Le poids du logement : une comparaison France-Allemagne
Si chacune de ces mesures dit quelque chose des marchés immobiliers allemand et français, elles sont toutes insuffisantes pour quantifier correctement les différences entre les marchés de ces deux pays.
Sur le logement comme sur beaucoup de sujets, la France est souvent comparée à l’Allemagne. La part du revenu que les ménages consacrent à leur logement est un indicateur souvent utilisé pour mesurer l’effort que les ménages consentent pour se loger. Cet effort est-il plus important en France qu’en Allemagne ?
Malheureusement, l’usage de la notion imparfaite de taux d’effort et le manque de données parfaitement comparables détaillant précisément la diversité des situations des ménages par rapport à leur logement ne permettent pas de trancher et de quantifier précisément les différences entre les deux pays. À défaut, on recense ici les facteurs qui déterminent le taux d’effort en logement des ménages et on observe leurs effets sur les taux d’efforts allemand et français.
Le taux d’effort : quelle bonne mesure ?
La mesure du poids du logement dans le revenu des ménages s’appuie traditionnellement sur le taux d’effort, part des dépenses liées à l’habitation principale dans le revenu disponible. Deux méthodes de calcul de ce taux d’effort sont envisagées : l’une macroéconomique, l’autre microéconomique.
Le taux micro (calculé à partir des données d’enquête auprès des ménages) est la moyenne des taux des ménages. Il considère les dépenses du point de vue monétaire et retient l’ensemble des paiements réguliers liés au logement. Ces paiements regroupent les dépenses de consommation (loyers, charges liées au logement et frais d’entretien), ainsi que les intérêts d’emprunt (pour les propriétaires accédants). Dans certaines définitions du taux micro (celle de l’Insee par exemple), les remboursements de capital sont également inclus. La définition retenue ici est celle d’Eurostat sans les remboursements de capital.
Le taux macro (calculé à partir d’agrégats macroéconomiques) est issu de la comptabilité nationale ; celle-ci opère une distinction entre la fonction de consommation finale qui constitue une utilisation du revenu disponible et la fonction d’investissement financée par l’épargne. Le taux d’effort est calculé en rapportant les seules dépenses de consommation au revenu disponible brut. Pour les propriétaires occupants, qu’ils soient accédants ou non accédants, la comptabilité nationale impute un loyer fictif correspondant au loyer qu’ils paieraient s’ils étaient locataires de leur logement. C’est leur consommation de service de logement. En contrepartie, leur revenu est augmenté du même montant, de sorte que leur épargne n’est pas modifiée.
Le taux dit « micro » est la moyenne des taux d’effort des ménages. Chaque ménage a donc un poids équivalent dans cette mesure, alors que le taux macro est le rapport entre la somme des dépenses en logement d’une population et la somme des revenus disponibles de cette même population. Chaque ménage a donc un poids proportionnel à son revenu. Le taux d’effort peut être calculé net ou brut des prestations sociales logement. Le taux micro est ici calculé brut conformément au calcul d’Eurostat (les prestations logement sont comptabilisées en augmentation du revenu disponible), alors que le taux macro est lui calculé net (les prestations sociales sont déduites des dépenses de consommation finale). Il semblerait plus logique de retrancher l’aide de la dépense puisqu’il s’agit d’une aide affectée, néanmoins par souci de comparaison nous suivons le choix d’Eurostat de garder au numérateur les dépenses brutes des aides. À ces différences conceptuelles s’ajoutent des écarts de périmètre des dépenses, ils concernent les taxes et les assurances. On utilise ici l’enquête EU-SILC d’Eurostat pour calculer les taux micro et les données OCDE pour les calculs macro.
Entre 2005 et 2012, les taux macro sont très comparables entre les deux pays, égaux à 20 % environ. En revanche, pour la même période, la médiane et la moyenne des taux d’effort micro sont toutes deux plus importantes en Allemagne qu’en France, indiquant un poids plus important de la dépense en logement dans le revenu.
Les raisons des écarts constatés entre la France et l’Allemagne
Les mauvaises raisons
Il existe un doute sur la comparabilité – au sein de l’enquête EU-SILC – des revenus entre la France et l’Allemagne. En effet, à partir de 2008, les revenus disponibles des ménages français ne sont plus déclaratifs mais issus de l’appariement des données d’enquête avec les fichiers fiscaux. Pour cette année-là les revenus disponibles des ménages allemands sont plus faibles (d’en moyenne 10 %) que les revenus disponibles des ménages français. Les distributions des revenus en France et en Allemagne en 2006, c’est-à-dire pour un millésime pour lequel tous les revenus étaient déclaratifs, sont plus proches. Il semblerait donc que les revenus déclarés soient systématiquement inférieurs aux revenus issus des données fiscales.
Cette différence de mode de collecte affectant très certainement les résultats est gênant pour une enquête destinée à la comparaison entre pays européens.
Ce qui explique en partie un taux d’effort plus élevé en Allemagne
- Les statuts d’occupation
Le taux d’effort micro en logement dépend fortement du statut d’occupation. En effet, un propriétaire non accédant par exemple n’a plus de charge d’emprunt dans ses coûts et bénéficie donc en général d’un faible taux d’effort. En 2012, environ 64 % de propriétaires sont recensés en France contre 53 % en Allemagne (ces chiffres diffèrent des résultats des Comptes du logement (issus de l’enquête logement) car ils sont calculés au niveau individuel et non au niveau ménage. Ils correspondent aux données publiées par Eurostat). En outre, la France compte également plus de locataires du parc social : 14 % contre 5 % en Allemagne en 2012. Cette catégorie bénéficie également d’un coût du logement réduit par rapport aux locataires du secteur libre puisque leur loyer n’est pas un loyer de marché mais un loyer « aidé ». Ce chiffre est néanmoins à tempérer car une partie des locataires du secteur dit « libre » en Allemagne bénéficie d’une forme d’encadrement des loyers ou de loyers plus modérés. Ces différences d’occupation du parc n’expliquent pourtant pas l’intégralité de l’écart entre les taux d’effort moyens des deux pays. En effet, des différences de taux d’effort persistent au sein d’un même statut d’occupation, à l’exception des locataires du parc privé pour qui les taux d’effort sont proches.
- La taille des logements
Les logements allemands sont en moyenne plus grands que les logements français (107 m² contre 98 m²), et ce pour tous les statuts d’occupation.
- Les dépenses énergétiques
Pour mesurer la différence de charge énergétique du logement dans les deux pays, l’enquête Budget des Familles (2011) pour la France et le panel (SOeP) pour l’Allemagne sont utilisées car l’enquête EU-SILC ne dispose pas de ce degré de détails dans les dépenses. La charge énergétique représente 5,66 % du revenu net pour les ménages allemands et 5,02 % pour les ménages français. La différence semble en revanche très semblable entre statuts d’occupation.
Ceci pourrait être dû à une différence de climat non négligeable entre les deux pays (12,6 °C en moyenne en France d’après Météofrance contre 8,6 °C en Allemagne d’après le Tyndall Centre for Climate Change Report) mais également à des prix de l’énergie plus élevés en Allemagne qu’en France, notamment les prix de l’électricité (0,26 €/kilowatt-heure en Allemagne contre 0,14 €/kilowatt-heure en France, source OCDE).
- La structure démographique
La composition des ménages diffère sensiblement entre la France et l’Allemagne. La proportion de ménages composés d’une seule personne est plus importante en Allemagne (40 %) qu’en France (34 %). Or, les dépenses de logement de deux personnes vivant dans le même logement ne sont pas égales au double des dépenses de logement d’un individu vivant seul, à cause d’un certain nombre de coûts fixes. En d’autres termes, les ménages d’une seule personne ne bénéficient pas d’économies d’échelle, ils supportent donc un poids de dépenses en logement plus important que les ménages de deux adultes (avec ou sans enfants).
- Les inégalités
En Allemagne comme en France, plus le revenu augmente, moins le taux d’effort est important. Mais la distribution des taux d’effort est encore plus inégalitaire en Allemagne qu’en France. Les moyennes des taux d’effort pour les déciles de revenu supérieurs diffèrent d’environ 5 points (environ 1 %) entre la France et l’Allemagne. En revanche, pour les déciles inférieurs, la différence entre les moyennes des taux d’effort est plus élevée et atteint plus de 20 points (environ 5 %) pour le premier décile. Le taux d’effort micro affectant un poids équivalent à tous les ménages, plus la distribution des taux d’effort est inégalitaire, plus le taux moyen est élevé. Le taux micro pour les faibles revenus est néanmoins à interpréter avec précaution puisque lorsque le revenu tend vers zéro, le taux d’effort tend vers l’infini.
Ce qui n’explique pas la différence entre l’Allemagne et la France (au contraire…)
- Les prix
Les prix des logements n’influencent pas directement le taux d’effort en logement. En effet, seuls les remboursements des intérêts d’emprunt sont inclus dans la définition du taux d’effort micro. Or, le montant des intérêts n’est pas seulement lié aux niveaux des prix mais dépend aussi de l’état du marché du crédit et de la solvabilité des ménages.
- Les loyers
Une composante centrale du taux d’effort est le niveau des loyers dans chacun pays. Il est difficile de comparer les loyers au niveau national, le parc étant réparti de manière différente entre les pays et la qualité des biens pouvant varier de manière importante. Certains opérateurs privés allemands produisent néanmoins des statistiques sur le parc libre au niveau national. Bulwiengesa (conseiller en immobilier allemand dont les données sont utilisées par la BundesBank) publie un loyer moyen au mètre carré en 2013 sur l’ensemble du territoire allemand d’environ 7,6 € et un loyer de marché de 9,4 €. Le loyer moyen est sensiblement plus bas que le loyer de marché car il est calculé sur tous les loyers et non pas uniquement sur les nouveaux baux. En France, l’enquête logement 2013 fournit un niveau moyen des loyers du parc libre en 2013 de 10,6 € au mètre carré. Lorsque le calcul est mené uniquement sur les ménages ayant emménagé depuis moins d’un an, correspondant donc à des baux nouveaux, le loyer au mètre carré moyen s’élève à 11,2 €. L’enquête EU-SILC 2012 permet également de calculer le loyer moyen au mètre carré des ménages locataires du parc libre dans les deux pays et donne un écart relatif cohérent : 5,8 € en Allemagne contre 8,7 € en France pour des surfaces moyennes de 69,3 m² en Allemagne et 66,6 m² en France. L’enquête EU-SILC donne des loyers moyens plus faibles que l’enquête logement car les ménages enquêtés sont en moyenne depuis plus longtemps dans leur logement. Ceci est dû en partie à la dimension panel de l’enquête. Même si la comparaison des niveaux de loyers entre la France et l’Allemagne s’avère délicate, il semblerait que les loyers soient plus faibles en Allemagne qu’en France. Cela devrait donc conduire à des taux d’effort en logement plus faibles en Allemagne.
- Les aides au logement
La politique d’aides au logement (seules les prestations sociales, c’est-à-dire en France les aides personnelles au logement, sont identifiées) diffère sensiblement entre la France et l’Allemagne. La part des bénéficiaires est sensiblement plus élevée en France qu’en Allemagne. En revanche, la moyenne des aides versées par ménage en Allemagne est plus élevée qu’en France. Les aides au logement ne sont pas déduites des coûts du logement dans le calcul du taux d’effort micro. On parle de taux d’effort brut. Les aides au logement sont en revanche incluses dans le revenu disponible (le dénominateur du taux d’effort). Dans les deux pays, les aides au logement sont concentrées sur les locataires. Lorsque le taux d’effort des ménages est calculé sans prendre en compte l’aide au logement dans le revenu disponible, les moyennes des taux d’effort des locataires augmentent très largement dans les deux pays, mais l’écart entre la moyenne des taux d’effort allemand et français persiste.
- La répartition géographique
La population allemande est localisée dans des zones à la fois moins denses et moins rurales que la population française. Cette différence de répartition semble à peu près neutre en termes de taux d’effort puisque les taux d’effort plus élevés des habitants des zones denses sont compensés par les taux d’effort plus faibles des habitants des zones faiblement peuplées. Néanmoins, la typologie de degré d’urbanisation en trois postes de l’enquête EU-SILC ne permet pas des analyses plus fines qui permettraient d’approcher les marchés immobiliers les plus tendus.
Les limites de la notion de taux d’effort
Cette comparaison des taux d’effort micro en logement entre la France et l’Allemagne conduit à recenser de manière assez complète les différences entre ces deux marchés du logement : la nature et la localisation du parc de logements, les comportements des agents (répartition des statuts d’occupation), la politique du logement… Mais le taux d’effort ne donne qu’un aperçu partiel de la charge financière du logement pour les ménages.
Comme on l’a vu, le prix de l’immobilier n’entre pas directement dans le calcul du taux d’effort micro car seuls les intérêts d’emprunt sont inclus dans le calcul. À titre de comparaison, dans le taux macro, les remboursements de capital sont également exclus du calcul car l’achat d’un bien immobilier est considéré comme un investissement et non comme une dépense de consommation. Toutefois, cet investissement contribuant à la production d’un « service de logement », des loyers imputés sont ajoutés aux dépenses de logement pour les propriétaires et sont calculés pour refléter la valeur locative des biens. La notion de « loyer imputé » recouvre ainsi le service de location que se rendent à eux-mêmes les propriétaires de leur logement : à savoir, les loyers que les propriétaires auraient à payer s’ils étaient locataires du logement qu’ils habitent. Dans la mesure où la formation des prix immobiliers est liée au rendement locatif des biens et donc au niveau des loyers, l’investissement est pris en compte, mais en cas de divergence entre l’évolution des loyers et des prix au-delà des taux d’intérêt, ces loyers imputés pourraient s’écarter de la véritable charge financière d’un achat immobilier.
En outre, aucun aspect dynamique n’apparaît dans le calcul du taux d’effort, seule la situation à une date donnée du cycle de vie des ménages est observée. Ceci est lié à la définition-même du taux qui ne prend pas en compte la trajectoire des ménages au cours de leur vie. Ainsi, si certains ménages ont connu à une certaine période de leur vie un taux d’effort important dû par exemple au remboursement d’un emprunt sur la résidence principale mais qu’ils ont fini de rembourser cet emprunt au moment de l’enquête, leur taux d’effort sera certainement faible alors que la part de leur revenu permanent (revenu sur l’ensemble du cycle de vie) consacrée à leur logement peut être très élevée.
Mathilde Poulhes
Mars 2018
Pour en savoir plus :
Accardo J. et Bugeja F. (2009), « Le poids des dépenses de logement depuis 20 ans », Cinquante ans de consommation en France, Insee.
Just T, Maennig W (eds) (2012) Understanding German real estate markets. Springer, Heidelberg
Salvi del Pero, A., et al. (2016), « Policies to promote access to good-quality affordable housing in OECD countries », OECD Social, Employment and Migration Working Papers, No. 176, Éditions OCDE, Paris.
Lire le commentaire d’Arnaud Bouteille