Présentation

En 2003 paraissait chez Armand Colin le Dictionnaire de l’habitat et du logement, élaboré sous la direction de Marion Segaud, Jacques Brun et Jean-Claude Driant. L’édition est aujourd’hui épuisée et, le temps ayant passé, une large part des entrées sont maintenant datées : les problématiques ont évolué avec la démographie, les modes de vie et les conditions économiques, les références chiffrées sont anciennes, de nouvelles lois sont entrées en vigueur.
Il aurait été dommage que l’entreprise qu’a représentée l’élaboration de cet ouvrage se limite à un effort ponctuel, sans lendemain. Le besoin auquel répondait le dictionnaire, attesté par le succès qu’il a rencontré, n’a pas disparu. C’est pourquoi Politiquedulogement.com a pris l’initiative, avec l’aimable accord de l’éditeur initial, d’en être le continuateur. Internet se prête particulièrement bien à une telle entreprise : il rend en effet possible une évolution en continu. Car il faut qu’un dictionnaire vive : les textes existants doivent être mis à jour, de nouvelles entrées insérées, de nouveaux angles de vue pris en compte.
Les auteurs initiaux ont, dans leur grande majorité, accepté de revoir leurs textes. De nouveaux auteurs ont été sollicités pour de nouvelles entrées, ou pour réviser et compléter les textes de ceux qui n’étaient plus disponibles. Ce travail est en cours. Nous avons néanmoins choisi de mettre en ligne sans attendre les textes achevés. Les autres viendront s’y ajouter dans les mois à venir, au fur et à mesure de leur rédaction.
Au-delà de l’évolution du support, qui permet de s’affranchir des contraintes de l’édition papier, l’esprit qui a présidé à conception de l’édition initiale est demeuré inchangé. Nous en reprenons donc ci-après la présentation d’origine.

 Introduction au dictionnaire de l’habitat et du logement

Objet d’investissements et de dépenses considérables, le logement est traditionnellement une branche un peu à part au sein de l’économie nationale, et son analyse pose des problèmes théoriques encore loin d’être tous résolus. Il suscite surtout, depuis un siècle, l’élaboration de lois et de textes réglementaires nombreux. Loin d’affaiblir les enjeux économiques et politiques dont il est l’objet, la décentralisation ne fait que les déplacer.
Pourquoi parler d’un domaine encore essentiellement en friche ? Parce que, si les disciplines qui ont apporté leur contribution sont multiples, les thèmes du logement et de l’habitat n’ont suscité, dans la plupart d’entre elles, qu’un nombre limité de recherches. Bien des questions au fond restent en suspens, on le verra à la lecture. Peut-être aussi la place essentielle de l’habitat et du logement dans la vie des individus et de la cité, leur omniprésence et donc la banalité des mots rendent-elles difficile leur transformation en objets scientifiques.
Pourtant les chercheurs sont constamment interpellés par l’importance que les individus attachent au lieu où ils habitent et à son environnement. La demande sociale à l’égard de la recherche se nourrit aussi de l’actualité des problèmes de l’habitat et des politiques qui tentent d’y répondre. Ainsi la guerre aux immeubles dégradés est-elle entrée dans une nouvelle phase, attisée par les maux sociaux de certaines zones urbaines : les démolitions sont désormais un phénomène de masse, et toute une partie du parc de logement va disparaître dans les années qui viennent. Cette vague nous rappelle l’utilité de penser le logement comme un bien dont la durée est limitée, avec une vie et une mort, comme d’autres biens économiques. Et pourtant, ce n’est pas un bien matériel comme un autre.
Le logement et l’habitat sont les produits et parfois comptent parmi les moteurs des grandes évolutions technologiques, démographiques et culturelles. Les déplacements des habitants,  durables ou temporaires, à grande ou à courte distance, la redéfinition des rapports entre la ville, la campagne et la nature, se transcrivent dans l’habitat, et ce dernier, en retour, favorise le changement ou lui fait obstacle. Les formes architecturales et les modes d’aménagement du logement reflètent mais aussi conditionnent pour une part l’ouverture de l’individu et de la cellule familiale sur le monde extérieur, ou leur repli sur l’intimité, voire leur isolement.
Parmi les problèmes de société les plus aigus de notre temps, bon nombre touchent à l’habitat : on pense, entre autres exemples, aux formes extrêmes de l’exclusion sociale, à la marginalisation de groupes entiers de population dans certains quartiers, ou encore aux débats sur l’étalement urbain et la crise de l’urbanité.
Dans l’actualisation de ce dictionnaire, on a donc cherché à mettre en évidence un ensemble de questions que l’on pourrait rapprocher de ce que M. Mauss nommait “ phénomène social total ” condensant les multiples fonctions de la réalité sociale, tout en n’étant réductible à aucune d’elles. Les termes « logement » et « habitat » dans le titre du dictionnaire indiquait à l’origine le parti de pluralité qu’avaient adopté les auteurs et que l’on cherche à poursuivre. Les deux notions sont utilisées dans différentes disciplines, leurs acceptions varient selon les acteurs et selon les contextes, au point qu’il est souvent difficile de donner des définitions universelles. Le dictionnaire s’efforce de rendre compte de ces variations, sans les masquer, et d’identifier, sinon les points de consensus, du moins les convergences, les éléments de « transversalité », de dialogue. 

Deux notions complémentaires

A travers les notions de logement et d’habitat s’esquisse donc l’organisation d’un champ pluridisciplinaire. Leur mise en perspective est apparue nécessaire pour comprendre la complexité d’un monde dont les différentes composantes technique, économique, juridique, symbolique, affective, sont en interaction, et où se croisent et parfois s’affrontent des acteurs sociaux dont les compétences, les bagages culturels et les liens institutionnels sont multiples. Le dictionnaire utilise le classement alphabétique pour aider le lecteur à bousculer les fausses évidences du sens commun et lui permettre de construire, selon ses centres d’intérêt, des parcours différenciés à travers la diversité des points de vue réunis.
Sans évoquer ici toutes les « portes » par lesquelles les sciences sociales abordent les deux notions, rappelons d’abord – en reprenant l’introduction de l’Etat des savoirs logement et habitat (La Découverte, 1998) – que pour l’économie, le logement est un bien complexe que l’on peut appréhender sous l’angle de deux fonctions distinctes : « une fonction d’usage qui, à travers le loyer le rapproche d’un bien de consommation, une fonction patrimoniale qui en fait un bien transmissible ». De plus, « il se distingue des autres biens durables du fait de son ancrage territorial et de l’immobilisation des capitaux nécessaires à sa production ».
Mais le logement a bien d’autres fonctions et peut être considéré sous de nombreux autres aspects. Ainsi l’ethnologie et la sociologie décrivent l’habitat comme un ensemble de pratiques sexuées et bien évidemment socialement différenciées. Par sa compétence, l’habitant transforme le logement-cellule et lui donne un contenu déterminé, fait de qualités physiques et symboliques ; entre l’individu et son logement il y a production réciproque.
Il faudrait aussi mentionner brièvement la fonction symbolique du logement, liée notamment à l’importance de l’adresse dans le « repérage social », ou encore sa fonction affective, « lorsqu’il participe de l’unité familiale ». Souligner aussi son rôle dans la structuration des différents « réseaux et systèmes de relations entre les ménages et les individus ». Le logement n’est pas simplement l’enveloppe matérielle de la cellule qui abrite l’individu et la famille. Il est un maillon essentiel de la relation de l’individu à la société et au monde. C’est ainsi que la psychologie s’intéresse à l’habitat sous l’angle du chez soi, de l’intimité, des processus de personnalisation d’un lieu, mais aussi d’accomplissement possible de la personnalité de l’habitant à travers la relation qu’il entretient avec son logement.
La complexité de ces significations peut être éclairée par le recours à la seconde notion, celle d’habitat. Elle recouvre l’ensemble des liens multiformes qui se nouent autour du logement. Au sens premier du terme, dérivé probablement de la science écologique, et employé en biologie végétale et animale, le mot « habitat » évoque l’aire spatiale, le territoire occupé par un être vivant, une espèce ou une association de végétaux. En histoire, en géographie et en ethnologie il a d’abord été utilisé pour décrire le mode de localisation des lieux habités, autrement dit les formes de dispersion ou de groupements des « habitations », depuis la dissémination des maisons individuelles en milieu rural jusqu’à la concentration dans les villes ou des agglomérations, en passant par les hameaux, les villages et les bourgs. De nos jours encore « habitat » est parfois synonyme de système de peuplement.
Mais le terme d’habitat s’est enrichi d’autres acceptions. Il désigne souvent l’ensemble des questions relatives au logement (on parle ainsi de problèmes et de politiques d’habitat), mais en ce sens, on tend à associer, voire à inclure dans l’habitat toute une série plus ou moins cohérente de données que l’on estime indissociables, extérieures au « logement » stricto sensu, celles qui sont relatives aux équipements et aux services qui relient les habitants d’un lieu donné au monde extérieur. Surtout, le verbe « habiter » – renouant avec son étymologie – « habere » avoir, posséder – inclut la manière dont les habitants « vivent » leur habitation, l’aménagent, la façonnent à leur image ou selon leur idéal, selon leurs moyens, selon l’image qu’ils veulent donner d’eux-mêmes, autrement dit se l’approprient. Et cette appropriation, qui fait du logement le territoire élémentaire de la vie sociale, peut s’étendre à un espace extérieur : jardin, rue, quartier, cité, ville. L’habitat est donc simultanément un ensemble d’objets matériels, incluant leur arrangement et leurs configurations à différentes échelles, et un ensemble de pratiques et de représentations, impliquant une gamme d’acteurs qui va de l’individu à l’Etat en passant par tous les autres maillons de la vie sociale.

Une approche pluridisciplinaire

Habitat et logement sont donc à la fois distincts et complémentaires, ce qui justifie Une approche pluridisciplinaire.
 Le champ thématique, on l’aura compris, n’est pas exclusivement orienté selon des préoccupations d’ordre pratique. L’objectif est de rendre compte de sa profondeur et de la diversité des objets qui le constituent.
L’approche technique ne suffit pas à définir ceux-ci car ils sont les produits d’une construction historique, sociale, culturelle qui les modèle et les modifie, depuis leur conception jusqu’à la leur réalisation. Le découpage institutionnel et la spécialisation disciplinaire ont contribué à sectoriser la production et la compréhension des termes qui servent à les désigner. Un des buts de ce dictionnaire est, sinon de réunifier les différentes approches correspondantes, du moins de donner à voir l’amplitude des interactions et les différentes dimensions de la réalité. Cette démarche transversale implique la collaboration de disciplines multiples. Elle devrait, nous l’espérons, faciliter une communication, souvent oubliée, entre l’univers des sciences sociales et celui des professionnels.
Chacune de nos disciplines utilise une constellation de notions, de catégories, de nomenclatures qui permettent l’explication – en les intégrant dans des systèmes plus larges – et la compréhension, en renvoyant aux acteurs, à leurs stratégies et à leurs représentations; c’est ce que tente de refléter l’ensemble des entrées.
Une trentaine de thèmes ont fait l’objet de textes plus longs qui offrent un éclairage plus détaillé de certaines questions en indiquant les références bibliographiques incontournables et en proposant des accès à d’autres articles ou définitions du dictionnaire.
Ce dictionnaire se veut avant tout critique. La multiplicité des auteurs venus de disciplines, de milieux scientifiques, techniques et professionnels variés devrait faciliter le croisement des différents éclairages. Le logement et l’habitat ont un poids idéologique évident ; certains textes engagent leurs auteurs, manifestant leurs convictions et débordant ainsi la sécheresse des définitions lexicales. Mais la part ainsi faite au débat scientifique n’exclut pas l’exigence d’un certain nombre d’exposés descriptifs, indispensables à la compréhension des questions techniques, juridiques et économiques que soulèvent l’étude du logement. Cette cohabitation délibérée de textes appartenant à des registres complémentaires répond à notre principal souci, qui était de faire œuvre utile dans un domaine dont les références restent largement en chantier.
En quoi le logement et l’habitat forment-ils en France, un champ spécifique concret, dans sa configuration physique, dans son rapport au politique, par les catégories d’analyse qu’il a instituées, par la commande de recherche qu’il suscite, par le personnel technique, administratif et scientifique qu’il mobilise ? C’est la question à laquelle ce dictionnaire voudrait apporter son lot de réponses.