Les locations meublées de courts séjours et les plateformes – les termes du débat (2)

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Partie 2 : Une régulation qui pourrait se renforcer ces prochains mois

La régulation des locations meublées de court séjour s’est rapidement mise en place en France, mais des évolutions récentes devraient conduire à un renforcement de la réglementation.
Dans un précédent article, le développement fulgurant des meublées de courtes durée proposés par les plateformes a été décrit comme s’inscrivant dans évolutions globales du tourisme et de l’économie. Répondant à des besoins mal couverts par l’offre d’hébergement traditionnel, les plateformes sont surtout portées par un modèle économique efficace. Ce phénomène a rapidement été accusé d’exercer une concurrence déloyale avec l’hôtellerie, et de provoquer l’éviction de ménages modestes de territoires tendus, par ses effets inflationnistes ou par la transformation des villes qu’il opère.
Ce second article s’intéresse aux dispositifs mis en œuvre par la puissance publique pour réguler cette activité, et à l’analyse de leurs premiers effets.

1. La régulation

1.1 A l’échelle européenne, des réactions rapides mais diverses

A l’échelle européenne, le développement des plateformes de location meublée de courte durée a suscité des réactions fortes de la part des pouvoirs publics, inquiets de voir un grand nombre de bailleurs se détourner des locations de moyen-long terme au profit d’un usage exclusif de court terme. Sous la pression des associations (Barcelone, Berlin), ce sujet a été inscrit à l’agenda des métropoles européennes dès 2015 (Thomas Aguilera).
La régulation n’arrive pas sur un vide institutionnel. Ses modalités dépendent fortement du domaine de la politique qui s’empare de cet enjeux (tourisme, logement, innovation, etc.), des acteurs impliqués et de la manière dont le sujet est inscrit à l’agenda politique, comme l’illustrent les exemples de Berlin et de Milan (Thomas Aguilera ; Artioli, 2020). Mais la régulation dépend aussi des relations qu’entretiennent l’État central et les collectivités, ainsi que de l’organisation administrative du pays. Ainsi, la présence au niveau local d’administrations structurées en France – et en particulier à Paris – dédiées à la protection du logement, a-t-elle joué un rôle essentiel dans l’essor de la régulation. A l’inverse, en Espagne où de telles administrations étaient moins développées, c’est la pression exercée par les populations qui a été à l’origine de la réaction des pouvoirs publics (à Barcelone par exemple) (Thomas Aguilera).
Les cibles de la régulation peuvent ainsi varier fortement. Celle-ci peut porter sur la location saisonnière, les meublés touristiques professionnels, la location temporaire des résidences principales ou encore les locations partielles de la résidence principale.
Mais elle peut aussi adopter différents objectifs : réguler le marché au travers d’une forme de légalisation (enregistrement, qualité, normes incendie, taxe de séjour), ou, au contraire, bloquer ou limiter l’accès au marché : autorisation, licence (octroyées ou non), quotas (durée, quartier), interdiction de certains segments. Une autre forme de contrôle concerne les obligations de fournir des données qui apparaissent comme une exigence de transparence préalable à toute régulation (Francesca Artioli).
Ainsi des métropoles apparaissent comme particulièrement coercitives, du moins en théorie (Lisbonne, Madrid, Barcelone, Amsterdam), tandis que d’autres ont adopté une position plus proche du laisser-faire (Milan, Rome, Londres, Prague).

Encadré 1 : le cadre européen de la régulation.
Les régulations nationales apparaissent comme fortement encadrées par les politiques et les décisions de l’UE (Claire Colomb). Ainsi, plusieurs directives traitent-elles directement ou indirectement de l’activité des plateformes. C’est le cas de la directive service, de la directive sur le commerce électronique, complétée par la directive sur les services numériques (Digital Services Act publié le 27 octobre 2022 par la Commission Européenne).
Donnant suite à la Short term rental initiative de la Commission, le Conseil européen et le Parlement européen ont approuvé en novembre 2023, une nouvelle directive renforçant la transparence dans la collecte de données. Si ce texte a déçu les partisans d’une régulation renforcée, il a néanmoins clarifié et unifié les conditions de transmission des données aux collectivités territoriales par les plateformes (instauration d’un numéro unique d’enregistrement, désignation précise des biens et des propriétaires). Les Etats auront jusqu’à janvier 2026 pour transposer ce texte dans leur droit national.
En outre, les décisions de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) ont joué un rôle important sur la question de savoir si les politiques de régulation adoptées par les Etats en faveur de la préservation des logements permanents étaient proportionnées et justifiées. Si jusqu’en 2021 les réglementations de régulation étaient suspendues à la jurisprudence européenne, depuis 2020 celle-ci est stabilisée et les réglementations nationales peuvent-être efficacement mises en œuvre (Gwénolé Buck). En effet, la CJUE a estimé que : « Une réglementation nationale soumettant à autorisation la location de manière répétée d’un local destiné à l’habitation pour de courtes durées à une clientèle de passage (…) est conforme au droit de l’Union » dès lors qu’elle est justifiée par une raison impérieuse d’intérêt général tenant à la lutte contre la pénurie de logements destinés à la location (CJUE C-724/18 et C-727/18, 22/9/2020). En conséquence, les cours des Etats ont pu justifier les dispositifs nationaux de régulations. En France, la Cour de Cassation a validé le dispositif d’autorisation préalable soumis à changement d’usage et compensation de la Ville de Paris (arrêt n°195 du 18 février 2021, n°17-26.156, Affaire CALI).


1.2 En France, une réponse graduée du législateur

En France, c’est principalement sous la pression de la Mairie de Paris que la réglementation s’est enrichie. Puis le développement des plateformes a suscité de fortes réactions de la part des élus, relayant la grogne de la population (Corse, Pays Basque, Bretagne)[1]. En particulier, des associations de défense du logement permanent ont organisés des protestations publiques et se sont fédérées à l’échelle nationale sous la forme du Collectif national des habitants permanents.
En France comme ailleurs, la régulation n’est pas créée ex-nihilo, mais s’appuie sur des textes anciens, tels que la réglementation relative au changement d’usage ou les dispositions des règlements de copropriété. Elle est cependant modifiée par des textes nouveaux, le législateur réagissant ainsi d’une façon remarquablement rapide (François Adam). En effet, le dispositif actuel se met en place entre 2014 avec la loi ALUR et 2019 avec la loi engagement et proximité (Gwénolé Buck). (Cf. Figure 2)

La régulation se situe à la croisée de plusieurs droits : droit au logement, droit de propriété, liberté d’entreprendre du commerce et de l’industrie, développement économique local, préservation de l’environnement urbain. Elle repose sur 3 principes : proportionnalité, adaptation et accessibilité/intelligibilité (Gwénolé Buck).
Le premier principe implique un motif impérieux d’intérêt général, en l’occurrence le logement des populations. Ainsi, le juge vérifiera-t-il que la régulation est strictement nécessaire au regard des autres droits et que d’autres mesures moins contraignantes ne suffiraient pas à la réalisation de cet objectif.
Le cadre national offre une boite à outils de mesures graduées (cf. Figure 3). Le principe d’adaptation laisse aux collectivités locales la liberté de choisir le dispositif le plus adapté à leur situation en fonction des caractéristiques des territoires et de la volonté politique locale.
Le principe d’intelligibilité a conduit le Ministère en charge du logement à publier deux guides – à l’usage des communes comme des usagers – et à adopter une pause dans l’évolution de la réglementation, afin de permettre son appropriation.

1.3 Étudier pour réguler

Pour réguler les meublés de tourisme et asseoir juridiquement les décisions des collectivités, il est nécessaire de se fonder sur une analyse précise du marché local du logement, justifiant de la proportionnalité du dispositif adopté avec la situation locale. Une jurisprudence récente[2] du Tribunal administratif de Melun est ainsi allée à l’encontre de la régulation des meublés, en raison du manque de preuve apportée par la collectivité (Matthieu Rouveyre).
Ces travaux ne sont pas exempts de difficultés. Ils nécessitent tout d’abord des données et l’accès à cette ressource constitue un enjeu important.
Les bases de données classiques (recensements, fichiers fonciers) sont, en effet, peu opérantes : les meublés se « cachent » dans différentes catégories (résidences secondaires, principales, autres logements, logements occasionnels, etc.). Une autre solution est de faire appel à du web scrapping, c’est-à-dire du moissonnage des sites internet des plateformes de locations de meublés touristiques.
Eurostat faisant appel à des opérateurs de web scrapping, les plateformes ont fini par accepter de fournir des données sur la fréquentation des meublés de tourisme (Christophe Demunter )[3]. Bien que disponibles en open data, ces données expérimentales restent agrégées à l’échelle des grandes agglomérations (cities) ou des départements, et ne permettent pas des analyses territoriales fines.
Des entreprises commercialisent ces données et certaines structures les mettent gratuitement à disposition (Matthieu Rouveyre). On peut citer notamment AirDNA, InsideAirbnb, etc.
Dans ces démarches, il apparaît important de distinguer les locations de courtes durées à l’année, de celles qui sont plus ponctuelles (résidences principales louées moins de 120 jours/an).
Pour ce travail complexe, des partenariats noués entre collectivités et universitaires paraissent une clé de réussite des démarches de régulation, d’autant que les chercheurs rencontrent des difficultés d’accès à ces données (Jeanne Richon). C’est le cas de la Communauté d’agglomération du Pays Basque, de son agence d’urbanisme et de l’Université de Pau et des Pays de l’Adour (Marc Laclau).
Les communes peuvent aussi demander des données aux plateformes, à la condition qu’elles aient instauré le numéro d’enregistrement des annonces[4].
Une démarche est en cours concernant la mise en place d’un outil d’échanges simplifié de données entre loueurs de meublés de tourisme et communes, dite « API meublé ». Elle permettra de simplifier, d’automatiser, de corriger et d’enrichir les bases ainsi constituées (Lukaszewski & al. 2023)[5].
Une fois les données obtenues et traitées, il faut encore les analyser dans une logique comparative entre territoires, mais aussi par rapport à la compréhension du marché local du logement (Marc Laclau), avant de pouvoir définir les modalités de régulation.

1.4 Des moyens à mobiliser pour un dispositif de régulation efficace

La mise en place d’un dispositif de régulation effectif suppose de se doter de moyens importants. La nécessité d’observer le phénomène représente tout d’abord un coût non négligeable pour l’achat des données et pour leur traitement (Jeanne Richon). Une fois l’observation effectuée, la régulation nécessite des compétences juridiques pointues pour mettre en place le dispositif.
Ensuite, les contrôles de terrain nécessaires à son application supposent des effectifs importants et des moyens logistiques (Francesca Artioli).
En effet, des analyses fines des annonces sont requises et des équipes de contrôleurs locaux faisant du porte-à-porte doivent être constituées (Jeanne Richon). Par exemple, la mise en place de contrôles a entrainé la création de 3 postes et l’achat de logiciels spécifiques pour Bordeaux Métropole. En outre, l’exploitation des données a été rendue possible par un accord avec l’université (Jérôme Passicos).
Ces moyens ne sont guère à la portée de petites communes ou de petites intercommunalités touristiques.
Les contentieux peuvent également entraîner des frais de justice, en particulier en cas de défaite judiciaire des collectivités (cf. encadré 2). Malgré une réglementation relativement complète, les bailleurs ont mis en place des stratégies de contournement qui nécessitent des compétences pointues pour être déjouées (Jeanne Richon).
Par exemple, ne pas donner accès à son domicile demeure un moyen très efficace de contrer les démarches de contrôle. Faire reconnaître abusivement son bien loué comme sa résidence principale en est un autre pour les bailleurs (Jérôme Passicos). Des évolutions juridiques seraient encore à prévoir pour contrer ces stratégies d’évitement. A paris, une équipe d’une trentaine de contrôleurs effectue des visites sur le terrain et constitue des dossiers de saisine de la justice le cas échéant (Le Monde, 20/10/2022)

Encadré 2 : l’écueil de l’usage des locaux au 1er/1/1970
Considérant qu’il s’agit alors de locaux d’activité, une commune peut instaurer une demande d’autorisation temporaire de changement d’usage pour toute résidence secondaire utilisée comme meublé de tourisme (art. L631-7-1 A du CCH). Dans le cadre d’un contentieux avec un propriétaire, l’usage du local en tant qu’habitation antérieurement à la mise en location de courte durée doit être établi.
Un local est alors considéré comme étant à usage d’habitation lorsqu’il était affecté à cet usage au 1er janvier 1970 (CCH : L.631-7, al. 3). Les locaux construits après cette date sont réputés avoir l’usage pour lequel la construction a été autorisée, tout comme les locaux qui ont fait l’objet de travaux entraînant un changement de destination (CCH : L.631-7, al. 3).
Pour prouver que le bien transformé avait un usage d’habitation, la collectivité s’appuie généralement sur un formulaire appelé « H2 » (document qui permet de recenser les constructions nouvelles et d’établir leur valeur cadastrale).
Pour la jurisprudence, la seule mention, sur une déclaration remplie postérieurement au 1er janvier 1970, d’une occupation d’un local par son propriétaire, ne permet pas d’en établir l’usage à cette date ni de le faire présumer.
La Cour de Cassation avait déjà eu l’occasion de se prononcer sur ce point concernant un formulaire H2 rempli en 1978, soit huit ans après la date recherchée (Cass. Civ III : 18.2.21, n° 19-11.462). Un arrêt récent (Cass. Civ III : 7.9.23) confirme qu’une déclaration effectuée plusieurs mois après le 1er janvier 1970 ne constitue pas une preuve suffisante.


1.5
Un jeu d’acteurs complexe qui soulève des difficultés importantes

Les plateformes adoptent une position ambigüe. Pour subsister face aux pouvoirs publics qui édictent les normes, elles deviennent des « entrepreneurs de la régulation », car de leur collaboration dépend leur pérennité au regard de l’évolution réglementaire (Aguilera et al., 2019). Par exemple, en devenant collecteur de la taxe de séjour, Airbnb a pu apparaître un moment comme un partenaire des collectivités. Pour la mise en place de la régulation, les plateformes ont proposé des solutions alternatives, plus ou moins efficaces. Elles agissent en exerçant un lobbying puissant et direct assez traditionnel (à Bruxelles par exemple). En réponse, les métropoles exercent auprès de l’UE une forme de contre-lobbying (Paris et Amsterdam) (Jérôme Passicos). Cependant, les plateformes mobilisent et soutiennent aussi des propriétaires bailleurs et les intermédiaires (agences immobilières spécialisées) et deviennent ainsi des « acteurs urbains » (Francesca Artioli).
Au-delà du lobbying, les intérêts divergents des acteurs conduisent à une juridicisation des relations entre plateformes/bailleurs, et les pouvoirs publics.

1.6 Une régulation qui semble porter ses fruits

Les métropoles se sont emparées rapidement des outils de régulation créés par le législateur. En France, Paris (Emmanuel Trouillard), Bordeaux (Jérôme Passicos) et plus récemment Nice ont choisi d’y consacrer des moyens conséquents. De ce point de vue, la France se situe dans une position médiane : Paris apparaît certes comme la ville la plus coercitive de France, mais elle est loin d’être la plus régulée en Europe (Thomas Aguilera ; Colomb et al., 2021). En dehors des métropoles, d’autres territoires ont fait preuve d’inventivité et de détermination dans la régulation. Saint-Malo a ainsi établi des quotas d’autorisations par quartier et d’une durée limitée.
Conjuguée avec la crise sanitaire, la régulation semble porter ses fruits : depuis 2018, le nombre d’annonces baisse dans plusieurs métropoles comme à Paris où, pour la seule plateforme Airbnb, leur nombre est passé de 65 000 en février 2020 à 55 000 trois ans plus tard[6]. C’est le cas également à Bordeaux où le nombre de logements sur les plateformes est passé de 9 000 en 2018, selon les données de la municipalité, à 4 000 en 2022 (Victor Piganiol).
En effet, la rentabilité des logements Airbnb baisse, plusieurs professionnels faisant état d’un retour sur le marché de la vente ou de la location longue durée de logements loués sur les plateformes (Le Monde, 25/2/2022).
En outre, les plateformes se montrent plus conciliantes vis-à-vis des collectivités au fur et à mesure du développement de la régulation (Jérôme Passicos). Dorénavant, Airbnb permet aux collectivités de signaler les hôtes qui ne respectent pas la réglementation (annonces sans n° d’enregistrement ou n° invalide), afin d’obtenir leur blocage (Jérôme Passicos).
Un autre résultat de la régulation serait la diffusion des annonces depuis les territoires les plus tendus (et les plus régulés) vers les marges des métropoles.
Le rôle de la régulation et celle de la crise sanitaire ou encore des changements dans les orientations du tourisme sont cependant difficile à démêler (Victor Piganiol). De surcroît, l’approche des Jeux Olympiques de Paris a pu récemment aiguiser les appétits et contribuer à une forme de relance du phénomène.

2. Evolutions les plus récentes : vers plus de régulation ?

2.1 La mobilisation des pouvoirs publics, sous la pression de la contestation sociale

Si la réglementation a connu une pause depuis 2019, les mouvements récents des populations comme des élus a relancé le débat en France. A la suite d’une mission d’inspection (IGF-IGEDD- IGA, 2022), un groupe national de travail s’est réuni à plusieurs reprises entre novembre 2022 et juillet 2023, rassemblant de nombreux élus sous l’égide de trois ministres. Plusieurs pistes de réformes y ont été présentées (Gouvernement, 2023) qui ont déjà donné lieu à de premières concrétisations. Les premières mesures concernent essentiellement la fiscalité. Parmi elles, on peut citer l’élargissement aux zones touristiques de la possibilité pour les communes d’instituer un déplafonnement de la taxe d’habitation sur les résidence secondaires (décret du 25/8/2023). Cette disposition ne répond cependant qu’à une partie de la question, car son effet économique demeure limité. La loi de finance 2024 a également réduit l’avantage fiscal dont bénéficient les propriétaires de meublés de tourisme classés[7] (cf. encadré de la première partie).
Après avoir été adoptée en première lecture à l’Assemblée nationale, une proposition de loi transpartisane visant à remédier aux déséquilibres du marché locatif a été transmise au Sénat le 29 janvier 2024, reprenant pour une part les conclusions du groupe de travail. Présentée notamment par Annaïg Le Meur et Inaki Echaniz, elle prévoit pour l’essentiel :

  • la généralisation aux meublés de tourisme de la réglementation relative aux passoires thermiques ;
  • l’extension des zones où la déclaration préalable et le changement d’usage sont obligatoires ;
  • une faculté accrue d’encadrer les destinations des nouvelles constructions par le PLU ;
  • un alignement de la fiscalité des revenus locatifs issus de meublés sur celle des locations nues en zones tendues.

Si une nouvelle loi logement voit le jour renforçant la régulation des meublés, elle devra cependant résoudre plusieurs contradictions.

2.2 Trier le « bon Airbnb » du « mauvais Airbnb » : la distinction impossible ?

Dans les discours apparaît souvent une opposition entre « le bon et le mauvais Airbnb » (Jérôme Passicos). Celle-ci n’est pas exempte de caricature, comme lorsqu’elle dénonce les « multi propriétaires qui vivent à Dubaï » contre les « gens qui ont acheté un ou deux biens avec emprunt, qui en ont fait leur métier, et qui comptent sur ces revenus pour leur retraite » (Le Monde, 25/11/2022).
Mais quels seraient les critères permettant de distinguer les deux ?
Une large palette d’antagonismes apparaît à la lecture des discours publics. Par exemple :

  • Des locations dépassant ou pas la limite des 120 jours (au-delà de laquelle ces locations seraient néfastes, car soustrayant un logement au marché des résidences principales) ;
  • La location d’une chambre chez l’habitant contre la location d’un logement entier ;
  • Une activité à part entière de la part des hôtes – c’est-à-dire un travail, contre l’exploitation / l’extraction de la rente immobilière (Nicolas Oppenchaim) ;
  • Des bailleurs amateurs par opposition aux bailleurs rationnels (Nicolas Oppenchaim) ;
  • Une forme de rationalisation (routinisation des tâches, notamment d’accueil) contre un esprit d’amateurisme (Nicolas Oppenchaim) ;
  • La location de la part d’un propriétaire d’un seul logement / la monopropriété contre la location de plusieurs logements / la multipropriété ;
  • L’offre d’une expérience personnalisée avec un hôte contre une forme de dépersonnalisation / industrialisation / professionnalisation (accueil personnalisé contre boîte à clés) ;
  • La restauration qualitative du patrimoine rural dans la perspective des locations contre les restaurations standardisées des métropoles (« logements IKEA ») ;
  • Les meublés appartenant aux résidents[8] par opposition à ceux de propriétaires éloignés.

2.3 Un « Airbnb des champs » qu’il faudrait préserver

Parmi les oppositions souvent mentionnées, on peut citer celle qui distingue un « Airbnb des villes » contre un « Airbnb des champs » (Le Monde, 11/7/2022).
À l’inverse de l’accueil qui leur est fait par les métropoles, les plateformes ont pu en effet trouver les faveurs de certaines collectivités, notamment dans des territoires souffrant de déprise ou d’une forme d’abandon des centres-villes, liée au départ des ménages aisés vers la périphérie ou au déclin démographique. Les plateformes offriraient ainsi à ces villes ou ces villages une opportunité de retrouver une forme d’attractivité, en particulier pour les villes petites ou moyennes présentant un patrimoine historique et urbain important.
Outre les revenus offerts aux bailleurs et la redynamisation de certains commerces liés au tourisme, le développement des meublés saisonnier conduirait à une rénovation de logements dégradés ou laissés à l’abandon, afin de les hisser au niveau de confort demandés par les locataires. Cette activité apporterait de plus aux bailleurs une reconnaissance et des « gratifications symboliques », ceux-ci devenant des « petits ambassadeurs » de leur territoire auprès des visiteurs (Andrieux et al. 2019).
Certaines collectivités ne s’y sont pas trompées : la convention qui lie l’Association des Maires Ruraux de France (AMRF) et la société Airbnb a été renouvelée en avril 2021 (Airbnb 2021a ; Courrier des Maires 2019). L’intérêt marketing d’un positionnement vis-à-vis du patrimoine n’a pas échappé non plus à la société Airbnb. Elle a lancé en 2022 avec la Fondation du patrimoine le programme « Patrimoine et Tourisme local » dont elle est le principal financeur (Airbnb 2021b). Encore faut-il s’assurer que cet engagement dépasse une simple posture d’affichage de la part des plateformes (« ruralwashing »).
Devant la variété des situations, il apparaît donc nécessaire de moduler la régulation en fonction de la situation locale. A ce titre, la réglementation paraît plutôt adaptée car mobilisable de façon graduée par les acteurs locaux, même si élus préféreraient parfois une forme d’automaticité qui les dédouane de la responsabilité politique vis-à-vis des bailleurs et acteurs économiques comme ont pu le montrer les échanges lors des travaux du groupe de travail national sur le sujet. La proposition de loi d’Annaïg Le Meur (art. 2) prévoit ainsi d’élargir à l’ensemble des zones tendues le régime du changement d’usage d’office[9].

2.4 Des effets limités de la régulation sur certains territoires ?

Dans certains territoires touristiques, les mesures de régulation pourraient ne pas avoir l’effet escompté, voire produire des effets pervers. C’est le cas notamment de secteurs relativement déshérités du point de vue de l’activité industrielle ou des services (Corse, Languedoc, montagne), pour lesquels le tourisme a permis une forme de développement (Géraldine Leduc). Ces secteurs présentent souvent une économie de type résidentiel, portée par le tourisme et la construction, et les services qui leur sont liés[10].
Il n’est pas certain qu’en réduisant la rentabilité des meublés touristiques, au travers de la fiscalité par exemple, on favorise pour autant la construction de logements destinés à devenir des résidences principales. L’effet serait seulement une réduction de la construction neuve et de la rénovation dans son ensemble et non sa réorientation vers les besoins de la population locale. De nombreuses résidences secondaires sont en effet la propriété de ménages dont le projet n’est pas de constituer des résidences principales.
La géographie des résidences secondaires, beaucoup plus diffuse que celle des résidences principales (par exemple le long des côtes) et peu présente sur les pôles d’emplois, rend par ailleurs difficile la conversion des résidences principales. En outre, ces appartements ou ces maisons ne présentent pas toujours les conditions techniques idéales pour du logement permanent (confort thermique par exemple). On peut notamment penser aux studios construits en masse dans les stations de ski des années 1970 et 1980 ; une fiscalité alourdie pourrait conduire leur propriétaire à les vendre au lieu d’engager des travaux de modernisation. La proposition de loi d’Annaïg Le Meur tient compte d’ailleurs de cette question, car elle distingue différents territoires pour l’application d’un régime fiscal moins avantageux[11].

Conclusions

Ainsi, le développement des meublés de tourisme soulève-t-il un problème complexe à la croisée du développement touristique et du droit au logement, ainsi que du droit de propriété. Pour les pouvoirs publics, il s’agirait d’atteindre un « équilibre subtil » en adoptant une « régulation proportionnée aux enjeux » (François Adam).
Bien que la législation actuelle soit graduée et paraisse adaptée à la diversité des situations locales, un consensus se dégage pour modifier la réglementation dans le sens d’une meilleure égalité entre location longue et courte, au moins du point de vue de la fiscalité (cf. interview de celui qui était alors ministre du Logement, Patrice Vergriete, Le Monde 7/10/2023).
Les plus opposés aux plateformes prônent l’alignement de la réglementation des meublés de tourisme sur celles de l’hôtellerie (avec inclusion de leurs activités dans le champ de TVA), D’autres pistes de réforme verront sans doute le jour grâce à la proposition de loi en discussion au Parlement : modulation du seuil des 120 jours en le détachant de la notion de résidence principale (Gwénolé Buck), encadrement du mode d’occupation des constructions neuves dans les PLU, etc.
Certaines évolutions techniques des obligations des plateformes rendraient aussi la poursuite des contrevenants plus simple : transmission des URL des annonces, levée de l’anonymat des propriétaires, vérification de l’identité des propriétaires, sécurisation du numéro d’enregistrement, etc. (Jeanne Richon).
Cependant, ne faudrait-il pas tout d’abord rendre la réglementation actuelle plus efficiente et en faciliter l’utilisation ? La boîte à outil proposées par l’Etat aux élus locaux pour une action adaptée aux territoires demeure relativement peu utilisée. C’est bien-sûr une question de connaissance du phénomène, à laquelle « l’API Meublé » et la nouvelle directive européenne relative aux données des plateformes apporteront sans doute des réponses. C’est aussi une question de moyens techniques et humains, ce qui plaiderait pour la mise en place d’un opérateur mutualisé à une échelle géographique à définir.

Sylvain Guerrini
Géraldine Geoffroy
Mars 2024


Bibliographie

Articles de presse :


[1] Le Monde, 10/11/2021 ; Le Monde 14/7/2022

[2] TA Melun, ordonnance n° 2208697 du 31 octobre 2022

[3] Eurostat a conclu un accord d’échanges de données début 2020 avec quatre plateformes (Airbnb, Booking, Expedia Group et Tripadvisor).

[4] L. 324-1-1 et L. 324-2-1 du Code du tourisme

[5] Cf. pages du site internet de la Direction générales des entreprises consacrée à l’API meublé

[6] « Sur le seul site d’Airbnb, en février 2020, on trouvait 64 888 annonces proposant une location dans Paris, correspondant dans 9 cas sur 10 à des appartements entiers. » (APUR, 2020) ; Corentin Ortais de l’APUR cite 55000 annonces AirBnB en fév. 2023 (Inside AirBnB) lors du colloque RIATE organisé par l’APUR le 29 septembre 2023 ; cf. les chiffres de la mairie de Paris (Le Monde 20/10/2022)

[7]     La loi de finances 2024 aligne l’abattement fiscal des revenus issus de locations de meublés touristiques classés  sur celui des locations de logements meublés de longue durée, passant ainsi de 71 % à 50 %. Toutefois, les zones en déficit d’offre touristique avec une offre suffisante de résidences principales pourront maintenir l’abattement de 71 % (à condition que les loyers perçus ne dépassent pas 50 000 € annuels). En outre, pour les revenus perçus en 2023, le régime micro-BIC s’appliquerait lorsque le chiffre d’affaires réalisé l’année précédente, ou l’avant dernière année, n’excède pas 77 000 euros (au lieu de 188 700 euros, limite applicable aux activités de ventes de marchandises).

[8]     Par exemple, 37 % des résidences secondaires situées en Corse appartiennent à des résidents insulaires (INSEE 2020a).

[9]  Actuellement, le dispositif de changement d’usage d’office prévu à l’article L. 631-7 du code de la construction et de l’habitation ne concerne obligatoirement que les communes de plus de 200 000 habitants ainsi que celle des trois départements de la petite couronne francilienne.

[10]   Par exemple en 2017, la consommation touristique représentait 39 % du PIB de la Corse (3,4 Mds€) ou 13 % du PIB de la région PACA, contre 8 % en moyenne en France (INSEE, 2020b).

[11] L’article 3 prévoit de limiter le régime avantageux du micro-BIC des meublés de tourisme classés (abattement fiscal de 71 % des revenus fonciers) aux communes de montagne ou situées en zone détendue.

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