Chambre de l’adolescent(e)

Trois dimensions caractérisent le chez-soi de l’adolescent dans le logement familial, on peut les traduire par les trois « chez » : « chez-moi », « chez mes parents », « chez-nous » (Ramos, 2002). La première dimension est celle des territoires personnels (la chambre, des coins à soi…). Elle renvoie au marquage quotidien de l’espace domestique : la séparation et l’appropriation. Le jeune se met en scène comme acteur et auteur. Il établit des espaces de libre rapport à lui-même et affirme un « je individuel ». La deuxième dimension est celle des règles parentales. Les relations imposent à l’adolescent une définition de soi en tant que « fils de » ou « fille de » dans la relation asymétrique de filiation, les places de parents et celle des enfants ne se confondent pas. La dernière dimension est celle de la convivialité familiale. La discussion entre parents et enfant est mise au centre : l’enfant a le sentiment d’être reconnu comme égal et d’être pris en compte dans son individualité. Il se définit dans la relation de filiation mais sur un mode égalitaire. Le « chez-nous » est un espace de validation et de réassurance identitaire : l’adolescent se sent reconnu dans une relation d’individu à individu. La chambre de l’adolescent apparait ainsi comme l’espace le plus personnel dans l’espace familial, elle est néanmoins soumise, comme les autres espaces de la maison, aux règles parentales, c’est « le chez-moi, chez mes parents ». Elle peut également être le lieu de relations conviviales qui désignent une plus grande proximité affective avec certains membres de la famille et qui également le valident comme acteur et auteur de son « petit monde » (Ramos, 2009).
La chambre a plusieurs fonctions dont une fonction de retrait, elle est désignée par son occupant comme « un refuge », « mon chez-moi », « ma bulle », « ma maison dans la maison » (Glevarec, 2010)… Le marquage de la chambre comme personnelle se joue tout d’abord par le degré d’ouverture de la porte. Ce degré est fonction des activités : écouter sa musique, dormir, faire ses devoirs, téléphoner… Un des enjeux est de ne pas gêner et de ne pas être gêné par les bruits des uns et des autres et par les allers-et-venues des différents membres de la famille ; le deuxième enjeu est de celui de se ménager un espace dans lequel on peut se soustraire au regard et à la surveillance parentale ; le troisième enjeu est celui de la construction d’une intimité (Serfaty-Garzon, 2003) : s’habiller, se déshabiller, s’isoler, rêvasser, regarder ses photos, remplir un journal intime, discuter avec ses amis ou son/sa petit(e) copain/copine…  Se pose alors la question du contrôle de l’entrée dans la chambre. Les adolescents demandent parfois à leurs parents de frapper avant d’entrer et certains même briguent la possibilité de fermer leur porte à clef. Ils revendiquent leur droit de propriétaire sur cet espace. Construire un espace personnel peut également se faire par le désordre de la chambre, marqueur d’individualisation : « c’est mon bordel » est une expression qui exprime que les critères de rangements sont définis comme personnels et qu’ils se distinguent de ceux de l’ordre maternel, « j’ai mon ordre à moi et ma mère a le sien». Le désordre n’est pas toujours revendiqué comme tel mais dans tous les cas s’exerce une tension entre les rappels à l’ordre maternel et la nonchalance ou les revendications de l’adolescent(e) au droit à son bordel. En ce sens, la chambre est un espace de négociations, négociations qui font progressivement évoluer les relations parents/enfant.
La chambre a également une fonction identitaire qui s’exprime par l’appropriation de l’espace, son investissement, sa décoration… : « ma chambre, c’est moi », « elle me ressemble »… Elle est un espace d’expression (Glevarec). Selon les âges, les références et les goûts évoluent : on change les posters, les couleurs, les objets… Cela se traduit par des expressions telles que « j’ai eu ma période » (basket, bleue, Lorie…). Les adolescents y ajoutent « j’ai passé l’âge de » (Zaffran, 2013) ce qui permet de mettre au jour différents âges de la « culture de chambre » (Glevarec, 2010 ; Glevarec, 2009). Certains éléments de décoration, certains objets sont progressivement extraits de ce qui est donné à voir pour être relégués dans un tiroir ou un carton, ils sont remplacés par d’autres. L’espace de la chambre apparait ainsi comme un espace d’expérimentation qui peut se définir comme une relation de réflexivité dans l’action : dans l’appropriation de l’espace, dans les changements, dans les choix opérés, l’espace et l’identité se construisent simultanément par tâtonnements, par l’affirmation des goûts (musicaux, sportifs, des relations amicales symbolisées par les photos…), par l’évolution au fil des différents âges… La ronde de ce qu’on enlève et de ce qu’on ajoute construit progressivement une individualité. La chambre donne également à voir le genre, les garçons y présentent davantage leurs activités préférées, sportives notamment, les filles exposent leurs productions personnelles, les photos de leurs amies, les images de chanteuses (Glevarec, 2010 ; Singly, 2006a). Les références à des groupes d’âge peuvent également être relevées. Ce sont des lieux dans lesquels s’exprime une certaine culture jeune : des références culturelles, musicales, télévisuelles, de loisirs spécifiques… Cependant, notons que l’adolescent apprécie parfois de pouvoir se soustraire aux regards des pairs quand des décalages existent entre ce que l’adolescent(e) est dehors et en dedans : aimer les dessins animés, garder sur son lit les doudous d’enfance… (Zaffran, 2013). L’espace personnel autorise ces écarts à une certaine norme. La chambre n’en reste pas moins une « tour de contrôle » par des objets fonctionnels rassemblés sur plate-forme ouverte sur le monde extérieur (Zaffran, 2013), les nouvelles technologies (téléphone, réseaux sociaux, participation à des forums…) permettant ainsi une autonomie relationnelle (Metton, 2010). La chambre apparait comme un lieu de la construction d’une émancipation (surveillée) par les parents, émancipation à laquelle participe la construction d’appartenances à des groupes de pairs. Les jeunes gens trouvent les moyens de rester en contact avec « le monde jeune » ce qui les réassurent dans leur identité. Avec ce « nous jeune » ils expérimentent et construisent une partie de leur vie en n’ayant pas le sentiment de se confondre avec « fils de » ou « fille de » (Singly, 2006a).
Quelles sont les limites de l’intervention parentale dans la chambre de l’adolescent? Les adolescents connaissent les règles parentales, cette connaissance se traduit par « je sais que », « je peux ou pas faire telle ou telle chose, ce que mes parents apprécient ou pas ». Ils développent ainsi des stratégies d’ajustement entre leurs envies et les limites posées par leurs parents. Pour les parents se pose également la question du dosage de leur intervention : s’ils ont un droit de contrôle sur cet espace, l’espace doit également être reconnu comme personnel. Ces limites jouent différemment selon les milieux sociaux. En milieu populaire : on remarque davantage de continuité entre le monde de l’enfant et celui des adultes par le biais de la participation à la vie commune : il est fortement défini comme membre du groupe familial. En milieu supérieur : l’enfant est davantage cantonné à une place de « petit ». Les parents décident en grande partie d’un emploi du temps en lien avec sa vie d’élève qui le défini fortement comme « fils » ou « fille de », cet emploi du temps étant parfois affiché au-dessus du bureau du jeune. Cet aspect joue différemment sur ce qui est autorisé dans la décoration de la chambre : certains posters de chanteuses dénudées, par exemple, ne seront pas autorisés en milieu cadre alors qu’en milieu populaire, ils font partie de la culture d’âge du jeune. Les parents gèrent l’intérêt ultérieur de l’enfant à partir du contrôle du travail scolaire : on observe, surtout pour les parents cadres, que l’éducation de l’enfant est conditionnelle. Une contrepartie à l’autorisation d’être « jeune » est exigée : moins que le respect de l’autorité des parents, c’est l’obligation du travail scolaire qui est demandée (Singly, 2006a). La chambre est ainsi au cœur du processus d’individualisation (Singly, 2006b) mais elle participe également à la fonction de reproduction de la famille (Singly, 2007). Et si elle reste l’espace le plus personnel dans le logement familial, cela ne signifie pas que l’adolescent a tout pouvoir sur cet espace.

Elsa Ramos
Juin 2015

→ Cohabitation, « La conception du logement », pièce.

Auteur/autrice

  • Jean Bosvieux

    Jean Bosvieux, statisticien-économiste de formation, a été de 1997 à 2014 directeur des études à l’Agence nationale pour l’information sur l’habitat (ANIL), puis de 2015 à 2019 directeur des études économiques à la FNAIM. Ses différentes fonctions l’ont amené à s’intéresser à des questions très diverses ayant trait à l’économie du logement, notamment au fonctionnement des marchés du logement et à l’impact des politiques publiques. Il a publié en 2016 "Logement : sortir de la jungle fiscale" chez Economica.