« L’urbanisme de la vie privée »*, d’Olivier Piron (2)
La mode est à la refondation. Olivier Piron, esprit libre et grand travailleur, s’attaque dans son ouvrage « L’urbanisme de la vie privée » à ce qu’il nomme l’idéologie urbaine pour lui préférer le concept d’urbanisme résidentiel. De quoi s’agit-il ?
En allant à l’essentiel, l’ambition n’est rien de moins que de sortir du diktat idéologique des urbanistes qui entendent piloter l’urbain par l’amont pour s’intéresser au choix des individus, à la demande, seul moyen pour comprendre les évolutions passées et futures à l’œuvre. L’auteur, dès l’introduction, marque, en effet, son refus des analyses théoriques déconnectées des réalités concrètes. La compréhension des enjeux passe par l’analyse des attentes spécifiques de tous les acteurs.
Comme indiqué en conclusion, l’auteur déplore que « seul l’espace utilisé de façon collective, ou par des fonctions collectives de production et d’échange est pris en compte dans les analyses, voire les tentatives de synthèse ». Pour pertinente que soit cette approche et quels que soient ses succès, son défaut est de négliger toutes les autres dimensions, alors même que ces autres dimensions et les pratiques expliquent les processus urbains concrets (la péri-urbanisation en particulier).
Ce n’est pas la moindre des singularités de l’ouvrage que de confronter, à l’aide de chapitres courts, le discours et son corpus idéologique à la réalité à travers une analyse des données statistiques qui permet à l’auteur de souligner l’importance de la notion de confort au sens large dans les choix patrimoniaux et résidentiels. Les lecteurs seront, à n’en pas douter, plus qu’intéressés par les analyses très critiques, déjà largement explorées dans d’autres écrits de l’auteur sur la notion de densité.
Les réflexions développées au chapitre 8 sur les ressorts des dynamiques résidentielles souffrent a contrario de formules lapidaires et de raccourcis qui surprendront les lecteurs avertis et moins avertis.
Le neuvième et dernier chapitre, dont la lecture s’impose à tous, s’efforce avec bonheur de souligner la nécessité du dépassement du consensus sur la ville compacte. Être responsables, au sens du développement durable, impose aux urbanistes de sortir de leurs certitudes. En intégrant l’énergie grise, les déplacements pour les loisirs, les exigences de la production d’énergie renouvelable, bien des certitudes tombent et le péri-urbain n’apparaît plus comme un gouffre énergétique sans cohérence. On se doit, néanmoins, de dire que le combat n’est pas gagné d’avance, et c’est une litote, puisqu’une évidence fortement étayée ne s’en trouve pas pour autant toujours reconnue (cf. « Et pourtant elle tourne ! »).
Au final, cet ouvrage choquera certains et sera d’autant plus facilement sujet à critique qu’il comprend de nombreux redites et de formulations parfois un peu rapides. Mais, à l’évidence, le choix de l’auteur consiste moins à être raisonnable qu’à refuser le primat du discours, du concret pensé sur le concret réel. Que l’on adhère ou pas, cet ouvrage atteste qu’il n’y a sans aucun doute rien de plus dangereux, mais aussi et surtout de fécond, que le débat d’idées.