Que retenir de l’étude du Conseil d’Analyse Economique sur le DPE ?
Cette note de lecture propose un tour d’horizon du corpus d’études dans lequel s’inscrit cette étude, afin d’en remettre les résultats et la méthodologie en perspective, et d’en discuter les implications pour la politique de transition des logements française.
Ce qu’est un DPE, ce qu’il n’est pas
Le Diagnostic de Performance Energétique (DPE) est un outil d’information des ménages sur la qualité thermique des logements.
• Il renseigne sur la performance intrinsèque du bâti (qualité de l’isolation, performance des équipements de chauffage, eau chaude sanitaire, ventilation). La consommation calculée via le DPE est appelée « conventionnelle », car elle s’appuie sur des conventions de calcul qui permettent notamment de neutraliser les effets de l’occupation du logement et du climat. Cependant, deux logements identiques peuvent avoir des consommations réelles très différentes : tout dépend du comportement des occupants (température de chauffage, taux de présence, etc.), mais aussi des variations du climat d’une année sur l’autre (on chauffe moins lors des hivers doux).
• Sa méthodologie a été conçue pour permettre un niveau d’information suffisant pour que les ménages se fassent une idée de la qualité du logement. Une fois cet état des lieux dressé, un audit énergétique peut le compléter avec des propositions de scénarios de travaux et accompagner un ménage dans la rénovation de son logement. En phase de conception, des méthodologies de calcul encore plus fines sont utilisées ; c’est le cas de la Simulation Thermique Dynamique. Mais, contrairement au DPE et à l’audit énergétique, elles sont plus lourdes et coûteuses, et sont donc réservées à une phase avancée des travaux. Mais quel que soit l’outil choisi, la modélisation d’un bien est toujours un exercice difficile qui intègre des facteurs qui dépendent de nombreuses données d’entrée et hypothèses.
Aussi, il est irréaliste de vouloir que la consommation d’un logement telle que calculée par un DPE soit égale à sa consommation réelle. En revanche, les deux approches sont complémentaires et, combinées, permettent d’atteindre un niveau d’information essentiel pour orienter les politiques publiques et les actions qui en découlent.
Lier consommation conventionnelle et réelle : une quête méthodologique
Pour dessiner la trajectoire de baisse des consommations d’énergie et d’émissions carbone de la France, connaître et comprendre la consommation réelle – et pas seulement conventionnelle – des logements est néanmoins indispensable. Pour cette raison, depuis plus d’une dizaine d’années, des travaux existent pour établir des liens entre ces deux consommations. Ils sont complétés par des travaux plus récents d’instrumentation de logements rénovés permettant de comprendre plus finement la part respective de chaque usage (chauffage, eau chaude, électricité spécifique…) dans la facture des ménages. Que disent ces études ?
La thèse de Benoit Allibe de 2012 est le travail fondateur. Il met en évidence qu’« à performance thermique donnée d’un logement, on observe un facteur 3 entre les consommations théoriques résultant d’un comportement énergivore et d’un comportement sobre » (i.e. 18°C lors des périodes de présence, chauffage coupé en absences, la nuit et dans une pièce « moins utilisée » du logement, renouvellement d’air réduit de moitié ») (Allibe, 2012 : 144).
L’enquête Phébus (Performance de l’Habitat, Equipements, Besoins et Usages de l’énergie) réalisée par le ministère de l’Ecologie est celle dont l’échantillon est le plus étoffé (2 400 logements ayant fait l’objet d’un DPE par des diagnostiqueurs formés pour appliquer une méthode homogène et dont les factures ont été récoltées) (SDES, 2013) et dont la méthodologie statistique est la plus solide. Elle a été réalisée avant la révision du DPE de 2021, mais cela n’en remet pas en cause les conclusions. Elle montre que les « passoires énergétiques » (étiquettes F et G) ont tendance à consommer moins que leur consommation conventionnelle car leurs occupants adaptent leur comportement à la faible performance thermique du bâti (chauffer seulement certaines pièces, par exemple). A l’inverse, les logements classés B ont tendance à consommer plus que leur consommation conventionnelle. Outre la classe de DPE, les grandes variables permettant d’expliquer la différence entre consommation conventionnelle et réelle sont le type d’énergie de chauffage (les logements chauffés à l’électricité, plus chère que le gaz, ayant tendance à moins consommer par mètre carré pour le chauffage – ce que confirme une étude récente de l’Atelier Parisien d’Urbanisme (2024) z), mais également le revenu du ménage, le type de logement, la période de construction et le nombre d’équipements électriques dans le foyer.
Surestimer la consommation conventionnelle des passoires et sous-estimer celle des logements performants pourrait mener à surestimer les économies d’énergie associées à la rénovation. Pour cette raison, ce phénomène est pris en compte dans les modèles projetant la consommation d’énergie réelle des logements français (modèle RES-IRF utilisé pour la Stratégie Nationale Bas Carbone (CIRED, 2024), modèle ANTONIO utilisé pour les scénarios ADEME Transition(s) 2050 (ADEME, 2022).
Les études qui comparent consommation conventionnelle et réelle s’accordent donc à dire qu’il existe bien une différence entre les deux aux deux extrémités de l’échelle du DPE (sous-consommation réelle des passoires par rapport à leur consommation conventionnelle, consommation réelle plus importante des étiquettes B).
L’étude du Conseil d’Analyse Economique
Ces dernières années, l’ouverture des données (base de données DPE de l’ADEME, données de consommation réelles des distributeurs d’énergie…) permet d’aller plus loin. C’est dans cette mouvance que s’inscrit l’étude du Conseil d’Analyse Economique, publiée en janvier 2024 et dont la méthodologie a été corrigée en juin 2024 suite aux retours d’acteurs du secteur. Elle adopte une méthodologie spécifique pour estimer la consommation réelle d’énergie des ménages, puisqu’elle repose sur une analyse de leurs dépenses.
Ses résultats ne viennent pas contredire les études précédentes. Elle montre notamment que, le revenu joue un rôle clé dans le lien entre consommation conventionnelle et réelle, et, globalement, que la consommation des logements est bien croissante avec leur étiquette DPE. C’est un résultat important, qui conforte la pertinence du DPE pour classer les logements entre eux selon leur performance.
Il est toutefois important de noter que subsiste d’importantes limites méthodologiques de ces travaux :
• Difficulté à apparier étiquette DPE et données de consommation des ménages via l’adresse du logement. 75 % des DPE de l’étude concernent des logements collectifs pour lesquels l’appariement est particulièrement difficile, des logements situés dans un même immeuble pouvant avoir des DPE différents (en fonction de leur orientation, leur étage…). Le risque est donc de rattacher un DPE aux factures d’un autre logement qui a des caractéristiques très différentes et de fausser l’analyse. Des travaux sont en cours pour généraliser dans le DPE la saisie de l’identifiant fiscal du local, qui fait office d’immatriculation du logement, et l’utilisation du Référentiel National des Bâtiments, un identifiant bâtimentaire. Ces dispositifs permettront, à terme, de fiabiliser l’appariement des DPE avec les logements.
• Difficulté à comparer consommation conventionnelle du DPE et facture d’énergie du ménage. En effet, le DPE couvre seulement une partie des usages de l’énergie d’un foyer (chauffage, eau chaude, refroidissement, éclairage, ventilation et auxiliaires de chauffage). Or, la facture englobe aussi toutes les consommations d’électricité dite « spécifique » (électroménager, électronique…), qui peut très fortement varier d’un ménage à l’autre, en fonction du revenu, du nombre de personnes mais aussi des habitudes. L’instrumentation d’un panel de 100 ménages français menés pour l’ADEME, RTE et Enedis montrent qu’elles peuvent varier de 2 000 à 6 000 kWh/logement/an, soit entre 8 et 23% de la consommation d’un ménage (Enertech, 2024).
• Les consommations déduites par l’analyse des relevés de compte bancaire ne sont pas « réelles » mais déduites d’un modèle mis en place par le CAE qui a un faible pouvoir explicatif (coefficient de détermination (R²) de 0,31 lors de la première parution, et qui est passé à 0,41 après correction méthodologique), ce qui signifie que seulement 41 % de la variabilité des données est expliquée par le modèle de régression linéaire, laissant une part importante de la variabilité inexpliquée) et n’a pas été calibré sur une observation de logements réels.
• Le travail n’intègre aucune correction climatique, or les années 2022-2023 ont pourtant été les plus chaudes en France jamais enregistrées d’après Météo France.
• Lors de la première parution, le rapport jonglait entre les étiquettes DPE et les étiquettes énergie du DPE (c’est-à-dire la seule partie « énergie » du DPE, qui, depuis 2021, comporte un volet énergie et un volet carbone). La revue méthodologique n’indique pas si ce biais a été corrigé.
D’autres approches pour étudier les consommations réelles
D’autres approches existent pour étudier les consommations réelles, et notamment, les suivis instrumentés de bâtiment. Les instrumentations récentes de rénovation montrent qu’en maison individuelle, les maisons rénovées BBC (équivalent désormais des étiquettes A et B du DPE) atteignent réellement les baisses de consommation attendues, sans effet rebond, à condition que les ménages soient accompagnés dans leur démarche (Enertech, 2021). En effet, une rénovation globale requiert des compétences bien spécifiques de conception et de suivi des travaux. En logement collectif, les résultats montrent qu’il est encore nécessaire d’améliorer des aspects techniques des rénovations (dimensionnement, régulation du chauffage…) pour leur permettre d’atteindre les niveaux de consommation escomptés (Rénovons collectif, 2024).
Ces études sont particulièrement importantes car en menant des instrumentations fines de tous les équipements et un suivi du comportement réel des occupants, elles s’affranchissent des limites méthodologiques des études statistiques réalisées sur de grands échantillons mais empreintes de fortes incertitudes.
Les perspectives pour l’action publique
L’analyse de ces études nous permet de constater que les calculs des consommations réelles et conventionnelles ont des objectifs différents, complémentaires, et que ces deux approches appuient l’importance de rénover massivement le parc de logement, et ceux pour plusieurs raisons :
• La consommation conventionnelle permet de comparer des logements entre eux et de cibler correctement les fragilités de l’enveloppe et les situations d’inconfort, alors que la consommation réelle donne une vision fine du comportement des ménages. Ces deux notions vont de pair pour réduire les dépenses énergétiques et les émissions de GES. Le décalage entre consommation conventionnelle et réelle met en exergue qu’au-delà de travailler sur la performance intrinsèque du bâti et sa mesure, des politiques publiques ayant pour objet la manière dont les ménages occupent leur logement (capacité à régler ou non la température de consigne via des thermostats, par exemple) sont indispensables. Les sous-consommations des étiquettes les moins performantes peuvent également cacher des situations d’inconfort et de précarité énergétique que seule une rénovation peut traiter. En 2023, 79% des ménages français ont restreint leur consommation de chauffage pour limiter leur facture (Médiateur national de l’énergie, 2023), en hausse de 10 points par rapport à 2022.
• Toutes les modélisations prospectives existantes (qui intègrent ces connaissances sur le décalage entre consommation conventionnelle et réelle) concluent à la nécessité d’une rénovation d’ampleur du parc de logements. Pour répondre aux objectifs climatiques à l’horizon 2050 (neutralité carbone, Stratégie Nationale Bas Carbone 2), le parc de logements devrait être constitué de 80 à 90% de logements atteignant les étiquettes A et B, contre 6% aujourd’hui (ADEME, 2024). En effet, dans un contexte d’électrification croissante d’usages reposant aujourd’hui sur des énergies fossiles fortement contributrices au changement climatique (mobilité, industrie, chauffage des bâtiments) « la maîtrise de la demande en énergie est indispensable pour atteindre les nouvelles ambitions en matière de décarbonation et de souveraineté énergétique et industrielle. […] Miser uniquement sur le renforcement de l’appareil de production bas-carbone présenterait en effet un risque trop important, dans un contexte où les nouveaux usages de l’électricité doivent se concrétiser mais où le développement de la production d’électricité bas-carbone fait face à des contraintes industrielles et des délais d’implantation longs » (RTE, 2023).
Bibliographie
ADEME (2022), Modèle ANTONIO (trANsiTiON ecologIque des lOgements), Notice technique
Allibe, Benoit (2012), Modélisation des consommations d’énergie du secteur résidentiel français : amélioration du réalisme comportemental et scénarios volontaristes, thèse de doctorat en Économie de l’environnement, EHESS
Atelier Parisien d’Urbanisme (2024), Consommations réelles d’énergie des logements parisiens
CIRED (2024), https://www.centre-cired.fr/res-irf/
Conseil d’Analyse Economique (2024), Performance énergétique du logement et consommation d’énergie : les enseignements des données bancaires
SDES (2013), Enquête Performance de l’Habitat, Équipements, Besoins et Usages de l’énergie (Phébus)
Enertech (2021), Perf in mind : rénovation performante de maisons individuelles. Analyse multicritère énergie, confort, santé, satisfaction, coût
Enertech (2024), Panel Elecdom. Panel usages électrodomestiques. Année 4, Mise à disposition de données de consommations électrodomestiques précises, fiables et actualisées annuellement
Rénovons collectif, Ile de France Energies, Enertech (2023), Etude sur la performance énergétique des copropriétés rénovées