L’expérience du CNR Logement 5. Entretien avec Catherine Sabbah

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Cinquième entretien de notre série consacrée aux animatrices et animateurs du CNR Logement. Rencontre avec Catherine Sabbah, déléguée générale de l’Institut des Hautes Etudes pour l’Action dans le Logement (IDHEAL), et co-animatrice, avec Mickaël Nogal du groupe de travail du CNR intitulé « Réconcilier la France avec l’acte de produire des logements nouveaux ».

La rédaction : Pouvez-vous résumer en quelques lignes votre analyse de ce que beaucoup s’accordent aujourd’hui à qualifier de crise du logement ?
Catherine Sabbah :
Sous les expressions bien pratiques de “bombe sociale”, “bombe à fragmentation”, “crise historique”… le logement semble avoir fait récemment irruption dans le débat public, ou plutôt politique. Il y figure en réalité depuis longtemps, mais de manière floue car dispersée, via des réponses distinctes apportées à des publics spécifiques, sans cap clair ni formulé de ce que pourrait être une politique du logement dans sa globalité. Pour aller vite, les associations et les politiques d’hébergement prennent en charge les mal-logés, les politiques fiscales sont calibrées par le ministère des Finances pour soutenir l’activité des promoteurs et des entreprises de bâtiments, des prêts accordés par la Caisse des dépôts et l’épargne populaire (le livret A) financent le secteur social, enfin des aides versées aux ménages les aident à payer leurs loyers, rénover leurs logements ou devenir propriétaires,
Cette répartition des rôles a été mise en place progressivement, au gré des réformes foncières, de la définition et du calibrage des aides à la personne et à la pierre, des lois de décentralisation successives et des modifications de compétences qui s’en sont suivies. Au fil aussi des ministres, personnalités plus ou moins marquantes, jamais placés très haut dans la hiérarchie gouvernementale, quand on n’oubliait pas d’en nommer. Ces subsides, alimentés par les budgets de l’Etat et des collectivités locales et l’apport des entreprises (via Action Logement) étaient-ils suffisants ou suffisamment ciblés ? Sans doute pas. Mais le fait qu’ils ne soient pas toujours tous sollicités en même temps a sans doute aidé à une apparente efficacité du système, car les aides, lorsqu’elles augmentent, satisfont momentanément ceux qui en bénéficient. Au moment de l’ouverture de places d’hébergement en hiver, ou de la mise en place du dispositif “logement d’abord”, lors des plans de relance de 2008 et 2020 et 2023 pour les promoteurs, à chaque aménagement successif des aides aux ménages, de la réinvention systématique des aides à l’investissement locatif, de la mobilisation des fonds pour la politique de rénovation urbaine…
Le début du quinquennat du président Emmanuel Macron a sonné le glas de ces ajustements successifs. En sept ans, le secteur a connu des restrictions dont l’effet est d’autant plus redoutable, que leur pérennité semble acquise : la baisse de 5 euros des aides à la personne, qualifiée tardivement de “connerie sans nom”[1] a peut-être plus marqué les esprits que les portefeuilles des bénéficiaires et a servi de signal : celui du désengagement de l’Etat. Via la réduction des loyers de solidarité (RLS)[2], décision coûteuse pour les bailleurs sociaux, et, progressivement, de la disparition d’autres mécanismes auxquels les acteurs étaient habitués et sur lesquels le système était fondé. C’est le cas des aides à l’accession sociale à la propriété (APL Accession) , du “Pinel”, principal soutien de l’investissement locatif ainsi que du Prêt à taux zéro prolongé mais dans une version resserrée. Souvent votées à l’occasion de projets de loi de finances et non de textes spécifiques, ces décisions obéissent à des contraintes budgétaires plus qu’à un cap fixé par le ou la ministre du logement.
Conséquence de ces politiques et d’autres facteurs, la situation s’est fortement tendue. Après plus de 20 ans de hausse des prix non entravée par les politiques publiques, favorisées, voire encouragée, par des taux d’intérêt en baisse, le choc est violent. Si des taux autour de 4% n’ont rien d’affolant au regard de l’histoire immobilière même récente, ou du niveau actuel de l’inflation, leur hausse rapide empêche les ménages de financer des logements beaucoup trop chers pour leur capacité d’endettement désormais réduite. Moins d’achat signifie moins de ventes sur le marché de l’ancien, dont les prix baissent un peu[3], et par contagion sur celui du neuf dont la production s’est réduite sans effet sur les prix, sinon au gré d’offres promotionnelles pour écouler les stocks. Crise de l’offre ? Sans doute. Crise de la demande ? Sûrement pas. Elle existe toujours et s’exprime de manière aussi forte sans solution, faute de logements adaptés, au bon endroit et au bon prix, faute donc d’une… offre satisfaisante.
S’il fallait en rajouter, le coût de l’énergie, dont l’augmentation liée à la géopolitique risque de durer, et les canicules de plus en plus fréquentes ont rendu la crise climatique très concrète. Entre passoires et bouilloires thermiques, les propriétaires prennent progressivement conscience que leur logement leur coûtera plus cher que prévu. D’autant plus que depuis 2023, la loi oblige les bailleurs à engager ces transformations pour pouvoir louer leur bien. Vont-ils vendre plutôt que rénover, ou transformer leur immobilier de rapport en location meublée de courte durée, encore épargnées par la contrainte de performance énergétique ? C’est une autre facette de la crise qui voit grossir le nombre de logements souvent vides, mais paradoxalement très rentables pour leurs propriétaires, et diminuer le nombre de résidences principales disponibles et abordables pour des familles, à proximité des bassins d’emploi.
Il semble que sous l’effet de divers facteurs plus ou moins prévisibles mais peu anticipés, le système entier se soit grippé. Il conviendrait donc de le modifier en en changeant la logique, les habitudes, les objectifs et les moyens. C’était dans mon esprit, le but du CNR.

La rédaction : Dans ce contexte, qu’attendiez-vous des travaux du CNR ?
Catherine Sabbah : Le Conseil National de la Refondation contenait dans son nom même une très forte ambition. Passons sur le fait qu’il reprenait le sigle du Conseil National de la Résistance dont sont issues nombre de mesures et décisions structurantes pour notre société. Le CNR Logement, ajouté in extremis[4], est finalement celui dont on a entendu le plus parler. La réflexion est lancée dans un moment de crise, en novembre 2022, alors que les acteurs, bailleurs sociaux, promoteurs, représentants des propriétaires, élus, associations, pour une fois alignés, alertent les pouvoirs publics sur la crise qui vient. Un nouveau groupe de travail (« encore un ! » pensent beaucoup), sera-t-il utile ? Au cours des deux années précédentes, rapports et réflexions n’ont pas manqué : le rapport Lemas sur la qualité des logements sociaux, celui d’Olivier Sichel “pour une réhabilitation énergétique massive, simple et inclusive des logements privés”, le “Girometti-Leclercq” sur la qualité des logements neufs (ainsi que les travaux de Qualitel et d’Idheal non commandés par le gouvernement), la commission Rebsamen pour la relance durable de la construction de logements[5]… Certains ont participé à l’aménagement de règles. Le « Pinel+ » par exemple soumis à des contraintes de qualité de construction et d’habitabilité, sans effet marquant ni sur le paysage institutionnel, ni sur la conjoncture.
La vocation du CNR, élaborée au fur et à mesure de son avancement, est plus globale. Les intitulés des trois groupes de travail couvrent la totalité des sujets. Le premier s’intéresse au « pouvoir d’habiter », le deuxième aux conditions de la production de logements et le dernier à la transition écologique. Cette adresse générale au secteur est également pilotée par une équipe aux profils variés et pour le moins contrastée mariant pour quelques mois Christophe Robert le délégué général de la Fondation Abbé Pierre, première association de lutte contre le mal-logement à Véronique Bédague, la Présidente directrice générale de Nexity, premier promoteur de France. L’enthousiasme autant que les attentes sont partagés par des acteurs de tous bords, et de tout le territoire, au travers d’entreprises, de fédérations, d’associations, d’élus, de responsables du secteur public comme du secteur privé. Aucun objectif n’était affiché sinon de faire émerger des idées neuves pour résoudre la crise. Comment ne pas essayer, Même si le laps de temps imparti, moins de six mois, tempérait, dès le début, les ambitions.

La rédaction : Que retenez-vous de la démarche et de la façon dont vous l’avez organisée ?
Catherine Sabbah : Très vite, il s’est avéré que le gouvernement avait tout de même une idée. Mais plus qu’un cap, il s’agissait d’une méthode. Les groupes devaient en effet imaginer des “personas[6], profils typiques de familles ou d’habitants, dans des situations difficiles que des solutions rapides et concrètes pourraient aider à résoudre, à droit constant et sans dépense publique supplémentaire.
A l’issue de nombreuses réunions qui réunissaient jusqu’à 70 personnes pour le groupe initialement baptisé Réconcilier la France avec l’acte de bâtir, des notes étaient échangées, des auditions organisées, des idées proposées et ainsi s’est bâti une liste de propositions, sans tabou. Il y était question de changer la manière de fabriquer du logement en passant par des solutions techniques, de repenser le rapport à la propriété en imaginant des statuts coopératifs, un meilleur partage de la valeur par l’encadrement des prix du foncier et des loyers, de revisiter la fiscalité immobilière, d’accompagner les élus locaux et de donner aux citoyens les clefs de la compréhension des projets urbains.
La méthode était-elle la bonne ?  Chacun des groupes a suivi peu ou prou le même chemin de discussion, d’interrogations, de tentatives de synthèse, mais aucun ne partait du même point. Un gage d’efficacité aurait été, de la part du commanditaire, en l’occurrence l’Etat, de produire un diagnostic et un cap.
Les chiffres prospectifs de la construction neuve, estimés à moins de 300.000 par an par Agnès Benassy-Quere, alors chef économiste de la direction générale du Trésor, le soir du lancement du CNR ont été jugés trop faibles par les promoteurs comme par les bailleurs sociaux et avaient commencé par déclencher un tollé.
L’échec final du CNR était sans doute déjà en germe dans ce désaccord originel perçu par les uns comme un malentendu, par les autres comme une menace sur la construction et donc leur activité. Il aura néanmoins eu plusieurs effets : d’abord d’appuyer la nécessité de documenter précisément et de territorialiser la demande et les besoins afin de mieux définir l’offre de logements à produire ; ensuite de comprendre l’intention, sans doute déjà imaginée à Bercy, de réorienter les aides publiques vers la rénovation, non pas en plus, mais en lieu et place, de la construction.
Le projet de loi de finances pour 2024 annonce bien le resserrement des aides à la construction neuve via le PTZ et la suppression du Pinel tout en augmentant le budget de l’Anah qui distribue MaPrimRénov’.
Autre écueil, -mais comment l’éviter sans passer par une convention citoyenne ?- à quelques exceptions près, souvent des élus, les divers acteurs ont défendu leurs positions et par là, leurs intérêts, reculant parfois devant une réflexion de long terme qui aurait pu servir l’intérêt général.

La rédaction : Quelles sont, selon vous, les deux ou trois mesures principales que vos travaux ont permis de mettre en avant ?
Catherine Sabbah : La notoriété du CNR logement vient paradoxalement de ses atermoiements et de son relatif échec. Au fil des semaines et des rencontres avec le cabinet du ministre d’alors, les grandes lignes ne se dessinent pas. Les propositions portées par les groupes ne sont ni encouragées, ni soutenues. Aussi courue que son lancement, sa séance de restitution reportée à plusieurs reprises et finalement clôturée par la première ministre Elisabeth Borne le 5 juin 2023, a abouti à une incompréhension médusée. La liste des quelques mesures annoncées ne reprend quasiment rien des propositions des trois groupes de travail. Elle contient la fin des aides à l’investissement locatif, le recadrage du prêt à taux zéro et le plan de sauvetage de programmes menacés des promoteurs, par le rachat de près de 50.000 logements par CDC Habitat et Action Logement. Le reste est flou et sans calendrier. Le tout élaboré parallèlement et sans lien avec les travaux du CNR. Passées la colère, la déception et les vives critiques adressées au gouvernement, il faut aller de l’avant. Les idées sont là, à la disposition de qui voudra s’en saisir et elles infusent. Ainsi va la politique, par répétitions, itérations, avancées et reculs. Qu’en reste-t-il ?

  • L’idée par exemple de renseigner méthodiquement, territoire par territoire, la demande de logements est reprise par différentes instances, par des chercheurs, et sans doute tôt ou tard par l’Etat. Même si l’Union Sociale pour l’Habitat vient, lors de son congrès d’octobre 2023, d’avancer le chiffre de 518 000 logements à produire chaque année[7], le nouveau ministre, Patrice Vergriete, a répété à plusieurs reprises que cet objectif n’avait guère de sens sans déclinaison territoriale, argument par ailleurs bienvenu dans le nouveau cap de décentralisation de la politique du logement qu’il a pour mission, ou choisi, de suivre.
  • Autre nouveauté qui pourrait durer et n’est pas forcément un détail : la “production” de logements ne signifie plus seulement la construction neuve. La plupart des acteurs prennent désormais en compte, dans leur expression, la rénovation et la remise sur le marché de logements anciens, ainsi que la transformation en immeubles d’habitation de bâtiments industriels, commerciaux ou tertiaires. Le groupe de travail n°2, avait d’ailleurs choisi de changer d’intitulé pour appuyer cette approche, en se rebaptisant “Réconcilier les Français avec l’acte de produire des logements nouveaux
  • L’encadrement des prix du foncier semble être devenu un sujet acceptable par tous, puisque son coût trop élevé n’est plus supportable du fait de son impact sur le prix des logements. Le faire baisser servirait donc les acheteurs mais aussi les aménageurs et les promoteurs, en relançant l’activité. Difficile de toucher au foncier qui appelle immédiatement la défense du droit de propriété. Est-ce une première approche ? Si oui elle est timide mais aborde néanmoins la question des prix des terrains à bâtir. Un amendement au projet de loi de finances pour 2024 prévoit une diminution de la taxation des plus-values foncières dans certaines conditions et pour un délai restreint. Il vise à pousser les propriétaires à mettre leurs terrains sur le marché plutôt qu’à spéculer sur leur valeur future, au bout des 30 ans de détention qui les exonèrent de cet impôt. Le sujet de l’inversion de la taxe foncière pour inciter à la vente et faire baisser les prix n’est pas nouveau et fut porté à de multiples reprises par Thierry Repentin, ancien sénateur et maire de Chambéry. Presque voté à plusieurs reprises, et toujours retoqué au moment de son adoption ou de sa mise en œuvre par des défenseurs d’intérêts particuliers[8].
  • Encore très loin du consensus, même dans son énoncé, la modification des règles de l’imposition sur la plus-value issue de la vente de la résidence principale (qui existe déjà sur les terrains devenus constructibles) fait également timidement son chemin et pas seulement chez les élus de gauche. Le sujet est délicat et politiquement très risqué dans un pays de propriétaires où l’immobilier reste le meilleur moyen de se créer du patrimoine. Mais le partage de la valeur, dans un monde circonscrit par le ZAN, menacé par les changements climatiques et très inégalitaire, pousse toutefois certains acteurs à envisager différemment la propriété, surtout lorsque sa valeur est augmentée par des investissements publics qui améliorent le cadre de vie et font monter les prix. Le bail réel solidaire dont l’objectif anti spéculatif est clairement affiché a trouvé son public, prouvant qu’une autre voie est possible[9].
  • Sans Pinel et sans investisseurs institutionnels refroidis par les taux d’intérêt élevés, une partie du marché locatif est voué à disparaître, avec de graves conséquences sur le nombre de logements libres construits puisqu’entre un tiers et la moitié des logements neufs sont traditionnellement vendus à des investisseurs attirés par les économies d’impôt. Il faudra donc entamer une réflexion sur le statut du bailleur privé et la fiscalité immobilière. Sans proposer un modèle, le CNR conseillait de conditionner les gains liés à la mise en location d’un bien à des contreparties environnementales et sociales. Une mission sur la fiscalité destinée à favoriser les locations de longue durée vient d’être confiée à Annaïg Le Meur, députée du Finistère (Renaissance) et Marina Ferrari, députée de Haute Savoie, (Modem).

Le CNR a aussi sonné le réveil de nombreux députés et sénateurs désormais mobilisés sur ce sujet essentiel et quotidien qui devrait être au cœur des politiques publiques. Premier poste budgétaire pour de nombreux ménages, condition d’une vie digne et d’une émancipation citoyenne, le logement semble enfin pris au sérieux par des responsables politiques qui ne viennent pas forcément du sérail. Alors que les spécialistes avaient disparu de l’Assemblée nationale, chassés par la vague de nouveaux élus de 2017, certains et certaines se sont à nouveau emparé du sujet, par le biais de l’écologie ou par celui de l’emploi, parce que la réalité de leurs territoires les y incitent (concurrence du tourisme, changement climatique, difficultés de recrutement des entreprises…). Cause ou conséquence, la presse se fait de plus en plus souvent l’écho des sujets liés à l’habitat hors des rubriques spécialisées de finances personnelles, de faits divers dans les quartiers difficiles ou des marronniers immobiliers qui annoncent toujours que c’est le moment d’acheter. Même si le nouveau cap de l’Etat semble être une décentralisation qui pourrait signifier un désengagement, le sujet est sur le devant de la scène. La crise est la cause principale de cette mise en lumière, le CNR y aura participé aussi.

La rédaction : La politique du logement repose sur des principes définis il y a plus de 40 ans. Un aggiornamento est-il nécessaire ? qu’est-ce qui le justifierait ? et sur quelles bases nouvelles ?
Catherine Sabbah : Il me semble qu’un aggiornamento est en effet nécessaire. Le grippage décrit plus haut nécessitant plus que de l’huile dans les rouages, un changement radical de logiques et d’habitudes. Dans un monde soumis à des bouleversements de tous ordres, où comme le souligne le philosophe Bruno Latour, la terre se dérobe littéralement sous nos pieds[10], où l’espace rétrécit, les crispations liées à la peur de la perte ou du déclassement se manifestent de manière très concrète dans notre rapport aux autres, à nos voisins, de palier, d’immeuble, de quartier ou de ville. La valeur de la terre et de la pierre ayant grossi sous nos latitudes de manière exponentielle au cours des dernières décennies, ne faut-il pas mettre en place les conditions d’un meilleur partage plutôt que de laisser croître la concentration au profit de groupes sociaux de plus en plus riches[11]?
Se demander à quoi sert la politique du logement serait une première bonne question. Elle couvre un champ très large, d’enjeux nationaux et locaux, allant du droit au logement au soutien au secteur du bâtiment en passant par la lutte contre le changement climatique et la mixité sociale. Cette palette explique aujourd’hui que chacun ne poursuive pas toujours les mêmes intérêts. Les aligner serait un premier pas en considérant et en affirmant qu’une politique du logement sert d’abord à loger un peuple.
Deuxième interrogation, si l’on considère que l’habitant fait le citoyen, alors l’efficacité et la cohésion d’un Etat se jaugent bien à sa capacité à offrir à chacun le droit et la possibilité de choisir où et comment il souhaite habiter. L’expérience montre qu’il ne faut pas compter sur le marché, à moins de le corriger sans cesse par des rustines coûteuses sans garantie d’efficacité. Il serait temps de comprendre et de considérer que le logement n’est pas une marchandise comme les autres[12] et ne répond pas aux règles de l’économie libérale. Il ne peut, sans dommages collatéraux, être soumis à la loi de l’offre et de la demande, l’échelle des chocs d’offre n’étant par exemple jamais suffisante pour avoir des effets visibles sur les prix. Son caractère essentiel pour chacun doit aussi le tenir à l’écart des circuits de financiarisation qui le rendraient rentable au même titre que d’autres actifs. Paradoxalement, c’est peut-être pourtant par une nouvelle ingénierie financière qu’il faudra passer pour inventer de nouveaux modèles encadrés par des politiques publiques bien calibrées et parfois coercitives. A tous les niveaux de responsabilité, mais d’abord au sommet de l’Etat, il faut du courage politique pour en décider et les mener.
Le troisième sujet concerne les acteurs qui ne pourront continuer à exercer leur métier selon un modèle élaboré au milieu d’un autre siècle : les aménageurs seront contraints d’intervenir sur des terrains déjà bâtis, à remembrer, remodeler, dépolluer ; les promoteurs vont devoir basculer leur pratique vers la rénovation, la surélévation, la transformation, la construction hors site… Autant de façons de faire qui pourraient remettre en question les habitudes bien rodées de la vente sur plan et des calculs du compte à rebours. Les bailleurs sociaux doivent-ils devenir de purs gestionnaires ou retrouver leur mission et leur compétence de bâtisseurs, en défendant une qualité et une capacité d’innovation dégradées par la standardisation de la production de masse ? Il est probable que les réponses à ces questions passeront par l’invention de nouveaux modèles économiques, par une moindre rentabilité, et peut-être la transformation, voire la disparition de métiers pourtant très installés dans le paysage. Le CNR n’a pas montré de manière flagrante que tous étaient prêts à ce changement de paradigme, ni conscients de son imminence. La crise est d’autant plus violemment perçue qu’elle contient aussi cette menace.

Propos recueillis par écrit – Novembre 2023


[1] Le Canard enchainé du 2 août 2017

[2] https://politiquedulogement.com/?s=RLS

[3]https://www.notaires.fr/fr/article/marche-immobilier-tendances-et-evolutions-des-prix-de-limmobilier-juillet-2023

[4]   L’expérience du CNR Logement 3. Entretien avec Christophe Robert – Politique du logement.com

[5] https://www.ecologie.gouv.fr/sites/default/files/RAPPORT%20LEMAS%20-%20PROPOSITIONS.pdf

https://www.ecologie.gouv.fr/sites/default/files/Rapport%20Sichel.pdf

https://www.ecologie.gouv.fr/sites/default/files/Rapport%20Mission%20Logement%20210904.pdf

https://idheal.fr/media/pages/etudes-actions/etudes/nos-logements-des-lieux-a-menager/e174824d13-1699959764/nos-logements-des-lieux-a-menager.pdf

https://www.gouvernement.fr/rapport/12460-rapport-rebsamen-commission-pour-la-relance-durable-de-la-construction-de-logements-tome-1

[6] La méthode des personas est utilisé principalement en marketing, mais aussi en ergonomie. Elle repose sur la création de personnes fictives afin de représenter un segment de clientèle ou d’audience. https://fr.wikipedia.org/wiki/Persona_(marketing)

https://www.cairn.info/revue-bulletin-de-psychologie-2013-2-page-115.htm

[7] https://www.union-habitat.org/etude-quels-besoins-en-logements-sociaux-l-horizon-2040

[8] Voir par exemple le rapport de la commission des affaires économiques à l’Assemblée nationale sur la mobilisation du foncier privé en faveur du logement par le député Daniel Goldberg en 2016

[9] La taxe sur les cessions de terrains nus devenus constructibles, prévue à l’article 1529 du code général des impôts (CGI), peut être instituée, sur délibération, par les communes et les établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) compétents pour l’élaboration des documents locaux d’urbanisme.

[10] Latour, B., Où atterrir ? Comment s’orienter en politique, La découverte, 2017.

[11] 24 % des ménages détiennent 68 % des logements possédés par des particuliers − France, portrait social | Insee

[12] Souvenons-nous de l’ouvrage fondateur de Christian Topalov : Le logement en France, histoire d’une marchandise impossible, Presses de la Fondation Nationale des Sciences politiques, 1987

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