De l’Antiquité à nos jours, ce terme, comme la plupart des mots, a connu une évolution sémantique. Ce vocable est aujourd’hui polysémique.
Le sens dominant est celui d’une « ville considérée spécialement sous son aspect de personne morale » (Petit Robert). Deux autres sens viennent s’y ajouter : le mot cité peut être utilisé pour caractériser « la partie la plus ancienne d’une ville » (ibid) et aussi pour nommer un groupe d’habitations circonscrit ayant les mêmes caractéristiques.
Etymologiquement, le terme cité vient du latin civitas, qui désignait « la réunion de citoyens en tant qu’elle forme le corps de l’Etat, qu’il se compose d’une seule ville et de son territoire, ou de plusieurs » (de Dainville). La cité antique est ainsi à la fois « une bourgade, avec son terroir environnant, et un ensemble politique, un Etat » (Larousse). Mais la notion de cité a été ramenée, surtout pour les historiens et les philosophes, au cas de la cité grecque classique (478-323 av. J.-C.), particulièrement achevée dans sa forme. Résultat du rassemblement de plusieurs clans ou tribus groupés sous des institutions religieuses et politiques communes, la cité (en grec, polis), dès le début de la période classique, est plus considérée par les Grecs comme un idéal politique et social – à l’instar de la « cité idéale » chez Platon – que comme une ville définie territorialement ou administrativement. Dans son ouvrage la Politique, Aristote voit dans la cité à la fois un fait de nature et la forme d’organisation sociale la plus parfaite en ce qu’elle réalise l’essence de l’homme, « animal politique ». En effet, la capacité de se suffire à soi-même, que la nature a refusée à l’homme, ne se réalise pleinement que dans la cité. « Par l’étendue de son territoire et de ses ressources, la cité constitue une unité politique autonome. Elle permet d’assurer la défense et de satisfaire les besoins de ses membres. Mais c’est surtout parce qu’elle permet aux hommes de s’accorder sur un idéal de justice et de vivre en amitié en cultivant la vertu que la cité constitue, aux yeux d’Aristote, la condition d’une vie pleinement humaine, c’est-à-dire délivrée du besoin » (Clément et alii, 1994). Périclès, homme politique qui eut une très grande influence pendant de nombreuses décennies sur la cité athénienne (de 463 à 435 av. J.-C.), était convaincu que « le pouvoir de la cité n’a pas d’autre raison que de protéger le citoyen contre toute oppression, qu’elle vienne du dehors ou du dedans » (cité par Akoun, in Akoun, Ansart, 1999). Il souligne ainsi que la cité possède une sorte de transcendance qui lui vient de son but (en grec, telos), « celui d’être une communauté de citoyens soumis à une loi égale pour tous, lieu des relations des hommes entre eux et des hommes avec les dieux » (ibid).
Pendant le règne de l’empereur Dioclétien (284-305), l’Eglise s’étant moulée dans le cadre administratif que celui-ci vient de mettre en place, la cité finit par désigner une ville épiscopale, un évêché. De là, on voit son sens évoluer insensiblement vers la notion de ville importante. Pendant tout le Moyen Age, et même jusqu’à la fin du XVIIIe siècle, les deux acceptions circulent ; une troisième viendra même s’y ajouter, pour signifier une partie de l’espace urbain.
Durant le Moyen Age, aux villes épiscopales s’ajoute bien souvent un établissement marchand. C’est ainsi que prend forme la dichotomie suivante : d’un côté, la cité, quartier réservé aux fonctions religieuses, et de l’autre, le bourg, territoire « où se traitent les affaires et où battent les métiers » (Merlin, Choay, 1988). Dans certaines villes, c’est le cœur ancien dans son ensemble qui est qualifié de cité.
Au cours des deux derniers siècles, le vocable cité est progressivement utilisé pour désigner des espaces urbains spécifiques, et l’on voit apparaître des appellations telles que cité ouvrière, cité-jardin, cité de transit, cité HLM, cité administrative, cité universitaire, cité radieuse, cité linéaire… Ces différentes appellations caractérisent un espace urbain clairement circonscrit présentant une spécificité et une identité particulières, c’est-à-dire une activité, une forme urbaine, un objectif, ou encore un peuplement, précis et personnalisé. La cité ouvrière, la cité-jardin et la cité linéaire représentent trois formes de cité paradigmatiques contemporaines.
Afin de répondre au manque et à l’insalubrité des logements pour les familles ouvrières au XIXe siècle, des cités ouvrières sont construites. Agglomérations de logements économiques sous forme de pavillons individuels ou d’immeubles collectifs, elles sont parfois réalisées par des patrons de l’industrie qui y trouvent des avantages : meilleur rendement, contrôle social accru… Certaines de ces cités marqueront profondément l’histoire sociale du monde ouvrier, de même que la politique et l’urbanisme du logement social : la cité Menier à Noisiel, la cité de Mulhouse de J. Dollfus, le Familistère de J.-B. Godin à Guise, la Cité Schneider au Creusot, etc.
Le modèle urbanistique et social de la cité-jardin est apparu de façon formelle à la fin du XIXe siècle. Préoccupé par la très grande pauvreté et la crise foncière et urbaine qui sévissent dans la ville de Londres – qui compte en 1898 six millions d’habitants environ -, Ebenezer Howard élabore un programme de réforme urbaine, et lance l’expression de garden-city (cité-jardin). Il envisage de remplacer le réseau urbain existant par un autre entièrement nouveau, composé de cités-jardins regroupant chacune 30 000 habitants organisées autour d’un noyau central de 50 000 habitants, ceci en vue de créer des « cités-sociales » de 250 000 habitants. E. Howard propose : 1°/ de maintenir autour des cités-jardins une ceinture permanente de terrain non bâti consacrée à l’agriculture, 2°/ de limiter le peuplement au nombre prévu à l’origine, et 3°/ de permettre aux cités-jardins de trouver une indépendance économique. Il préconise un « personnalisme communautaire : à chacun sa maison dans un cadre régi par des règles librement consenties » (Howard, 1969). Deux cités-jardins seront réalisées en Grande-Bretagne au début du XXe siècle : Letchworth et Welwyn, à proximité de Londres.
L’instigateur de l’importation, au début du XXe siècle, du concept de cité-jardin en France est le juriste Georges Benoît-Lévy, mais c’est Henri Sellier qui en sera le principal maître d’œuvre, entre les deux guerres : dans le cadre de l’Office public des habitations bon marché de la Seine, il en fera construire 15 autour de Paris.
Le concept de Cité linéaire est créé par l’espagnol A. Soria y Mata en 1882. Il s’agit d’un modèle linéaire d’urbanisme progressiste visant à résoudre les nuisances de la ville (pollution, urbanisme désordonné, circulation anarchique…). Il propose de pallier ces défauts par une répartition équitable des sols et d’organiser le territoire urbain en fonction des exigences de la circulation.
La Cité linéaire de Soria se présente comme « une rue indéfiniment extensible de 500 m de large », dont l’axe longitudinal regroupe les voies de circulation (chemins de fer, tramway, route), les réseaux de circulation d’eau, de gaz, etc, des espaces verts et des pièces d’eau. De part et d’autre de cette épine dorsale, des îlots avec des pavillons individuels standardisés – occupant seulement un cinquième de leur jardin, identiques pour toutes les classes sociales -, des édifices publics, des commerces, des entreprises industrielles et des structures de loisirs.
Basée sur une apologie de la ligne droite et de l’orthogonisme, la Cité linéaire de Soria vise à préserver l’intégrité de la campagne, se prêtant à la croissance, tout en contaminant le moins possible l’environnement. Soria ne réalisa son modèle de Cité linéaire qu’à l’échelle d’une banlieue de Madrid (5,2 km). La très grande majorité des projets de Cité linéaire est restée à l’état d’épures. Le Corbusier, par exemple, s’est approprié le concept de cité linéaire dans ses propositions pour Rio (1929) et Alger (1930), mais surtout dans sa théorie des Trois établissements humains (1945).
Aujourd’hui, le terme cité utilisé dans le langage courant évoque le territoire urbain où se concentrent les quartiers d’habitat social périphériques, et prend bien souvent une connotation négative. Sont aussi apparues des expressions qui ont eu pour conséquence la stigmatisation de ces espaces urbains : cité dortoir, cité grands ensembles… Ces cités, construites dans la période 1960-1975 et constituées essentiellement de grands ensembles, longtemps appelées des ZUP (zones à urbaniser en priorité), sont habitées, depuis une vingtaine d’années, par les franges les plus défavorisées de la population.
Jean-Marc Stébé
Novembre 2015
→ îlot, grands ensembles, résidentialisation, banlieue