Le bail mobilité : un complément utile ou un gadget ?

Imprimer

Dans le champ de la politique de l’habitat, la fin d’année 2018 a été marquée par la promulgation de la dernière grande loi logement en date intitulée loi Élan[1], comprenant un nouveau régime locatif : le bail mobilité.
Le texte comporte de multiples dispositions couvrant de nombreuses facettes touchant à l’immobilier, l’urbanisme et la construction. La partie consacrée à la réforme du logement social a été sans doute la plus médiatisée, même si d’autres mesures plus modestes ont été assez largement discutées, à l’instar du bail mobilité.
Ce dispositif trouve son origine dans un rapport ministériel de 2016[2]. Son principe se résume assez simplement, puisqu’il s’agit de créer un régime locatif meublé de courte durée destiné aux jeunes et aux personnes en mobilité professionnelle au sens large. Ce bail, plus favorable aux bailleurs que le droit commun de la location meublée classique en résidence principale, a pour but de susciter une offre nouvelle.
Pour s’en tenir à l’essentiel, le bail mobilité relève d’un statut locatif spécial et ses principales caractéristiques sont les suivantes :

  • la durée du contrat de bail est de 1 à 10 mois (non renouvelable sauf à conserver une durée totale de 10 mois),
  • le loyer est payable d’avance et comprend un forfait de charges,
  • Le versement d’un dépôt de garantie est prohibé comme toute clause de solidarité entre locataires.

Dernière précision, une location en bail mobilité ne s’analyse pas en une occupation à titre de résidence principale, mais elle correspond à un usage d’habitation, faisant que ce bail est sans incidence en matière de droit de la construction et de l’urbanisme.

Une alternative à la location touristique ?

Concernant l’offre engendrée par le bail mobilité et toujours selon le rapport de 2016, l’apport de logements proviendrait en premier lieu des rangs des loueurs de meublés touristiques (i.e. Airbnb et assimilés).
Pour appréhender le parallèle entre ces deux statuts locatifs, il convient d’indiquer que d’un point de vue juridique, l’encadrement de la location touristique diffère de celui des locations traditionnelles, bail mobilité compris. Ces dernières sont en effet soumises à des statuts locatifs dits d’ordre public – c’est-à-dire s’imposant aux parties au contrat – alors que la location de tourisme reste régie par le Code civil, c’est-à-dire des règles susceptibles d’être aménagées.
Cependant, en parallèle, les meublés touristiques sont soumis à une réglementation provenant du code du tourisme imposant notamment une durée de location maximale de 4 mois par an et une obligation de déclaration en mairie sous peine d’amendes (dans certaines villes). Par ailleurs, il faut également évoquer les obligations provenant du code de la construction se rapportant à un changement d’usage, puisque qu’un logement loué à titre touristique plus de 4 mois par an perd son usage d’habitation étant précisé que le droit de la copropriété peut aussi être source de contraintes[3].

La location touristique de particuliers par Internet

Selon une étude de l’INSEE (INSEE Focus n°133 de novembre 2018), les logements loués en France métropolitaine par des particuliers via des plateformes Internet ont représenté en 2017 31 millions de nuits x logements, dont 17% en Île-de-France. Ce nombre est en forte augmentation (+ 19 %), bien qu’un peu ralentie par rapport à 2016 (+ 25 %). La progression est similaire en Île-de-France et en province.
Le segment de la location par des particuliers via des plateformes Internet représente une part de plus en plus importante de l’offre touristique : cette part a atteint en 2017 13% de l’activité totale des hébergements touristiques marchands et elle est en progression rapide.
En supposant que les logements concernés soient dédiés à la location touristique, les 31 millions de nuits représentent l’équivalent de 85 000 logements loués à plein temps, soit environ 1,2% du parc locatif privé. Cette part est identique en province et en Île-de-France. Elle est toutefois probablement supérieure à Paris et notamment dans les arrondissements centraux, mais l’étude de l’INSEE ne fournit pas de chiffres dans ce niveau de détail.
En réalité, cette présentation est fallacieuse car la fréquentation est très saisonnière : 46% des locations de particuliers ont eu lieu au 3ème trimestre, ce qui donne à penser que la part des logements dédiés à la location touristique (c’est-à-dire qui seraient loués plus de 4 mois dans l’année) est infime, et que par conséquent il s’agit pour l’essentiel d’une activité occasionnelle.
En conclusion, si le développement de la location touristique de particuliers constitue une réelle préoccupation pour les professionnels spécialisés dans cette activité, ce n’est certainement pas un enjeu majeur au regard du marché locatif des résidences principales, sauf peut-être – mais cela demanderait à être démontré – dans certaines localisations étroitement délimitées.
À propos de la réglementation des locations touristiques, il est utile de rappeler que la loi Élan prévoit un nouveau tour de vis en direction des plateformes[4]. Elle impose en effet de nouvelles restrictions qui, s’ajoutant à la série de mesures prises ces dernières années, pourraient inciter à délaisser la location touristique au profit d’un autre type de location temporaire, et il s’agirait précisément de celui introduit par le bail mobilité. Ce dernier serait ainsi – c’est en tout cas le vœu du législateur – une alternative capable d’endiguer le développement, via des plateformes Internet, de la location touristique dont on sait qu’elle concurrence avec un succès certain l’offre de meublés classiques. Certains bailleurs, plutôt que de se tourner vers une location limitée à 4 mois par an, opteraient pour le bail mobilité offrant une durée de location plus longue, voire articuleraient les deux. Rien n’empêche en effet de cumuler ces formules.
Autre source de nouveaux bailleurs potentiels, les propriétaires qui, n’occupant leurs biens qu’une partie de l’année et peu concernés par la location touristique, seraient attirés par des revenus complémentaires sans supporter les contraintes de la location de droit commun.

Quel intérêt pour les bailleurs ?

Dans quelle mesure les espoirs du législateur sont-ils fondés ? Pour tenter de répondre à cette question, il est nécessaire d’examiner si certains aspects de ce dispositif, notamment sa durée et ses caractéristiques financières, seraient de nature à le rendre attractif auprès des bailleurs.

Une durée synonyme d’opportunités nouvelles mais limitées

La durée du bail mobilité offre incontestablement un avantage au bailleur intéressé par une location brève. Prévu pour durer entre 1 et 10 mois, le bail ouvre la voie à des baux impossibles en meublé classique, celui-ci imposant une durée minimale de 12 mois ramenée à 9 pour les locations étudiantes. De plus, nous avons vu que la location touristique est limitée à 4 mois, sauf à s’engager dans une procédure de changement d’usage, il faut le dire extrêmement contraignante.
L’apport du bail mobilité est donc ici indéniable, mais sans doute pas suffisamment décisif.

Un volet financier au mieux neutre dans la perspective du bailleur

Sur le plan financier, le bail mobilité présente-t-il un intérêt pour le bailleur ? Pour l’apprécier, il est nécessaire d’analyser la question de la fixation du loyer, la détermination des charges locatives, le cautionnement, la solidarité en cas de colocation, le dépôt de garantie, les modalités de paiement du loyer. Or, globalement, sur l’ensemble de ces aspects, le bail mobilité ne constitue pas un avantage réel comparativement au meublé en résidence principale.

En comparaison maintenant de la location touristique, perçue à tort ou à raison comme plus lucrative, ce qui explique son attrait, le bail mobilité peinera clairement à être compétitif.

Fixation du loyer :
La fixation du loyer du bail mobilité est en principe libre, à ceci près que, comme la location meublée en résidence principale, elle pourra être soumise au plafonnement des loyers en zones tendues, et l’on sait que des villes comme Paris sont déjà dans les starting-blocks. En l’état actuel de la législation, il ne semble pas prévu des plafonds propres au bail mobilité, ce qui signifie qu’au regard du loyer le bail mobilité ne serait pas en mesure de se distinguer de l’offre meublée en générale dans les villes instaurant un plafonnement.
Fixation des charges locatives :
Ici, le législateur est revenu au forfait de charges qui était la règle avant la loi Alur en meublé. Plus simple et mieux adapté que le système provisionnel avec régularisation, le forfait facilitera la gestion du bail mobilité, avec un risque très faible de dérapage pour le locataire, puisque des garde-fous sont prévus.
Le cautionnement :
Le cautionnement du bail mobilité obéit aux règles de droit commun, il n’y a donc aucune particularité en la matière. Précisons cependant que le bail mobilité est éligible à une garantie VISALE visant les impayés et les dégradations.
La solidarité :
En présence de colocataires – plusieurs personnes sont titulaires du bail, la loi Elan prohibe la faculté de prévoir une clause de solidarité. Ainsi, en cas de départ d’un des copreneurs, ce dernier se trouve désengagé au regard d’une éventuelle dette de loyer postérieure à son départ, alors qu’en meublé classique une solidarité peut être envisagée[5].
Cet aspect correspond à un désavantage clair dans la perspective du bailleur.
Le dépôt de garantie :
Là encore, le bail mobilité désavantage le bailleur en prohibant un dépôt de garantie, avec en complément l’obligation de faire figurer cette prohibition dans le bail. Pour mémoire, en meublé le dépôt de garantie est de deux mois (article 25-6 loi de 1989), par dérogation au dépôt de garantie des logements vides d’un mois seulement (article 22 loi de 1989).
Les modalités de paiement du loyer :
Comme pour le meublé en résidence principale, le loyer du bail mobilité est payable mensuellement d’avance (terme à échoir). Toutefois, faisant le lien avec l’interdiction du dépôt de garantie évoquée ci-dessus, il aurait été concevable, notamment pour les baux très courts d’une durée inférieure ou égale à 3 mois, d’envisager un paiement du loyer d’avance pour l’ensemble de la période. Par exemple, pour un bail de 3 mois, le locataire acquitterait les 3 loyers mensuels dès son entrée dans les lieux. Une telle formule aurait été de nature à susciter l’intérêt des bailleurs potentiels et l’effort financier, équivalent à celui supporté par un locataire d’un meublé classique, aurait été équivalent à celui d’un meublé classique.

Un dispositif qui accroît la complexité…

La version finale du bail mobilité est très proche de la formule proposée initialement par le gouvernement.
L’initiative a été vertement critiquée. D’aucuns, jamais à court d’un bon mot, ont parlé de bail précarité. Le milieu associatif s’est fortement mobilisé contre le bail mobilité, à l’image de la Confédération nationale du logement (CNL)[6], considérant d’une part que la formule précarise les locataires en offrant aux bailleurs une solution plus souple que la location meublée en résidence principale, et, d’autre part que ce bail demeure sans effet sur le besoin de construire des résidences étudiantes conventionnées.
Ces deux arguments ne sont sans doute pas dénués de fondement. Néanmoins, sous réserve de prévoir certains garde-fous pour éviter des stratégies de contournement, l’optimisation du parc privé au profit du public en mobilité n’entre pas en conflit avec le logement social.
Les critiques formulées à l’encontre du bail mobilité n’ont guère eu d’incidence sur la version finale du texte. Hormis certains points tenant essentiellement au formalisme, par exemple l’obligation de joindre les diagnostics techniques au bail, la formule retenue est en effet plutôt fidèle à la vision de ses promoteurs. Elle en conserve d’ailleurs l’un des défauts, celui d’ajouter de la complexité à un paysage réglementaire déjà bien encombré. Le bail mobilité est en effet un régime d’ordre public à part entière venant s’articuler avec un autre régime locatif de même nature, celui des meublés loués en résidence principale, au sein de la loi du 6 juillet 1989, elle-même d’ordre public, le tout aboutissant à un ensemble législatif encore un peu plus volumineux et complexe.

… et dont le succès est loin d’être assuré

Après examen, la relation financière locataire/bailleur du bail mobilité est rarement avantageuse pour le bailleur (sauf pour ce qui concerne les charges locatives), souvent équivalente au régime locatif du meublé (fixation du loyer, cautionnement, modalités de paiement du loyer), et parfois moins avantageuse (clause de solidarité, dépôt de garantie). Sous cet aspect, le bail mobilité ne soutient pas la comparaison avec la location touristique. Il ne pourrait donc connaître un développement important que si celle-ci était très sévèrement encadrée, ce qui semble peu probable. Rappelons que la réglementation en vigueur autorise les propriétaires à pratiquer la location touristique seulement quatre mois par an.
Sauf circonstances particulières ou véritable engouement pour des locations de courtes durées, le bail mobilité ne semble pas promis à un avenir florissant. Son développement sera probablement confidentiel, du fait notamment des choix du législateur pour ses caractéristiques financières, choix d’autant plus surprenants que les auteurs du rapport l’introduisant (cf. supra) avaient souligné l’importance de cet aspect pour les bailleurs.
Soulignons cependant que la tension intervenue lors des discussions parlementaires et durant la phase de concertation conduite par le Sénat n’a pas aidé à un débat serein sur le bail mobilité, même si la mouture d’origine était, rappelons-le, proche du résultat final.

*     *
*

 En résumé, si l’on peut tenir pour assuré que la création du bail mobilité ne bouleversera pas le marché locatif, ses caractéristiques et les conditions dans lesquelles il a été mis en place permettent toutefois d’émettre quelques observations en guise de conclusion.
S’il est douteux que ce nouveau statut suscite une offre nouvelle significative, il peut en revanche concurrencer le meublé en résidence principale. Il est, certes, prévu un système de requalification automatique en cas de dépassement de la durée maximale de 10 mois, mais seule l’épreuve de la pratique permettra d’apprécier son efficacité.
Même en cas de succès, le bail mobilité ne devrait avoir qu’une incidence indirecte au regard des populations en mobilité exclues du marché, en particulier dans des zones très tendues comme la capitale. Dans l’hypothèse d’un loyer avoisinant les plafonds des baux meublés classiques, il correspondra à la demande d’une population relativement aisée, ne comprenant pas les locataires les plus fragiles.

David Richard
Décembre 2018


[1] Loi n° 2018-1021 du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique

[2] Rapport Évaluation de politique publique – Le logement locatif meublé. Inspection générale des finances et Conseil général de l’environnement et du développement durable. Janvier 2016.

[3] Un logement loué en meublé de tourisme plus de 4 mois par an nécessite une autorisation de changement d’usage (article L. 631-7 CCH) sous peine d’une amende de 50 000 euros (article L651-2 CCH). Par ailleurs, en présence d’un bien situé en copropriété, le règlement intérieur de la copropriété peut prévoir des restrictions aux locations touristiques.

[4] Nouvelles obligations déclaratives pour les bailleurs sont prévues ainsi que des amendes pour les plateformes en cas de non-respect de la durée maximum de location.

[5] La loi Alur avait déjà réformée la portée des clauses de solidarité en limitant leur effet à l’arrivée d’un nouveau colocataire ou une durée de 6 mois suivant la date de prise d’effet du congé (Article 8-1 VI de la loi du 06/07/1989).

[6] https://www.youtube.com/watch?v=Ufe6RQ1roNo

Auteur/autrice

  • David Richard

    David RICHARD est fondateur du cabinet Lex Terra Avocat. Il travaille sur des questions touchant au droit de l’immobilier, de la construction et de l’urbanisme. Auparavant, il a occupé divers postes en lien avec l’habitat dans le réseau ANIL/ADIL et dans le secteur HLM.

    Voir toutes les publications

4 réflexions sur “Le bail mobilité : un complément utile ou un gadget ?

  • 18 décembre 2018 à 15:51
    Permalien

    Bonjour,

    L’intérêt par apport au bail logement de fonction se pose, le seul avantage que nous voyons c’est la flexibilité de la durée par rapport à un bail étudiant de 9 mois.

    Répondre
    • 18 décembre 2018 à 18:25
      Permalien

      Le logement de fonction tient plus du droit du travail que de la réglementation des baux, même si en pratique des situations peuvent se retrouver à cheval sur les deux champs. Pour ce qui est du bail mobilité, effectivement son principal intérêt concerne sa courte durée (1 à 10 mois) au regard du bail étudiant (9 mois) comme du meublé classique (12 mois), puisque ce dispositif va au-delà du public étudiants voire du public jeunes. L’avancée est donc de ce point de vue indéniable, reste à savoir si elle suffira.

      Répondre
  • 18 décembre 2018 à 18:44
    Permalien

    Bonjour,

    Ce bail mobilité a pour objectif de remettre sur le marché locatif des logements restés vacants ou utilisés pour des locations saisonnières. Mais il convient quand même de s’interroger sur la procédure d’expulsion. Le principe général est posé selon lequel l’expulsion ne peut être poursuivie qu’en vertu d’une décision de justice ou d’un procès-verbal de conciliation exécutoire ( C. pr. exéc., art. L. 411-1). Dans le cas présent, on aurait un bail mobilité de courte durée mais en cas de contentieux (impayés de loyer, refus de quitter les lieux…), la durée de la procédure d’expulsion n’en sera pas moins plus longue que lui(assignation; décision judiciaire, trève hivernale ?). Quelle est donc la situation du bail mobilité en matière d’expulsion locative ?

    Répondre
  • 19 décembre 2018 à 08:41
    Permalien

    La question de l’articulation entre le bail mobilité et la procédure d’expulsion est effectivement tout à fait essentielle.
    Elle met sans doute en lumière la difficulté à faire coexister au sein d’un même dispositif, de la fléxibilité pour répondre aux besoins d’un public en situation de mobililité d’une part, et d’autre part la sécurité accordée aux occupants d’un logement sans même parler du niveau de réglementation de cette question.

    Concrétement, votre analyse est juste. L’obtention d’un titre exécutoire sera un préalable à une mesure d’exécution visant à l’expulsion du locataire en bail mobilité. Or, un tel titre suppose une démarche judiciaire relativement lourde et longue. Notons cependant, que l’article 24 de la loi de 1989 portant sur les clauses résolutoires et la délivrance d’un titre exécutoire n’est pas appicable au bail mobilité. Le bailleur se trouvera donc dans la procédure de droit commun synonyme de gain de temps.
    La mise à l’écart de cette disposition s’explique par le fait que le bail mobilité ne donne pas au logement la qualité de résidence principale. Disposant, au moins en théorie, d’un autre logement doté de cette qualité, le locataire mobilité dispose d’une protection moindre en comparaison de l’occupant d’un meublé loi de 1989.

    Répondre

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *