16,2 millions d’euros, pour un montant d’exonérations de 500,4 millions d’euros.

[9] Concertation sur le revenu universel d’activité. Mise de jeu. Cycle trois. Périmètre de la réforme. 7 novembre 2019, 80 pages. Ce rapport précise page 17 que « les mécanismes aujourd’hui attachés aux aides personnelles au logement et qui fonctionnent, comme le versement direct au bailleur en tiers payant, ou le conditionnement à la décence et la salubrité du logement, devront être maintenus. Le supplément logement devra en outre être versé sans condition de recherche d’emploi, comme c’est le cas actuellement pour les aides personnelles ».

[10] Le projet de revenu universel. François Ecalle. FIGECO 28/11/2019. Les commentaires d’actualité.

[11] Op. Cit. Rapport juillet 2019, page 9.

[12] Op. Cit. Rapport juillet 2019, page 9.

[13] Rapport public 2010, février 2010.

[14] Op Cit. Rapport juillet 2019 Page 13.

[15] Op. Cit Rapport juillet 2019 page 14, Ce terme signifie que les autres prêteurs pourraient actionner leurs sûretés ou contraindre l’organisme à des actions déterminées, sans en référer à la CDC et avant même que cette dernière puisse faire jouer ses droits.

[16] Cet accroissement peut d’ailleurs avoir deux finalités : permettre un soutien massif dans l’investissement ; dégager des capacités financières au profit direct ou indirect du budget de l’État. Dans le cas présent, on se situe dans la première hypothèse.

[17] Ancols, Rapport public annuel de contrôle 2017.

[18] Op Cit. Rapport juillet 2019, pages 35 et 36 citation de l’article 5 de la décision 2012 – 21 – UE du 20 décembre 2011.

[19] Au passage le rapport confirme que la vente d’un logement permet au titre des fonds propres d’en construire deux à trois nouveaux.

[20] Aux Pays-Bas, les ventes en bloc, qui restent très sélectives, s’accompagnent du maintien des droits des locataires en place, ceci expliquant cela.

[21] Op. Cit., Rapport juillet 2019, page 27.

[22] Durée la plus fréquente, qui peut être portée dans certains cas à vingt ans.

[23] Le bien considéré n’entre pas dans la base taxable de l’IFI.

[24] Op. Cit., Rapport Juillet 2019, page 31.

[25] Op. Cit., Rapport juillet 2019, page 32.

[26] Op. Cit. Rapport juillet 2019, page 35.

[27] Op. Cit. Rapport Juillet 2019, page 45.

[28] Op. Cit. Rapport Juillet 2019, page 51.

[29] Op. Cit. Rapport Juillet 2019, page 4.

[30] Une étude sur la vente HLM publiée le 30 octobre 2019 par l’ANCOLS identifie cinq grandes familles d’obstacles contre lesquelles buttent les organismes vendeurs : les freins réglementaires liés aux contraintes juridiques qui pèsent sur les logements ; la faible appétence des locataires occupants à acquérir leur logement ; la réalité des marchés immobiliers locaux plus ou moins dynamiques ; la nécessité de requérir une grande variété de compétences (juridiques, financières, commerciales, etc.) ; et enfin le risque de multiplication des copropriétés dégradées.

[31] Voir, parmi les nombreux articles à ce sujet, Vente HLM, bonnes et mauvaises raisons par Bernard Coloos et Bernard Vorms le 14 juin 2018.

[32] A savoir, vente aux occupants avec forte décote (33% + 2% par année d’occupation) au Royaume-Uni ; vente à des investisseurs en Allemagne.

[33] France, Allemagne, Angleterre, le logement social en question, étude commandée par la Fédération des ESH par le Cabinet 1630 Conseil par Charles-Henri Arnould, Paul-Henri Bullot, Bertrand Moineau, Christine Silbermann, sous la direction de M. Jacques Attali, 2019, 64 pages.

[34] Ce parc immobilier avait jusque là juridiquement un statut privé, mais une occupation sociale avec des loyers de 6 à 10 euros du m².

[35] Question orale n° 0545S de Mme Odette Terrade (Val-de-Marne – CRC-SPG) publiée dans le JO Sénat du 30/04/2009 – page 1038 et Réponse du Ministère du logement publiée dans le JO Sénat du 24/06/2009 – page 6169.

Auteur/autrice

  • Bernard Coloos

    Bernard Coloos est aujourd’hui consultant. Il a été de 1996 à 2020 directeur puis délégué général adjoint aux Affaires économiques, financières et internationales de la Fédération Française du Bâtiment,. Il a été chargé du Bureau des études économiques à la Direction de l’habitat et de la construction de 1990 à 1994 et directeur de l’Observatoire immobilier et foncier du Crédit foncier de France. Titulaire d’une maîtrise de droit privé et d’un doctorat de 3e cycle en sciences économiques, il a été également professeur associé au master Aménagement et urbanisme à l’IEP Paris. Il a publié divers ouvrages traitant du logement.

3 réflexions sur “Logement social : le financement en question

  • 11 janvier 2020 à 18:32
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    Bonjour et merci pour cet article très intéressant. Concernant la problématique du renforcement des fonds propres des bailleurs sociaux, je souhaiterais avoir votre opinion sur le mécanisme suivant: vente d’immeubles HLM en bloc à un OFS, puis BRS avec un bailleur social, qui en l’occurence pourrait être le même que celui qui a cédé l’immeuble. L’OFS, acquéreur de LLS, peut être financé à 85/90% par du très long terme (type prêts Gaïa de la CDC) et complète avec des fonds propres provenant de ses partenaires. De son côté, l’OLS réalise une plus-value, mais poursuit, dans le cadre d’un BRS, la gestion de ses LLS. je rappelle que la loi ELAN a inclus les OFS dans les organismes susceptibles d’acquérir des LLS (art. L443-11 du CCH). A votre avis, ce mécanisme, déjà envisagé par quelques collectivités locales, est-il susceptible de se développer?

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  • 24 janvier 2020 à 22:25
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    Quel interet d’autoriser un bailleur social à revendre à un autre bailleur social son parc en passant par un OFS-BRS, sauf à se cogner des doubles frais de mutations ? s’il s’agit de capter du pret gaia, autant reconventionner le parc initial.
    Les réelles options que ni le gouvernement ni l’article n’aborde sont : la hausse du taux du livret A, le déplafonnement des dépots-épargnant (aujourd’hui « poussés » vers l’investissement localif qui soutient la solvabilité de la demande et maintien la spéculation en zone tendue), le rétablissement de la cotisation de la PEEC à 1% (tombé à 0.46 aujourd’hui) et bien entendu l’encadrement des loyers privés avec droit de délaissement des propriétaire qui s’estimeraient « déloyalement concurrencés ».

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    • 31 janvier 2020 à 00:11
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      Je partage votre première interrogation. Il faudrait pour lever toute ambiguïté faire une étude plus précise. D’autres réactions soulèvent d’ailleurs cette question de l’absence de toute évaluation de certains montages.
      Sur les autres points, il s’agit de réels leviers possibles mais qui soulèvent des questions et problématiques qui dépassent de très loin la portée de cet article.

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