Note de lecture : Le pavillon, une passion française, de Hervé Marchal et Jean-Marc Stébé

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« Le pavillon, une passion française », Hervé Marchal & Jean-Marc Stébé, Presses Universitaires de France (PUF) / Humensis, 1ère édition, février 2023, 274 pages.

Cet ouvrage n’est certes pas un roman mais, écrit par des professeurs de sociologie, il se lit comme une histoire française, avec ses à-coups et ses contradictions. Les références au passé montrent que certains sujets restent d’actualité, sachant que, comme le rappellent les auteurs, derrière le mot « pavillonnaire » ne se cache pas une réalité homogène.
En 2019, sur les 36 millions de logements que comptait la France métropolitaine, près de 20 millions, soit 56 % du parc, étaient des maisons individuelles. En nombre, c’est trois fois plus qu’en 1968 (à l’époque, la part de maisons individuelles s’élevait à 40,5 %). Dans le même temps, la proportion de propriétaires occupants est passée de 43 % à 58 %, ce chiffre ayant tendance à stagner depuis 20 ans. En matière de construction, une bascule s’est opérée à la fin des années 2000 : d’après le calcul des auteurs, depuis 2010, le nombre de logements individuels mis en chantier chaque année est inférieur à celui des logements en immeubles collectifs
Les auteurs rappellent que, dans cette « France de pavillons » (chapitre 1), la maison individuelle constitue un « véritable idéal résidentiel ». Cette préférence n’est pas nouvelle et s’avère bien ancrée depuis la première grande enquête menée sur les aspirations des Français en matière de logement en 1945.
Dans l’un des encadrés du livre, un focus est fait sur la distinction entre « maison individuelle » et « pavillon »[1]. La première est définie dans le code de la construction et de l’habitation. L’Insee distingue les constructions selon leur caractère individuel ou collectif : « l’habitat individuel comprend les maisons, les fermes et bâtiments d’exploitation agricole, les constructions provisoires, ainsi que les pièces indépendantes avec leur propre entrée ne faisant pas partie d’un immeuble collectif »[2].
Quant au terme « pavillon », il correspondait initialement à une tente militaire. Faisant référence aux travaux de Daniel Pinson, les auteurs évoquent le pavillon qui désignait « une construction de la classe aristocratique présentant une implantation à la fois éloignée et proche de la ville ou un ensemble résidentiel plus vaste : château, palais, … ». Ils citent le Pavillon de Vendôme à Aix-en-Provence ou le Pavillon français dans le parc du château de Versailles. Au XIXème siècle, le terme a été employé pour qualifier les immenses constructions réalisées dans le cadre des grandes expositions universelles. Aujourd’hui, précisent-ils, il a tendance à être utilisé pour « disqualifier un mode de vie classique Sam’suffit ! et banlieusard ». En fait, on pourrait ajouter que le sens péjoratif du terme « pavillon » vient du mot qui lui est souvent accolé : « pavillon de banlieue ». Le vocable peut apparaître aussi péjoratif dans le regard qu’on porte sur ce type d’habitat. En relisant cet encadré, on se demande d’ailleurs pourquoi le titre de cet ouvrage n’est pas : « la maison individuelle, cette passion française ».
Dès les premières pages, les auteurs évoquent la divergence entre ce désir de maison individuelle régulièrement exprimé par la population et l’avis des experts qui plaident pour le logement collectif, plébiscité dans les années 1960 par « les séides du rationalisme urbain et du fonctionnalisme architectural ». « D’une façon générale, est-il écrit[3], nombre de décideurs politiques, de hauts-fonctionnaires et d’ingénieurs des Ponts-et-Chaussées, d’urbanistes et d’architectes, n’ont pas tenu compte des aspirations des Français en matière d’habitation. » Cette dissonance trouve, selon les auteurs, des origines qui remontent à la seconde moitié du XIXème siècle. Ils mentionnent notamment Frédéric Le Play (1864) qui a façonné « les bases idéologiques de la politique pavillonnaire » et, de l’autre côté, citent Friedrich Engels : « pour se loger, les travailleurs doivent se charger de lourdes dettes hypothécaires et ils sont plus que jamais les esclaves de leur patron. Ils sont liés à leur maison, ils ne peuvent pas en partir… ». À la réflexion, ce n’est pas tant la maison individuelle qui semble visée que la charge liée au fait d’accéder à la propriété. Cette thèse de l’accession freinant la mobilité revient régulièrement. On pourrait citer, à ce sujet, les travaux controversés d’Andrew Oswald sur le lien supposé entre propriété et chômage.
Le livre revient également sur les propos de la ministre du logement, Emmanuelle Wargon, qui affirmait en 2021 : « le modèle du pavillon avec jardin n’est pas soutenable et nous mène à une impasse ». L’ouvrage montre qu’ils font écho à ceux cités quelques pages auparavant d’Edgar Pisani, alors ministre de l’Equipement, qui affirmait en 1966 : « le temps du jardin planté de carottes est passé ».
En pointant et retraçant des étapes importantes de l’histoire du logement comme l’aventure des « mal-lotis » de l’entre-deux-guerres, l’exemple de lotissements construits dans les années 1920, le développement de la « maison Loucheur » ou des maisons individuelles groupées « Chalandon », ou encore le mouvement d’auto-construction appelé « Les Castors », les auteurs dissèquent cette grande passion de la maison individuelle, qu’ils disent « contrariée et critiquée » (chapitre 2). Pourtant la lecture de ce chapitre donne plutôt l’impression que les années 1960-1970 ont constitué une période faste pour la maison individuelle, souvent avec l’appui de l’État.
Aujourd’hui, les critiques de la maison individuelle relèvent, selon Anne Lambert citée dans le livre, de quatre registres : l’esthétique architecturale, les prétendus particularismes des habitants des maisons individuelles (« individualistes et conformistes »), l’endettement déraisonnable des ménages et l’empreinte carbone. S’y ajoute la question de l’artificialisation des sols dont la ville diffuse serait « responsable ».
Parmi les références au passé, on découvre dans cet ouvrage William Levitt (1907-1994), le « roi de la banlieue », dit encore le « Henry Ford du bâtiment », qui, au cours des années 1960, « tentera d’exporter au-delà du continent américain son modèle de lotissement de pavillons préfabriqués construits en série ». Parallèlement est évoquée l’histoire de l’entreprise Maisons Phénix fondée en France en 1945 et qui sera au premier rang pour « répondre aux commandes orchestrées par l’État (…) de construction de logements économiques de premières nécessité (LEPN), suscitées entre autres par l’appel de l’abbé Pierre en 1954. » La société a souffert au fil du temps d’une image de constructeur de maisons bas de gamme et Geoxia, propriétaire de la marque Maisons Phénix, a déposé le bilan en 2022.
Les auteurs évoquent également la transformation du modèle financier avec le désengagement de l’État et la libéralisation du crédit à partir du milieu des années 1960. « Très rapidement, écrivent-ils[4], les banques vont investir le système du logement, de sorte que dès le début des années 70, les banques représentent la moitié des prêts hypothécaires. Ce transfert de financement du logement vers les banques s’amplifie avec l’instauration de deux nouvelles formes de crédit : le compte épargne logement (CEL) en 1965 et le plan épargne logement (PEL) en 1969. » Par ailleurs, ils mentionnent la réforme de 1977, dite loi Barre, qui vise à orienter une partie des aides publiques « de la pierre vers la personne ».
Après avoir esquissé de façon générale le portrait de l’habitant de la maison individuelle dans le chapitre 3 (dont certains points paraissent abscons ou ne pas s’appliquer qu’à la maison individuelle : il y a aussi des coins et des chambres dans les logements collectifs par exemple), les auteurs évoquent, dans les chapitres 4 et 5, ce qu’ils appellent les figures du pavillon « enchanté » et « désenchanté ».
À travers les différentes enquêtes et entretiens qu’ils ont menés, ils ont en effet construit cinq figures du pavillon « enchanté » :
– le « pavillon sécurisé » sur le modèle des gated communities américaines mais qui reste peu diffusé en France ;
– le « pavillon clubbisé », en référence aux travaux d’Éric Charmes, qui se place dans une perspective spatialiste « dans le sens où c’est l’éparpillement spatial des communes qui favorise la mue de nombreuses municipalités en clubs résidentiels » ;
– le « pavillon gentrifié » : figure peu étudiée en tant que telle ;
– le « pavillon écologique » avec une volonté affirmée en matière énergétique et environnementale ;
– le « pavillon convivial » mettant en lumière des situations de cohabitation heureuse et de socialité de voisinage constructives.
À l’opposé, les auteurs évoquent les quatre figures du pavillon « désenchanté » :
– le « pavillon inachevé » : les années passant, les maisons sont toujours en chantier, générant fatigues physique et nerveuse chez les habitants concernés ;
– le « pavillon insociable » lié à des marqueurs identitaires et au « travail silencieux (..) du narcissisme des petites différences matérielles » ;
– le « pavillon excentré » et les phénomènes d’hypermobilité contrainte (achat de deux voitures, voire plus, …) ;
– le « pavillon inadapté » qui le devient avec l’avancée en âge.
Les auteurs précisent que l’intensité du désenchantement peut varier. Cette typologie peut néanmoins paraître un peu caricaturale, d’autant que l’on ne sait pas quels sont les volumes concernés par ces différentes figures, ni si elles sont véritablement susceptibles de couvrir l’ensemble du champ. Ils pointent toutefois deux dimensions récurrentes qui font écho à certaines crises sociales : l’impossibilité de se projeter de façon sereine et positive dans l’avenir d’une part, la peur du déclassement social d’autre part.
Alors que la pandémie de Covid-19 et ses mesures de confinement ont bousculé les modes d’habiter, les auteurs posent à travers cet ouvrage d’autres questions ayant trait au vieillissement en pavillon, à la nécessaire modularité des espaces liée aux enjeux du télétravail, à la réhabilitation des pavillons anciens, ou encore à la densification des secteurs pavillonnaires existants, sans oublier l’enjeu de l’aménagement du territoire à travers les mobilités et l’automobile (« au centre des logiques de distinction sociale »).
Même si l’on aurait envie que cet ouvrage soit complété par la vision d’économistes et que des exemples de pays européens soient analysés, le travail des deux professeurs de sociologie résonne avec l’actualité. Comme ils le rappellent en conclusion, l’univers de la maison individuelle renvoie à un fait démographique, sociohistorique, politique, économique, bancaire, écologique, urbanistique, sanitaire et culturel. C’est donc, à travers ce prisme de la maison individuelle, toute la politique du logement qui se trouve questionnée.


[1] Pages 21-22

[2] Précision apportée par les auteurs page 21, en faisant référence à l’Insee.

[3] Page 49

[4] Page 74

Auteur/autrice

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