Livret A (circuit du)

Les Livrets A des banques et les livrets Bleu du Crédit Mutuel, ainsi que les livrets de développement durable, constituent une forme d’épargne réglementée dont une partie est centralisée. Une partie de ces dépôts centralisés est prêtée aux organismes HLM pour la construction de logements sociaux et pour les actions menées dans le cadre de la politique de la ville. Cela constitue donc un circuit spécialisé de financement du logement. Dans son principe général, les dépôts sur les livrets A servent donc à financer le logement social. En réalité, le système est plus complexe.

Les dépôts

Les dépôts sur ces livrets font l’objet d’une réglementation concernant la détention (pas plus d’un livret A par personne), le montant maximal de dépôts (22950 €) et le taux de rémunération de cette épargne (1% depuis août 2014). Ces livrets sont totalement exonérés de prélèvements sociaux et fiscaux. A la fin 2013, à peu près tout le monde (63 millions de personnes) détient un livret pour un montant moyen de  4100 €. L’ensemble des dépôts des Livrets A des personnes physiques représente 266 milliards € (Observatoire de l’épargne réglementée 2014). Mais la répartition des dépôts entre les épargnants est très inégale. Les livrets de montant supérieur à 15300 € représentent 11,7% des livrets mais 58,3% des dépôts. A l’autre extrémité, les livrets de montant inférieur à 1500 € représentent 63,9% des livrets mais 3,3% des dépôts. L’encours total des livrets A (personnes physiques et personnes morales) et des livrets de développement durable représente 367 milliards €.
Une partie de l’épargne réglementée est centralisée au Fonds d’épargne de la Caisse des dépôts et consignations, qui est un établissement public. Une partie de cette part centralisée est prêtée aux organismes HLM. D’où trois utilisations : celle des dépôts restant dans les banques collectrices (41% des encours fin 2013), celle centralisée mais non prêtée (22% des encours), et la part prêtée aux organismes HLM (37% des encours). La répartition entre ces trois utilisations est soumise à des contraintes légales mais obéit aussi aux logiques d’épargne et de demande de prêts.

Les emplois directs par les établissements bancaires

Les établissements bancaires conservent une part significative des dépôts, un peu moins de 150 milliards €. Les emplois possibles de cette part non centralisée sont définis de manière limitative par le Code monétaire et financier (article L221‑5). Il s’agit du financement des petites et moyennes entreprises et du financement des travaux d’économie d’énergie dans les bâtiments anciens.  En réalité ces dépôts viennent s’ajouter aux autres dépôts de la clientèle pour constituer l’ensemble des ressources qui servent à financer les prêts à la clientèle, c’est-à-dire les particuliers et les PME. Autant dire que les obligations d’emploi sont peu contraignantes. En ce qui concerne  les prêts aux PME, leur encours dépasse très largement la part non centralisée des dépôts des livrets A. Quant à l’utilisation pour les travaux d’économie d’énergie par les ménages, l’Observatoire de l’épargne réglementé reconnaît que les statistiques tenues par les établissements de crédit ne permettent pas d’identifier clairement les prêts destinés à ces travaux.
Les livrets A ne constituent qu’une des ressources des banques. Les prêts aux ménages pour l’habitat représentent près de 900 milliards €. Les livrets A et les livrets de développement durable représentent donc moins de 17% des ressources des banques pour les prêts au logement. En outre, ils ne constituent pas la seule utilisation de cette ressource. Du point de vue du coût, l’épargne réglementée constitue une ressource plutôt bon marché pour les banques, mais elles sont totalement libres de la fixation des taux des prêts.

Les opérations de marché de la Caisse des dépôts

Une partie de l’épargne centralisée n’est pas prêtée aux organismes de logement social et à la politique de la ville mais est conservée par le Fonds d’épargne. Cet emploi répond d’abord à des obligations légales qui se justifient par des principes prudentiels. En effet, les dépôts sur les livrets A et LDD peuvent être retirés à vue. Les prêts  aux organismes HLM sont des prêts à long terme. La Caisse des dépôts effectue donc ce qu’on appelle de la « transformation » de ressources « courtes » en prêts longs. Cette transformation présente un risque. Pour s’en prémunir le Fonds d’épargne doit garder un montant significatif de la part centralisée pour pouvoir faire face aux retraits des épargnants. Ce risque est également couvert par l’Etat qui est le garant ultime en cas de difficulté. Par ailleurs la demande de prêts est censée répondre positivement à une baisse des taux, tandis que les dépôts sont censés y répondre négativement. La gestion du taux des livrets est donc aussi un moyen d’équilibrer les prêts et les dépôts. Actuellement les dépôts excèdent très largement la demande de prêts HLM ce qui a conduit les pouvoirs publics à réduire le taux de centralisation en 2013 de 65% à 59,5%.
Que fait la Caisse des dépôts avec la part centralisée non prêtée ? Elle procède à ce qu’on appelle des opérations de marché. Plus familièrement, on dirait que la Caisse des dépôts spécule avec l’argent des épargnants. Naturellement elle opère prudemment, en ce sens que l’essentiel de ses placements sont des produits de taux, notamment des obligations représentatives d’emprunts d’état, dont celles de l’état français mais pas seulement. Mais, même avec des produits de taux on peut connaître des pertes. Ainsi dans son rapport 2011, le fonds d’épargne a inscrit une décote de 450 millions € sur la dette grecque. En moyenne la spéculation rapporte, mais pas tout le temps. C’est la rémunération du risque. Cette rémunération permet au fonds d’épargne de prêter à prix coûtant, c’est-à-dire au taux servi aux épargnants plus celui servi aux banques pour couvrir le coût de collecte,  0,5%. Il permet même de prêter à perte sur certains types de prêts. Les gains sur les opérations de marché permettent également de couvrir les coûts de gestion par la Caisse.
L’existence d’un gain sur les opérations de marché permet aussi à l’Etat d’effectuer des prélèvements fiscaux.  On peut débattre si le prélèvement par l’Etat de l’excédent du fonds d’épargne est de droit ou une rémunération de sa garantie (cf. rapport Noyer Nasse 2003). Quoiqu’il en soit, comme le résultat financier du Fonds d’épargne résulte de placements risqués, il ne permet pas toujours un prélèvement. Ainsi les résultats de 2012 et 2013 n’ont pas permis de prélèvement. Quand il y a prélèvement, l’Etat reprend sur les bénéfices des opérations de marché ce qu’il abandonne en défiscalisant les dépôts, à ceci près que le prélèvement va à l’encontre du principe de progressivité de l’impôt sur les revenus.

Les prêts aux organismes HLM

Le circuit des livrets A et LDD a été utilisé depuis plus de 100 ans pour alimenter les prêts au secteur locatif social. Ces prêts représentent 137 milliards € d’encours, c’est-à-dire un peu moins des deux tiers des montants centralisés. Les taux auxquels empruntent les organismes HLM sont directement liés au taux servis sur les livrets. Il s’agit donc de prêts à taux variables. Ces taux variables peuvent ou doivent impacter les loyers du fait du mode de détermination des loyers HLM. Les loyers des logements neufs sont fixés sur la base d’un loyer d’équilibre déterminé par la règle de la trésorerie cumulée non négative. Cette règle signifie que les loyers cumulés dans le temps doivent toujours permettre de faire face aux échéances des annuités cumulées. Le loyer d’équilibre fait ensuite l’objet d’une péréquation avec les loyers des autres logements du parc du bailleur. Par conséquent, les variations de loyer doivent répondre aux variations de taux des prêts.  Mais ces variations sont également encadrées par la loi. Depuis 2011 elles sont soumises aux mêmes règles d’indexation que les loyers du secteur privé, c’est-à-dire l’indexation sur l’IRL, l’indice de référence des loyers. Dans les faits, depuis 1984, l’indice des loyers du secteur privé est passé de 100 à 231, quand celui des loyers du secteur HLM passait de 100 à 232,2. Les évolutions sur le long terme des secteurs libre et social sont donc très semblables. A court terme de légères disparités peuvent apparaître.

 Didier Cornuel
Mars 2015

 Bibliographie

Caisse des dépôts et consignations, « Rapport annuel du fonds d’épargne 2013 » http://www.caissedesdepots.fr/fileadmin/PDF/rapports_annuels/2013/rapport_fondsepargne_2013.pdf

Noyer C., Ph Nasse, 2003, « Rapport sur l’équilibre des fonds d’épargne », http://www.ladocumentationfrancaise.fr/docfra/rapport_telechargement/var/storage/rapports-publics/034000058/0000.pdf  .

Observatoire de l’épargne réglementée, 2014, « Rapport annuel de l’observatoire de l’épargne réglementée ». L’observatoire est une instance publique portée par la Banque de France ; https://www.banque-france.fr/publications/publications/observatoire-de-lepargne-reglementee.html

Financement du logement, aide à la pierre, « Le logement social », Caisse des dépôts

Auteur/autrice

  • Didier Cornuel

    Didier Cornuel est professeur émérite d’économie à l’Université de Lille, laboratoire LEM. Il est docteur en économie et en sociologie. Il travaille depuis plus de 40 ans sur le logement, sujet sur lequel il a réalisé plus d’une centaine de travaux. Il a publié en 2013 « Economie immobilière et des politiques du logement » aux éditions De Boeck. Il tient un blog, www.economieimmobiliere.com