Coup d’arrêt sur les chartes promoteurs, objets juridiques non identifiés

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De plus en plus de communes et d’intercommunalités édictent des chartes à destination des opérateurs construisant des logements collectifs. Bien souvent, ces chartes imposent aux porteurs de projets des prescriptions allant bien au-delà de ce que ces collectivités peuvent intégrer dans leurs documents d’urbanisme. Un tribunal administratif a récemment annulé la délibération d’un conseil municipal approuvant une charte de ce type. L’occasion de revenir sur ces objets juridiques non identifiés et de militer pour leur encadrement.

Des chartes devenues des « PLU bis »

Charte de l’urbanisme et du cadre de vie ; Charte pour la qualité des constructions ; Charte de la construction pour une ville résiliente ; Charte construction durable ; Charte urbaine et architecturale…
Derrière ces appellations diverses et variées, que l’on regroupe communément sous le terme de « chartes promoteurs », se cachent des outils de régulation, d’encadrement, voire de contrôle, des opérations de construction de logements collectifs.
Ces chartes sont apparues il y a une quinzaine d’année dans des communes franciliennes, initialement pour contrer la hausse des prix des logements neufs, principalement due à l’explosion du coût du foncier. Elles ont récemment fleuri sur l’ensemble du territoire, en oubliant leur objectif initial puisqu’elles aboutissent bien souvent à un renchérissement des coûts de construction.
Les élus locaux les utilisent désormais pour mettre en œuvre leurs ambitions politiques en matière d’aménagement, de construction et de cadre de vie, rôle normalement tenu par les plans locaux d’urbanisme communaux ou intercommunaux.
A la suite des élections municipales de juin 2020, plusieurs maires et présidents d’intercommunalités nouvellement élus ont ainsi préféré encadrer les projets de construction de logements via ces chartes, plutôt que d’engager des procédures longues, coûteuses et juridiquement périlleuses, visant à faire évoluer le plan local d’urbanisme en vigueur.
Parfois, c’est aussi le moyen pour les maires de tenter de récupérer une partie de la compétence de planification lorsque celle-ci a été transférée à l’intercommunalité à laquelle est rattachée leur commune.

Des chartes créées sans base légale

A la différence des plans locaux d’urbanisme, dont le contenu, la procédure d’élaboration et les effets sont strictement encadrés par le code de l’urbanisme, ces chartes sont dénuées de toute base légale et n’étaient, jusqu’à récemment, aucunement encadrées.
Peuvent ainsi y figurer des précisions sur des règles prévues dans les plans locaux d’urbanisme, relatives à l’aspect extérieur des constructions ou à l’intégration paysagère des projets, ce qui peut, il est vrai, s’avérer utile pour les porteurs de projets, puisqu’ils gagnent en visibilité.
Mais l’on y retrouve surtout un éventail très hétérogène de mesures visant à imposer aux constructeurs des contraintes opérationnelles, allant bien au-delà de ce que les collectivités locales peuvent imposer via leurs documents d’urbanisme.
Alors que des dizaines de rapports commandés par les gouvernements successifs prônent la simplification des démarches administratives qui sclérosent les projets immobiliers, ces chartes mettent en place des procédures spécifiques d’instruction des demandes de permis (avec par exemple des réunions imposées préalablement au dépôt des demandes, pour présenter les projets aux élus en vue de les faire évoluer), ou encore des obligations renforcées de concertation du public et de réalisation de diagnostics sur les impacts écologiques et environnementaux.
A cela s’ajoutent des règles visant à alourdir les réglementations techniques applicables aux constructions, ou encore à orienter – si ce n’est imposer – le choix de l’architecte, la gestion du chantier, la répartition ainsi que la surface minimale des logements et leur aménagement intérieur.
Cela peut même aller jusqu’à restreindre l’usage des parties privatives des immeubles construits, en vue d’interdire les locations de courte durée ; contraindre la commercialisation pour limiter les ventes aux investisseurs et donner la priorité aux habitants de la commune ; plafonner les prix de vente des logements…
A croire que la commune qui édicte ces règles est le maître d’ouvrage de ces opérations et que le droit de propriété et la liberté contractuelle n’ont plus le droit de cité…
Ces élus soutiennent que ces chartes ont pour but de favoriser le dialogue avec les promoteurs, mais en pratique elles sont bien souvent élaborées sans réelle concertation avec les professionnels du secteur de la construction. Elles sont ensuite présentées à la signature des promoteurs, qui n’ont pas d’autre choix que d’y souscrire, en espérant pouvoir en contrepartie négocier le prix d’achat du foncier. Cela est loin d’être acquis compte tenu des procédures de cession et de la concurrence très forte entre les opérateurs sur les derniers terrains constructibles. L’hypothétique accélération de l’instruction des permis reste quant à elle nettement insuffisante, alors que se multiplient des systèmes de pré-instruction dilatoires.
Juridiquement, ces chartes ne sont pas opposables aux demandes de permis de construire. La Cour administrative d’appel de Bordeaux l’a relevé dans un arrêt du 29 septembre 2016 (n°14BX01613).
L’article L421-6 du Code de l’urbanisme précise en effet que l’instruction des permis se fait au regard des dispositions législatives et réglementaires relatives à l’utilisation des sols, à l’implantation, la destination, la nature, l’architecture, les dimensions et l’assainissement des constructions et à l’aménagement de leurs abords. Cette liste est exhaustive et ne prévoit pas la possibilité d’ajouter des contraintes issues de dispositions contractuelles locales.
Pour autant, les constructeurs restent contraints de signer les chartes qui leur sont proposées et de les respecter, car la délivrance de leurs permis et la réalisation de leurs projets sont implicitement conditionnées, par les élus, à l’adhésion à ces chartes et à leur bonne application.
Le risque, pour les promoteurs qui refuseraient de signer ces chartes, est bien réel : être « blacklisté » et de ne plus pouvoir construire dans les communes concernées. Or cela n’est pas concevable dans un contexte de pénurie foncière et de marché du logement neuf profondément en crise.
C’est d’ailleurs ce même risque qui dissuade bien souvent les porteurs de projets d’engager des recours contre des refus de permis infondés qui, cumulés aux délais de traitement des recours, sont incompatibles avec la durée de vie économique d’un projet.
Il faut à ce titre saluer les mesures adoptées l’année dernière, visant à réduire les délais de traitement des recours des pétitionnaires contre les refus de permis, en leur faisant bénéficier de mesures qui ont fait leur preuve dans le cadre des recours contre les permis délivrés, à savoir la suppression de la voie d’appel en zones tendues et le délai maximal de jugement fixé à dix mois[1].

Des chartes enfin contrôlées

Les chartes d’urbanisme sont des actes administratifs à valeur réglementaire dès lors qu’elles sont approuvées par délibération du Conseil municipal ou par arrêté du maire. Elles peuvent donc faire l’objet d’un recours contentieux en annulation.
C’est ainsi que le Préfet de Seine-Maritime a saisi le tribunal administratif de Rouen, suite à l’approbation en février 2022, par le Conseil municipal de Bois-Guillaume, d’une « Charte de l’urbanisme et du cadre de vie ».
Ce tribunal a récemment rendu sa décision[2], prononçant l’annulation de cette délibération du Conseil municipal, ce qui est une première.
Dans cette affaire, les juges ont retenu la double incompétence de la commune de Bois-Guillaume : incompétence pour imposer des prescriptions en matière d’urbanisme via cette charte (cette compétence avait été transférée à la métropole Rouen Normandie) et incompétence pour prescrire « des règles impératives relatives à la conception et à la réalisation de projets de construction, relevant, par leur nature, de la loi ou du règlement ».
Cette charte prévoyait notamment une phase de pré-instruction des demandes de permis, pendant laquelle le promoteur devait présenter à la mairie une étude de faisabilité, une évaluation des impacts du projet sur l’environnement et ses hypothèses de bilan financier, puis soumettre son projet architectural à un jury d’architectes auquel la mairie était associée.
Or, les juges ont rappelé que les demandes de permis de construire ne peuvent être instruites que dans les conditions fixées par le code de l’urbanisme, qui encadre strictement les phases et délais de l’instruction et définit de manière limitative les informations et les pièces pouvant être exigées par les services instructeurs.
A ce titre, rappelons que désormais toute demande de pièce complémentaire non prévue par la réglementation, faite par le service instructeur après le dépôt d’une demande de permis, n’a plus pour effet d’interrompre le délai d’instruction. Cette règle codifiée à l’article R*423-41 du code de l’urbanisme a récemment trouvé à s’appliquer dans un arrêt du Conseil d’Etat du 9 décembre 2022 (n°454521).
La décision du tribunal de Rouen est à saluer en ce qu’elle pose enfin la question de la régulation des chartes promoteurs.
Il faut souhaiter que les préfets se saisissent de ce sujet et défèrent devant les tribunaux administratifs les chartes comportant des dispositions désormais reconnues comme illégales.
Si des évolutions sont certainement à apporter aux dispositions législatives et réglementaires encadrant les plans locaux d’urbanisme, afin de répondre au souhait des maires de définir plus précisément leur politique urbaine, cela doit nécessairement se faire dans le respect du débat parlementaire et en concertation avec les élus locaux et les professionnels de la construction.

Stéphane Chenuet
Juin 2023


[1] Décret n°2022-929 du 24 juin 2022 portant modification du code de justice administrative et du code de l’urbanisme (JORF du 25 juin 2022)

[2] Décision du tribunal administratif de Rouen du 26 janvier 2023 (n°2202586)

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