Artificialisation des sols

 

Définitions

Sur le plan scientifique,

le terme artificialisation (ou artificialization en anglais) n’est pas utilisé dans la littérature internationale. Une revue de cette littérature réalisée par l’INRA et l’IFRSTTAR[1] montre que :
« L’artificialisation des sols (Land take) telle qu’elle est entendue en France (et en Europe), est avant tout une notion statistique (…). les notions d’urbanisation (Urbanization) ou d’imperméabilisation (Soil sealing) étaient utilisées préférentiellement ». (…) [L’analyse d’un corpus de milliers d’articles montre que] « la définition du processus d’artificialisation est peu interrogée dans la littérature fournie ».

Sur le plan de la législation,

La loi « climat et résilience » (LOI n° 2021-1104 du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets (1) – Légifrance (legifrance.gouv.fr)) donne une définition du terme artificialisation des sols dans l’article 192-2°. Un article L101-2-1, ainsi rédigé, est ajouté au Code de l’urbanisme : « L’artificialisation est définie comme l’altération durable de tout ou partie des fonctions écologiques d’un sol, en particulier de ses fonctions biologiques, hydriques et climatiques, ainsi que de son potentiel agronomique par son occupation ou son usage ». La suite de l’article fixe les modalités d’évaluation de la réduction de l’artificialisation des sols, avec l’objectif fixé par la loi de division par deux de son rythme dans les années 2020 par rapport aux années 2010. La mesure est, en effet, inséparable de la définition : rien ne servirait de définir la notion si des critères de mesure n’étaient pas associés.
Cette définition a donné lieu à des débats sur son interprétation (voir par exemple : Vers une définition légale de l’artificialisation ? Épilogue provisoire. – Fonciers en débat (fonciers-en-debat.com), qui ne sont pas clos, en attendant le décret du Conseil d’Etat chargé de fixer les conditions d’application de cet article.
En nous en tenant à la définition, la loi distingue deux critères : (a) le « potentiel agronomique par son occupation ou son usage » et (b) les « fonctions écologiques d’un sol, en particulier de ses fonctions biologiques, hydriques et climatiques ». Le premier critère, (a), relève d’une erreur d’écriture de la loi. Tout retrait de terre agricole diminue le potentiel agronomique (la théorie économique montre que les exceptions sont rarissimes) ; donc la construction de logements ou de locaux d’activité et l’afforestation de terres agricoles (cette dernière est la modalité la plus fréquente) serait une artificialisation. Or, personne ne dira que l’afforestation d’une terre agricole est une artificialisation du sol.
Le critère (b) est plus consistant et intéressant, car les « fonctions écologiques d’un sol » ont des définitions scientifiques[2]. On peut, pour simplifier, regrouper ainsi les fonctions écologiques d’un sol et les services écosystémiques associés. Un sol (i) produit de la biomasse (alimentaire et non alimentaire) ; (ii) il conserve de la biodiversité et régule des habitats ; (iii) il filtre et régule des éléments naturels (eau, air, déchets et effluents, matières organiques, atmosphère) ; (iv) il produit du patrimoine et de la culture. Une « altération durable de tout ou partie de ces fonctions », nous dit la loi, est une artificialisation, au profit de fonctions non écologiques du sol (support d’habitat et d’activités économiques et sociales, transport et déplacements, patrimoine et culture).
Ces bases qui, cette fois, sont scientifiquement sûres, se prêtent-elles à des mesures des sols artificiels ou non, et au passage des uns aux autres ? Il y a là un chantier qui ne relève pas du décret attendu du Conseil d’Etat, mais d’analyses scientifiques et de leur traduction statistique. Prenons-en deux exemples. Le premier concerne l’agriculture. Dans cette définition, elle opère sur des sols non artificiels : production de biomasse (végétale et animale, alimentaire ou non), réserve de biodiversité (plus ou moins bien faite), régulation d’éléments (idem), paysages patrimoniaux (parfois conservés, parfois détruits). Mais l’élevage « hors sol » de porcins ou volailles ne semble pas réunir ces conditions. Le second exemple concerne le jardin des maisons individuelles. Sont-ils ou non artificiels au regard des fonctions écologiques ? La réponse ne va pas de soi. D’un côté, le potager, les arbres fruitiers ou d’ornement, les haies végétales produisent de la biodiversité, de la biomasse, des paysages et filtrent des éléments. D’un autre côté, la piscine, l’abri de jardin, etc. sont clairement artificiels. Entre les deux, le gazon, qui a un statut ambigu : s’il est régulièrement tondu et désherbé, il se rapproche plutôt d’un sol artificiel, pauvre en biodiversité. Mais avec des tontes espacées, sans insecticides ni désherbage des non-graminées, il est plus près d’un sol non artificiel. La même grille d’analyse peut être utilisée pour des pelouses d’autoroutes. Les délaissés urbains, les friches industrielles abandonnées sont d’autres cas de figure.
On comprend bien qu’il n’est pas possible d’attendre des travaux d’écologues, pédologues, etc. pour donner des traductions opérationnelles à la piste que vient d’ouvrir la loi, en liant l’artificialité des sols à leurs fonctions écologiques : il faut que l’objectif de diviser par deux le rythme de l’artificialisation d’ici 2030 puisse être mesuré, sans attendre. C’est alors la statistique qui prend le relai.

Sur le plan statistique,

l’artificialisation des sols recouvre des définitions différentes selon l’organisme qui utilise ce terme.
– Il est utilisé de longue date en France par l’enquête Teruti-Lucas du ministère en charge de l’agriculture, pour qui « les surfaces artificialisées désignent toute surface retirée de son état naturel (friche, prairie naturelle, zone humide, etc.), forestier ou agricole, qu’elle soit bâtie ou non et qu’elle soit revêtue ou non »[3].
– Le ministère en charge de l’environnement précise que les sols artificialisés « incluent les sols bâtis à usage d’habitation (immeubles, maisons) ou à usage commercial (bureaux, usines, etc.), les sols revêtus ou stabilisés (routes, voies ferrées, aires de stationnement, ronds-points, etc.), et d’autres espaces non construits mais fortement modelés par l’activité humaine (chantiers, carrières, mines, décharges, etc.). Cette catégorie inclut également des espaces « verts » artificialisés (parcs et jardins urbains, équipements sportifs et de loisirs, etc.) »[4].
– Au niveau européen, l’Agence européenne de l’environnement indique, dans la base de données Corine land cover (CLC), que les sols artificialisés comportent des zones urbanisées (tissu urbain continu ou discontinu), des zones industrielles ou commerciales, des réseaux de routier et ferroviaire (et espaces associés), des zones portuaires et aéroports, des mines, décharges et chantiers, des espaces verts artificialisés (espaces verts urbains, équipements sportifs et de loisirs).
– Le Cerema définit l’artificialisation comme le passage de parcelles cadastrées de sols naturels, agricoles ou forestiers à une occupation du sol qui, du point de vue fiscal, est bâtie, terrain à bâtir, carrière, jardin d’agrément, chemins de fer.
Ainsi, pour l’INRA et l’IFSTTAR (cf. note 1), « Des surfaces importantes de sols dits ‘artificialisés’ ne sont pas recouverts d’une couverture minérale hermétique, ne sont pas « scellés », ne sont pas « minéralisés » pour reprendre la traduction littérale des notions anglo-saxonnes. Ainsi, si on en croit les données de Teruti-Lucas, (…), plus de 30 % des sols artificialisés étaient en 2014 des ‘sols enherbés artificialisés’. Ces surfaces importantes (1,6 M² d’ha) correspondent principalement aux espaces verts, aux zones récréatives et de loisirs et aux jardins particuliers associés à l’habitat individuel ».
Malgré l’absence de définition scientifique du terme artificialisation, et quelles que soient la définition issue de la loi Climat er résilience, ce sont ces définitions statistiques qui sont disponibles, et le resteront probablement longtemps, pour mesurer le rythme de l’artificialisation des années à venir.

Les effets de l’artificialisation des sols

Selon le gouvernement, l’artificialisation « engendre partout une perte de biodiversité, de productivité agricole, de capacité de résilience face au risque d’inondation, au changement climatique et à la précarité énergétique, une banalisation des paysages »[5]. Chacune de ces allégations donne lieu à un débat social important. Il peut être éclairé comme suit par les connaissances scientifiques dans ces domaines.
En matière de biodiversité, l’artificialisation laisse une partie des sols perméables. Pour l’INRA et l’IFSTTAR (cf. note 1), les milieux urbains peuvent être favorables à la biodiversité. « C’est notamment le cas pour les sols de jardins familiaux riches en matières organiques, et qui présentent une diversité de micro-habitats très favorables au développement de communautés diversifiées. C’est également le cas pour certains écosystèmes particuliers, qui se créent dans des toitures végétalisées, des ouvrages de gestion des eaux pluviales (bassin de rétention/infiltration) ou des remblais sur décharge ». Mais la partie des sols artificiels qui sont imperméables se traduit par une perte de la biodiversité intra-sols, et les réseaux de transport sont des barrières à la circulation de la faune.
La consommation de terres agricoles par l’artificialisation est limitée : de l’ordre de 0,0008 % des surfaces agricoles sont annuellement construites[6], les pertes de potentiel productif également : 0,04 % par an selon une étude citée par l’expertise collective INRA-IFSTTAR (cf. note 1).
Les effets de l’artificialisation sur le réchauffement climatique ne sont pas évoqués dans le récent rapport du GIEC sur Changement climatique et terres émergées[7] car les sols artificialisés représentent moins de 1 % des terres émergées de la planète (leur part est nettement plus élevée en France).
Enfin, la dégradation de paysages ruraux ou remarquables, ainsi que de la vue (en particulier : vue sur la mer) est réelle pour le voisinage immédiat ou lorsque des constructions sont saupoudrées dans les campagnes. Ce « mitage » des campagnes représentant environ 15 % des permis de construire accordés en France pour des logements[8].
Du point de vue économique, les effets négatifs mentionnés ci-dessus, quoique parfois exagérés dans le débat social au vu de ce qu’en dit la littérature scientifique, n’en existent pas moins. Ils ne sont pas pris en compte, ou imparfaitement, dans les décisions conduisant à une artificialisation des sols. Les économistes disent qu’ils ne sont pas « internalisés », i.e. intégrés au calcul économique des opérateurs. Il en résulte que l’artificialisation est trop importante par rapport à un optimum social : la théorie économique enseigne que, sans « internalisation », il y a « surconsommation » de terres. Pour que les effets négatifs soient pris en compte par les opérateurs il faut des mesures réglementaires, fiscales ou marchandes (marchés de droits). Il n’en reste pas moins que la consommation de sols par l’urbanisation et les réseaux de communication, répond à des besoins impérieux : besoins de logements abordables, de locaux d’activités, d’accessibilité, de désenclavement rural, tous éléments qui contribuent à la croissance économique, à la création d’emplois, à de bonnes conditions de vie des ménages.

Jean Cavailhès
Décembre 2021


[1] Béchet B, Le Bissonnais Y, Ruas A (Dir.) (2017). Sols artificialisés et processus d’artificialisation des sols, déterminants, impacts et leviers d’action, INRA, IFSTTAR, Rapport d’expertise scientifique collective.

[2] Pour une synthèse récente : Calvaruso Ch., Blanchart A., Bertin S., Grand C., Pierart A. et Eglin T., 2021 – Quels paramètres du sol mesurer pour évaluer les fonctions et les services écosystémiques associés ? Revue de la littérature et sélection de paramètres en ateliers participatifs, Etude et Gestion des Sols, 28, 3-29.

[3] Slak et Vidal (1995). « Les mutations de l’agriculture ont façonné le paysage rural », Cahiers Agreste, série analyses et étude, 21 : 47-55.

[4] Ministère de l’Environnement, Virely, B. (2017). « Artificialisation. De la mesure à l’action ». SEEIDD, Théma, 46 p.

[5] Circulaire de J. Denormandie, J. Gourault, E. Borne et D. Guillaume, « Instruction du Gouvernement du 29 juillet 2019 relative à l’engagement de l’État en faveur d’une gestion économe de l’espace ».

[6] Ministère de la Transition écologique et solidaire (2018) Observatoire pour des données nationales sur l’artificialisation des sols. https://artificialisation.biodiversitetousvivants.fr/. Les réseaux de communication ne sont pas inclus.

[7] Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat. « Changement climatique et terres émergées. Rapport spécial du GIEC sur le changement climatique, la désertification, la dégradation des sols, la gestion durable des terres, la sécurité alimentaire et les flux de gaz à effet de serre dans les écosystèmes terrestres ».

[8] Albizzati C., Poulhes M., Parraud J.S., 2017. « Caractérisation des espaces consommés par le bâti en France métropolitaine entre 2005 et 2013 », SDES, CGDD/MTES, Insee Références, décembre, pp. 73-85.

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