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Rapport Daubresse-Cosson : un bon début mais peut mieux faire

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Le rapport[1] remis en juin 2025 par Marc-Philippe Daubresse et Mickaël Cosson au Gouvernement se penche sur la relance de l’investissement locatif privé en France. Depuis plusieurs années, le marché immobilier traverse une phase de ralentissement marquée, avec une chute des mises en chantier et une baisse du nombre d’investisseurs bailleurs. Les auteurs insistent sur l’urgence de restaurer l’attractivité de ce type d’investissement, indispensable au bon fonctionnement du marché locatif et à la fluidité des parcours résidentiels. Pour ce faire, ils identifient plusieurs freins — normes réglementaires jugées contraignantes, insécurité liée aux impayés, poids croissant de la fiscalité — et proposent un ensemble de mesures notamment fiscale, complétées par quelques ajustements réglementaires.

Un diagnostic partagé mais incomplet

Le rapport met en évidence un constat largement partagé : l’investissement locatif s’est contracté ces dernières années, alors même que le parc privé loge environ 25 % des ménages et plus de la moitié des locataires (Insee, 2025). Ce parc joue un rôle décisif dans l’offre globale de logements, et sa vitalité conditionne la capacité du système résidentiel à loger les ménages à différents stades de leur parcours de vie. Les auteurs rappellent également que les petits propriétaires constituent une part importante de ce parc, et qu’il s’agit souvent d’individus ou de ménages pour lesquels l’investissement locatif est perçu comme une épargne sécurisée ou un complément de revenu. Le parc locatif privé en France est aujourd’hui presque intégralement détenu par des ménages, non plus par des investisseurs institutionnels. Cette transformation structurelle s’est amorcée à partir des années 1980, à la suite du désengagement progressif des grands acteurs institutionnels – compagnies d’assurance, banques, caisses de retraite – qui détenaient auparavant une part significative de ce parc (jusqu’à 18% du parc dans les années 80[2]). Plusieurs facteurs expliquent ce mouvement, notamment la baisse de rentabilité relative de l’investissement locatif institutionnel, les évolutions réglementaires et fiscales, ainsi que la réorientation des stratégies d’investissement vers d’autres actifs. La France ne constitue pas une exception dans ce domaine : un phénomène similaire s’est observé dans la plupart des pays européens, où les ménages ont progressivement pris le relais des investisseurs institutionnels dans la détention et la gestion du parc locatif privé.

Ce diagnostic, pour juste qu’il soit, reste cependant incomplet. Les données récentes de l’Insee montrent qu’environ un tiers des propriétaires sont aujourd’hui multipropriétaires, et que ceux-ci détiennent à eux seuls près des deux tiers du parc locatif privé. Cette concentration de la propriété est particulièrement marquée dans les zones tendues, où les prix sont élevés et où la demande locative est forte. Si la concentration de la propriété pose un problème évident de captation du patrimoine immobilier et d’inégalités patrimoniales, elle représente en même temps un facteur de stabilité pour le fonctionnement du marché locatif. Ces multipropriétaires, souvent professionnalisés, assurent une part essentielle de l’offre et contribuent à la fluidité du parc privé, sans laquelle la tension sur le marché serait encore plus forte. Néanmoins cette concentration patrimoniale interroge l’équité des mesures proposées : les incitations fiscales risquent en effet de bénéficier en priorité à des ménages déjà dotés d’un patrimoine conséquent, plutôt qu’à des propriétaires modestes ou de nouveaux investisseurs.

Par ailleurs, certains déterminants de la rentabilité locative méritent d’être appréhendés avec davantage de nuance. L’encadrement des loyers est souvent présenté comme une contrainte majeure pesant sur les investisseurs, alors que son effet réel sur la rentabilité est plus ambivalent. Ce dispositif, fondé sur des valeurs de marché de référence, tend davantage à stabiliser le rendement instantané qu’à le dégrader structurellement. En réalité, la principale pression sur les rendements locatifs provient moins de la régulation des loyers que de la dynamique haussière des prix immobiliers, qui exerce une compression mécanique sur la rentabilité nette des investissements. Autrement dit, c’est le décalage croissant entre l’évolution des loyers et celle des prix d’acquisition — plutôt que la régulation en tant que telle — qui constitue le facteur déterminant de l’érosion de la rentabilité dans de nombreux marchés urbains. De même, les obligations réglementaires en matière énergétique ou de qualité du logement, bien qu’elles engendrent des coûts, sont adossées à des dispositifs de soutien public tels que MaPrimeRénov’[3] ou des aides locales. Leur existence est à peine évoquée dans le rapport, alors qu’elle relativise le poids net de ces contraintes.

La question des impayés de loyers, elle, est réduite à un simple enjeu fiscal. Or, c’est avant tout par un renforcement des garanties locatives et par une meilleure sécurisation juridique des bailleurs que l’on peut traiter ce risque. Enfin, la hausse de la taxe foncière est attribuée à la suppression de la taxe d’habitation, mais le rapport ne mentionne pas les travaux de l’Institut des politiques publiques, qui ont mis en lumière l’incidence de cette réforme sur l’évolution des loyers et des prix immobiliers.

Enfin, l’analyse de la fiscalité locative demeure fragmentaire. Si les auteurs insistent sur son poids croissant, ils omettent de replacer cette question dans le cadre plus large de la réforme de la fiscalité du capital : l’instauration en 2018 de la « flat tax » a rendu les placements financiers plus attractifs que l’immobilier, accentuant le décrochage relatif de ce dernier (HCSP, 2023). Cette comparaison entre investissements financiers et immobiliers, pourtant centrale pour comprendre les arbitrages des ménages, constitue un angle aveugle du rapport.

Des propositions fiscales ambitieuses mais perfectibles

Le cœur du rapport repose principalement sur cinq propositions fiscales.

Une première proposition vise à ouvrir l’amortissement des logements mis en location longue durée et à relever l’abattement du régime « micro-foncier » à 50 %. Cette mesure serait toutefois réservée aux acquisitions postérieures à décembre 2025. Si l’intention est de rendre l’investissement locatif plus attractif pour les nouveaux entrants, elle crée une rupture de traitement significative entre anciens et nouveaux investisseurs. À fiscalité constante, les premiers sont désavantagés alors qu’ils assurent aujourd’hui la majeure partie de l’offre locative. Cette inégalité de traitement pourrait même avoir un effet pervers : dans une logique d’optimisation, certains bailleurs pourraient être incités à se retirer temporairement du marché pour réinvestir ensuite dans des conditions plus favorables, ce qui irait à l’encontre de l’objectif affiché d’augmentation de l’offre. En l’absence d’un traitement plus équitable entre stock et flux, cette mesure peut donc de produire des effets de bord contreproductifs.

Une deuxième proposition instaure un bonus fiscal pour les logements loués à un loyer « abordable ». Bien que l’intention soit louable, le dispositif est affaibli par le flou qui entoure la notion même d’« abordabilité ». Or, cette question est centrale : au-delà de la seule disponibilité d’une offre locative, c’est le coût du logement qui pèse de plus en plus lourdement dans le budget des ménages.
Sans définition claire et territorialisée de ce que signifie un loyer abordable — par rapport aux revenus des locataires ou à des loyers de référence — le risque est que le dispositif ne cible pas les publics réellement en difficulté d’accès au logement. Cette question doit être posée en amont de toute réflexion sur un statut du bailleur privé : si avantage fiscal il y a, il doit être clairement associé à une contrepartie sociale en matière de niveau de loyer.

Une troisième proposition prévoit de relever à 40 000 € le plafond d’imputation du déficit foncier. Elle constitue une incitation puissante à la réalisation de travaux, notamment de rénovation, mais elle bénéficiera surtout aux propriétaires les plus fortunés, disposant déjà d’un revenu foncier important. Le risque d’effets d’aubaine et le coût potentiel pour les finances publiques sont ici considérables. Des contreparties claires — ciblage des ménages bénéficiaires, nature des travaux éligibles, niveaux de loyers pratiqués — devraient donc être prévues pour éviter les effets d’aubaine et garantir une véritable efficacité économique et sociale.

Une quatrième proposition suggère d’exclure les logements loués de longue durée de l’assiette de l’Impôt sur la fortune immobilière (IFI). Cette mesure va dans le sens d’un rapprochement entre fiscalité immobilière et financière. Mais son impact restera limité, car l’IFI concerne une minorité de ménages.
À l’inverse, la taxe foncière constitue un levier fiscal bien plus puissant : elle touche l’ensemble des propriétaires. Aujourd’hui, les surtaxes sur les résidences secondaires ou les logements vacants ne sont pas suffisamment incitatives dans les zones tendues, et la régulation des meublés touristiques reste insuffisante. Une refonte globale de la fiscalité locale pourrait faire de la taxe foncière un véritable outil de politique du logement, en favorisant le logement occupé à l’année par une fiscalité allégée et en taxant plus fortement les autres usages.

Enfin, une cinquième proposition vise à aligner la durée d’amortissement et la durée d’exonération de plus-value sur vingt ans. Si cette mesure apporte une meilleure lisibilité pour les investisseurs, elle reste insuffisante en l’état. Comme évoqué précédemment, c’est l’ensemble de la fiscalité immobilière qui gagnerait à être repensé : articulation entre fiscalité du capital, taxe foncière, régulation des usages et fiscalité des plus-values. Sans une réforme d’ensemble, les ajustements ponctuels risquent d’être peu lisibles et d’avoir des effets limités sur les comportements des bailleurs.

Une contribution utile mais incomplète

Le parc locatif privé occupe une place centrale dans l’équilibre du système résidentiel français. Il loge des ménages qui, aujourd’hui, ne peuvent ou ne souhaitent pas accéder à la propriété, mais qui rencontrent également des difficultés à intégrer un parc social saturé, marqué par des files d’attente en constante augmentation (Défenseur des droits, 2023). Il constitue également une porte d’entrée essentielle dans le logement pour les jeunes ménages, notamment les étudiants et jeunes actifs, pour lesquels il représente souvent la seule solution rapide et flexible d’accès à un logement. Le renforcement de ce parc suppose à la fois de travailler sur le flux — en favorisant la mobilité résidentielle et la fluidité des parcours — et sur le stock — en réhabilitant et en maintenant des logements décents et accessibles.

Dans ce contexte, et dans un cadre budgétaire contraint, la question de l’orientation des leviers d’action publique se pose avec acuité. Faut-il privilégier le soutien à l’investissement nouveau pour attirer davantage de bailleurs ? Faut-il au contraire concentrer les efforts sur une révision de la fiscalité locative, dont le poids est souvent perçu comme un frein ? Ou bien articuler ces deux approches en combinant incitations ciblées et réformes structurelles, notamment pour encourager la construction neuve et la rénovation ?

La fiscalité appliquée aux revenus locatifs se caractérise en effet par des niveaux de prélèvements élevés et une grande complexité. L’imposition au barème progressif de l’impôt sur le revenu, à laquelle s’ajoutent les prélèvements sociaux et une fiscalité locale en hausse, peut aboutir à des taux effectifs élevés, en particulier pour les ménages situés dans les tranches supérieures. Le système est également fragmenté en une multitude de régimes et dispositifs dérogatoires, qui complexifient son appréhension et produisent des effets différenciés selon les profils d’investisseurs. Si certains bailleurs supportent effectivement des prélèvements élevés, d’autres bénéficient de régimes plus favorables qui atténuent sensiblement la charge fiscale. Le caractère confiscatoire n’est donc ni uniforme ni structurel, mais dépend largement des caractéristiques individuelles de chaque investisseur et des dispositifs mobilisés.

Une réforme efficace de l’investissement locatif suppose de reposer sur un rééquilibrage entre fiscalité immobilière et financière, une simplification des régimes existants, une meilleure articulation entre incitations fiscales et contreparties sociales, ainsi qu’un renforcement des garanties juridiques et financières des bailleurs. Enfin, cette réforme doit pleinement intégrer la question des prix immobiliers, déterminants majeurs de la rentabilité des investissements, et mobiliser davantage le parc existant pour le logement à l’année.

Seule une articulation cohérente entre fiscalité incitative, régulation et usage renforcé du parc privé permettra de restaurer durablement la fluidité du marché locatif, tout en répondant aux besoins spécifiques des jeunes ménages et des locataires en place. Elle constitue également une condition nécessaire pour que le parc locatif privé continue à remplir son rôle d’amortisseur structurel du système résidentiel français.

Pierre Madec, octobre 2025

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[1] « Pour une relance durable de l’investissement locatif », Rapport au gouvernement, Marc-Philippe Daubresse et Mickaël Cosson, juin 2025.

[2] Selon un rapport de l’Inspection générale des finances, le parc locatif représentait près de 1,2 millions de logements en 1984 contre 199 000 en 2019.

[3] MaPrimeRenov’ a fait l’objet de nombreux ajustement au cours des derniers. Jusqu’au 31 décembre 2025, MaPrimeRénov’ pour une rénovation d’ampleur est prioritairement réservé aux ménages très modestes.

Auteur/autrice

  • Pierre Madec

    Pierre Madec est chargé d'études au sein de l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), centre de recherche en économie de Sciences Po. Il s'est spécialisé sur les questions relatives au logement et à l'immobilier. Il a rédigé de nombreux articles sur le sujet et a notamment co-dirigé avec Jean-Claude Driant un ouvrage intitulé "Les crises du logement" à paraître dans la collection La Vie des Idées / PUF. Il travaille également sur les questions de redistribution et d'inégalités.

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