L’interdiction à la location des passoires thermiques : quelles conséquences pour le marché locatif privé ?

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Les échéances fixées par la loi Climat et résilience

Depuis le 1er janvier 2023, les logements dont la consommation énergétique est supérieure à 450 kWh/m² et par an[1]  ne peuvent plus être loués. Les baux en cours se poursuivent, mais les logements concernés étant désormais considérés comme non décents, ils ne peuvent faire l’objet d’un nouveau bail[2].
Il s’agit de la première étape, mise en œuvre par anticipation, de l’application des dispositions concernant la lutte contre les passoires thermiques de la loi Climat et résilience, qui insère dans la définition du logement décent des critères minimaux de performance énergétique :
« Le niveau de performance d’un logement décent est compris, au sens de l’article L. 173-1-1 du code de la construction et de l’habitation :
1° A compter du 1er janvier 2025, entre la classe A et la classe F ;
2° A compter du 1er janvier 2028, entre la classe A et la classe E ;
3° A compter du 1er janvier 2034, entre la classe A et la classe D. »
Autrement dit, ne seront plus décents les logements classés F à partir de 2028 et ceux classés E à partir de 2034 : il sera donc interdit de les louer.
Les détenteurs de logements classés G doivent donc effectuer d’urgence des travaux de rénovation énergétique permettant d’améliorer la notation de leurs logements s’ils souhaitent continuer à les louer. Pour ceux classés F ou E, le délai est plus long : il laisse aux propriétaires le temps de la réflexion.

Quelles conséquences possibles sur les marchés immobiliers ?

Ces dispositions pourraient être de nature à bouleverser l’équilibre des marchés de la location résidentielle. En effet les logements classés G, F ou E sont nombreux dans le parc locatif, notamment dans le parc privé. Selon l’Observatoire national de la rénovation énergétique, il s’agit au total de près de 4,9 millions de logements, dont 3,4 millions dans le parc locatif privé et 1,5 million dans le parc social. Le nombre de passoires thermiques (classes F et G), concernées à court ou moyen terme par les mesures de la loi Climat et résilience, est estimé à plus de deux millions d’unités : 1,579 million dans le parc privé et 472 000 dans le parc social, soit respectivement 19,9% et 9,5% de l’effectif de chacun de ces deux segments.
Il faut en outre préciser que la part des logements peu performants n’est pas la même partout. Elle est d’autant plus élevée que le parc est plus ancien, car la performance énergétique est liée à l’âge des constructions. C’est le cas à Paris, où la part des logements anciens est particulièrement élevée : « En effet, 66 % des logements loués dans le parc privé parisien sont étiquetés E, F ou G, contre 52 % en petite et grande couronnes et 47 % dans le reste de la France métropolitaine »[3], de sorte que « 308 300 ménages (soit 443 200 locataires) du parc privé louant un logement classé E, F ou G pourraient, en l’absence de rénovation énergétique, ne plus pouvoir être locataires dans les mêmes logements »[4].
D’ores et déjà, des propos alarmistes sont relayés par les médias. La mesure semble déjà produire un effet négatif sur l’offre locative, si l’on en croit les témoignages de professionnels de la location. Ainsi, Loïc Cantin, président de la FNAIM affirme-t-il que « Selon les enquêtes que nous avons menées, plus d’un tiers d’entre eux [les bailleurs] envisage de retirer leur logement du parc locatif français »[5]. Selon François Morineau, Directeur général délégué de BNP Paribas Real Estate Conseil Habitation et Hospitality, « depuis le mois de juin, on estime qu’environ 15 à 20 % des logements ont déjà été sortis de la location pour être vendus »[6]. Même son de cloche du côté du site Bien’ici : « La demande de logements à louer a en effet augmenté de 54 % en 2022 alors que, en parallèle, l’offre – qui baisse depuis plusieurs années – a diminué de 10 % au vu des annonces diffusées »[7]. Philippe de Ligniville, directeur général adjoint de Bien’Ici, n’attribue toutefois pas cette tendance à la seule interdiction de louer des logements étiquetés G, qui selon lui ne fait que renforcer des évolutions déjà à l’œuvre.
Pour respecter l’interdiction de louer des logements non décents, les propriétaires de logements locatifs étiquetés G, puis F, puis E, auront en effet le choix entre deux solutions : effectuer des travaux de rénovation énergétique ou retirer leur bien de la location.

Rénovation énergétique du logement

Les travaux devront être d’autant plus importants, et donc plus onéreux, que la performance énergétique est plus faible. Il ne serait en effet guère utile pour les passoires thermiques (étiquettes G et F) de se limiter au minimum permettant d’atteindre la note immédiatement supérieure, puisque les logements classés F, puis E seront, à terme, interdits à la location. De plus, il semble admis que l’addition de gestes isolés est moins efficace qu’une rénovation globale[8].
Il est difficile, sinon impossible, d’avancer une estimation du coût moyen des travaux nécessaires qui varie notablement en fonction du type de logement, de son état et de l’ambition de la rénovation, comme le montrent les exemples suivants :
– une étude publique « Je rénove BBC » réalisée en Alsace, portant sur la rénovation de maisons individuelles, fait état d’un coût moyen de 465 € hors taxes par mètre carré habitable. Il s’agit là d’un majorant, car il s’agissait dans les cas étudiés d’atteindre le label BBC[9];
– une autre étude, non publiée à ce jour, réalisée dans les Hauts-de-France évalue le montant moyen à 43 500 € en maison individuelle et à 16 000 € pour les logements collectifs ;
– Damien Guth, directeur adjoint de l’exploitation et de la maintenance de Clésence, bailleur social qui compte 45.000 logements dans le nord de la France, estime à 40 000 € par logement le montant des travaux nécessaire pour amener à la note D des logements classés classés «G»[10].
Rapportés à la valeur des logements, ces coûts ne paraissent pas rédhibitoires dans les zones les plus chères, mais ils sont probablement prohibitifs dans celles où la demande est faible et les loyers bas. En tout état de cause, même dans les zones tendues le financement peut poser problème car les bailleurs personnes physiques, on le sait, ne sont pas tous aisés. A cet obstacle s’ajoute, pour les logements en copropriété, le problème de la prise de décision collective pour les travaux portant sur les parties communes. Les propriétaires occupants, n’étant pas concernés par les mesures relatives à la décence découlant de la loi Climat et résilience, peuvent faire obstacle à de telles décisions. Or les appartements représentent les deux tiers du parc locatif privé étiqueté E, F ou G et la plupart d’entre eux appartiennent à des copropriétés. Enfin, les contraintes architecturales ou patrimoniales peuvent interdire des interventions modifiant l’aspect extérieur des bâtiments.
La loi Climat et résilience a d’ailleurs prévu des possibilités de dérogation aux obligations qu’elle impose. Le bailleur pourra en bénéficier s’il « démontre que, malgré ses diligences en vue de l’examen de résolutions tendant à la réalisation de travaux relevant des parties communes ou d’équipements communs et la réalisation de travaux dans les parties privatives de son lot adaptés aux caractéristiques du bâtiment, il n’a pu parvenir à ce niveau de performance minimal » ou si « le logement est soumis à des contraintes architecturales ou patrimoniales qui font obstacle à l’atteinte de ce niveau de performance minimal malgré la réalisation de travaux compatibles avec ces contraintes ». Il faudra toutefois attendre un décret, et sans doute l’établissement d’une jurisprudence pour juger de l’étendue effective des dérogations.

.. ou mise en vente

Faute d’être en mesure d’effectuer les travaux nécessaires, des bailleurs pourraient choisir de mettre en vente les logements qu’ils détiennent. Si le phénomène est massif, l’accroissement de l’offre qui en résulterait contribuerait à la détente du marché immobilier et à la baisse des prix, déjà amorcée selon les professionnels de la transaction. Il se pourrait aussi que la mise en vente massive de logements ne pouvant être loués qu’au prix de travaux de rénovation induise une augmentation de la valeur verte, c’est-à-dire de la décote des passoires thermiques par rapport aux logements plus performants. L’autre conséquence serait la diminution de l’offre locative globale et l’augmentation des loyers.

.. si l’application de la loi est rigoureuse

Les conséquences que nous venons de décrire reposent sur le postulat que les nouvelles dispositions de la loi seront appliquées dans toute leur rigueur.
Or le bailleur d’un logement non décent ne peut être sanctionné que si le locataire engage une action pour faire valoir ses droits. Ce type d’action est peu fréquent. L’Anil note en effet que « Les décisions disponibles montrent qu’assez peu d’actions sont introduites par les locataires en raison de la non-décence du logement. Le plus souvent, les locataires tentent de se faire justice eux-mêmes en interrompant le paiement des loyers. Or, les jugements leur sont rarement favorables, car les tribunaux s’appuient sur une position très ferme de la Cour de cassation, qui n’admet l’exception d’inexécution que dans des circonstances très particulières »[11]. C’est que le locataire, en engageant une action, prend le risque de devoir quitter son logement sans avoir l’assurance d’en trouver un autre pour un loyer équivalent, notamment si ledit logement est localisé dans une zone tendue où l’offre, déjà insuffisante, pourrait être réduite.
Un autre exemple de la rareté des actions est fourni par les dispositifs d’encadrement des loyers : dans les périmètres concernés, le nombre de recours aux commissions de conciliation est très faible par rapport au nombre de dépassements du loyer de référence majoré.
L’obligation de mentionner dans les annonces la classe énergétique du logement devrait, en théorie, rendre impossible la location de passoires thermiques, mais selon une enquête de la CLCV[12], elle n’est respectée que dans 7 cas sur 10 environ. Les sanctions sont rares, et inexistantes lorsque l’annonceur est un particulier. Le risque encouru par un bailleur mettant en location une passoire énergétique semble donc limité, et il est probable qu’au moins dans un premier temps, une part importante des logements concernés continuera à être louée sans avoir subi de travaux. Compte tenu des conséquences possibles sur les marchés de l’application stricte de la loi, ce ne serait sans doute pas une catastrophe.

Jean Bosvieux
Janvier 2023

[1] Cette consommation de 450 kWh/m² et par an correspond à la limite de la classe G avant la réforme du diagnostic de performance énergétique. Dans l’échelle en vigueur depuis le 21 juillet 2021, date de cette réforme, le seuil de passage entre les classes F et G est de 420 kWh/m² et par an. C’est donc seulement une partie (la plus énergivore) des logements classés G qui est désormais interdite à la location.

[2] Décret n° 2021-19 du 11 janvier 2021 relatif au critère de performance énergétique dans la définition du logement décent en France métropolitaine.

[3] À Paris, des enjeux de rénovation énergétique très forts pour plus de la moitié des logements, Insee Analyses Île-de-France • n° 154 • Juin 2022

[4] ibid.

[5] Libération du 1er janvier 2023.

[6] Les Echos du 21 novembre 2022.

[7] Les Echos du 30 novembre 2022.

[8] C’est notamment l’une des critiques faites au dispositif d’aide MaPrimeRénov : cf. par exemple le Rapport de la commission sur les coûts d’abattement, partie 5 – Logement (page 42), France stratégie, novembre 2022.

[9] 500 maisons rénovées basse consommation, enseignements opérationnels des programmes « je rénove BBC » en Alsace, Cerema et EDF, juin 2017.

[10] Le Figaro Immobilier du 30 septembre 2021.

[11] ANIL, https://www.anil.org/jurisprudences-logement-decent/.

[12] « Annonces immobilières : le 100% de conformité proche de zéro », CLCV, novembre 2022.

Auteur/autrice

  • Jean Bosvieux

    Jean Bosvieux, statisticien-économiste de formation, a été de 1997 à 2014 directeur des études à l’Agence nationale pour l’information sur l’habitat (ANIL), puis de 2015 à 2019 directeur des études économiques à la FNAIM. Ses différentes fonctions l’ont amené à s’intéresser à des questions très diverses ayant trait à l’économie du logement, notamment au fonctionnement des marchés du logement et à l’impact des politiques publiques. Il a publié en 2016 "Logement : sortir de la jungle fiscale" chez Economica.

3 réflexions sur “L’interdiction à la location des passoires thermiques : quelles conséquences pour le marché locatif privé ?

  • 27 février 2023 à 14:39
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    Article très éclairant et instructif.
    Une autre conséquence de l’interdiction de la location des passoires thermiques pourrait être un développement accru de la location de meublés de tourisme. Celle-ci a déjà pris beaucoup d’ampleur à la fin des années 2000, en raison de l’apparition de plateformes internet d’intermédiation entre particuliers bailleurs et touristes (AirBnB a été fondée en 2008).
    En effet, les logements meublés de tourisme ne sont pas soumis à cette interdiction et plusieurs élus locaux témoignent déjà de cette évolution. Cela est d’autant plus regrettable que les logements locatifs permanents manquent dans les métropoles ou les territoires touristiques. Cependant, les collectivités territoriales disposent de nombreux outils de régulation des meublés de tourisme, qu’elles devront mobiliser si elles souhaitent que les passoires thermiques de leur territoire ne se transforment en « logements AirBnB ».

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    • 3 mars 2023 à 14:27
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      Qu’entend M. Guerrini par ces nombreux outils de régulation des meublés de tourisme à disposition des collectivités?

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      • 17 mai 2023 à 10:11
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        Un dispositif de régulation de ces logements a progressivement été construit par le Gouvernement au travers des lois Alur (2014), République numérique (2016), Elan (2018), et enfin Engagement et proximité (2019). Ce cadre est plus ou moins mobilisable par les collectivités en fonction de l’ampleur du phénomène sur leur territoire et selon les ambitions des élus locaux. Le Ministère a d’ailleurs publié un guide pratique de la réglementation des meublés de tourisme à destination des communes en janvier 2022.
        Je vous invite à consulter sur ce sujet les documents et les replays publiés à la suite du séminaire organisé par le Cerema à la demande de la DHUP en novembre dernier, concernant les logements meublés touristiques mis en location via les plateformes de type AirBnB. Plusieurs interventions sont consacrées à la régulation.
        https://www.cerema.fr/fr/actualites/observer-reguler-locations-meubles-courte-duree-echanges-du

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