Limiter l’impact de l’inflation sur les locataires – Perspectives européennes

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Le plafonnement de l’Indice de Référence des Loyers (IRL) à 3,5 % en France métropolitaine, mis en place à partir d’octobre 2022 et initialement prévue jusqu’en juillet 2023, a été prolongé de trois trimestres supplémentaires, soit jusqu’en à mars 2024, en raison de la persistance de l’inflation en France et plus largement en Europe.
Il est intéressant de comparer les mesures mises en place dans les différents pays européens pour limiter l’impact de l’inflation sur les locataires dans un contexte de pression sur le pouvoir d’achat des ménages.
Les loyers de marché – d’après les offres de réseau – dans le parc locatif privé devraient en effet continuer à être orientés à la hausse en 2023 et au-delà. Cela pose la question du maintien de ces mesures temporaires de plafonnement des loyers ou de l’indexation.

Un contexte de forte hausse des loyers dans les principales métropoles européennes post-pandémie

Si on se concentre sur les grandes métropoles européennes – c’est-à-dire les marchés du logement les plus tendus – on constate que les loyers de marché étaient déjà orientés à la hausse avant même les effets de l’indexation.
Après avoir chuté de 0,8 % en moyenne en 2020 pendant les confinements, les loyers résidentiels dans les grandes métropoles européennes se sont redressés dès 2021 (+1,4 %). Mais la hausse s’est accélérée à 9,6 % en 2022. Ce rebond post-Covid a dépassé 20 % à Varsovie (+47 %), Berlin, Barcelone et Amsterdam. En comparaison, les hausses des loyers enregistrées à Paris et Lyon apparaissent modérées.
Ces hausses reflètent le redressement de la demande de logements locatifs dans les villes avec le retour progressif du travail en présentiel, la tension durable entre offre et demande, ainsi que les hausses des taux d’intérêt qui ont limité l’accession à la propriété de ménages contraints de rester locataires.
Dans le cas de Varsovie et de Berlin, la demande a également été tirée par l’accueil de réfugiés ukrainiens. 4,7 millions d’Ukrainiens ont en effet demandé le statut de protection temporaire dans l’Union européenne en 2022, soit le plus grand afflux de réfugiés depuis la seconde guerre mondiale. L’Allemagne et la Pologne ont ainsi accueilli chacune 1 million de réfugiés.

Des mesures de plafonnement ont permis de modérer en partie la hausse des loyers liées à l’inflation en 2022

Afin de limiter la répercussion de la hausse de l’inflation sur les locataires, des plafonds temporaires de loyers ou d’indexation ont été mis en place dans la plupart des pays européens, pour une période d’un à deux ans.
L’Espagne, l’Irlande, les Pays-Bas, la France et le Danemark ont ainsi mis en place des plafonnements temporaires, allant de 2 % en Espagne et en Irlande – la mesure la plus contraignante mise en place en Europe – à 4 % au Danemark. L’Angleterre n’a mis en place aucune mesure de plafonnement, tandis que l’Ecosse a instauré un plafond des loyers à 3 % dans le parc privé jusqu’en septembre 2023.
En Espagne, la loi sur le droit au logement votée en mai 2023 prévoit que le plafonnement des loyers à 2 % soit appliqué jusqu’à fin 2023. Il sera suivi d’un plafonnement à 3 % en 2024. En parallèle, l’institut national des statistiques (INE) a été chargé de constituer un indice des loyers qui pourra servir à l’indexation des loyers dans le cadre de baux existants à partir de 2025. Des plafonnements de loyers dans le cadre de nouveaux baux sont désormais autorisés à l’échelon local (le plafonnement des loyers mis en place en Catalogne en 2020 avait été jugé inconstitutionnel en 2022).
Malgré de vifs débats et une inflation qui a atteint 7 % en 2022, l’Allemagne n’a finalement pas introduit de plafonnement au niveau national. Les révisions annuelles de loyers, très réglementées et protectrices des locataires, avaient déjà été limitées ces dernières années, par exemple par la prise en compte de six plutôt que quatre années de références locatives pour le calcul du Mietspiegel (table d’indexation publiée au niveau local tous les deux ans) ou par une baisse de la hausse maximale autorisée suite à des travaux de rénovation (de 11 % à 8 %).
D’autres mesures sont actuellement débattues pour limiter davantage les hausses des loyers des locataires en place via l’indexation, mais également pour plafonner les loyers dans le cadre de nouveaux baux (Mietpreisbremse). Les loyers ne peuvent ainsi dépasser 10 % de la valeur haute du Mietspiegel pour des logements anciens dans les zones tendues. La définition des zones tendues et la durée d’application de cette mesure ont été progressivement étendus.

La croissance des loyers devrait demeurer élevée dans les prochaines années

Dans un contexte de conditions de financement plus strictes et de coûts de construction toujours élevés, la production de logements a chuté en 2022, en particulier en Allemagne où l’objectif de construction de 400 000 logements par an ne sera pas atteint (seulement 265 000 logements sont actuellement en chantier). Le nombre de permis de construire déposés dans l’Union européenne – un indicateur avancé des mises en chantier – a également fortement diminué en 2022. Cela devrait amplifier la tension dans les villes où l’offre résidentielle est déjà limitée et conduire à de nouvelles hausses des loyers de marché.
À 3,0 % par an en moyenne, la croissance des loyers attendue dans les principales métropoles européennes devrait continuer de dépasser l’inflation prévue (2,1 % par an entre 2023 et 2027) en raison d’un déséquilibre persistant entre offre et demande, d’après les prévisions de CBRE. Cela est inférieur aux 3,7 % de croissance annuelle des loyers enregistrée au cours des cinq dernières années qui tient compte de la forte hausse de 2022, mais demeure élevé. Les loyers devraient connaître une croissance moindre à Paris (1,6 % par an entre 2023 et 2027) et Lyon (2,7 % par an) où un double plafonnement – en niveau et en taux d’augmentation à la relocation, certes mal respecté, est en vigueur. L’interdiction de louer des passoires thermiques, prévue par la loi Climat et Résilience, devrait également renforcer la pression à la hausse sur les loyers en France. La part des logements dont le DPE est de E, F ou G représente en effet 43% du parc.


Cela pose la question du maintien de ces mesures temporaires de plafonnement des loyers ou de l’indexation, dans la mesure où l’inflation devrait continuer à peser sur le revenu réel des ménages en 2023. L’inflation devrait en effet restée élevée à 5,3 % en zone euro en 2023 avant de ralentir à 1,3 % en 2024 du fait de la baisse des prix de l’énergie.

Irène Fossé
Juin 2023

Auteur/autrice

  • Irène Fossé

    Irène Fossé, urbaniste-économiste de formation (IEP de Paris et London School of Economics), est directrice de la recherche et de la stratégie d’AEW, société de gestion spécialisée dans l’immobilier. Elle a commencé sa carrière à Londres chez LaSalle Investment Management. Cette fonction l’amène à couvrir les marchés du logement européens pour le compte d’investisseurs institutionnels et à publier des études mettant l’accent sur les comparaisons internationales.

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