La fin du Crédit foncier de France

En prenant la décision de mettre fin à l’existence du Crédit foncier de France, le Conseil de surveillance du groupe BPCE (Banque populaire et Caisse d’épargne) dresse probablement le même constat que de la direction du Trésor, lorsqu’en 2013 elle avait contraint le Crédit immobilier de France à la cessation de ses activités : il n’y a plus de place en France pour des établissements spécialisés dans le crédit au logement pour les ménages. Le talent des équipes, que plusieurs des animateurs de politiquedulogement.com ont eu l’occasion d’apprécier, ne peut rien contre cette situation, et moins aujourd’hui que jamais dans la conjoncture durable des taux bas que nous connaissons.
Les établissements spécialisés peuvent être définis comme ceux qui empruntent en gros sur les marchés obligataires ou de refinancement pour prêter en détail. Leurs concurrents, les banques généralistes, commerciales et mutualistes, adossent les prêts qu’elles consentent aux ménages à des sources diversifiées qui font une large part aux dépôts, aux différentes formes d’obligations et aux produits d’épargne réglementés comme l’épargne-logement.
La disparition du Crédit foncier vient clore un mouvement dont on peut dater l’origine de la fin de l’encadrement du crédit et de la désintermédiation des crédits aux entreprises. Les banques commerciales ont perdu une partie du crédit aux entreprises, celles-ci, du moins les plus grosses d’entre elles, ayant gagné la possibilité de se financer directement sur le marché. Dès lors, les banques ont porté plus d’intérêt aux crédits aux ménages, qu’elles ont disputés aux établissements spécialisés.
Ce mouvement a connu une accélération brutale avec la baisse de l’inflation à partir de 1985, (de 13,4% en 1981 à 2,7% en 1986). Les accédants qui avaient souscrit des prêts à taux constant, mais à mensualités progressives (jusqu’à 8% par an !), risquaient d’être profondément déstabilisés par la stagnation de leurs revenus nominaux. La solution trouvée par le gouvernement de l’époque a consisté à faciliter le refinancement des prêts, c’est-à-dire le remboursement d’un prêt à taux élevé grâce à un nouveau prêt moins coûteux. Les plus modestes, qui n’étaient pas dans la meilleure situation pour jouer de la concurrence entre établissements de crédit, ont également bénéficié d’aides exceptionnelles du 1% logement. Ce mouvement de renégociation a permis aux banques universelles de récupérer une large part de l’encours des spécialisés. Ensuite, la création du PTZ en 1995 a privé le Crédit foncier et le Crédit immobilier du monopole de la distribution des crédits bonifiés par l’Etat, fragilisant leur modèle économique. La baisse des taux, jusqu’à des niveaux inimaginables à cette époque, a réduit l’espace occupé par les établissements spécialisés, celui des prêts à taux variable dont la part s’est amenuisée pour devenir marginale, et les contraintes prudentielles accrues pesant sur les bilans des banques ont fait le reste.
La fermeture du Crédit foncier privera les opérateurs d’un intervenant d’une grande technicité, capable de mettre en place et de gérer des produits complexes, le prêt viager hypothécaire en est un exemple, mais l’offre de crédit aux ménages devrait se reporter vers les autres établissements de crédit, auxquels la Banque postale s’est récemment jointe.
Cet événement intervient alors que les emprunteurs français bénéficient des conditions de crédit les plus avantageuses, de surcroît avec des prêts à taux fixes. La sinistralité est également très faible, presque inexistante à l’aune des pratiques anglo-saxonnes. Le caractère un peu restrictif de l’offre que lui reprochait l’Europe avant la crise de 2008 passe maintenant pour une preuve de sagesse, d’autant plus que l’équilibre des statuts d’occupation fait qu’il n’est pas indispensable d’être propriétaire pour se loger.
Restent deux types de clientèles auxquelles les banques françaises répondent moins bien que les établissements de crédit étrangers : les personnes âgées de plus de 60 ans et surtout les nouveaux profils professionnels, travailleurs indépendants et salariés sans CDI. Or, démographie et évolution du marché du travail montrent que ce sont des catégories dont l’effectif va s’accroître. La technicité du Crédit foncier manquera pour mettre en place de nouveaux produits susceptibles de répondre à leur demande

Bernard Vorms
Juin 2018

Auteur/autrice

  • Bernard Vorms

    Economiste spécialisé dans le domaine du logement, IEP de Paris et DES d’économie politique. Il a dirigé l’ANIL/agence nationale pour l’information sur le logement et présidé la SGFGAS/société de gestion du fond de garantie de l’accession sociale jusqu’à la fin de l’année 2013. Il a présidé le Conseil national de la transaction et de la gestion immobilière de 2014 à 2019. Il a réalisé de nombreux rapports pour le gouvernement et publié des études mettant l’accent sur les comparaisons internationales.

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