L’application de l’article 55 de la loi SRU (rapport Cour des comptes)

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Le 10 mars 2021, la Cour des Comptes a publié un rapport sur l’application de l’article 55 de la loi SRU répondant à une demande formulée un an auparavant par la commission des finances du Sénat. Bientôt vingt ans après l’entrée en vigueur du dispositif le 13 décembre 2000, l’objectif était de porter une appréciation sur ses effets et de formuler des recommandations destinées à améliorer son efficacité. Pour mener à bien son enquête, la Cour a interrogé un large panel d’acteurs (élus locaux, bailleurs sociaux, établissements publics fonciers et d’aménagement, administrations de l’État, services déconcentrés, associations) et s’est appuyée sur les travaux des chercheurs. En substance, le rapport reconnait l’efficacité de la loi SRU en matière de construction de logements sociaux mais regrette sa complexité croissante. Le propos s’articule en trois parties concernant respectivement l’évolution des modalités d’application du dispositif, les moyens d’action déployés par l’État et les voies d’adaptation au regard des difficultés existantes.
Dans un premier temps, le rapport rappelle le fonctionnement de la loi SRU en revenant sur les modifications législatives qu’elle a connues. Dans ce cadre, la Cour regrette la complexité croissante du dispositif qui implique une adaptation régulière des services de l’État et rend parfois sa logique inintelligible. Il en va ainsi du périmètre SRU qui, par la loi DALO de 2008, a fait entrer dans le champ d’application de l’article 55 des petites communes situées hors des unités urbaines mais appartenant à un EPCI essentiellement urbain. Selon le rapport, le dispositif gagnerait en clarté et en efficacité s’il ne concernait que les communes situées dans de grandes agglomérations (p. 21). Par ailleurs, le texte souligne la difficulté à assurer le suivi des obligations triennales de construction d’une période à l’autre (p. 32) en raison de l’introduction de critères qualitatifs par la loi Duflot de 2013 (seuil plancher de 20% de PLAI, seuil plafond de 30% de PLS). De même, la Cour s’interroge sur les critères retenus pour exempter certaines communes du dispositif. A l’origine, il n’y en avait que deux : l’inconstructibilité de plus de la moitié du territoire ; l’appartenance à une intercommunalité en décroissance démographique. En 2017, la loi Égalité et Citoyenneté en a approuvé deux nouveaux : la faible tension sur le logement social ; la mauvaise desserte par les transports en commun. Ces deux nouveaux critères laissant une certaine marge d’appréciation aux acteurs, les décisions sont parfois perçues comme injustes par les élus locaux. En somme, la Cour regrette les zones d’ombre autour de certaines modalités d’application de la loi et appelle donc dans sa première recommandation à préciser les règles du mécanisme d’exemption et des reports d’une période triennale à l’autre.
La deuxième partie du texte commence par aborder la question des contentieux entre l’État et les communes. Faute d’échange d’information entre les services territoriaux et l’échelon central, ce sujet reste largement méconnu alors qu’il pourrait, selon la Cour, éclairer sur les difficultés concrètes éprouvées par certaines communes déficitaires (p. 37). C’est pourquoi la deuxième recommandation préconise un meilleur suivi des contentieux relatifs à l’application de l’article 55 de la loi SRU.  D’autre part, eu égard à la complexité croissante de la loi SRU, la Cour reconnaît que sa mise en œuvre est de plus en plus coûteuse en ressources humaines dans un contexte où l’Etat cherche à faire des économies de personnel. Cette contradiction est particulièrement problématique à l’échelon départemental où les services doivent assurer de lourdes missions de suivi : recensement des logements sociaux, gestion des droits de réservation, paiement des prélèvements SRU, utilisation du droit de préemption,… En conséquence, la Cour préconise de renforcer le rôle de l’échelon régional dans sa troisième recommandation, en prenant l’exemple de l’Ile-de-France et de PACA qui ont créé des missions dédiées à l’article 55. Cet appui pourrait également faciliter le décompte des logements sociaux qui s’avère de plus en plus compliqué (p. 42) en raison de l’intégration de nouveaux produits à l’inventaire SRU : intermédiation locative, BRS, PSLA, terrains locatifs familiaux destinés aux gens du voyage. C’est pourquoi la Cour considère qu’il faut améliorer les outils de recensement des logements sociaux et de suivi des situations locales dans sa quatrième recommandation. En fonction des données de l’inventaire SRU, les communes déficitaires sont soumises à des prélèvements financiers qui peuvent être versés aux intercommunalités ou aux Établissements publics fonciers (EPF) et qui doivent servir à la réalisation de nouveaux logements sociaux. Cependant, la Cour dénonce le manque de suivi de l’utilisation des prélèvements et réclame donc dans sa cinquième recommandation davantage de transparence ainsi que la possibilité pour l’Etat d’agir en cas d’usage non-conforme des crédits. Dans la foulée, le texte évoque les modalités de prononciation du constat de carence et note le rôle croissant de la Commission nationale SRU qui, par exemple, a fait passer le nombre de communes carencées de 233 à 269 à l’issue de la période 2014-2016 (p. 61). Tout en soulignant la légitimité d’action de cette institution créée par la loi portant Engagement national pour le logement (2006), le rapport admet que ses interventions peuvent générer des tensions avec les services déconcentrés, en particulier lorsqu’ils sont désavoués. La Cour appelle donc à une clarification des rôles (p. 62) sans toutefois en faire une recommandation formelle. En aval de la carence, le texte met en évidence l’efficacité limitée des moyens de coercition mis à disposition des préfets. Bien que nombreux et significatifs (majoration du prélèvement SRU, gestion des droits de réservation, récupération du droit de préemption, délivrance des permis de construire), ces outils restent insuffisamment utilisés à cause du manque de personnel et de liquidités des services déconcentrés. Le rapport note également que leur mobilisation est à géographie variable : par exemple, la reprise des permis de construire n’a été employée que 118 fois par les préfets sur l’année 2018, essentiellement en PACA (72) et en Nouvelle Aquitaine (33). Devant ce constat, la Cour préconise dans sa sixième recommandation de préciser les conditions de l’utilisation des moyens de l’État face aux communes carencées.
La troisième partie du rapport est consacrée aux enjeux soulevés par l’approche de l’échéance 2025. En s’appuyant sur des articles de recherche[1] et des études réalisées par des acteurs institutionnels, la Cour reconnaît que le seuil exigé sera impossible à atteindre pour de nombreuses communes déficitaires. Le texte relate d’ailleurs que, sur le terrain, les services déconcentrés font d’ores et déjà preuve de souplesse, certains allant jusqu’à agréer des documents qui ne permettront pas d’accéder au seuil exigé en 2025 (p. 69). Afin d’anticiper les difficultés à venir, la Cour propose donc dans sa septième recommandation d’identifier les communes susceptibles de ne pas remplir leurs objectifs en 2025. En outre, le rapport s’inquiète de l’effet limité de la loi SRU en matière de mixité sociale pourtant affichée initialement comme principale finalité du dispositif. Reprenant des travaux préexistants[2], la Cour souligne que la grande diversité des types de logements sociaux comptabilisés dans l’inventaire SRU porte préjudice à l’objectif de diversification du peuplement des communes déficitaires. D’où la huitième recommandation qui consiste à intégrer dans le suivi de l’application de la loi des indicateurs qualitatifs permettant de mieux prendre en compte la mixité sociale. Notons toutefois que le texte ne précise pas quelle devrait être la teneur de ces indicateurs. Les problématiques posées par la mise en œuvre de la loi SRU amènent enfin la Cour à réfléchir aux solutions permettant de l’améliorer sans la remettre en cause dans ses fondements. Cet attachement au dispositif explique que le rapport rejette le passage d’une logique de stock (25% de logements sociaux parmi les résidences principales) à une logique de flux (25% de logements sociaux dans les nouvelles constructions) qui risquerait de « tuer la loi SRU » (p. 70). En revanche, la Cour suggère de repousser l’échéance pour l’instant fixée à 2025 et de substituer aux périodes triennales des périodes quinquennales jugées plus judicieuses en raison des délais de réalisation des logements sociaux. Elle formule également une préconisation beaucoup plus sulfureuse mais exprimée de façon évasive visant à tenir compte des spécificités locales dans l’application du dispositif, objet de la neuvième recommandation. Pour ce faire, le rapport envisage de promouvoir les intercommunalités dont le rôle dans la mise en œuvre de la loi SRU demeure marginal alors qu’il s’est accru ces dernières années dans les politiques de logement social. En effet, grâce aux lois Maptam (2014), ALUR (2015), NOTRe (2015) et Egalité et Citoyenneté (2017), les EPCI peuvent intervenir dans le domaine du peuplement, en gérant les attributions de logements sociaux, et dans le domaine de l’urbanisme, en imposant des objectifs chiffrés dans les PLH et les PLUI. Rien n’oblige toutefois les communes à respecter ces objectifs dans la mesure où, en dernière instance, c’est aux maires qu’il revient d’accorder ou non les permis de construire. Selon la Cour, cette contradiction entre les prérogatives croissantes des EPCI et leur faible rôle dans l’application de la loi SRU est d’autant plus regrettable que les intercommunalités seraient les mieux à même de décliner les politiques nationales de logement à l’échelle locale. Dans le sillon de la loi ELAN, le rapport invite ainsi à faire des EPCI les interlocuteurs privilégiés de l’Etat même si les communes garderaient la main sur la production des logements sociaux escomptés. Cette nouvelle répartition des rôles pourrait s’épanouir en relançant les Contrats de mixité sociale (CMS) dont la logique partenariale favoriserait l’établissement de relations de confiance entre l’État et les collectivités locales. Dans ce cadre, la Cour suggère aussi de faire varier l’échéance selon les caractéristiques des collectivités afin de maintenir un pourcentage uniforme à l’échelle nationale. Cette double proposition – rôle accru des EPCI, calendrier différencié selon les situations locales – porte en elle une modification substantielle de la loi SRU qui, de surcroît, risque de rendre le dispositif encore plus complexe. En effet, la multiplication des cas de figure induite par cette mesure risque de se traduire par une multiplication des contestations et des litiges qui pourrait in fine affaiblir le socle du dispositif et accentuer le sentiment d’injustice.

En définitive, le rapport rendu par la Cour des comptes dresse un panorama riche et précis de l’application de la loi SRU. Tout en soulignant les conséquences positives du dispositif, le texte formule à la marge des recommandations qui pourraient modifier en profondeur le fonctionnement de la loi SRU en cherchant à la simplifier et à l’adapter aux réalités locales. Si ces intentions sont louables, les effets pourraient être opposés à ceux recherchés par la Cour et, paradoxalement, ajouter de la complexité à la complexité déjà existante.

Grégoire Fauconnier
Mars 2021


[1] Grégoire Fauconnier, « Loi SRU : un objectif inaccessible ? », Politiquedulogement.com, 15 juin 2020.

[2] Grégoire Fauconnier, « Les structures collectives, alternatives à la construction de logements sociaux dans les communes soumises à la loi SRU », Politiquedulogement.com, 29 juin 2020.

 

Auteur/autrice

  • Grégoire Fauconnier

    Agrégé et docteur en géographie, Grégoire Fauconnier a rédigé une thèse sur la mise en oeuvre de la loi SRU soutenue en 2019 à l'Université Paris Nanterre. Ce travail universitaire a été adapté sous la forme d'un livre intitulé "Loi SRU et mixité sociale: le vivre ensemble en échec?" paru en 2020 aux éditions Omniscience.

Une réflexion sur “L’application de l’article 55 de la loi SRU (rapport Cour des comptes)

  • 13 juin 2021 à 17:28
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    Sur la base de quel motif fondé, une commune de moins de 1000 habitants, faisant partie d’un EPCI de moins de 50.000 habitants, dont la ville principale n’atteint pas les 15.000 habitants (cas typique des CC de zone rurale et non « péri-urbaines ») pourrait ne voir, à terme, s’appliquer l’article 55 de la Loi SRU ?
    En clair dans les villages ruraux, adhérents de petits EPCI, l’accès au logement social se pose aussi, tant de manière saisonnière en cas de pôle touristique qu’à l’année dans une logique de croissance démographique de ces petites communes rurales relevant de petits EPCI qui, désormais reliées à la fibre pourraient accueillir de nouvelles populations utilisatrices des NTIC.
    Si quelqu’un a un avis !

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