Ce néologisme pourrait littéralement se définir comme l’action de transformer le logement social, les « cités HLM » en « résidences ». L’aménagement consiste à créer de petites « unités résidentielles » fermées par une clôture, clarifiant les limites entre espace privé et espace public tout en contrôlant l’accès des résidents. Cette normalisation s’inspire à la fois d’une critique de l’urbanisme moderne des années 1960 et de l’idée anglo-saxonne que l’aménagement des espaces peut dissuader le passage à un acte de délinquance.
La résidentialisation, apparue dans les années 1990, s’est généralisée dans les opérations de renouvellement urbain des grands ensembles depuis 2003, comme une manière de « requalifier » le logement social existant. Consensuelle du côté des praticiens, elle semble répondre à trois enjeux de l’action publique ; retrouver un urbanisme qui clarifie les statuts et les usages des espaces et recrée des rues ; requalifier l’image de l’habitat social en le rapprochant du modèle des résidences privées pour attirer des classes moyennes ; sécuriser les bâtiments en évitant les passages, les « regroupements de jeunes » et les trafics (Lelévrier, Guigou, 2005). Le dispositif spatial est assez standardisé autour d’un triptyque « îlot-parcelle-rue », d’une petite « unité résidentielle » de vingt à une centaine de logements, et d’une clôture, assortie de systèmes de contrôle. Du côté des urbanistes, cette organisation « traditionnelle » de la ville répond à la critique des espaces modernes des années 1960, ouverts, « indéfinis » et peu « appropriables » (Pannerai & Lange, 2000). Les organismes HLM se sont davantage inspirés du modèle de « l’espace défendable » (Newman, 1973 ; Peyrat, 2001), dont les principes dits de prévention situationnelle ont été mis en œuvre dans des grands ensembles aux Etats-Unis et en Angleterre dans les années 1980 (Landauer,1999). La petite taille des unités résidentielles, la clôture et sa hauteur de 3 mètres, la fermeture des impasses et passages, sont censés être autant de « techniques » dissuadant le passage à l’acte de délinquance. Cette résidentialisation créée de fait des espaces intermédiaires clos entre le bâtiment et la rue, dans lesquels sont repris l’éclairage, le tri des déchets, l’adressage et les aménagements paysagers. Cette pratique urbaine a clarifié les statuts et limites de propriété et en conséquence, les responsabilités de gestion des espaces. Dans certaines opérations, elle s’est accompagnée d’initiatives impliquant les résidents dans la gestion urbaine. En revanche, l’ambition de contrôle social par l’espace qui la sous-tend, interroge (Gosselin, 2016). D’une part, l’effet de réduction de la délinquance reste à démontrer. D’autre part, ce modèle de la ville « sûre » fragmente plus qu’il n’intègre, en créant des espaces clos mais aussi résiduels et en complexifiant l’accès à l’espace public. Enfin, la normalisation des comportements qui en est attendue, en référence à un modèle d’habitat des classes moyennes, est une forme de déni des pratiques urbaines et sociales des classes populaires. Rien d’étonnant alors à ce que ce l’adhésion à ce modèle soit plus forte dans les nouvelles résidences privées.
Christine Lelévrier
Mai 2020
→ Agence nationale pour la rénovation urbaine (Anru), amélioration de l’habitat, grands ensembles, « L’habitat social au coeur de la politique de la ville »
Références :
Gosselin, C. (2016). Urban renewal and the “defensible space” model : the growing impact of security issues on the way our cities develop. Métropolitiques, online journal.
Landauer P., (1999). Le procès de l’utopie? Vision et réalité dans les conceptions de l’habitat. Cahiers de la recherche architecturale et urbaine, vol.1, 51-64.
Lelévrier C., Guigou B. (2005). Les incertitudes de la résidentialisation. In B. Haumont et A. Morel (dir.), La Société des voisins, cahier 21, Collection ethnologie de la France, MSH, Paris, 51-58.
Newman O., (1973). Defensible space. New York, Mac Milan.
Pannerai, P., Lange, J. (2000). La restructuration des grands ensembles. Etudes foncières, n°88, automne, 6-10.
Peyrat D., (2001). Habiter-cohabiter, la sécurité dans le logement social, rapport à M.N.Lienemann.