Introduction : L’hébergement : une notion simple, des pratiques complexes et diversifiées
Dans le sens courant, le verbe héberger, qui a la même étymologie que le mot auberge, signifie « loger quelqu’un chez soi ». A l’inverse, donc, est hébergé celui qui loge chez autrui. Outre qu’elle oblige nécessairement deux parties, l’hébergeant et l’hébergé, cette offre de logement est en principe temporaire. « Notre petit château espère toujours d’avoir l’honneur de vous héberger, quand vous prendrez le chemin de la France » (Voltaire)[1] : ici, il n’est question que d’hospitalité passagère, qui engage fortement les deux parties dans un échange social codifié. Mais il est des hébergements plus modestes, voire induits par la nécessité : le pauvre hébergé dans un asile, le migrant hébergé par un compatriote, dont on dit encore qu’il est hébergé s’il occupe une chambre dans un foyer pour travailleurs, le jeune hébergé par ses parents. Si la question de l’hospitalité demeure sous-jacente, entraînant des rapports sociaux structurants mais inégaux[2], on trouve sous ce même terme des réalités fort diverses, que l’on pense aux centres d’hébergement s’adressant à des catégories de personnes précises (personnes âgées, personnes sans logement, femmes victimes de violence conjugale, réfugiés, mineurs placés etc.) ou à l’hébergement, par des particuliers, de personnes qui ne peuvent ou ne veulent accéder à un logement autonome.
Tous ces hébergements-là sont-ils de même nature ? Derrière l’apparente simplicité de la définition se cachent donc, en réalité, de redoutables problèmes de description et de quantification du phénomène. Laissant de côté ce qui renvoie à l’hospitalité passagère, cet article tentera de décrire les dispositifs publics et privés qui permettent de loger des personnes qui ne disposent pas d’un logement en propre. Dans cette acception, qui est aujourd’hui la plus commune, l’hébergement, c’est le logement sous contrôle de l’hébergeant (et parfois des autorités de police), dans une relation contractuelle, bien que fortement inégale, qui renvoie à des coutumes, à des lois, à des règles institutionnelles, ou encore à des arrangements privés et à des règlements internes plus ou moins formalisés.
De tous temps, des institutions, qu’elles soient dues à l’initiative ecclésiastique ou séculière, caritative ou étatique, privée ou publique, se sont efforcées d’offrir un abri, voire un logement durable, à ceux qui n’en avaient pas. Entre hospitalité et assistance, les dispositifs naissent, se développent, dépérissent ou se transforment, selon des normes qui varient au cours de l’histoire. Le plus efficace est peut-être de distinguer d’emblée deux grands types d’hébergement, ceux qui sont consentis par un particulier et ceux dont l’offre procède d’une institution.
1 – Les mille et un visages de l’hébergement privé
Hébergement consenti et hébergement contraint
Il semble pertinent, bien que délicat, de distinguer, parmi les personnes hébergées par des tiers, les situations qui relèvent de la contrainte et celles qui relèvent d’un arrangement consenti. À partir de l’Enquête Nationale sur le Logement et du recensement, on peut repérer, à partir de critères d’âge et d’activité professionnelle, les personnes de référence et les personnes hébergées. D’une manière générale, on peut retenir que l’hébergé doit être adulte (plus de 18 ans), qu’il ne doit pas être l’occupant en titre du logement mais qu’il doit cohabiter avec celui-ci et, (lorsqu’on dispose de données longitudinales), que son séjour est d’une certaine durée (3 mois). Avec l’activité, on peut y adjoindre le critère de dépendance matérielle.
D’après les chiffres donnés par la Fondation Abbé Pierre pour le logement des personnes défavorisées[3], quelques 643 000 personnes seraient contraintes à l’hébergement chez un tiers, faute de solution de logement adaptée à leurs besoins. Ce groupe comprend un noyau dur (personnes de 17 à 59 ans hébergées par des personnes sans lien de parenté direct, qui n’ont pas les moyens de décohabiter (environ 30 000) ainsi que les plus de 25 ans contraints, après une période de logement autonome, de revenir habiter chez leurs parents ou grands-parents faute de logement autonome (soit 338 000 enfants de plus de 25 ans en 2013). Ce phénomène a connu un accroissement de 20% au cours de la dernière décennie. « Fait nouveau et préoccupant, il y a aussi, désormais, 1,5 million de jeunes travailleurs que la cherté des loyers et la précarité de l’emploi bloquent dans leur projet de décohabitation »[4]. Enfin, sont incluses dans cet ensemble d’hébergés contraints » les personnes de plus de 60 ans qui vivent chez un tiers sans lien de parenté direct suite à une rupture familiale, un deuil, des difficultés financières ou de santé (environ 50 000). À ce périmètre sont ajoutés les enfants non-étudiants de plus de 25 ans chez leurs parents qui n’ont encore jamais décohabité, souhaiteraient le faire mais n’en ont pas les moyens. [5]
De la diversité des formes de ménages
Dans l’Europe moderne, on avait l’habitude d’envoyer les adolescents en placement pour quelque temps dans une autre maison ; ils faisaient alors « partie de la famille », tous comme les domestiques au 19ème siècle. Aujourd’hui encore, toutes les personnes qui vivent sous le même toit, qu’elles soient ou non apparentées, constituent un ménage[6]. Mais comment départager celles qui en sont membres à part entière, et celles qui ne le sont pas ? Quelques exemples suffisent à montrer le caractère subjectif des choix, car même les idées communément partagées sur la famille aujourd’hui en France ne permettent pas toujours de faire la part des choses : une nièce logée chez sa tante pendant la durée de ses études se sait sans doute hébergée par une tante hébergeuse, qui fournira éventuellement un certificat d’hébergement[7] mais dans le cas où cohabitent un petit fils actif et une grand-mère inactive, mais titulaire du bail de location, qui héberge qui ? La question peut aussi bien se poser au sein d’un couple ou entre parents et enfants : lorsqu’un seul des deux conjoints est en possession d’un titre d’occupation (ou d’un emploi), lequel héberge l’autre ? À quel âge l’enfant passe-t-il du statut d’enfant du ménage à celui d’hébergé ?
Stocks et flux d’hébergés
L’analyse de l’évolution des pratiques d’hébergement en est encore à ses débuts, mais quelques travaux[8] montrent l’importance du phénomène pour peu que l’on observe les situations résidentielles successives au cours de la vie des individus : dans les générations nées entre 1926 et 1950 et habitant en région parisienne en 1986, près de 40% des enquêtés ont commencé leur « parcours-logement » par ce type de prise en charge. Notre propre enquête auprès de jeunes parisiens et londoniens en situation d’hébergement[9] montre que les arrangements qui se construisent pour le temps de ce type de cohabitation sont aussi des façons de socialisation, et ne comportent pas, moins s’en faut, seulement des contraintes. L’hébergement peut constituer une ressource de part et d’autre : chambre tranquille et bien située contre compagnie, petites courses ou baby-sitting occasionnel, sans compter le bénéfice symbolique d’accueillir ou d’être accueilli dans un système d’échanges qui peut aller au-delà des personnes momentanément concernées.
Saisis « en stock » de manière détaillée par l’Enquête Logement de 1996, les hébergés, qui apparaissent relativement nombreux, sont en moyenne jeunes, plus souvent hommes que femmes et peu diplômés : « on peut estimer à 192 000 le nombre des individus de 17 à 60 ans qui sont hébergés dans un ménage sans être des descendants ni des ascendants de la personne de référence ou du conjoint. Si on enlève les étudiants, il reste 120 000 personnes, dont 80 000 seraient en situation d’hébergement contraint. 6 sur 10 sont des hommes, la moitié a moins de 30 ans, presque la moitié est sans diplôme ». On remarque au passage la difficulté de chiffrer le phénomène[10]. Par ailleurs, 2,7 millions d’enfants non étudiants de plus de 18 ans et de moins de 40 ans cohabitent avec leurs parents. L’augmentation des situations d’hébergement dans les familles découle donc à la fois du retard à la première décohabitation des jeunes et de la montée de la précarité. Dans ce sens, il n’est pas absurde de considérer que les occupants d’un hôtel meublé ou d’un garni, bien qu’ils ne cohabitent pas stricto sensu avec leur bailleur, et bien qu’ils jouissent d’une relative autonomie résidentielle dans le cadre d’un contrat (droit au bail d’un an similaire à ce qui régit la location meublée, voir entrée « location meublée »), sont aussi des hébergés. Ils sont aujourd’hui environ 38 000 à vivre à l’année dans des chambres d’hôtel.
On voit donc que, si les flux d’hébergés sont alimentés par les évolutions économiques, sociales, migratoires qui fragilisent et contraignent à recourir à des solutions considérées « par défaut » eu égard à la norme d’indépendance résidentielle, des rationalités différentes président à ces situations. Si l’on voulait distinguer les hébergés selon le statut, on trouverait aussi toutes les situations ou presque : hôte de passage plus ou moins installé, résident contractuel, client, pensionnaire, locataire ou colocataire.
Cependant, le groupe des personnes hébergées comprend aussi, en dehors de ceux qui prennent place dans un ménage, les personnes « vivant en communautés » ou encore en « ménages collectifs ». Celles-ci regroupent, dans une catégorie unique de la statistique nationale, toutes les personnes vivant dans un établissement recevant des financements publics. Cette part de l’offre d’hébergement est très sensible aux conjonctures économiques et politiques successives. La part d’hébergement d’urgence dans l’ensemble est réduite, mais la dimension cruciale qu’elle a acquise depuis deux décennies la place souvent sur le devant de la scène.
2 – Les différentes formes de l’hébergement institutionnel
Dans les catégories officielles, sont donc considérées comme hébergées les personnes qui disposent d’un logement à titre contractuel. On trouve dans cette catégorie la plupart des « ménages collectifs » du recensement : les étudiants logés dans les cités universitaires, les travailleurs logés en foyers, les personnes âgées dans les maisons de retraite, les pensionnaires en long séjour des hôpitaux, les occupants des Centres d’Hébergement et de Réinsertion Sociale. L’histoire récente de ces offres d’hébergement éclaire la situation actuelle, caractérisée par la montée des précarités et de l’hébergement d’urgence, par la tentative de refonte du droit d’asile devant la nouvelle donne migratoire, et une affirmation paradoxale du droit au logement et à la mise à l’abri. Notons que ces nouveaux défis ne concernant pas uniquement la France. Face à l’afflux de migrants qui fuient les conflits et les persécutions, la Commission européenne a admis que les modalités du droit d’asile dans l’UE étaient devenues inadaptées.
Les politiques publiques de logement ont profondément changé leurs orientations depuis la fin des années 1950, où elles étaient centrées sur la production d’une offre massive, publique comme privée. Dans les deux décennies suivantes, l’amélioration de l’habitat ordinaire d’une part, et les mesures spécifiques adressées à certaines populations en situation précaire en modifient la cible. A partir de la fin des années 1980, les politiques publiques, tant sociales que de logement, contribuent à la constitution d’un « volet social de la politique du logement centré sur les personnes défavorisées », dont les effets prévisibles en termes de droit commun amènent des interrogations, voire des inquiétudes quant à la fragilisation d’un droit au logement universel[11].
Des années 1960 à 1999
L’hébergement social s’inscrit dans un cadre administratif et budgétaire unique construit par la loi de 1953 qui crée l’aide sociale à l’hébergement et les centres d’hébergement et de réadaptation sociale (CHRS). La loi de 1974 élargit de façon substantielle la définition du public qui peut y prétendre. Avec la progression du chômage et les nouvelles politiques migratoires, le début des années 80 est marqué par la montée des précarités, l’émergence d’un débat sur les « nouveaux pauvres » et le « regroupement familial ». En 1986, Coluche lance les Restos du cœur. C’est pendant cette période que s’impose l’expression de « sans domicile fixe », succédant à « vagabond » ou « clochard », tandis que les immigrés commencent à accéder aux HLM en famille. Face à la pauvreté, de plus en plus perçue comme un phénomène global, la loi instituant le RMI est votée et mise en application en 1988. Pour répondre aux situations de détresse, un dispositif d’hébergement d’urgence organisé par les pouvoir publics s’impose. Les années 1990 sont marquées par une structuration progressive des réponses publiques à l’urgence sociale. Les PDALPD[12] sont institués en 1990, l’ALT[13] en 1991. L’année suivante est celle de la création du Haut Comité pour le logement des personnes défavorisées. Des dispositifs spécifiques et l’adoption d’une série de lois redessinent donc le cadre de l’hébergement des personnes défavorisées. Les formes d’hébergement « historiques », de type foyers, font l’objet d’une refonte de leur statut et d’une rénovation de leur bâti dans le cadre de la création des résidences sociales en 1994, qui est aussi l’année de création d’un SAMU social dans les plus grandes villes de France. Le Haut Comité se prononcera en 1996 pour « l’élaboration d’une loi de programmation pluriannuelle prévoyant la réalisation de 40 000 logements d’insertion par an ». Le principe de « solidarité nationale » s’impose. A côté, voire au détriment de politiques universalistes de logement, et du droit au logement qui s’en verraient fragilisées, l’hébergement étant une forme dérogatoire, voire dégradée, d’un droit qui s’est imposé déjà dans la loi ? La question est posée, nous l’avons vu, et rebondit après la promulgation, le 29 juillet 1998, de la loi n° 98-657 d’orientation relative à la lutte contre les exclusions, suivie de la loi SRU (Solidarité et renouvellement urbain), promulguée le 13 décembre 2000. Il convient aussi de prendre en compte le développement plus récent du droit au logement opposable, qui se décline aussi en « droit à l’hébergement », et dont les effets peuvent être considérés comme paradoxaux : renforcement du droit individuel, mais aussi creusement des écarts entre les ayant-droit selon leur situation, leur capital social et le territoire où la demande est enregistrée.
Globalement, les hébergés via des dispositifs publics sont en augmentation : ils sont passés d’environ 700 000 dans les années 1960 à près de 1,3 million en 1999. Si, dans la période qui va de la fin des années 1960 au milieu des années 1970 l’offre institutionnelle connaît une forte augmentation (foyers de travailleurs et cités universitaires), à partir de la décennie 1980, des changements apparaissent : l’offre institutionnelle se diversifie, sa composante « personnes logées en foyers » a tendance à se tasser tandis que sa composante « étudiants logés en cités universitaires » augmente sensiblement, ainsi que les personnes âgées logées dans les maisons de retraite. On voit apparaître un nouveau type d’institutions, les CHRS, qui augmentent leur nombre de lits entre 1990 et 1999. D’autres types comptabilisés dans les hébergements collectif, mais non identifiés dans le détail par le recensement, méritent d’être signalés, non du fait de leur poids numérique mais à cause de leur importance dans le dispositif d’accueil, d’assistance et de solidarité : ce sont par exemple les CADA (Centres d’Accueil pour les Demandeurs d’Asile) et les CPH (Centres Provisoires d’hébergement pour les réfugiés statutaires), les foyers d’hébergement éducatif de la Protection Judiciaire de la Jeunesse, les établissements maternels réservés aux femmes enceintes et aux mères isolées, les centres d’hébergement pour personnes et familles en difficulté, les établissements d’accueil qui hébergent des personnes handicapées : au total, au recensement de 1999, 920 000 personnes sont concernées.
La recomposition du champ des politiques d’hébergement de 2000 à nos jours
Aujourd’hui, le total des personnes hébergées dans des structures institutionnelles s’élève à 1 620 334 personnes[14] La plus grande partie se compose de celles qui vivent en maisons de retraite (488 623 personnes) en internat (427 064 personnes), et en « autre établissement sanitaire ou social de moyen et long séjour », dont les résidences sociales[15] : 304 756 personnes. Les résidents en foyer de travailleurs sont 137 389, et ceux qui habitent les cités universitaires un peu moins de 100 000. Quant aux établissements sociaux de courts séjours, ils accueillent environ 8 000 personnes.[16]
Une offre inflationniste mais limitée : les nouvelles politiques d’accueil
D’une manière générale, l’offre institutionnelle, qui s’est étoffée pour l’hébergement d’urgence et des personnes âgées, et qui se cherche au travers de mutations comme celles que connaissent les foyers (transformés en Résidences sociales), connaît donc une forte augmentation. Cependant, cette croissance semble largement insuffisante au regard des besoins nouveaux liés aux évolutions démographiques et sociales. L’augmentation de l’offre d’hébergement ne comble certainement pas la diminution drastique du parc locatif accessible et bon marché. Car l’augmentation des situations d’hébergement peut aussi se lire comme l’expression d’une demande insatisfaite d’un certain type de logement, soit aux standards de confort réduits mais aux loyers abordables (loyers loi 1948, parc de logements dits « social de fait »), soit le logement social financé par le PLAI[17]. L’hiver 2006-2007 a vu l’installation des Enfants de Don Quichotte sur les berges du canal Saint-Martin à Paris. Médiatisée et populaire, cette action a débouché sur de nouvelles dispositions, et sur la loi dite DALO (Droit au logement opposable) du 5 mars 2007, qui prévoir, dans son article 4, la continuité de la prise en charge : une personne hébergée dans un centre d’hébergement d’urgence doit pouvoir y rester tant qu’une solution durable ne lui est pas proposée. Le rapport du député Etienne Pinte sur l’hébergement d’urgence conduit le premier ministre de l’époque, François Fillon, à déclarer l’hébergement d’urgence et l’accès au logement « grand chantier national prioritaire 2008-2012″. Un nouveau « programme d’actions renforcé pour les sans-abri » (PARSA) va modifier le volet « hébergement » du traitement de l’urgence sociale : il étend les horaires d’ouverture des centres d’hébergement, prévoit la création de 9000 places en maisons-relais, mais, selon des témoignages issus du monde du travail social, il annonce de nouvelles embolies dans un dispositif déjà saturé. En février 2008, Alain Régnier est nommé préfet délégué général à la coordination de l’hébergement et de l’accès au logement des SDF et des mal-logés (DIHAL).
Depuis, les feux de l’actualité sont passés des camps plus ou moins éphémères où s’installent des familles Roms dans les interstices de la ville, à l’arrivée de nombreux exilés dans le sillon des guerres et des persécutions en Afrique et au Moyen Orient (Côte d’Ivoire, Soudan, Algérie, Somalie, Erythrée, Afghanistan, Irak, Syrie). Reste que le principal pourvoyeur de situations d’hébergement contraint, que ce soit chez un tiers (privé) ou via un dispositif institutionnalisé, c’est d’un côté le vieillissement, de l’autre la crise de l’emploi qui génère une pauvreté que beaucoup d’observateurs disent en augmentation, crise qui s’ajoute à la cherté des loyers. Sur la base de lois visant à les encourager, des initiatives se développent, entre privé et public, mais elles ne sont pas à la hauteur des besoins.
Refonte de la politique d’asile
Les conditions d’accueil et d’accompagnement en CADA sont largement insuffisantes : malgré la hausse du nombre de places ces dernières années, passé de 21 410 à 25 410 entre 2012 et 2014, seulement 36 % des demandeurs d’asile y accèdent[18]. En 2013 déjà, le système d’asile apparaît à bout de souffle : les conditions d’accueil des demandeurs d’asile sont mauvaises, l’allongement des délais de traitement des demandes d’asile porte préjudice aux demandeurs et contribue, dans le même temps, à la saturation des capacités d’hébergement. Une concertation est demandée par le gouvernement, à l’issue de laquelle il présente une réforme de l’asile en France, entérinée par la loi du 29 juillet 2015, qui transpose dans le droit français les directives européennes de 2013 et notamment le RAEC, (Régime d’asile européen commun), qui intègre le très discuté règlement[19] de Dublin. La loi permet l’« orientation directive » des demandeurs d’asile et des réfugiés vers des hébergements répartis sur tout le territoire. Des dispositifs d’hébergement chez un tiers sont mis en place par certains conseils départementaux pour les mineurs étrangers isolés, mais pour le moment, aucune évaluation des résultats n’est en vue.
La montée en puissance des associations : l’hébergement, terrain d’expérimentation de nouvelle gouvernance
Sur le territoire national comme au niveau international, les associations sont devenues, au cours des dernières décennies, des partenaires indispensables des politiques publiques. Les enjeux financiers autour de l’hébergement et de l’accompagnement social sont de nature à créer un espace de concurrence entre les différents acteurs intervenant dans un champ qui englobe aujourd’hui le secteur dit humanitaire.
Les changements récents dans les politiques d’hébergement révèlent de fortes tensions entre le droit qui progresse et sa difficultueuse mise en œuvre[20]. Prévu par le Code de l’action sociale et de la famille pour toute personne se trouvant dans le dénuement, en particulier les femmes et les enfants mineurs, l’hébergement est devenu un droit inconditionnel, ouvert à tous y compris aux personnes en situation irrégulière. A cette inconditionnalité de l’hébergement s’ajoute un nouveau paradigme, celui du « logement d’abord » (Housing First). Mis au point aux Etats-Unis avec une attention particulière aux questions de santé mentale, ce programme a été adapté dans différents contextes nationaux européens. En France, les expérimentations montrent l’importance – et la difficulté – d’une bonne coopération entre des acteurs aux connaissances et aux cultures professionnelles éloignées, sans compter le voisinage (community), un acteur collectif que les pratiques anglo-saxonnes ont davantage l’habitude de prendre en considération.
L’ambition de créer un véritable service public de l’hébergement, appuyé sur le savoir-faire d’un tissu associatif diversifié et dense, a été affichée. L’hétérogénéité de ce secteur, et sa position de délégataire de mission de service public, est à la fois un atout et une difficulté : atout de par la connaissance fine, de plus en plus professionnalisée, des actions à mener ; difficulté du fait de la concurrence et d’héritages professionnels, culturels, idéologiques très différents ; difficultés, enfin, du fait des obstacles à l’évaluation des résultats obtenus grâce à l’argent public consenti. Comme le soulignait le préfet Alain Régnier, le pilotage d’une telle entreprise n’est pas des plus faciles.
Conclusion
Héberger ou être hébergé, réfère originellement à une pratique ponctuelle, codifiée, donnant lieu à des échanges sinon monétaires, en tous cas symboliques. Or, de pratique ancestrale et inscrite dans le cycle de vie au moment de la formation – du séjour de « Life cycle servant » de l’Angleterre moderne à l’internat ou le stage logé d’aujourd’hui – ou encore du grand âge, être hébergé a un contenu qui dépasse le simple fait d’habiter, puisqu’il met nécessairement en relation avec un hôte, l’hébergeur. On a vu que celui-ci est classiquement une personne privée, un ménage, qui accueille, plus ou moins volontiers et pour un temps plus ou moins déterminé, une ou plusieurs personnes, de la parenté ou non, qui logent sous le même toit. Durant des siècles, l’hospitalité religieuse a produit des refuges, asiles, maisons, pensions, avec une volonté plus ou moins autoritaire de moraliser les hébergés – et surtout les hébergées. Or, après « la ville charitable »[21], il semble que nous assistions à l’éclosion de l’Etat hébergeant. Ayant partie liée avec un secteur associatif dont l’envergure a considérablement grandi, l’Etat a produit une politique entre action sociale et logement, appuyée sur des lois et des programmes, génératrice de nouvelles normes d’habiter et de nouveaux rapports sociaux, et dont le nom est hébergement.[22]
Claire Lévy-Vroelant
Septembre 2016
[1] Le Littré, article « héberger »
[2] Voir l’article « hospitalité », et toujours d’Anne Gotman, Le sens de l’hospitalité, PUF, XX
[3] 21ème Rapport sur le mal-logement, Fondation Abbé Pierre pour le logement des personnes défavorisées, 2016, page 177. http://www.fondation-abbe-pierre.fr/sites/default/files/content-files/files/1re_partie_-_annexe_-_les_chiffres_du_mal-logement_-_21e_rapport_2016.pdf
[4] Voir l’article d’Isabelle Rey-Lefebvre, « De plus en plus de jeunes sont contraints de revenir habiter chez leurs parents », Le Monde, 09.12.2015
[5] D’après l’enquête nationale logement 2013, 21ème Rapport sur le mal-logement, 2016, ibidem
[6] Il est vrai que l’INSEE, pour les enquêtes auprès des ménages, a modifié sa définition en 2005. Depuis lors, la définition d’un ménage, au sens des enquêtes auprès des ménages réalisées par l’Insee, a été sensiblement modifiée. Est considéré comme un ménage l’ensemble des personnes (apparentées ou non) qui partagent de manière habituelle un même logement (que celui-ci soit ou non leur résidence principale) et qui ont un budget en commun, http://www.insee.fr/fr/methodes/default.asp?page=definitions/menage-enq-menages.htm
[7] Le certificat d’hébergement, notefai
[8] Voir les travaux notamment de Maryse Marpsat, d’Anne Laferrère, de Catherine Bonvalet et Eva Lelièvre.
[9] Voir Claire Lévy-Vroelant et Hélène Béguin, « Habiter chez autrui : pourquoi et comment ? Trajectoires et expériences de jeunes hébergés en région parisienne », Agora, 2012
[10] Les chiffres donnés par la FAP sont plus élevés, mais il faut dire qu’une décennie a passé : signe d’augmentation du phénomène, ou appréhension différente des chiffres disponibles ?
[11] René Ballain et Elisabeth Maurel, Le logement très social. Extension ou fragilisation du droit au logement ? Editions de l’Aube, Paris, 2002
[12] Plans départementaux d’aide au logement des personnes défavorisées. Ces plans doivent conduire les parties concernées au niveau départemental, à inscrire les besoins et les réponses apportées en termes de logement et d’hébergement.
[13] L’Aide au Logement Temporaire est créée pour fournir des moyens aux associations qui s’investissent dans ce secteur.
[14] Source INSEE, recensement de la population 2009
[15] Le nombre de résident en résidence sociale est de 19 485 personnes, hors foyers de travailleurs migrants et foyers de jeunes travailleurs.
[16] Chiffres mis en forme par la FAP, rapport 2015
[17] Prêt Locatif consenti pour des logements aux prix de revient, et donc de loyers, les moins élevés dans l’ensemble de la gamme des logements sociaux.
[18] Source Portail officiel des Politiques publiques. La politique d’immigration, Droit d’asile et politique migratoire. Dossier mis à jour le 12.04.2016 XX
[19] Ce texte contraint le migrant à voir sa demande d’asile examinée par un seul pays européen, généralement le premier où la demande a été déposée.
[20] Rapport d’évaluation. La politique publique de l’hébergement des personnes sans domiciles. Cour des Comptes, Novembre 2011, 501 pages et annexes.
[21] Catherine Maurer, La ville charitable. Les œuvres sociales catholiques en France et en Allemagne au xixe siècle, Paris, Les Éditions du Cerf, coll. « Histoire religieuse de la France », 2012, 416 p.
[22] Le Plan Urbanisme Construction Architecture du ministère de l’écologie et du logement a organisé un appel à projet en 2009 sous le titre «L’hébergement chez un tiers ». http://www.urbanisme-puca.gouv.fr/IMG/pdf/Ao_heberg_tiers_091009.pdf