L’expérience du CNR Logement. 2. Entretien avec Véronique Bédague
La rédaction : Pouvez-vous résumer en quelques lignes votre analyse de ce que beaucoup s’accordent aujourd’hui à qualifier de crise du logement ?
Véronique Bédague : Cette crise est inédite, à la fois conjoncturelle et systémique. Elle résulte d’un double séisme : une insuffisance de l’offre déjà ancien et un choc de la demande plus récent, d’une grande violence.
Le « choc de l’offre » promis par Emmanuel Macron lors de son premier quinquennat ne s’est jamais produit. Seuls 375.000 nouveaux logements sont sortis de terre en 2022, et ce sera moins encore en 2023, alors qu’il faudrait chaque année plus de 500.000 logements neufs ou rénovés pour répondre aux besoins des Français.
La hausse des prix de l’énergie et des matières premières, conséquences du déclenchement de la guerre en Ukraine, cumulée à la raréfaction des fonciers constructibles sous l’effet de l’application de la ZAN ont renchéri les coûts de construction et réduit l’offre disponible. Dans le même temps, la hausse brutale et continue des taux d’intérêts pour lutter contre l’inflation a contracté le pouvoir d’achat immobilier des Français, de l’ordre de 20 à 25%, empêchant la demande de s’exprimer.
Résultat : entre avril 2022 et mars 2023, les réservations de logements neufs auprès des promoteurs ont chuté de près de 40% à 18.000 réservations. Et parce que le logement neuf fonctionne comme une respiration pour l’existant, quand le logement neuf se bloque, tout se bloque.
On le constate d’ailleurs sur le marché de la location qui est aujourd’hui quasi paralysé avec deux fois moins d’offres, 1,5 fois plus de demandes et une forte tension notamment sur les studios sur lesquels les étudiants et les jeunes actifs entrent en concurrence avec les ménages modestes. Et la situation ne va pas s’améliorer si l’on considère les passoires énergétiques qui vont sortir du marché, pénalisant ainsi près de 5 millions de Français.
La pénurie dans le neuf a également pour effet immédiat d’allonger la file d’attente des 2,42 millions de ménages demandeurs d’un logement social en France. Sans même parler des 4,1 millions de personnes mal logées. La mobilité résidentielle est aujourd’hui entravée : faute de pouvoir trouver un logement adapté à leurs besoins, nos concitoyens sont « assignés à résidence ». Les premières victimes sont les jeunes, qu’il s’agisse des nouveaux entrants dans la vie active ou des étudiants, ainsi que des plus modestes. Et cela ne cesse de s’amplifier : 12% de étudiants renoncent à leur études, 20% des moins de 35 ans retournent chez leurs parents, près de 2000 enfants sont à la rue pour la rentrée scolaire.
La rédaction : Dans ce contexte, qu’attendiez-vous des travaux du CNR ?
Véronique Bédague : Avec Christophe Robert, nous avions un même souci et une seule ambition : faire des propositions pour permettre à toutes et tous de pouvoir se loger dignement et durablement, quelle que soit l’étape de leur vie. Avec une attente forte, celle d’une véritable politique du logement avec une vision et un cap sur du long terme.
Premièrement, et avant tout chose, il aurait fallu un diagnostic partagé entre l’Etat, les collectivités et les professionnels de l’immobilier pour savoir quels sont les besoins dans les territoires.
Deuxièmement, le CNR Logement aurait dû être l’occasion de revoir la fiscalité sur le logement. Le logement coûte 38 milliards d’euros aux finances publiques et rapporte 90,5 milliards de recettes fiscales à l’Etat. En 2017, il coûtait 42 milliards et en rapportait 74. Depuis 2016, les prélèvements sur les mutations des logements ont été multipliés par deux. L’investissement en logement devient peu rentable par rapport à d’autres.
Enfin, nous aurions souhaité une politique qui mette un terme aux injonctions contradictoires en alignant ambitions sociales et environnementales : 1,5 million de logements seront non louables d’ici 2025 alors que le marché de la location n’a jamais été autant saturé.
Le CNR logement aurait dû permettre à nos politiques de prendre le problème à bras-le-corps.
La rédaction : Que retenez-vous de la démarche et de la façon dont vous l’avez organisée ?
Véronique Bédague : Ce qui m’a surtout frappée, c’est l’engagement et la motivation de tous ces acteurs réunis pour réfléchir ensemble et déterminés à trouver des solutions. Il est assez stimulant de constater combien la question du logement est mobilisatrice.
Trois groupes de travail ont étudié des mesures autour de trois grands objectifs :
- Redonner aux Français du pouvoir d’habiter ;
- Réconcilier la France avec la production de nouveaux logements ;
- Faire du logement l’avant-garde de la transition écologique.
Nous avons donné un ancrage territorial à chaque groupe : Cédric Van Styvendael, maire de Villeurbanne, animait ainsi le groupe de travail consacré à « redonner le pouvoir d’habiter » aux Français. Des CNR locaux se sont constitués et les animateurs des groupes se sont déplacés à plusieurs reprises au cœur des territoires et ont tenus compte des remontées du terrain. Par exemple les freins à la rénovation énergétique massive des immeubles observés dans les copropriétés dont Nexity est le syndic. Les propositions qui découlent des trois groupes de travail ne sont donc pas « hors-sol », mais reflètent la réalité du quotidien des Français.
La rédaction : Quelles sont, selon vous, les deux ou trois mesures principales que vos travaux ont permis de mettre en avant ?
Véronique Bédague : Le CNR Logement s’est achevé par une intervention d’Elisabeth Borne qui a souligné l’importance du logement dans la vie de nos concitoyens et qui a exprimé la volonté de prendre ce sujet à bras-le-corps. Elle a indiqué qu’il s’agissait d’un sujet central de la feuille de route du Gouvernement. C’est déjà une très grande avancée. Mais force est de constater que les actions à la hauteur de cette volonté mettent du temps à sortir et se concrétiser.
Les travaux ont permis de souligner la nécessité de :
- Revoir le zonage des communes en faveur du logement intermédiaire ; ce qui est désormais chose faite puisque 154 communes sont reclassées en zones tendues.
- Créer un prêt global et spécifique pour les rénovations énergétiques ; c’est primordial pour réaliser des économies d’énergie conséquentes et répondre aux deux préoccupations majeures des Français que sont l’écologie et le pouvoir d’achat.
- Développer une filière d’excellence de la construction hors-site avec l’appui de France 2030. C’est au cœur des enjeux de la ville de demain, et c’est une vraie réponse à l’immobilier bas carbone accessible.
Concernant les non-suite, je m’attarderais sur deux mesures.
- Dès le début du CNR, Olivier Klein s’est dit prêt à reconnaître le statut de bailleur privé. Je pense qu’il va falloir reconnaître le rôle que jouent les investisseurs, quelle que soit leur nature (Caisse des dépôts, compagnies d’assurance, particuliers), dans la production de logements locatifs. Le taux de rentabilité doit être amélioré. Aujourd’hui, si vous achetez une obligation d’entreprise, vous devez avoir 5% d’intérêt, en logement vous êtes aujourd’hui entre 2 et 3%. Le logement n’est pas une rente. Les investisseurs permettent aux Français de se loger en apportant des logements locatifs. Dans nos agences, nous n’avons plus assez d’offres pour couvrir la demande. Mais pour l’instant, rien ne bouge en ce sens.
- Les élus sont en première ligne, confrontés à la montée des exigences de non-artificialisation et la crainte de la densité. Ne faudrait-il pas plus de moyens incitatifs pour construire, tel le bonus aux maires bâtisseurs imaginé par les travaux du CNR ?
Il faut maintenant que le Gouvernement mette en place ce qu’il a promis : la remise à plat de la fiscalité des locations, le développement du « bail réel solidaire », le lancement de la mission concernant l’exploitation des données sur le logement pour mieux définir les besoins, celle pour simplifier, clarifier et accélérer certaines procédures d’urbanisme ou encore le lancement du dialogue entre les préfets et les maires sur la construction de nouveaux logements dans les zones tendues. Dans le contexte de crise que nous vivons, nous n’avons pas le luxe du temps.
La rédaction : La politique du logement repose sur des principes définis il y a plus de 40 ans. Un aggiornamento est-il nécessaire ? qu’est-ce qui le justifierait ? et sur quelles bases nouvelles ?
Véronique Bédague : Le CNR logement aurait dû justement être le point de départ de ces adaptations.
La politique du logement ne saurait être faite d’une succession de règles et de normes dont les conditions de mise en œuvre n’ont pas été réfléchies. La politique du logement ne peut pas non plus se résumer à une analyse parcellaire de données chiffrées par la direction du Trésor. La politique du logement ne doit pas être une politique guidée par les seules exigences budgétaires.
Il me semble que tenir compte du monde contemporain, c’est bien ce qui doit être au cœur d’une vision politique. Prendre des mesures pour réagir face au changement climatique en fait évidemment partie. Et en tant qu’acteur majeur de l’immobilier nous prenons évidemment notre part pour réduire avec ambition l’impact carbone de notre production. Mais s’adapter aux évolutions démographiques, sociales et économiques aussi. Et c’est aujourd’hui ce qui fait largement défaut à la politique du logement en France. La France de 2050 ne sera pas la France du début du siècle. Les besoins en logements non plus.
Propos recueillis par écrit – octobre 2023