Du bon usage des statistiques – Les aides et prélèvements dans le compte du logement

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Dans un récent rapport[1], Jacques Friggit montre à quel point les comparaisons internationales en matière de logement sont des exercices périlleux. Outre les erreurs factuelles et les failles méthodologiques qu’il relève, il remarque que la définition de certains agrégats repose sur des conventions parfois discutables et pas toujours explicites. Ainsi le compte du logement exclut des prélèvements relatifs au logement la taxe d’habitation (TH), qu’il ne considère pas comme un impôt sur le logement. Ce n’est là qu’un exemple – l’auteur en cite plusieurs autres, tous pertinents – d’aides ou de prélèvements non pris en compte qui auraient pu (ou dû ?) l’être. D’une façon générale, le choix des postes retenus peut parfois apparaître comme discutable au regard des enjeux des politiques du logement et leur chiffrage repose pour une part sur des conventions qui pourraient, elles aussi, être mises en question. C’est notamment le cas des aides fiscales, mais également d’autres postes comme les avantages de taux[2].

La taxe d’habitation

Revenons sur le traitement de la taxe d’habitation. Lors de l’élaboration du compte du logement, au début des années 1990, la décision de l’inclure ou non dans les prélèvements relatifs au logement a été soumise à un groupe d’experts. Bien qu’assise sur le logement, elle a finalement été exclue au motif que son montant dépendait du revenu des occupants, mais surtout parce qu’elle apparaissait dans une large mesure comme la rémunération de services, notamment l’enlèvement des ordures ménagères. L’existence d’une norme comptable internationale n’a pas été prise en compte dans la décision. En tant que compte satellite du cadre central, le compte du logement n’est en effet pas tenu de respecter ces normes.
Plus de trente ans après, les choses se présentent différemment. Depuis sa suppression pour les résidences principales, la taxe d’habitation est en effet devenue un instrument de la politique du logement : elle subsiste pour les logements vacants, dans le but d’inciter leurs propriétaires à les utiliser ou à les louer, et les résidences secondaires, pour tenter d’en limiter le nombre, notamment dans les zones touristiques. Il semble donc aujourd’hui justifié de l’inclure dans les prélèvements relatifs au logement, ce qui, selon J. Friggit, est dans les intentions du SDES.
Cette inclusion aurait des conséquences importantes sur les comparaisons intertemporelles. En effet, elle augmenterait le montant total des prélèvements sur le logement mais induirait une forte baisse à partir de sa suppression pour les résidences principales, puisque la compensation est assurée partiellement par un transfert de TVA au profit des départements, en contrepartie de la perte de leur part de taxe foncière au profit du bloc communal. Précisons, pour donner une idée de l’enjeu, que le produit de la TH était en 2021 de près de 24 milliards d’euros, soit 27% du total des prélèvements évalués par le compte du logement.

Les aides fiscales

La prise en compte des mesures fiscales dérogatoires au titre des aides au logement pose plusieurs problèmes : quelles aides retenir, comment les évaluer et comment utiliser les résultats ? Nous illustrerons ces difficultés par quelques exemples.
Le choix des mesures à intégrer dans les aides
Parler de mesures dérogatoires postule l’existence d’une norme fiscale. Or il n’existe pas de norme fixe, ni en France ni ailleurs. Les systèmes fiscaux évoluent et les normes implicites par rapport auxquelles sont évaluées les dépenses fiscales dans les documents des lois de finances changent.
La non-imposition des loyers implicites des propriétaires occupants
L’exemple de la taxation des loyers imputés des propriétaires occupants est, à cet égard, particulièrement éclairant. En France, ces loyers implicites ont été intégrés dans le revenu des propriétaires et soumis à l’impôt sur le revenu de 1914 à 1965. A partir de l’année où ils n’ont plus été pris en compte dans le revenu, le manque à gagner fiscal qui en résultait a été intégré dans les dépenses fiscales relatives au logement, la non-imposition des loyers implicites étant considérée comme un avantage octroyé aux propriétaires occupants. Ce chiffrage s’est poursuivi jusqu’au début des années 1990. Il a néanmoins été décidé de ne pas intégrer ce poste dans les aides au logement retracées par le compte, au motif qu’il n’aurait pas été logique de prendre pour norme une situation minoritaire, les logements locatifs étant moins nombreux que ceux des propriétaires occupants. Comme on peut l’imaginer, cette décision était lourde de conséquences, car le montant de cette dépense fiscale était très élevé. Qui plus est, il augmentait avec le nombre de propriétaires occupants n’ayant plus d’emprunt à rembourser.
La plupart des pays de l’OCDE ont supprimé la taxation des loyers implicites. Pas tous, cependant : la Suisse et les Pays-Bas font exception[3] : leur norme fiscale diffère donc de celle des autres pays.
La TVA à taux réduit sur les travaux sur bâtiment existants
Les travaux d’entretien et de rénovation de logements effectués par les particuliers bénéficient en France, d’un taux de TVA réduit : 5,5% pour les travaux d’économie d’énergie et 10% pour les autres. L’avantage qui en résulte est facile à calculer : il suffit de multiplier le montant hors taxes des travaux par le différentiel de taux.
On peut toutefois s’interroger sur les bénéficiaires de cette mesure, dont il faut rappeler qu’elle a, avant tout, été motivée par la lutte contre le travail au noir. S’agit-il des ménages qui commandent et paient ces travaux, ou des entreprises qui les réalisent ? Pour répondre à cette question, il faudrait pouvoir déterminer si, et dans quelle mesure, elle a induit une baisse des prix des travaux. Selon toute vraisemblance le différentiel a été partagé entre les entreprises et les ménages, et il ne faudrait donc n’en retenir qu’une partie dans les aides au logement. Faute d’évaluation de l’impact de la mesure, il est impossible de déterminer une clé de répartition. Il est cependant à peu près certain qu’en prenant en compte en totalité le différentiel, on surestime largement le montant de l’aide effective au secteur. Rappelons que ce poste a dépassé 6 milliards d’euros de 2009 à 2011 et qu’il représentait en 2021 environ un tiers de l’ensemble des avantages fiscaux relatifs au logement.
Particulièrement flagrante dans le cas que nous venons d’évoquer, l’incertitude sur l’impact réel des mesures concerne la majorité des aides. C’est le cas par exemple de l’aide fiscale à l’investissement locatif privé, dont une part du bénéfice va probablement aux promoteurs et aux commercialisateurs, ou des aides personnelles auxquelles plusieurs études, certes contestées, attribuent un effet inflationniste sur les loyers.
La TVA à taux réduit sur la construction de logements sociaux
Depuis 1997, la construction de logements sociaux se voit appliquer un taux de TVA réduit de 5,5%. Le taux normal de TVA était, à l’époque, de 18,6%, mais il a évolué depuis lors, passant à 20,6% en 1995, 19,6% en 2000 et 20% en 2014. Le taux réduit n’ayant pas changé, le différentiel a donc été successivement de 13,1%, 15,1%, 14,1% et 14,5% et l’avantage fiscal qui en résulte a évolué en conséquence.
Peut-on pour autant considérer que l’aide à la construction de logements sociaux a fluctué, alors que le taux de TVA qui lui est appliqué n’a pas changé ? Leur production est-elle facilitée, ou handicapée, par l’évolution du taux normal, qui ne lui est pas appliqué ? La question illustre l’ambiguïté inhérente à l’évaluation des aides fiscales : il suffit que la norme change pour que la dépense fiscale évolue, mais assimiler sans autre forme de procès une dépense fiscale à une aide est plus que discutable.
Et que dire des comparaisons internationales, quand on sait que dans l’Union européenne le taux normal de TVA s’étage de 17% (Luxembourg) à 27% (Hongrie), que les taux réduits varient également d’un pays à l’autre et que les périmètres de leur application ne sont pas faciles à cerner ?

Les avantages de taux

Les organismes de logement social et les accédants « sociaux » à la propriété bénéficient de prêts à taux inférieurs aux taux d’intérêt du marché. Il s’agit pour l’essentiel des prêts financés sur l’encours du livret A et des prêts d’action logement pour les premiers, du prêt à taux zéro et, précédemment, du PAP pour les seconds.
Dans le compte du logement, l’aide correspondante est évaluée comme le montant supplémentaire de prêt dont bénéficie l’emprunteur, en comparaison d’un prêt au taux du marché de même durée et dont la séquence de remboursement serait identique. Le montant ainsi calculé est affecté à l’année du fait générateur, la mise en force du prêt, qui coïncide approximativement avec celle du début des travaux.
Deux autres options étaient envisageables :

  • la première aurait consisté à comptabiliser le différentiel d’intérêts pendant chacune des années du remboursement : l’avantage de taux aurait alors été étalé dans le temps ;
  • la seconde aurait retracé les versements des aides permettant d’abaisser le taux d’intérêt, lesquels peuvent s’étaler dans le temps sans forcément coïncider avec la séquence de remboursement. Dans le cas des prêts assis sur le livret A, elle aurait été calculée comme la dépense fiscale résultant de la défiscalisation des intérêts servis aux épargnants, puisque c’est elle qui permet de disposer d’une ressource peu coûteuse. Elle serait dans ce cas regroupée avec les avantages fiscaux.

Ces trois options aboutissent à une répartition dans le temps très différente des avantages de taux.

Est-il légitime d’additionner les trois formes d’aide ?

Les aides au logement regroupent trois volets, dont la prise en compte et l’évaluation ne posent pas les mêmes problèmes. Les aides directes sont clairement affectées au logement et leur évaluation, puisqu’il s’agit de versements, ne peut susciter de contestation. Les avantages de taux sont, eux, susceptibles d’être comptabilisés de différentes manières, mais leur affectation au logement et leur évaluation lorsqu’une méthode est choisie ne pose guère de problème. C’est loin d’être le cas pour la troisième forme d’aides, les avantages fiscaux, dont l’impact sur le logement n’est pas toujours incontestable et dont l’évaluation dépend de la norme fiscale choisie, laquelle, à l’instar du taux normal de TVA, peut varier d’une année à l’autre et diffère évidemment d’un pays à l’autre. C’est la raison pour laquelle leur comparaison dans le temps ou dans l’espace n’a de sens que par référence au montant des prélèvements fiscaux.
Ajoutons que l’évaluation du montant des dépenses fiscales est entourée d’opacité, la DGFiP ne communiquant pas les éléments sur lesquels elles se fondent.
C’est pourquoi aussi le total des aides au logement, puisqu’il intègre les avantages fiscaux, est une notion floue. Il est pourtant utilisé, le plus souvent pour montrer que la politique du logement coûte (trop) cher. Ainsi pouvait-on lire en 2010 dans le rapport d’une commission présidée par Jacques Attali et composée d’éminentes personnalités, parmi lesquelles figurait l’actuel président de la République, qu’« avec 36 milliards d’euros d’aide publique au logement, soit près de 2 % du PIB, la politique française du logement est l’une des plus coûteuses des pays membres de l’OCDE ». Plus récemment, le Prix Nobel d’économie Jean Tirole affirmait dans une interview au Monde qu’« On dépense 42 milliards d’euros par an dans ce secteur [le logement] avec les nombreuses aides à la pierre et à la location ». On espère avoir convaincu le lecteur qu’un certain scepticisme est de mise devant de telles déclarations.


[1] J. Friggit, « Fragilité des comparaisons internationales en matière de logement », rapport n°14978-01, IGEDD, septembre 2023.

[2] L’ensemble des données commentées ici se réfère au compte du logement dont les tableaux sur les aides et prélèvements liées au logement peuvent être consultés sur : https://www.statistiques.developpement-durable.gouv.fr/rapport-du-compte-du-logement-2022-0

[3] Source : C. Taffin, « La fiscalité immobilière en France et ses réformes récentes (et à venir ?) à l’aune des pratiques internationales », politiquedulogementcom, janvier 2022.

Auteur/autrice

  • Jean Bosvieux

    Jean Bosvieux, statisticien-économiste de formation, a été de 1997 à 2014 directeur des études à l’Agence nationale pour l’information sur l’habitat (ANIL), puis de 2015 à 2019 directeur des études économiques à la FNAIM. Ses différentes fonctions l’ont amené à s’intéresser à des questions très diverses ayant trait à l’économie du logement, notamment au fonctionnement des marchés du logement et à l’impact des politiques publiques. Il a publié en 2016 "Logement : sortir de la jungle fiscale" chez Economica.

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