L’entrée de la climatisation dans les foyers français (2/2) : quelles perspectives à 2050 ?

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La climatisation entre petit à petit dans les mœurs des foyers français. Avec l’évolution à venir du changement climatique, quelles sont les perspectives à venir en termes de consommation énergétique et d’impacts environnementaux associés ?

1.    Une exposition des bâtiments à la chaleur amenée à s’accroître

Entre exposition au risque et sensibilité du bâti : comprendre le risque climatique
Les vagues de chaleur sont, avec le retrait-gonflement des argiles, le risque inondations, ou encore la submersion marine, un des grands aléas auxquels nos bâtiments seront confrontés avec l’intensification du changement climatique.
Deux phénomènes de chaleur se combineront :

  • Les vagues de chaleur, qui correspondent à des températures moyennes de jour et de nuit anormalement élevées par rapport aux moyennes de saison, observées sur plusieurs jours consécutifs. Du fait du changement climatique, elles deviendront de plus en plus intenses et fréquentes (Figure 1)
  • Le phénomène d’ilot de chaleur urbain, qui se caractérise par un écart de température, en particulier la nuit, entre la ville et la campagne environnante (Figure 2). Ce phénomène, dû à des densités de construction urbaines plus élevées qui empêchent la circulation d’air, à des surfaces à fort albedo qui conduisent à une accumulation de chaleur dans les matériaux, et à un dégagement de chaleur lié aux activités humaines comme le trafic routier, amplifie les canicules.



La chaleur a des impacts sanitaires si les bâtiments n’ont pas la capacité d’assurer le confort thermique de leurs occupants. De fait, la canicule de l’été 2022 a conduit à une surmortalité importante.
Le risque climatique auquel un bâtiment est exposé est ainsi fonction de deux dimensions :

  • Son exposition aux risques, c’est-à-dire sa localisation (ou non) dans une zone à risques, dès à présent et dans le futur. Les bâtiments seront ainsi plus ou moins exposés aux vagues de chaleur et aux îlots de chaleur en fonction de leur localisation. Les bâtiments des villes seront doublement exposés à la chaleur et grands demandeurs de rafraichissement.
  • Sa sensibilité aux risques, qui dépend à la fois des caractéristiques techniques du bâtiment (par exemple, un bâtiment conçu selon des principes bioclimatiques sera mieux capable d’assurer la fraicheur en interne) mais également de son usage (par exemple, un établissement hébergeant des personnes âgées sera plus sensible qu’un bâtiment de bureaux accueillant des personnes en bonne santé).

L’exposition au risque varie donc d’un bâtiment à un autre. Ainsi, chaque propriétaire ou gestionnaire de parc immobilier devra réfléchir à l’échelle de chacun de ses bâtiments pour comprendre dans quelle mesure celui-ci sera concerné. Des outils permettant de croiser les caractéristiques (techniques, occupation…) du bâtiment et les aléas climatiques existent d’ores et déjà pour faire le diagnostic de son parc (on peut citer, par exemple, l’outil Resilience for Real Estate développé par l’Observatoire de l’Immobilier Durable).

Une augmentation de l’exposition au risque de chaleur d’ici à 2050
Les différentes études convergent vers le constat d’une augmentation de l’exposition au risque chaleur en 2050. L’INSEE (2022) estime qu’« une large partie du territoire, regroupant aujourd’hui près de 80% de la population, subira de 16 à 29 journées anormalement chaudes en été, alors qu’elle était exposée à moins de 16 journées anormalement chaudes au cours des années 1976-2005 ». Les personnes âgées, plus vulnérables, sont légèrement plus exposées que le reste de la population, du fait notamment de leur présence plus importante sur le pourtour méditerranéen.
L’exposition du parc immobilier aux vagues de chaleur au cours des trente prochaines années pourra varier en fonction des choix qui seront faits quant à la localisation de la construction neuve. L’analyse des scénarios Transition(s) 2050 de l’ADEME menée par l’Observatoire de l’Immobilier Durable (2022) montre que l’exposition au risque est plus importante dans les scénarios qui poursuivent la tendance de métropolisation du territoire français, car ils concentrent la construction neuve dans des zones urbaines exposées au phénomène d’îlot de chaleur urbain.

2.    Une consommation de climatisation qui pourrait varier de 1 à 10 en 2050 en fonction des comportements d’usage

Dans le cadre de l’exercice de prospective Transition(s) 2050 de l’ADEME, des projections des consommations de climatisation à l’échelle de la France ont été réalisées. La climatisation n’est pas le seul moyen de répondre à l’exposition des bâtiments aux vagues de chaleur. Il existe une diversité de solutions pour limiter les besoins en rafraîchissement du bâti (végétalisation, conception du bâti, matériaux…), qui vont de l’échelle de la ville à celle du bâtiment, ainsi qu’une diversité de méthodes de rafraichissement, depuis les plus passives (surventilation nocturne…) jusqu’au plus actives (climatisation), en passant par des solutions plutôt low tech (brasseurs d’air). L’analyse de l’efficacité de ces solutions est un champ de recherche en cours de structuration (ADEME, 2021), dont les résultats viendront, au fur et à mesure, nourrir les projections en consommation de climatisation des bâtiments, qui pourront donc être amenées à évoluer au cours des années à venir.

Le modèle MICO
Les consommations de climatisation à l’échelle du parc français dans son ensemble ont peu fait l’objet de projections jusqu’à maintenant. En effet, les modèles prospectifs existants s’intéressent avant tout au chauffage et à l’eau chaude sanitaire, usages historiquement dominants dans nos bâtiments.
Afin de mieux anticiper les consommations d’énergie liées à la climatisation, il a donc été nécessaire de construire le modèle MICO (Modélisation des Impacts de la Climatisation sur la cOnsommation). Celui-ci a été développé par CODA Stratégies dans le cadre d’une étude financée par l’ADEME.
MICO est un modèle physique qui projette la consommation d’énergie pour la climatisation des bâtiments résidentiels et non résidentiels à l’horizon 2050 pour la France (métropole et départements d’outre-mer). Il agrège la consommation des différentes régions climatiques du pays, afin de tenir compte des différents taux d’équipement ou utilisations. Il est initialisé pour l’année 2020 avec les données d’une enquête spécifique menée par l’ADEME afin de documenter plus en détails les consommations d’énergie et les taux d’équipement existants (voir notre premier article sur le sujet).
Le modèle calcule la consommation d’énergie pour le refroidissement des locaux en fonction des paramètres suivants (Figure 3) :

  • Les besoins de refroidissement : qui dépendent des conditions climatiques, des besoins thermiques (qui dépendent de la performance de l’enveloppe, des apports internes et des apports solaires) et des usages (température de consigne, durée d’utilisation…), ainsi que du volume total de bâtiments.
  • Les équipements, qui dépendent des taux d’équipement, ainsi que du type d’appareil utilisé.
  • La performance énergétique de l’équipement et son évolution dans le temps.

La modélisation des consommations de climatisation à l’échelle du parc dans son ensemble en est encore à ses prémices. Aussi, le modèle comporte des limites. La principale réside dans sa capacité à saisir de manière adéquate les besoins de refroidissement. En effet, alors que les besoins en chauffage ont été étudiés et modélisés de manière exhaustive au cours des dernières décennies, la modélisation des besoins en refroidissement à l’échelle d’un parc immobilier national entier est un exercice quelque peu nouveau. Ainsi, des travaux complémentaires sont en cours pour améliorer le modèle.
Le modèle couvre l’ensemble de la France (métropolitaine et territoires d’outre-mer). Dans la mesure où les problématiques sont différentes pour ces territoires, seuls les résultats pour la France métropolitaine sont présentés ici.


Le cadre d’analyse : les scénarios ADEME Transition(s) 2050
Les scénarios Transition(s) 2050 sont un exercice de prospective réalisé par l’ADEME pour explorer quatre chemins contrastés d’atteinte de la neutralité carbone en France en 2050 (voir https://www.ademe.fr/les-futurs-en-transition/).
Les différents scénarios Transition(s) 2050 ont été traduits en hypothèse sur chacun des paramètres du modèle MICO (Tableau 1). La performance du bâti a été considérée comme stable en l’absence de données fiables permettant d’évaluer l’impact des rénovations énergétiques sur la consommation d’énergie pour la climatisation en été. Il s’agit d’un point clé sur lesquelles des recherches sont en cours, et qui pourra être mieux calibré dans le modèle dans les années à venir.


Une consommation d’énergie qui doublerait en 2050 dans un scénario Tendanciel
La Figure 4 présente les consommations de climatisation en 2050 en France métropolitaine dans les quatre scénarios Transition(s) 2050. Leurs évolutions sont très contrastées : alors que les scénarios 1 et 2 permettent une baisse des consommations de climatisation par rapport à aujourd’hui, les scénarios 3 et 4 projettent une augmentation importante, bien que moins marquée que dans un scénario Tendanciel.
Ces consommations de climatisation sont, dans tous les scénarios, bien inférieures à celles de chauffage. Par exemple, dans le scénario le plus consommateur (S4), la consommation de chauffage des résidences principales en 2050 est de 113 TWhef, contre 8 TWhef pour la climatisation.


En 2050, dans un scénario Tendanciel, on assisterait à une croissance très importante des consommations énergétiques associées à la climatisation, qui feraient plus que doubler pendant la période.
Cette évolution peut être associée à la croissance du parc de logements (+0.3% par an), mais c’est surtout la croissance du nombre de logements équipés qui est spectaculaire, passant de 9 à 35 millions sur la période, avec un taux de recours à la climatisation atteignant 95% en fin de période.
Dans ce scénario, les résidences secondaires génèrent une consommation énergétique plus que proportionnelle à leur poids dans le parc de logements, en raison de leur localisation géographique plus orientée vers des zones chaudes mais aussi du poids important des maisons individuelles en leur sein.

L’impact de la sobriété d’usage sur les consommations
Les scénarios S1 « Génération frugale » et S2 « Coopérations territoriales » répondent à des logiques relativement proches et, pour ce qui concerne la climatisation, conduisent à des résultats voisins.
Ils retiennent tous les deux une croissance du parc de logements légèrement positive (+0.1% par an), ce qui aboutit à un parc total (résidences principales et secondaires) ne progressant que de 600 000 unités sur la période (de 33,7 à 34,3 millions). Cette faible croissance du parc s’accompagne cependant d’une progression forte des taux de climatisation (de 25% à 80% sur la période) conduisant à un triplement du nombre de logements climatisés en 2050, dont le nombre dépasserait alors 27 millions.
Si l’évolution du nombre de logements climatisés est très importante sur la période (quoique moindre que dans le scénario tendanciel) elle s’accompagne d’un changement notable des comportements des ménages :

  • Durée d’utilisation plus faible pendant les périodes de chaleur (8 h contre 12 h)
  • Température de consigne intérieure plus élevée (26° contre 22°)
  • Déclenchement de la climatisation à partir d’une température extérieure de 30° (contre27° dans le scénario tendanciel).

Dans ces conditions, les consommations énergétiques sont en forte baisse au cours de la période, l’évolution de la performance des équipements et les évolutions significatives des comportements des utilisateurs faisant plus que compenser la progression du nombre de logements climatisés.
Dans le scénario S1 « Génération frugale », les consommations sont plus que divisées par trois.

Le pari sur l’efficacité énergétique seule : un levier insuffisant pour inverser les tendances
Les scénarios S3 « Technologies vertes » et S4 « Pari réparateur » reposent sur des hypothèses proches en termes d’évolution des surfaces bâties, des taux de climatisation ou encore des comportements des utilisateurs. Ces deux scénarios ont également en commun de privilégier le progrès technique afin de répondre aux objectifs de réduction des consommations énergétiques et des réductions des émissions de gaz à effet de serre.
En termes de dynamique de parc, ces deux scénarios reposent sur une croissance plus marquée que dans S1 et S2. Le parc de logements atteindrait ainsi 37 millions d’unités contre 34 millions dans les deux scénarios précédents. Les taux de climatisation anticipés à 95% en fin de période conduiraient à un quasi-quadruplement du nombre de logements climatisés, atteignant 35 millions d’unités en fin de période.
Ces scénarios envisagent un progrès technique important, se traduisant par une augmentation de la performance moyenne des systèmes de près de 85% sur la période. Ce progrès est obtenu par la généralisation progressive des systèmes les plus performants (les classes A++ et A+++ et ultérieures) et par un progrès technique plus rapide dans les nouveaux équipements (par exemple dans le cas d’une PAC Air/Air, la performance moyenne de l’équipement, documentée par son coefficient d’efficacité frigorifique (EER), atteint 6,53 en fin de période contre 6,4 dans les autres scénario). Par ailleurs des équipements plus performants comme les climatisations à absorption solaire, les PAC géothermiques ou une « technologie alternative » (qui reste à définir) prennent une place plus importante dans le parc (30% contre20% dans les scénarios précédents).

Vers un découplage entre augmentation du parc de logements climatisés et émissions de gaz à effet de serre de la climatisation
Au-delà des consommations d’énergie, un autre impact de la climatisation est l’émission de gaz à effet de serre. Celui-ci se fait principalement via l’utilisation de fluides frigorigènes au fort pouvoir de réchauffement (cf article 1).
Les émissions de gaz à effet de serre liés à ces fluides pourraient fortement évoluer à la baisse dans les prochaines années, du fait de la conjonction de plusieurs facteurs :

  • Les ambitions des instances internationales, notamment de la Commission Européenne (via la Directive « F-GAS » 517/2014/UE de 2014), conduisent les industriels et installateurs à faire évoluer drastiquement le mix de gaz frigorigènes chargés dans leurs équipements. Les révisions attendues de la Directive devraient conduire à des objectifs encore plus ambitieux et accélérer au cours des prochaines années l’évolution vers des solutions plus respectueuses de l’environnement au bénéfice des gaz dont le pouvoir de réchauffement global (PRG) est plus faible.
  • On peut également envisager, dans les années à venir, l’accroissement des taux de récupération des équipements en fin de vie, conduisant à une destruction ou à un recyclage des gaz contenus, et donc une baisse des pertes de gaz frigorigènes dans l’atmosphère.

Ce contexte réglementaire devrait permettre un découplage entre le développement des parcs d’équipements, les quantités de gaz émises par ceux-ci, mais surtout le pouvoir de réchauffement global de ces gaz. Ainsi, alors qu’on estime à 3,5 Mteq CO2eq les émissions liées aux fluides frigorigènes en 2020 (résidentiel et tertiaire), celles-ci pourraient tomber à 0,4 en 2050 dans le scénario Tendanciel.

Conclusion

Le changement climatique conduira à une augmentation de l’exposition des bâtiments à la chaleur, que ce soit via l’augmentation de la durée et de l’intensité des vagues de chaleur, ou la localisation des bâtiments urbains dans des zones d’îlots de chaleur urbain. Cette évolution concerne l’ensemble du territoire métropolitain français, et 80% de la population actuelle. Elle pourrait s’accentuer si les dynamiques de métropolisation viennent augmenter les surfaces de bâtiments dans les villes, très exposées aux phénomènes d’îlots de chaleur urbain.
Dans le cadre de l’exercice prospectif Transition(s) 2050, l’ADEME a publié pour la première fois une projection à 2050 des consommations d’énergie liées à la climatisation à l’échelle du parc de bâtiments en France métropolitaine. Cet exercice s’inscrit dans un champ d’étude nouveau, qui se nourrit des recherches sur l’impact des différentes solutions de rafraichissement hors climatisation.
Les projections réalisées montrent que les consommations d’énergie de la climatisation pourraient doubler en 2050 dans un scénario Tendanciel, sous l’effet d’une augmentation importante du taux d’équipement des ménages. Dans un contexte d’équipement toujours plus importants des ménages, miser sur la seule amélioration de l’efficacité énergétique des appareils n’est pas de nature à diminuer fortement les consommations d’énergie liées à la climatisation par rapport au scénario Tendanciel. Seuls les scénarios qui introduisent une sobriété d’usage (et notamment une limitation de la température de consigne à 26°C) permettent de baisser les consommations d’énergie liées à la climatisation tout en augmentant le nombre de ménages équipés pour faire face aux canicules.


Références

ADEME (2021), Rafraîchir les villes. Des solutions variées

https://librairie.ademe.fr/changement-climatique-et-energie/4649-rafraichir-les-villes-9791029717475.html

CODA Stratégies, ADEME (2021), La climatisation dans le bâtiment, Etat des lieux et prospective 2050

https://librairie.ademe.fr/urbanisme-et-batiment/5182-la-climatisation-dans-le-batiment.html

INSEE Première n°1918 (2022), Un habitant sur sept vit dans un territoire exposé à plus de 20 journées anormalement chaudes par été dans les décennies à venir

https://www.insee.fr/fr/statistiques/6522912

Observatoire de l’Immobilier Durable, ADEME (2022), Les enjeux de l’adaptation au changement climatique du secteur immobilier dans les scénarios Transition(s) 2050

https://librairie.ademe.fr/changement-climatique-et-energie/5751-les-enjeux-de-l-adaptation-au-changement-climatique-du-secteur-immobilier-dans-les-scenarios-transitions-2050.html

Plus fraiche ma ville : https://plusfraichemaville.fr/

 

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