De fortes interrogations sur l’impact réel de la rénovation énergétique
Les logements sont de gros consommateurs d’énergie. La diminution de leur consommation via les travaux d’économie d’énergie se trouve donc naturellement au cœur des politiques de réduction des émissions de CO2. Dans ce contexte, le diagnostic de performance énergétique[1] (DPE) est l’outil clé d’orientation des politiques publiques puisqu’il estime la consommation énergétique primaire théorique d’un logement en fonction de ses caractéristiques physiques et climatiques. Malheureusement, et c’est l’enseignement principal de ce focus, « la prédiction de consommation énergétique indiquée par le DPE peut différer de la consommation réelle des ménages »[2], ce qui introduit un biais considérable dans la bonne définition des objectifs des politiques publiques de réduction des consommations énergétiques et accessoirement signifie que les bénéfices financiers théoriques attendus des travaux d’économie d’énergie ne seront pas au rendez-vous. Deux raisons principales expliquent cet écart : le comportement des ménages[3], ce que les spécialistes appellent l’effet rebond, qui désigne – le fait qu’après travaux une plus grande performance énergétique modifie les comportements de consommation (on se chauffe mieux ou plus[4]) et le caractère imparfait de prédicteur des consommations énergétiques réelles du DPE. A ces deux facteurs il faut ajouter la trop grande subjectivité dans l’appréciation des différents paramètres, ce qui conduit à ce que pour un même logement le DPE réalisé par des diagnostics différents peut conduire à l’attribution de notes très différentes allant de B à E[5].
En se fondant sur les données bancaires des clients du Crédit Mutuel Alliance Fédérale[6] et de la base ADEME qui répertorie l’ensemble des DPE réalisés depuis 2021, c’est à l’appréciation de cet écart entre consommation théorique du DPE et consommation réelle et à ses déterminants que s’attachent les auteurs de l’étude. A ce sujet, il faut noter que l’analyse se limite aux seuls ménages acquittant leur facture d’énergie en direct, facteur qui joue indéniablement sur le comportement. Sont donc exclus de l’échantillon les occupants des immeubles à chauffage collectif, ce qui introduit un biais dont l’ampleur reste inconnu. Cette remarque faite, les auteurs montrent que « Si l’on observe bien une progressivité de la consommation réelle en fonction de la performance énergétique des logements, elle est cependant beaucoup moins forte que la consommation théorique du DPE et s’estompe pour les plus grands logements. Globalement, la hausse de la consommation d’énergie au m² entre un logement classé AB et un logement classé G est six fois plus faible que celle prédite par le DPE[7]. Les effets comportementaux des ménages expliquent une part prépondérante de l’écart entre consommation théorique du DPE et consommation réelle. Ce dernier peut aussi s’expliquer dans une moindre mesure par des imperfections qui subsisteraient dans la modélisation ou la mise en œuvre du DPE. En termes de politiques publiques, ces résultats conduisent à chercher des pistes d’amélioration du DPE pour en faire un meilleur prédicteur et encourager les efforts de sobriété énergétique parallèlement à la rénovation énergétique des logements car les ajustements comportementaux sont importants et peuvent conduire à limiter les gains espérés d’économies d’énergie et de réduction des émissions de CO2 »[8].
Ce résumé des conclusions mérite d’être complété sur trois points. L’effet rebond explique environ les deux tiers de l’écart entre la consommation théorique prédite par le DPE et la consommation réellement observée, le tiers restant étant lié à l’erreur de modélisation de la consommation théorique du DPE[9]. Les auteurs soulignent également que « des facteurs sociodémographiques, comme le revenu ou l’âge, expliquent autant, voire davantage, les variations de dépenses énergétiques que la performance énergétique prédite par le DPE »[10]. Les travaux très fouillés réalisés par les auteurs permettent enfin de souligner l’importance de la taille des logements et de leur nature (individuels ou collectifs) quant à la qualité de la prédiction de la performance énergétique par le DPE.
Ces résultats pris globalement confirment la surestimation quasi systématique des gisements d’économie d’énergie à l’aune du DPE et/ou des modèles théoriques. Plusieurs études étrangères avancent de même l’existence d’un effet rebond pour expliquer les piètres résultats des travaux engagés au regard des prévisions des modèles théoriques de consommation énergétique. Des chercheurs néerlandais, à partir d’un échantillon de 200 000 logements, ont montré l’existence d’écarts substantiels entre les consommations théoriques et les consommations réelles, parfaite illustration de comportements : on se chauffe peu lorsque la qualité du logement est faible, on se donne plus de confort quand la technique le permet[11]. Il en découle un nivellement des consommations réelles qui gomme en grande partie les écarts théoriques de performance liés à la qualité technique intrinsèque des logements. D’autres études menées à l’étranger[12] ont conclu de la même façon qu’après travaux les dépenses d’énergie baissent effectivement, mais beaucoup moins que prévu (cas des USA) ou s’effacent plus ou moins rapidement avec le temps (cas de l’Angleterre), générant des temps de retour beaucoup plus longs qu’anticipé. A contrario, une étude récente de l’APUR sur quelque 9000 logements sociaux parisiens fait apparaitre une consommation d’énergie réelle réduite en moyenne de 28 % après rénovation, voire 30 % dans certains cas[13]. Les ménages concernés ont pour leur part économisé en moyenne 250 à 400 euros chaque année, selon l’énergie de chauffage utilisée. Ceci serait dû, selon l’adjoint à la mairie de Paris en charge du logement, Jacques Baudrier « qu’à la différence des études menées à l’étranger, on ne constate pas d’effet rebond », constat qui ne figure pas dans l’étude mentionnée. Les deux autrices de l’article cité ne cachent d’ailleurs pas leur étonnement puisqu’elles notent que « cette étude tranche ainsi avec les travaux aux conclusions beaucoup plus pessimistes publiés ces dernières années ». Ceci s’expliquerait par le fait que « les rénovations ont visé les logements sociaux les plus énergivores, elles ont été globales, et les organismes HLM y ont consacré des moyens conséquents (40 000 euros en moyenne par logement). Quant à l’effet rebond, il a pu être amoindri du fait que les locataires du parc social, qui ont des revenus faibles à moyens, ont préféré économiser sur leur facture plutôt que d’augmenter le thermostat »[14].
En conclusion, si l’on ne peut nier que les facteurs comportementaux ont une incidence significative, ces éléments mettent aussi et surtout en évidence que les résultats des investissements d’économie d’énergie s’avèrent très décevants. Les temps de retour se situent communément entre 50 ans et le siècle ! Force est alors de constater que l’« effet rebond » s’avère trop souvent un justificatif commode pour masquer un constat d’échec portant à la fois sur les méthodes et les résultats. Nul ou presque parmi les professionnels ou décideurs ne s’interrogent sur le pourquoi d’aussi peu d’investissements avec aussi peu de résultats. A défaut d’une remise en cause l’abime entre les objectifs quantitatifs fixés dans la SNBC et les économies effectives continuera de se creuser, alors même que les nécessités d’une adaptation au changement climatique sont unanimement reconnues et s’imposent à tous.
[1] Le DPE attribue une classe d’efficacité énergétique et climatique allant de A « la plus efficace » à G « la moins efficace ». Il s’agit donc à la fois d’un outil d’information et d’incitation puisqu’il est censé évaluer les économies attendues de consommation énergétique suite à des travaux de reclassement dans une catégorie plus performante. L’étude de Focus est d’autant plus intéressante qu’elle porte sur la version 2021, date de la dernière réforme de l’outil (loi Elan de juillet 2021) qui a généralisé la méthode dite 3CL pour Calcul de la consommation conventionnelle des logements.
[2] Page 1 Focus 103
[3] Le DPE suppose en effet que le confort thermique visé est de 19° en hiver et 28° en été pour tous les ménages
[4] En d’autres termes, moins un logement est performant et moins on se chauffe. À l’inverse, plus le logement est performant et plus les ménages cherchent le confort et auront donc tendance à consommer au-delà de la consommation théorique.
[5] Page 3 Focus 103
[6] Pour une analyse détaillée des sources et des traitements effectués sur ces dernières pour passer en particulier des dépenses engagées à des quantités d’énergie consommée, voir pages 4 et 5. Sur l’appariement des données avec celle de la base ADEME, voir pages 5 et 6. Sur l’exposé des traitements économétriques, voir pages 6 et 7, Focus 103
[7] Le DPE prédit une hausse de consommation de 560 % entre les classes AB et G, page 6 Focus 103. Dans la réalité, cette hausse n’est que 85 % (6 fois moins). Page 8 Focus 103
[8] Page 2 Focus 103
[9] Voir pour plus de détails, pages 12 et 13, Focus 103
[10] Page 8 Focus 103
[11] OTB Research Institute 2013 – Theorical vs actuel energy consumption of labelled dwellings in the Netherlands: discrepancies and policy implication par D. Majcen, LCM Itard, H. Visscher. In Enercy Policy, pages 125 à 136 Cité dans « Que penser de la transition énergétique ? » in Politique du logement.com par B Coloos, mars 2016
[12] Hunt Allcott et Michael Greenstone, « Y a-t-il un écart en matière d’efficacité énergétique ? », Journal des perspectives économiques pour les Etats-Unis, 2012/2/1. Cette étude a été largement commenté par la prix Nobel d’économie Esther Duflo. Cristina Peñasco et Laura Díaz Anadón, « Évaluation de l’efficacité des mesures d’efficacité énergétique dans la consommation de gaz du secteur résidentiel grâce à des effets de traitement dynamiques : données probantes d’Angleterre et du Pays de Galles », Économie de l’énergie, Tome 117, janvier 2023
[13] « A Paris, la rénovation des logements sociaux permet de substantielles économies d’énergie » par Claire Ané et Véronique Chocron le Monde du 5 mars 2024.
[14] Le Monde Op.Cit.