Rénover, réhabiliter plutôt que construire uniquement du neuf : un nouveau paradigme pour la filière ?

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La construction neuve en berne ?

La construction neuve de logements est en repli. Selon Sitadel, de septembre 2022 à août 2023, près de 380.000 logements ont été autorisés à la construction, soit 147.000 de moins que lors des douze mois précédents (- 27,9 %) et 17,5 % de moins qu’au cours des douze mois précédant la crise sanitaire (mars 2019 à février 2020).
Les besoins estimés en logements neufs seraient largement supérieurs à cette production. L’ensemble des acteurs du neuf sont unanimes. La FPI estime le besoin annuel en construction neuve à 450.000 unités[1] et l’USH, dans une étude réalisée par HTC à l’occasion du dernier congrès HLM, va encore plus loin, en estimant qu’il faudrait construire ou remettre sur le marché au moins 518.000 logements par an, dont 198.000 logements sociaux.
A-t-on autant besoin de logements neufs ? Rien n’est moins sûr selon la Cour des Comptes qui souligne que les données disponibles sont fragiles, peu fiables et ne reposant pas sur une analyse statistique rigoureuse. La même Cour estime quant à elle les besoins à 370.000 unités par an[2].
Au passage, on peut s’étonner qu’un secteur qui mobilise chaque année près de 40 Mds € de fonds publics soit dans l’incapacité de produire des données ne souffrant pas de contestation. On peut encore plus s’étonner que l’Etat qui empoche 90 milliards de recettes fiscales de ce secteur soit dans l’impossibilité d’objectiver les enjeux, ni même de communiquer des évaluations précises des besoins[3]. Si les paramètres explicatifs du besoin de construction neuve sont connus (évolution du nombre et de la composition des ménages, besoin de reconstruction du parc existant, nombre de résidences secondaires, taux de vacance du parc), il n’y a pas de consensus scientifique sur les scénarios des besoins en construction neuve de logements[4].
Il faut dire que l’on confond plusieurs concepts : celui de « besoin » qui renvoie à la réponse au besoin de logements décents et celui de demande solvable qui est satisfaite par la production neuve de la promotion privée.
Force est de constater que tout vient aujourd’hui contraindre la construction neuve :

  • le ZAN limite fortement les extensions urbaines dont, par définition, l’origine provient du neuf  (l’habitat a représenté près des deux tiers de l’artificialisation des sols au cours des 13 dernières années, selon le CEREMA, le reste provenant des activités et des infrastructures) ;
  • l’impératif d’atteindre la neutralité carbone, avec un secteur du bâtiment responsable de 26% de l’empreinte carbone du pays et la construction représentant 60% de l’ensemble, ne favorise pas la construction neuve ;
  • le malthusianisme foncier de beaucoup de maires, qui ne délivrent plus les permis de construire, dans un contexte où les opérateurs sont par ailleurs incités à ne pas utiliser l’intégralité de la constructibilité autorisée par les PLU.
  • les cycles électoraux qui se raccourcissent singulièrement (un an pour que les nouvelles équipes municipales s’approprient les dossiers, le mi-mandat qui est l’occasion du bilan, lui-même suivi d’un gel de deux ans avant la prochaine élection pour qu’aucun chantier ne vienne perturber l’électeur) ;
  • la sensibilité environnementale exacerbée des riverains vis-à-vis des projets neufs qui démultiplient les recours, en parant de préservation écologique leur refus de voir évoluer leur environnement, pour préserver leur patrimoine trop chèrement acquis.

La rénovation : une nouvelle filière à construire

Une partie de la solution n’est-elle pas du côté du patrimoine immobilier existant à réhabiliter, qui constituerait le principal gisement pour les futurs nouveaux logements ? Il s’agit de réhabiliter ou restructurer les immeubles de logements obsolètes (les fameuses passoires thermiques notamment), transformer les bureaux et les logements vacants qui ne trouveront jamais preneurs (au moins ceux se situant dans des zones où existe une demande).
Les avantages sont multiples et indéniables : décarbonation, recyclage des matériaux, remise à niveau de patrimoines immobiliers devenus obsolètes notamment au plan thermique, limitation de l’impact environnemental, meilleure optimisation de l’occupation du parc existant, etc.
Il faut pour cela que les acteurs de la filière de la construction neuve, et en particulier les promoteurs immobiliers se réinventent.
Dans le métier de promoteur, la vente en l’état futur d’achèvement (VEFA) domine. Hormis l’époque récente, caractérisée par une concurrence très vive pour l’accès au foncier, qui a conduit bon nombre d’opérateurs à renoncer aux conditions suspensives de pré-commercialisation, voire à acheter sans condition suspensive, un promoteur n’acquière un foncier et ne signe son ordre de service de travaux que lorsqu’au moins 40% de sa production est pré-commercialisée (exigence des banques pour accorder la garantie financière d’achèvement -GFA).
Tout en mobilisant peu de fonds propres, une opération de promotion neuve classique, dans un contexte de demande solvable existante, apparaît comme peu risquée, tout en rapportant jusqu’à 20% du chiffre d’affaires en cash-flows, en cumulant marge, honoraires de gestion, de commercialisation et de maîtrise d’œuvre intégrée d’exécution. Le risque en réalité se situe plutôt en amont, dans les frais avancés d’études qu’il convient d’engager au stade du développement pour monter les nouvelles affaires. Ces frais d’études pouvaient, jusqu’à une période récente, représenter des sommes considérables, jusqu’à plusieurs millions d’euros dépensés annuellement pour un promoteur national.
En rénovation, ou en restructuration lourde, il n’en va pas du tout de même. L’opération nécessite un besoin important de fonds propres, s’agissant d’un achat en l’état d’immeubles bâtis ayant une valeur vénale intrinsèque d’ores et déjà importante. Le coût des travaux dans l’ancien présente en outre un aléa très fort, qu’il apparaît plus difficile de parfaitement évaluer au démarrage, comparé au neuf. Même s’il peut signer des contrats de vente d’immeuble à rénover (VIR) ou de VEFA, l’acceptabilité des clients sur la durée des délais de livraison est bien moindre dans l’ancien que pour le neuf, de sorte que, comparé au neuf, le besoin de financement de l’opérateur pour une opération de type marchand de bien est supérieur.
Avec la fin des aides fiscales en faveur du neuf (Pinel, PTZ recentré), les promoteurs immobiliers sont-ils prêts à sauter le pas ? C’est un véritable défi qu’ils devront relever, car les compétences ne sont pas les mêmes. D’un côté, on évolue dans un univers de projet où la valeur se créée par anticipation de droits à construire futurs ; de l’autre, on part d’un existant où les surfaces de plancher sont déjà créées, sauf en cas de surélévations. La dysmétrie d’information entre le vendeur et l’acquéreur, s’agissant de biens à rénover, est moindre que pour le neuf, ce qui rend d’autant plus sensibles les conditions dans lesquelles sont menées les négociations. Le risque technique est maximal et la marge se construit entre un « avant » et un « après travaux », plutôt que sur la création de droits à bâtir.
C’est peut-être toute une filière de la production neuve de logements qui devra s’adapter aux impératifs des opérations de marchands de bien, pour continuer à exister, quand bien même cette activité a laissé par le passé un héritage explosif lors de la dernière grande crise de l’immobilier du début des années 90.
Bon nombre de promoteurs ont d’ores et déjà franchi le pas et se tournent vers la filière de la rénovation. Face aux défis climatiques, le développement de cette filière constitue à n’en pas douter une partie de la solution aux côtés de la production neuve française, dont il est quand même légitime de rappeler qu’elle satisfait aux critères de la taxinomie européenne par ses très hautes performances environnementales.

Quels impacts sur le métier d’aménageur ?

De façon paradoxale, l’impact de ce changement de mode constructif, qui laisse une place prépondérante à la rénovation et à la réhabilitation lourde n’est peut-être pas susceptible d’affecter de façon profonde l’exercice actuel du métier d’aménageur.
Il faut dire que la reconstruction de la ville sur la ville, l’intervention en rénovation urbaine dans les quartiers en politique de la ville, ou dans les centres-villes dégradés, ont aguerri les aménageurs aux interventions en zones bâties et occupées.
Qu’il s’agisse de mener des maîtrises foncières au sein de copropriétés, d’intervenir en soutien d’opération programmées d’amélioration de l’habitat (OPAH), d’opérations de restauration immobilière (ORI) ou de résorption de l’habitat insalubre (RHI) sur des immeubles de centre-ville, ou encore d’assurer le relogement des habitants avec une maîtrise d’œuvre urbaine et sociale (MOUS), les aménageurs opèrent aujourd’hui de façon habituelle dans toutes les configurations du recyclage urbain, avec pour objectif premier le remembrement foncier et la création de nouveaux espaces publics.
L’action de la SPLA-IN Aix-Marseille Provence, qui déploie sur le plan opérationnel, dans le centre de Marseille, les actions relatives au traitement de l’habitat privé dégradé, à travers l’accompagnement des propriétaires privés, le recyclage des ilots insalubres, l’aménagement des espaces publics de proximité, peut être à ce titre exemplaire.
Certes, les questions de mise en état des sols diffèrent par rapport à une opération tabula rasa. La dépollution va se concentrer sur le désamiantage ou le déplombage, mais de même que la dépollution des sols dans une opération d’aménagement incombe souvent aux promoteurs à l’occasion des terrassements nécessaires aux construction des lots cédés, l’aménageur pourra déléguer le curetage, le désamiantage ou le déplombage aux opérateurs cessionnaires des emprises bâties.
L’aménageur, dans ce nouveau contexte, va se centrer sur des fonctions d’ensemblier, de maîtrise foncière, d’animation, de concertation et de communication.
Il est dans ces conditions assez contre-intuitif de constater que le monde de la promotion immobilière, pourtant en prise avec la demande de la clientèle finale, donc a priori plus souple et agile, risque d’avoir un plus grand mal à s’adapter aux nouveaux paradigmes de la réhabilitation, alors que l’aménageur, par essence grossiste des droits à construire, réputé engourdi par le temps long des procédures, est l’acteur le plus susceptible de prendre avec aisance ce nouveau virage.

En guise de conclusion, il serait illusoire de penser que la réhabilitation, ou la rénovation lourde de bâtis existants vienne se substituer totalement à la construction neuve de logements, notamment dans les secteurs les plus tendus.
Dans les métropoles tendues, le gisement mobilisable de biens obsolètes et vacants, qu’il est possible de réhabiliter aux plans économique, technique et politique risque d’être insuffisant au regard des besoins et de la demande immobilière non satisfaits. Il faut en outre que le marché soit suffisamment dynamique pour supporter les surcoûts de toute nature, engendrés par la réhabilitation ou la rénovation lourde. La période actuelle, marquée par un coup d’arrêt du marché immobilier, n’est pas très propice à ce genre d’opérations, comme elle ne l’est pas plus pour l’écoulement de la production neuve.
Par ailleurs, il est vraisemblable que la filière immobilière, pour avoir la capacité de se tourner massivement vers la réhabilitation ou la rénovation lourde, devra bénéficier de nouvelles aides publiques. Ces aides pourraient prendre la forme soit d’un soutien à la demande, comme le dispositif de défiscalisation de la restauration immobilière issu de la loi Malraux dans les secteurs sauvegardés, soit d’une aide au foncier avec la dissociation entre le foncier qui resterait public et le bâti, destiné à être réhabilité et loué aux opérateurs, à travers des baux de longue durée et dont la redevance pourrait être nulle en contrepartie de réalisations de prescriptions d’ordre public (construction de logements locatifs sociaux, logements en accession aidée, équipements, etc.).
Ces aides fiscales ou au foncier auraient pour vertu de mieux intégrer les bénéfices environnementaux, procurés par la réhabilitation ou la rénovation. Quoiqu’il en soit, leur mise en place nécessitera un effort renouvelé de planification de l’intervention publique, dont on peine aujourd’hui à voir les effets, concernant la politique du logement.


[1] Etude ESCP Junior conseil, février 2023 : https://fpifranceprodcellar.cellar-c2.services.clever-cloud.com/public/media/file/20230309_FPI_CONF_PRESSE_OBERV_T4-2022.pdf

[2] Cour des comptes – Référé n°S2022-0931, du 12 /05/2022

[3] Le Rapport du compte du logement 2022 chiffre les aides au logement à près de 42 milliards € en 2022 quand les prélèvements et taxes rapportent 97 milliards €

[4] Voir notamment Jean-Claude DRIANT, Le besoin de construction de logements neufs. Méthodes et controverses, 6/06/2023, politique du logement, https://politiquedulogement.com/2023/06/le-besoin-de-construction-de-logements-neufs-methodes-et-controverses/

Auteur/autrice

  • Olivier Morlet

    Olivier MORLET est urbaniste de formation (Ecole d'Urbanisme de Paris), spécialiste du foncier, du développement et du montage de grands projets urbains et immobiliers, aussi bien dans le public que dans le privé, en tant que MOa (Grand Paris Aménagement, CITALLIOS, ICADE Promotion, ADIM Vinci Construction), mais également dans le secteur du conseil (ADEF, ICADE Aménagement).

Une réflexion sur “Rénover, réhabiliter plutôt que construire uniquement du neuf : un nouveau paradigme pour la filière ?

  • 29 octobre 2023 à 16:46
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    Article synthétique et précis. Il est vrai qu’il n’existe pas sur le marché d’aménageurs suffisamment spécialisés tout simplement parce que les actifs à requalifier sont diffus par définition impliquant des maîtrises foncières longues et chirurgicales. Il faut une armée de prospecteurs et beaucoup de patience pour des opérations trop petites en moyenne pour obtenir une rentabilité décente.

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