Un système de décote du foncier, oui… mais évalué
La production de foncier constructible est au cœur d’enjeux opérationnels majeurs en matière de développement (ou renouvellement) urbain et rural. Souvent pointé comme le responsable du renchérissement des coûts d’opération, il constitue un des leviers essentiels – ou un des verrous majeurs – pour répondre aux objectifs de construction de logements notamment.
La loi du 18 janvier 2013, relative à la mobilisation du foncier public en faveur du logement et au renforcement des obligations de production de logement social, a introduit la possibilité, pour l’État et certains établissements publics, d’appliquer une décote sur la valeur vénale des terrains qu’ils cèdent lorsqu’un projet de construction inclut des logements sociaux, dans un objectif d’équilibre financier. Dans son référé[1] d’octobre 2017, dont nous reparlerons plus bas, la Cour des comptes montre les limites de ce « dispositif concurrencé[2], complexe et peu utilisé ». Le projet de loi portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique, dit Elan et transmis au Conseil d’Etat fin février 2018, y apporte quelques modifications, ouvrant notamment la voie à des opérations plus mixtes intégrant par exemple des bureaux, les logements devant toutefois rester majoritaires.
La question soulevée ici est de savoir s’il fallait mettre en place un tel système de décote vu le poids du foncier dans les opérations de logements, sachant que dans le dispositif actuel, la décote ne porte que sur la fraction du foncier affectée au logement social. Les chiffres rapportés dans le référé de la Cour des comptes nous conduiraient à répondre plutôt par la négative, mais les objectifs sociaux et le nécessaire choc d’offre dans certains territoires nous incitent à plus de prudence : la situation n’est pas la même partout en France et peut être les futurs observatoires locaux du foncier – sous réserve de leurs moyens et de leur pérennité – inciteront-ils à mettre en place des politiques territoriales plus ciblées et adaptées.
L’absence d’une réelle évaluation publique rend toutefois difficile, pour ne pas dire impossible, l’appréciation du mécanisme de décote et de ses incidences.
Un dispositif de décote qui a évolué depuis 2005
Le titre I de la loi du 18 janvier 2013 visait clairement l’accélération des cessions des terrains publics, avec une forte décote pour construire des logements sociaux[3]. Cécile Duflot, ministre de l’égalité des territoires et du logement, évoquait l’urgence de répondre aux besoins de tous ceux qui attendent d’accéder au logement social, faute de pouvoir se loger dignement dans le parc privé. Le texte portait à la fois sur le renforcement de la part minimale de logements sociaux dans les communes et sur le foncier public. Il a amplifié et élargi les dispositions de décote qui étaient alors en vigueur.
En effet, huit ans auparavant[4], la loi du 18 janvier 2005 de programmation pour la cohésion sociale avait ouvert la possibilité de céder un bien du domaine privé de l’Etat à un prix inférieur à sa valeur vénale « lorsque ces terrains sont destinés à la réalisation de programmes de construction comportant essentiellement des logements dont une partie au moins est réalisée en logement social »[5]. A cette époque, il était précisé que la différence entre la valeur vénale et le prix de cession ne pouvait dépasser un plafond fixé par décret en Conseil d’Etat (plafond de 25% porté à 35% dans certaines zones en 2006).
Un an et demi après, la loi portant engagement national pour le logement, dite ENL, a complété la notion de logement social visé par le dispositif en y assimilant les structures d’hébergement temporaire ou d’urgence bénéficiant d’une aide de l’Etat, les aires permanentes d’accueil des gens du voyage et dans les départements d’outre-mer, les logements locatifs sociaux bénéficiant d’une aide de l’Etat.
En 2009, la loi de mobilisation pour le logement et la lutte contre l’exclusion (MOLLE) a étendu le bénéfice de la décote aux logements neufs des « personnes [qui] acquièrent le terrain de manière différée ou si elles bénéficient d’un prêt à remboursement différé […] ou encore, si ces personnes sont titulaires de contrats de location-accession ».
La loi de janvier 2013 a accru les spécificités du dispositif. En résumé, elle a conduit principalement à :
– fixer la décote selon la catégorie de logements financés et selon « les circonstances locales tenant à la situation du marché foncier et immobilier, à la situation financière de l’acquéreur du terrain, à la proportion et à la typologie des logements sociaux existant sur le territoire de la collectivité considérée et aux conditions financières et techniques de l’opération ». Le décret du 15 avril 2013 définit trois catégories de logements (PLAI / PLUS / PLS-accession sociale)[6] auxquelles sont affectés des taux de décote différents (sachant que jusque-là, ces taux étaient modulés en fonction de la part de la surface hors œuvre nette dédiée au logement social, sans distinction de typologie de logements sociaux) ;
– Les fourchettes de décote suivantes ont ainsi été fixées par le décret. A noter que la méthode de calcul de la décote a également évolué (cf. annexe 1).
Il faut par ailleurs préciser que, pour bénéficier de cette décote, les programmes de construction doivent comporter essentiellement des logements dont une partie au moins est réalisée en logement social : le décret du 15 avril 2013 précise qu’au moins 75 % de surface de plancher doivent être affectés au logement ;
– déplafonner le montant maximum du taux de décote pour les logements sociaux : la loi indique que la décote peut atteindre 100%. Comme le souligne le rapport 2014 de la Commission nationale de l’aménagement, de l’urbanisme et du foncier (CNAUF)[7], les logiques des deux assemblées étaient contraires sur ce point. Le Sénat avait posé le taux de décote à 100%, donc la gratuité, comme situation de droit commun, alors que l’Assemblée nationale a réintroduit la logique inverse, soutenue par le gouvernement, portant la décote à un taux de 100% dans les seuls cas de nécessité, eu égard aux conditions d’équilibre financier de construction des logements sociaux ;
– ouvrir l’application de la décote aux établissements publics et sociétés dont l’Etat est actionnaire à 100% (SNCF, RFF, VNF et RATP) – à noter que le décret du 30 décembre 2014 ouvre le champ de la décote aux établissements publics de santé. Quant à RFF, le taux de décote a été plafonné à 30%. Ce plafonnement est critiqué par les députés Audrey Linkenheld et Jean-Marie Tétart dans leur rapport d’information de novembre 2014, portant sur la mise en application de la loi du 18 janvier 2013. « D’autant plus, écrivent-ils, que le foncier ferroviaire (105 000 hectares) est parmi les plus abondants et les mieux situés »[8];
– étendre le régime de décote aux équipements publics de proximité : le décret du 15 avril 2013 en donne une définition large (crèches-garderies, équipements scolaires, équipements à caractère social, sportif et culturel). Il précise également que la décote s’applique exclusivement à la fraction du programme réalisée dans l’intérêt des occupants des logements sociaux ayant bénéficié d’une décote[9]. La loi du 6 août 2015 pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances étend ce régime de décote des équipements publics : elle ouvre cette possibilité à tous les terrains qui pourraient faire l’objet d’une décote, c’est-à-dire pas seulement à ceux qui seraient inscrits sur les listes régionales initiées dès la promulgation de la loi de 2013 pour recenser les terrains cessibles ;
– introduire des clauses anti-spéculatives pour limiter les effets d’aubaine (en contrepartie du déplafonnement) ;
– renforcer la gouvernance régionale pour un meilleur suivi.
La loi de finances du 29 décembre 2015 a étendu le régime de la décote aux cessions de logements existants qui doivent faire l’objet d’une réhabilitation. Cela concerne notamment les casernes de gendarmerie et des douanes.
Par ailleurs, le décret du 25 août 2016 a notamment ouvert le champ de la décote aux programmes de réhabilitation légère. On parle désormais de programme et non plus de construction.
Le projet de loi ELAN propose de faire évoluer le dispositif. Concernant le type d’opérations concernées par la décote, il remplace le mot « essentiellement » par « majoritairement » : les programmes ne devront plus contenir au moins 75% de logements mais au moins 50%. L’exposé des motifs évoque la volonté de favoriser, de cette manière, une mixité d’usage. Il faut noter que l’article 5 du projet de loi a également pour objectif de faciliter, dans le cadre d’un projet partenarial d’aménagement, la cession par l’Etat de terrains en bloc à un EPCI ou à l’opérateur désigné par le contrat. Par ailleurs, il ouvre le dispositif aux opérations d’aménagement quelle que soit leur taille, supprimant la condition liée au périmètre minimum de 5 ha. Pour ces opérations, il ne reste plus qu’une condition de temps : il faut que la première tranche soit réalisée dans les cinq ans. Enfin, le bénéfice de la décote est étendu aux contrats de bail réel solidaire (ils font partie de la catégorie 3 du tableau précédent).
Après avoir évoqué succinctement les principales évolutions du dispositif depuis 2005 et eu égard aux modifications annoncées par le projet de loi ELAN, il nous semble important de nous interroger sur l’appréciation qui est faite du dispositif.
Un référé critique de la Cour des comptes en 2017, mais d’autres rapports préalables pointaient aussi des limites
Les chiffres présentés dans le référé de la Cour des comptes daté d’octobre 2017 sont sans appel : « En définitive, écrit la Cour, les ventes avec décote n’ont concerné entre janvier 2013 et décembre 2016 que 69 opérations, en permettant la mise en chantier d’environ 6 700 logements, dont 4 600 logements sociaux. (…) Les décotes représentent une aide moyenne de 23 000 € par logement social (49 000 € en Île-de-France, 14 993 € hors Île-de-France). Afin de n’exclure aucun territoire, cette procédure a été ouverte aux zones détendues. La répartition territoriale des décotes montre en effet que près de la moitié d’entre elles, soit l’équivalent de 50 M€, ont été attribuées en zone A bis, qui est la zone la plus tendue, ce qui est cohérent avec les besoins de logement. La zone A a bénéficié pour sa part de 19 % du montant des décotes, la zone B1 de 32 %, et les zones B2 et C d’un montant résiduel. Si la majeure partie de l’effort financier a ainsi porté sur des opérations en zone tendue, le tiers des opérations a tout de même été réalisé dans des zones de faible tension immobilière, alors même que, dans celles-ci, l’opportunité de produire davantage de logements sociaux peut être discutée. »
En nombre de logements, compte tenu de ce que le montant unitaire moyen de la décote diffère d’une zone à l’autre, la répartition est globalement la suivante sur la période de 4 ans : 1 020 logements en zone A bis, 885 en zone A, 2 270 en zone B et 200 en zone C. La hiérarchie des zones se révèle ainsi différente en volume de logements : c’est la zone B1 qui arrive en tête avec 52%, puis les zones A bis (23%), A (20%) et B2 et C (5%). Le nombre total de mises en chantier est donc de 4 375 logements environ d’après ce calcul, soit un chiffre proche des 4 600 annoncés.
Par ailleurs, un examen plus attentif du montant de subvention complémentaire accordé de fait via cette décote montre qu’il peut atteindre ou dépasser 200 000 euros par logement. Le référé de la Cour des comptes cite notamment deux exemples parisiens : une opération de 18 logements rue de Lille avec un montant de décote de 4,8 M€ et une opération de 13 logements cité Charles Godon avec un montant de décote de 2,6 M€.
De ce fait, la Cour des comptes recommande notamment de « simplifier l’organisation de la cession à moindre coût du foncier public, qui repose actuellement sur de trop nombreux dispositifs » et de « recentrer géographiquement les procédures de décote sur les zones tendues et en déficit de logements sociaux ». Dans sa réponse datée du 22 janvier 2018, le Premier Ministre indiquait, sur ce dernier point, que cet outil, comme d’autres créés pour faciliter la production de logements pour les plus modestes, doit pouvoir être mis en place partout dès lors qu’il peut contribuer à faire sortir de terre des opérations qui répondent à des besoins et qu’il accompagne les efforts des acteurs locaux.
Le premier rapport d’information suivant la loi de janvier 2013 est toutefois celui cité précédemment et rédigé par les députés Audrey Linkenheld et Jean-Marie Tétart. Daté de novembre 2014, il permet de faire un point précis sur la mise en œuvre de la loi, plus d’un an après. Concernant la mobilisation du foncier public, le rapport expose les réalisations et les avancées mais ne nie pas les difficultés. Il évoque notamment des « listes régionales publiées rapidement mais décevantes », un bilan à ce stade « limité à des opérations qui étaient déjà envisagées avant la loi » et l’impossibilité de cumuler le bénéfice de la décote avec d’autres aides publiques (ANRU).
Les trois rapports annuels de la Commission nationale de l’aménagement, de l’urbanisme et du foncier[10] permettent également de faire des états des lieux et pointent des difficultés. Celui de janvier 2015 rappelle le bilan des années 2008-2012, établi en 2014 et qui fait ressortir la mise en chantier de 51 500 logements sur du foncier public, dont près de 24 800 logements sociaux. Dans la mesure où 2013 a été une année de transition, il indique qu’au 31 octobre 2014, 7 biens appartenant à l’Etat ont été cédés sous le régime de la loi de janvier 2013. Concernant ces biens, l’Etat a consenti un effort financier de près de 11,5 M€ pour un produit de cession encaissé de presque 17,7 M€.
Le rapport de févier 2016 mentionne la cession de 70 terrains sur l’année 2015, permettant de construire plus de 7 900 logements dont 45% à vocation sociale.
Le rapport de févier 2017 évoque la cession de 105 terrains sur l’année 2016. Selon le rapport, 12 000 logements doivent être réalisés dont 55% à vocation sociale. Il faut toutefois noter que ces chiffres intègrent des cessions qui ont été réalisées sans décote mais à un prix négocié. Ce rapport 2017 précise par ailleurs que depuis l’entrée en vigueur de la loi et grâce au mécanisme de décote, ce sont plus de 120 M€ d’aides complémentaires consenties par l’Etat et ses établissements publics en faveur du logement social[11].
Dans ses différents rapports, la CNAUF établit des propositions d’évolutions du dispositif de mobilisation foncier public et mentionne, d’une année sur l’autre, les recommandations qui n’ont pas abouti. Parmi celles-ci, on peut citer l’étude d’opportunité de mettre en œuvre une décote pour les logements intermédiaires et l’établissement de questions évaluatives auxquelles « la CNAUF devra, à terme, répondre pour rendre compte au législateur de l’efficience du dispositif et préciser les informations à recueillir pour pouvoir y répondre ».
Faire évoluer le dispositif sur la base d’une évaluation ?
La recommandation de la CNAUF concernant l’évaluation nous paraît fondamentale eu égard à la fois à l’enjeu social (construire des logements sociaux) et à l’enjeu financier (de fait, une décote peut être assimilée d’un côté à une subvention d’équilibre et à un moindre apport de fonds propres pour les bailleurs sociaux et de l’autre, à un manque à gagner, pour l’Etat et ses établissements, empêchant de mener d’autres projets[12]).
Malheureusement l’étude d’impact du projet de loi Elan qui fait pourtant évoluer, via son article 5, des modalités du dispositif de décote ne se réfère à aucune évaluation, ni ne mentionne les recommandations de la CNAUF et/ou de la Cour des comptes. Thierry Repentin, ex-président de la CNAUF, regrette d’ailleurs que « la Cour [des comptes] sous-estime l’effet d’entraînement de la loi, qui a dopé les ventes de foncier public, y compris sans décote, permettant d’engager des opérations parfois bloquées depuis dix ans. »[13]
Dans l’étude d’impact du projet de loi n’apparaissent ni état des lieux chiffré ni élément prospectif lié à la programmation de cessions futures. L’impact budgétaire, dont l’évaluation aurait mérité d’examiner les incidences financières et foncières plus en détail, est mentionné dans une unique phrase : « Ces mesures n’entraînent aucune dépense budgétaire supplémentaire directe, au-delà du manque à gagner potentiel pour l’État qui tient à l’écart entre la valeur vénale des terrains et le montant défini à l’amiable dans le cadre d’un projet partenarial d’aménagement. »
Quant aux impacts sociaux mentionnés, la teneur du texte surprend par sa brièveté : « De façon indirecte, la facilitation de cession de terrains publics contribuant au développement de l’offre de logements, ces mesures auront un effet bénéfique sur la capacité d’accueil des familles monoparentales dont le chef de famille est très souvent une femme dont les ressources ne sont souvent pas compatibles avec les niveaux de loyers constatés dans les zones tendues. » Et un point est ajouté concernant la jeunesse : « La libération du foncier public contribuant au développement de l’offre de logements, ces mesures auront un effet bénéfique sur la capacité d’accueil des étudiants et des jeunes actifs dont les ressources sont souvent insuffisantes pour se loger dans les zones les plus tendues. »[14]
On ne peut que regretter que ni la question de l’incidence budgétaire, ni celle de l’impact sur les prix ni les effets sociaux ne soient clairement explorées. Il aurait semblé utile de réaliser une évaluation avant de modifier la règle (mais l’évaluation des politiques publiques est difficile !), d’autant que parallèlement, la Foncière Solidaire est désormais opérationnelle et qu’avec l’article 6 de la loi Elan, cette structure sera évaluée par l’ANCOLS. La réponse du Premier Ministre au référé de la Cour des comptes laissait par ailleurs penser qu’une démarche d’analyse plus construite était ou allait être lancée. Edouard Philippe indiquait en effet qu’il a demandé qu’une réflexion interministérielle soit initiée sur l’évolution de ce dispositif et sur les aménagements qui pourraient y être apportés. Il précisait que ces aménagements pourraient figurer dans le cadre de la future loi « Logement » de 2018. Elle arrivera peut-être en cours d’examen du texte par le Parlement.
Enfin, pour élargir le champ au foncier en général, cette évaluation apparaît d’autant plus nécessaire qu’elle contribuerait à une analyse des prix des terrains. Il faut en effet rappeler qu’une certaine opacité règne sur le prix du foncier. Pour le logement, la seule base publique, qui permette une analyse distinguant prix de la construction et prix du terrain, est celle issue de l’Enquête des Prix des Terrains à Bâtir (EPTB)[15]. Son champ est constitué des permis délivrés, dans l’année N, à des particuliers pour la construction d’une maison individuelle en secteur diffus. Elle donne des éclairages, par région, mais uniquement pour le logement individuel et neuf. L’absence de bases de prix (diffusées à grande échelle et pour le collectif) constitue un inconvénient majeur eu égard aux disparités régionales recensées pour l’individuel diffus mais également aux spécificités infra-communales qui peuvent créer des exclusions.
La loi Egalité et citoyenneté de janvier 2017 est ainsi allée dans le bon sens en matière de connaissance. Le décret du 27 février 2018 qui en découle et qui concerne notamment les volets fonciers des Programmes Locaux de l’Habitat (PLH) permettra, espérons-le (car il faut désormais les mettre en œuvre !), d’obtenir plus de données chiffrées. Le diagnostic attendu des marchés fonciers locaux sera l’occasion de mener des analyses plus fines et surtout de collecter des informations dont nous ne disposons pas aujourd’hui. Il éclairera les prix et les mécanismes qui conduisent à leur fixation. Plusieurs conditions doivent toutefois être réunies pour que ces objectifs soient atteints. La première concerne la méthodologie. Elle doit être commune afin de pouvoir comparer les données d’un territoire à l’autre, le risque étant que chaque observatoire définisse ses propres indicateurs sans possibilité d’agrégation. Cet écueil constituerait une déconvenue vu la faiblesse des données actuelles. Dans la mesure où l’avis des comités régionaux de l’habitat et de l’hébergement sur la politique foncière est désormais requis annuellement, nous pouvons souhaiter – a minima – une harmonisation régionale, ce qui serait une première étape… La deuxième condition porte sur les moyens. Rappelons-nous l’initiative lancée au début des années 1980 par le ministère de l’Equipement : elle visait la mise en place d’une grande opération d’observation des marchés fonciers, avec création d’observatoires locaux. Cette démarche n’a pas abouti, ce qui rend prudent sur les attendus. La troisième concerne la pérennité du dispositif : si les données ne peuvent pas être observées dans le temps, on ne saura rien dire de leur évolution. La vigilance, sans parler déjà de scepticisme, est donc de mise.
En conclusion et sous réserve de ces alertes, on peut imaginer que demain, ces mécanismes soient fixés en fonction de secteurs de projet, permettant de répondre par exemple à des pics de demande ou à des besoins spécifiques partout, y compris en zones B2 et C. L’objectif serait de créer une véritable régulation par les intercommunalités en complémentarité avec les charges foncières administrées qu’elles peuvent mettre en place par ailleurs et des enjeux en matière d’artificialisation des sols. Cette démarche plus fine de décote prendrait tout son sens. D’une part, elle permettrait de faciliter les constructions et la densification « aux bons endroits ». D’autre part, elle faciliterait la réponse à la demande des plus modestes à travers une action sur les prix, puisque l’enjeu est bien-là.
Cela s’entend bien sûr en intégrant la réalisation d’une évaluation qui permettra de passer de la proclamation du foncier cher à la connaissance fine et locale des marchés, d’étayer ainsi la réalité des constats à partir de données objectives, de répondre aux questions sur les impacts et les incidences du type « les opérations se seraient-elles réalisées sans la décote » ou « ces prix du foncier décotés pour les logements sociaux se traduisent-ils par une péréquation, voir une inflation, pour le reste des programmes ? » et sur ces bases, d’ouvrir de nouvelles perspectives.
Claire Guidi
Annexe 1 – Processus de détermination de la décote
Le rapport de la Commission nationale de l’aménagement, de l’urbanisme et du foncier (CNAUF) de 2014 montre que les méthodes de calcul de la décote ont évolué. Sont repris ici quelques extraits des pages 29 et 30.
En 2006, la valeur vénale était calculée en prenant en compte la constructibilité possible maximale du terrain : valeur vénale « théorique ». Puis un taux de 25 ou 35%, selon la tension foncière, était appliqué sur la valeur vénale de la seule part sociale du programme.
« Cette méthode présentant l’inconvénient d’aboutir à une valeur vénale déconnectée de la réalité économique de l’opération, il a été alors préconisé, dans la circulaire du 11 mai 2008 relative « aux nouvelles procédures de cession du foncier public » que, pour calculer la décote, la DDFIP [direction départementale des finances publiques] utilise soit des « charges foncières sociales » obtenues dans le cadre de la méthode par comparaison pour la part du programme dédiée au logement social (cette étude de marché spécifique étant toutefois peu facile à établir), soit, plus couramment, en intégrant ces charges foncières sociales aux recettes d’un CAR [compte à rebours]. La circulaire du 15 juillet 2009 a ensuite indiqué que la définition du programme et l’évaluation du prix de cession étaient indissociables et que le recours au CAR devait être privilégié. »
[…]
« La nouvelle méthodologie de calcul par la DDFIP du prix de cession d’un bien de l’État, régi par les dispositions des articles L. 3211-7 et R. 3211-13 à R. 3211-17-4 du CGPPP [code général de la propriété des personnes publiques] issues de la loi du 18 janvier 2013, concilie la méthode du CAR avec l’application de la décote réglementaire prévue par le CGPPP. Comme antérieurement, la DDFIP établit un CAR (CAR du « vendeur ») conduisant à la détermination du prix de cession, obtenu par différence entre les dépenses et les recettes. Ce CAR prendra le plus souvent la forme d’un CAR « aménageur » (France Domaine évaluant à ce stade du projet de construction la valeur des droits à construire). » La valeur de cession du foncier décoté, soit le prix de cession, est donc égal à la différence entre un volet « recettes » et un volet « dépenses ».
Puis apparaissent des charges foncières sociales autorisées (décote « brute », par minoration de la valeur du mètre carré social par rapport au mètre carré libre) et pondérées selon la catégorie de logement social.
En annexe 7 du rapport figure un document de la Direction générale des finances publiques. On y voit un processus en trois étapes, partagé entre la DDFIP et la DDT(M) [direction départementale des territoires et de la mer].
Etape 1 : le DDFIP détermine la charge foncière libre par référence aux programmes de logements libres du secteur et la communique au Préfet et à la DDT(M).
Etape 2 : la DDT(M) fixe les taux de décote catégoriels à appliquer à la charge foncière libre, pour chaque catégorie de logements sociaux. Elle détermine par ailleurs la surface de plancher des équipements publics réalisée dans l’intérêt des habitants des logements sociaux.
Etape 3 : le DDFIP fixe le prix de cession, la décote et la valeur vénale du terrain sur la base des taux de décote catégoriels communiqués par la DDT(M).
[1] Référé = communication adressée par le Premier président de la Cour des comptes à un ministre pour lui faire part des observations formulées par la Cour à l’issue d’un contrôle (source : site Internet de la Cour des comptes).
[2] Le référé évoque la cession « classique », qui reste de loin la plus fréquente, la cession réalisée sur la base de charges foncières « sociales » ou « administrées », ou la cession réalisée par la Société de valorisation foncière et immobilière (SOVAFIM) et ses filiales. Il cite également la Foncière Publique Solidaire (FPS), filiale de la SOVAFIM et de la Caisse des dépôts. « La place de la procédure de décote n’a guère été clarifiée par l’émergence de ce nouvel acteur. L’articulation de cette nouvelle structure avec les établissements publics fonciers n’a pas non plus été explicitée. Ainsi, le paysage institutionnel, loin de se simplifier, s’est encore complexifié. »
[3] « Le premier [axe] est de mobiliser le foncier public en cédant plus vite et moins cher des terrains de l’Etat et de ses établissements publics, pour y construire des logements et y donner une priorité plus forte au logement social. », intervention de la députée Audrey Linkenheld à l’Assemblée nationale le 20 novembre 2012.
[4] L’article ne revient pas sur l’histoire de la politique foncière nationale ou municipale.
[5] Article 95 de la loi du 18 janvier 2005
[6] Catégorie 1 : les logements locatifs financés en prêt locatif aidé d’intégration, les structures d’hébergement temporaire ou d’urgence bénéficiant d’une aide de l’Etat, les aires permanentes d’accueil des gens du voyage, les logements-foyers dénommés résidences sociales, ainsi que les places des centres d’hébergement et de réinsertion sociale mentionnées à l’article L. 345-1 du code de l’action sociale et des familles ;
Catégorie 2 : les logements locatifs ou les résidences de logement pour étudiants financés en prêt locatif à usage social ;
Catégorie 3 : les logements locatifs ou les résidences de logement pour étudiants financés en prêt locatif social, les logements occupés par les titulaires de contrats de location-accession et ceux faisant l’objet d’une opération d’accession mentionnés au VIII de l’article L. 3211-7.
[7] Remis à Sylvia Pinel, ministre du logement, de l’égalité des territoires et de la ruralité, le 7 janvier 2015. La CNAUF, créée par la loi de 2013, est chargée de suivre l’application du dispositif de mobilisation du foncier public.
[8] Page 15 du rapport, ils écrivent : « Entre 2008 et 2011, RFF a vendu en moyenne entre 300 et 500 hectares par an, dont seulement 10 % étaient dédiés au logement. Un plafonnement à 30 % réduit l’intérêt de la décote, notamment pour les logements PLAI en zone très tendue. S’ils n’ignorent pas la dette importante de cet établissement public, qui logiquement souhaite valoriser au mieux son patrimoine immobilier, vos rapporteurs déplorent toutefois le manque de transparence qui a conduit à ce plafonnement spécifique et arbitraire. »
[9] Dans leur rapport d’information de novembre 2014, portant sur la mise en application de la loi du 18 janvier 2013, Audrey Linkenheld et Jean-Marie Tétart regrette que « outre le caractère particulièrement complexe du calcul d’une telle fraction, cette restriction ne correspond pas véritablement à l’esprit de la loi ».
[10] « La mise en œuvre du dispositif de mobilisation du foncier public en faveur du logement », rapport établi par Thierry Repentin, ancien ministre et président de la CNAUF, remis à Sylvia Pinel le mercredi 7 janvier 2015 – « Rapport sur la mise en œuvre du dispositif de mobilisation du foncier public en faveur du logement », 2ème rapport de la CNAUF présidée par Thierry, février 2016.
« La mise en œuvre du dispositif de mobilisation du foncier public en faveur du logement, 3ème rapport – année 2016 » établi par la CNAUF, présidée par Thierry Repentin, février 2017.
[11] A noter que dans la réponse adressée à la Cour des comptes en janvier 2018, le Premier Ministre, évoque, page 3, un montant total de décotes réalisées entre 2013 et 2016 de 107 M€. 70 M€ (65%) concernent les zones A et Abis, 34 M€ (32%) les zones B1 et seulement 3 M€ (3%) les zones de faible tension (B2 et C). Ces chiffres renvoient aux éléments de la Cour des Compte et repris précédemment.
[12] Dans le cadre de la discussion du projet de loi sur la mobilisation du foncier public, le 20 novembre 2012, le député Marc-Philippe Daubresse indiquait : « En réquisitionnant avec une décote pouvant aller jusqu’à 100%, et même si le Conseil d’État a fait valoir un certain nombre d’arguments en la matière, vous privez l’État de moyens financiers. »
[13] Citation extraite d’un article intitulé « Le dispositif de décote de foncier public n’a pas la cote » et publié dans le magazine Actualités Habitat n°1074, 15 mars 2018 (Union Sociale pour l’Habitat).
[14] Etude d’impact – Projet de loi ELAN, pages 58 et 59
[15] Source issue du Ministère de la transition écologique et solidaire (MTES) – Commissariat général au développement durable (CGDD) – Service de la donnée et des études statistiques (SDES). Elle inclut l’accession à la propriété et l’investissement locatif.
Commentaire de Jean-Louis Helary ancien délégué interministériel au développement de l’offre de logements entre 2008 et 2009
L’article ci-joint s’inscrit dans la liste des sujets qui en matière de logements et d’aménagement, sont récurrents. Pèle-mêle on peut citer les logements vacants, la réalisation des logements sociaux en VEFA sans oublier le grand retour de l’Etat dans l’aménagement. On ne peu qu’être en accord avec toute politique visant à faciliter la production de logements sociaux ou à des prix abordables. la puissance publique est riche de patrimoines en fonciers recyclables. La question de la libération de tels emprises à des coûts raisonnables est donc légitime.
Cependant ces politiques en se ne fondant que sur le seul patrimoine de l’Etat et de ses établissements publics, se heurtent à des contradictions que la mise en place de décotes financières ne peut cacher. J’en voyais quand j’étais en charge de ces questions déjà au moins 3.
La première est que l’Etat n’a plus de moyens financiers . Il cherche à se désendetter, même s’il a réussi en 2017 grâce à la conjoncture économique à repasser son déficit chronique sous la barre des fatidiques 3% de son PIB. Pour ce faire la vente de son patrimoine est un moyen utile. Comme le soulignait Marc-Philippe Daubresse en 2012 on prive l’Etat de ressources.
On peut ajouter que France Domaine souffre en outre d’une carence de compétences en aménagement.
En second lieu on oublie très vite que les collectivités territoriales, dont les établissements publics de coopération intercommunale, ont la main puisqu’elles fixent le droit des sols. Or la plupart des fonciers publics de l’Etat concernés doivent voir leur statut nécessairement évoluer. Cette position de force est considérable et notamment dans la négociation avec l’Etat, qui curieusement se retrouve dans la même position qu’un propriétaire commun. Sans doute n’est-ce pas là l’image de la réalité des rapports de force locaux entre les collectivités et les préfets.
Enfin ces fonciers souffrent bien souvent de sujétions et s’inscrivent dans des contextes urbains qui nécessitent un véritable investissement en termes d’aménagement. Or dans le même temps, pour rester à la mode, qu’on s’essaie à libérer du foncier public, on a vu le poids du secteur privé dans l’aménagement. Cette tendance déjà perceptible il y a 10 ans n’a fait que croître. Si la puissance publique l’Etat et ses établissements publics d’un côté et les collectivités publiques de l’autre ne réinvestissent pas ce champ, on peut assez mal augurer du développement de cette politique de libération de fonciers publics en faveur du logement.