L’économie de l’immobilier et du logement repose principalement sur le crédit.
Les opérations de construction ou d’acquisition sont conduites grâce au crédit. Permettre aux ménages d’accéder à la propriété suppose donc que les établissements prêteurs aient un accès suffisant à la liquidité. Mais surtout, le prix de l’argent pèse lourdement sur le bilan financier des opérations et la solvabilité des accédants. Ainsi, porter de 20 à 25 ans la durée d’un emprunt permet d’en augmenter le montant de 5% lorsque le taux d’intérêt est de 12%, mais de 17% lorsque ce taux s’établit à 3%. La baisse des taux depuis 2001 a donc permis une solvabilisation massive des emprunteurs et la hausse depuis 2021 a un effet contraire.
Le coût des opérations représente en moyenne entre 3,5 années de revenu pour un accédant en 1996 et près de cinq années aujourd’hui, le niveau des taux d’intérêt expliquant pour une part cette différence.
La question de l’alimentation du système de financement est donc centrale pour l’économie immobilière. Il importe en effet de disposer :
– de crédits suffisants, de l’ordre de 210 à 220 milliards d’euros de production brute annuelle nouvelle, ce qui représente au fil du temps un encours considérable ;
– de crédits adaptés aux attentes des emprunteurs en ce qui concerne le coût, la durée et la souplesse de remboursement, la sécurité, sachant qu’en France, les crédits octroyés sont presque exclusivement à taux fixe ;
– de modes de refinancement, c’est-à-dire d’alimentation financière, ne faisant pas peser des risques exagérés sur les établissements prêteurs.
Les techniques de refinancement
Les différentes techniques de refinancement des produits offerts à la clientèle se distinguent selon :
– l’origine des fonds, avec la distinction fondamentale entre ressources de marché et circuits privilégiés ;
– la durée de disponibilité des fonds, sachant qu’en parfaite orthodoxie financière, pour minimiser les risques de taux et de liquidité, il faudrait, en théorie, une parfaite congruence entre ressources et emplois, jamais atteinte dans la réalité.
L’essentiel des fonds mobilisés pour assurer la distribution des crédits nécessaires au fonctionnement des marchés immobiliers provient de ressources de marché. Il n’y a cependant aucune raison pour que les caractéristiques financières des ressources disponibles soient parfaitement et systématiquement adaptées aux besoins de refinancement des crédits délivrés, ne serait-ce que du fait d’une insuffisance permanente de l’épargne longue (de 12 à 15 ans). Or les crédits immobiliers sont souscrits le plus couramment sur des durées de 15 à 25 ans. Si, par exemple, un prêt sur 25 ans est financé sur une ressource remboursable au bout de 10 ans, l’établissement prêteur devra dans 10 ans trouver une ressource pour financer le capital restant dû, mais au moment où il accorde le prêt il n’en connaît pas le coût : c’est le risque de taux.
A noter cependant que nombre de crédits font l’objet, notamment en cas de revente du bien, accompagnée d’un remboursement anticipé. De plus, les risques de défaut de remboursement de ce type de crédits restent contenus (le taux d’encours douteux est de l’ordre de 1%).
Pour se procurer des ressources de long-terme sur les marchés, les établissements prêteurs disposent de plusieurs possibilités :
– le marché obligataire, sur lequel les établissements distributeurs émettent des emprunts. Les fonds recueillis servent habituellement à financer des prêts longs à taux fixe. Un des acteurs essentiels sur ce marché pour le secteur concerné est la caisse de refinancement hypothécaire. Une loi de 1999 a ouvert enfin à tous les établissements de crédit le droit au refinancement des prêts au logement par le biais d’obligations foncières ;
– les emprunts sur le marché hypothécaire, compartiment du marché obligataire où s’effectuent les transactions qui portent sur les seuls crédits immobiliers. L’organisation de ce marché diffère très sensiblement selon les lieux, les époques ;
– la titrisation des crédits ou créances hypothécaires. La titrisation est une technique financière qui consiste à transférer à des investisseurs des actifs financiers, en l’occurrence des prêts en cours d’amortissement, en les transformant en titres émis sur le marché des capitaux. Elle a été introduite aux États-Unis pour que les établissements de crédit soient en mesure de répondre à une demande de crédit en forte augmentation de la part des nouvelles générations de candidats à l’accession à la propriété, sans être limités par le niveau de leurs fonds propres. La sophistication des techniques financières a perverti le système en permettant d’émettre titres regroupant des créances à rendement élevé mais regroupant des prêts à haut risque, sans que l’investisseur soit capable de juger des risques attachés aux titres qu’il achetait. Les nouvelles opérations de titrisation lancées en France tirent les leçons de ces déconvenues en s’assurant de la traçabilité des opérations financées et en contraignant le banques à conserver une partie des créances dans le bilan de l’établissement émetteur. La titrisation occupe une place très réduite en France.
A défaut d’épargne longue ou pour diverses autres raisons, les établissements peuvent également recourir à la transformation, ce qu’ils font massivement. Il s’agit en l’occurrence, à l’opposé de l’orthodoxie financière, de financer pour partie leurs emplois longs par des ressources à vue ou de court terme, donc, hors ressources provenant des dépôts, à réemprunter à court terme autant de fois que nécessaire tout au long de la durée des prêts. Une telle opération de refinancement en cascade fait peser sur le banquier un risque de taux non négligeable si le prêt est accordé à taux fixe et un risque de liquidité.
Les circuits privilégiés
Indépendamment des ressources de marché, d’autres voies ont été mises en place avec le temps pour assurer l’alimentation financière du logement, en particulier en France. On parle alors de circuits privilégiés de financement, c’est-à-dire de collecte de fonds affectés au logement. La raison de l’existence de ces outils renvoie au souci d’offrir, pour le logement social en particulier, des fonds à taux inférieurs aux taux du marché. Cela suppose toutefois de concilier un coût de ressources le plus faible possible et une collecte toujours renouvelée. A défaut, la pérennité du circuit devient aléatoire. L’aide de l’Etat, accordée sous forme de défiscalisation des intérêts et/ou de prime directe, a suffi jusqu’à ce jour à concilier une faible rémunération directe des fonds placés et une collecte stable. Les systèmes existants se révèlent toutefois soumis à de fortes turbulences du fait des contraintes budgétaires et de la libéralisation des marchés de capitaux.
Les circuits spécialisés en France sont au nombre de trois :
– le « 1% logement » versé par les entreprises de plus de 50 salariés (au taux de 0,45%), assis sur les salaires et qui est affecté au financement d’opérations sociales définies dans un cadre conventionnel entre les partenaires sociaux et l’Etat ;
– les livrets d’épargne liquide défiscalisés. Il s’agit essentiellement sur les fonds déposés sur le livret A banalisé (y compris le livret bleu du Crédit Mutuel). Les fonds, pour partie centralisés à la Caisse des dépôts et consignations, servent principalement au financement des opérations d’investissement dans le secteur locatif social. En 2022, l’encours des dépôts sur ces livrets était de 375 milliards d’euros ;
– l’ épargne logement, qui s’alimente à deux sources : le compte d’épargne logement et surtout le plan d’épargne logement. Le principe commun est le suivant : pendant la phase d’épargne les ménages disposent de fonds rémunérés à un taux sensiblement inférieur à celui du marché (à la date de souscription pour ce qui concerne les plans) mais augmenté par une prime versée par l’État en cas d’emprunt, la totalité des intérêts étant exonérée d’impôts (sauf CRDS et CSG). A l’issue de cette phase, l’épargnant dispose automatiquement d’un droit de prêt dont le taux est, en théorie, lui aussi inférieur à celui du marché. Ce dispositif d’épargne logement a longtemps joué en France un rôle central dans le financement du logement, non pas tant par son apport au plan de financement des particuliers que parce qu’une part importante de la trésorerie de l’épargne logement doit légalement être consacrée à l’adossement des prêts immobiliers. Compte tenu de ce que le taux de rémunération des sommes déposées sur les plans d’épargne logement est celui en vigueur au moment de leur souscription, ce circuit est pénalisé par un cout élevé des ressources et répond de moins en moins, en période de baisse des taux, à sa vocation initiale, les titulaires des plans étant tentés de les utiliser comme se simples véhicules de placement. La question d’une réforme en profondeur se pose.
Bernard Coloos
2023
→ crédit, caisse des dépôts, épargne logement, 1% logement, marché hypothécaire, titrisation