Les statuts résidentiels atypiques : deux propositions pour une offre nouvelle. 1. Les coopératives de logement
Le développement de statuts d’occupation hybrides innovants se veut une réponse à cette aspiration très forte à la propriété à un coût compatible avec les revenus de ceux qui ne peuvent acquérir au prix de marché en pleine propriété. Il vise aussi à élargir l’offre locative, dans les marchés les plus tendus, en direction des ménages relativement aisés. Il s’agit donc bien de compléter la panoplie de l’offre de logements et de permettre de mieux répondre aux aspirations de certains segments de la demande.
Les jeunes, qui restent les plus touchés, pourront y trouver une solution alternative au locatif, de type transitoire ou durable, avant de pouvoir espérer renouer avec un parcours résidentiel plus proche de celui de leurs aînés propriétaires bien mieux lotis.
L’étude menée, à l’initiative de la fédération des Entreprises sociales pour l’habitat, par Jean Bosvieux et Bernard Coloos[1], présente un panorama des solutions hybrides disponibles à l’échelle européenne, s’efforce d’analyser leur fonctionnement et de mettre en évidence leurs avantages et leurs inconvénients respectifs.
Il ne s’agit évidemment pas d’importer tels quels les dispositifs existants à l’étranger, mais de s’en inspirer et de les adapter au contexte français. C’est l’objet de ce dossier qui se compose de trois articles : le premier traite des coopératives de logement ; le second de l’accession progressive au Royaume-Uni ; le troisième examine l’intérêt et les conditions d’une transposition en France de ces deux dispositifs.
La Fédération des ESH tient particulièrement à remercier toutes les personnes rencontrées par les deux auteurs et qui ont contribué à la qualité de ces travaux.
Valérie Fournier
Présidente de la Fédération des ESH
1 – Les coopératives de logement
Parmi les statuts résidentiels que l’on peut qualifier d’hybrides figurent en bonne place les coopératives locatives. Il n’en existe pas en France, il est donc intéressant d’étudier leur mode de fonctionnement en se penchant sur leurs spécificités. Nous nous intéressons à trois pays, l’Autriche, L’Allemagne et la Suisse, dans lesquels elles représentent une part significative de l’offre de logements. N’obéissant pas aux règles du marché, elles permettent de se loger à un coût abordable et suscitent de ce fait une forte demande.
Le principe de fonctionnement des coopératives locatives[2] de logement est le suivant :
- les membres achètent des parts dont le montant varie d’une coopérative à l’autre. Lorsqu’ils quittent la coopérative, le montant initial est remboursé aux membres à la valeur nominale, le cas échéant avec une décote, par la coopérative ;
- ils bénéficient en contrepartie du droit d’occupation d’un logement grâce à un bail perpétuel.
Ce type de coopérative existe dans de nombreux pays. Nous nous sommes intéressés à trois d’entre eux : l’Autriche, l’Allemagne et la Suisse. Bien que fonctionnant selon des principes identiques, le secteur coopératif a, dans chacun d’eux, des spécificités qui tiennent à son importance quantitative, aux réglementations en vigueur et aux caractéristiques du marché du logement.
Ces trois pays ont en commun l’importance du secteur locatif, qui représente 42% des résidences principales en Autriche et prédomine en Suisse (62%) et en Allemagne (57%). Au sein du parc locatif, les logements « d’utilité publique » occupent une place considérable (40% environ) en Autriche, plus faible mais non négligeable en Allemagne et en Suisse (de l’ordre de 9%). Il s’agit pour l’essentiel de logements urbains, géographiquement répartis de façon inégale.
Les loyers sont fixés en fonction des coûts pour chaque groupe immobilier, ils différent donc d’un immeuble à l’autre, dans une même coopérative. Nous verrons cependant que si la liberté de fixation du loyer est grande en Allemagne et en Suisse, elle est fortement restreinte en Autriche.
La conséquence de cette règle est la quasi stabilité du loyer. En effet, les coûts de financement de l’investissement initial (remboursement des emprunts) sont stables et deviennent nuls une fois les emprunts remboursés. Seuls les coûts d’entretien et de gestion peuvent augmenter, mais leur poids est faible pendant la phase de remboursement. S’y ajoutent les coûts des travaux de gros entretien et d’amélioration. Toutefois, le loyer ne diminue pas après la phase de remboursement, ce qui permet à la coopérative d’engranger un surplus qui lui permettra, via la reconstitution de ses fonds propres, de financer de nouveaux investissements. En pratique, les loyers peuvent toutefois augmenter au fil du temps, mais de façon très modérée. De ce fait, l’écart se creuse progressivement avec les loyers de marché qui, eux, subissent généralement des augmentations au moins égales au rythme de l’inflation.
On touche là à la raison d’être des coopératives de logements : pouvoir proposer une offre de logement déconnectée des contraintes du marché, dont le caractère abordable est garanti sans limitation de durée.
Les investissements des coopératives peuvent bénéficier d’aides publiques. Mais ces aides ne jouent pas un rôle déterminant dans le financement et elles ne sont pas mobilisées systématiquement, notamment en Allemagne.
Dans les trois pays, le succès du logement coopératif est incontestable. En atteste la longueur des listes d’attente des candidats à l’achat d’une part de coopérateur.
Avant d’aborder la description des spécificités nationales, il reste à préciser un point. Le logement coopératif est parfois considéré, en France, comme un synonyme de logement participatif : c’est notamment la conception de la fédération Habicoop. Ce n’est le cas ni en Autriche, ni en Allemagne, ni en Suisse, où les coopératives de logement n’ont pas pour fonction de promouvoir le logement participatif, mais de contribuer à la production de logements abordables.
En Autriche
Les 97 coopératives de logement font partie du secteur non lucratif (ou d’utilité publique), qui comprend également 85 sociétés (SARL ou sociétés par actions). Les coopératives sont détenues par leurs membres ; parmi les 85 sociétés, qui malgré leur statut juridique différent sont généralement assimilées à des coopératives, environ 20 sont détenues par les autorités locales, et les églises, les syndicats et les chambres de commerce ont des intérêts importants dans 12 autres.
Sur les quelques quatre millions de résidences principales que compte l’Autriche, 430 000 (11 %) , sont gérés par une coopérative d’habitation qui, en règle générale, a également construit ces logements. Le parc en gérance des coopératives se répartit entre environ 300 000 logements en location et 130 000 logements appartenant à des ménages. La réglementation prévoit en effet la possibilité d’une option d’achat au-delà d’un délai de 5 ans.
Avec les sociétés d’émanation des collectivités territoriales, les organismes de construction d’utilité publique disposent au total d’un parc de près d’un million de logements (670 000 logements locatifs GBV en majorité situés à Vienne, 275 000 logements en copropriété), ce qui correspond à près d’un quart (24 %) de l’ensemble du parc de logements à usage de résidence principale en Autriche. Les coopératives et les autres organismes de logement à but non lucratif sont regroupés en une association faîtière, la Gemeinnütziger Bauvereinigungen (GBV) qui représente leurs intérêts et est agréée par la loi comme association d’audit.
L’ensemble du secteur représente actuellement environ 30% de la construction de nouveaux logements.
Le logement locatif d’utilité publique diffère notablement du secteur locatif social français, notamment par l’absence de procédure unifiée d’attribution, la participation des locataires au financement des investissements et l’écart relativement faible des loyers avec ceux du secteur privé. Les loyers privés sont en effet très modérés en comparaison de ceux des grandes villes françaises : leur médiane se situe autour de 10 €/m²/mois.
La politique du logement est conduite par l’État, qui définit les principes et élabore la réglementation, et les collectivités locales, régions (Länder) ou municipalités.
Fonctionnement
La loi sur le logement d’utilité publique (Wohnungsgemeinnützigkeitsgesetz ou WGG) définit les règles de fonctionnement des coopératives, mais aussi des sociétés anonymes qui œuvrent dans ce secteur. Elle impose aux deux groupes les principes coopératifs de la mission de contribution à la production d’une offre nouvelle et de l’égalité de traitement des habitants et les mêmes règles de contrôle. La seule différence est que les locataires d’une coopérative doivent acheter des parts sociales, ce qui n’est pas le cas pour les locataires des SA.
L’activité des coopératives est définie par la loi sur le logement d’utilité publique comme la contribution à l’offre de logements (promotion de l’accession à la propriété et/ou du logement locatif), assortie des contraintes suivantes :
- activités limitées à la construction, maintenance et rénovation de bâtiments, avec le souci d’assurer l’équilibre entre générations et la fourniture d’une offre durable ;
- rémunération des fonds propres plafonnée à 3,5% du capital investi, avec obligation de réinvestir les surplus dans la construction de logements ;
- caractère non spéculatif des logements construits[3];
- loyers basés sur les coûts ;
- indépendance du personnel vis-à-vis du secteur de la construction ;
- contrôle du respect de ces règles.
Le statut d’utilité publique est octroyé par les Länder : il signifie que les entreprises concernées sont soumises à la loi WGG. Elles ne font toutefois pas partie du secteur public : il s’agit d’entreprises privées indépendantes dont l’objet est de contribuer à l’offre de logements « pour le bien commun ». Elles peuvent toutefois réaliser des excédents, mais ceux-ci doivent être réinvestis dans la construction, l’entretien ou la réhabilitation de logements. En compensation, la loi les exonère de l’impôt sur les sociétés pour leur activité principale, à condition toutefois que le produit de leurs activités commerciales annexes (construction et location de locaux autres que logements) ne dépasse pas certaines limites.
L’activité des entreprises du secteur a longtemps été partagée entre l’accession à la propriété et la production/gestion de logements locatifs. La prise de conscience du caractère non pérenne de l’effet des aides publiques à l’accession a conduit à la réduction progressive de ce volet, de sorte que leur activité de production se concentre aujourd’hui sur le logement locatif.
Financement des investissements
L’obligation de réinvestir les surplus dans la production ou l’amélioration du parc existant fait que le secteur est un puissant contributeur à la construction neuve : il y participe pour environ 15 000 unités par an, sur une production totale de 56 000 logements.
Chaque opération individuellement doit être équilibrée, il n’y a pas de péréquation.
Contribution des locataires
Outre l’achat de parts sociales à prix modique, les locataires lors de leur entrée dans le logement doivent verser un apport personnel qui n’est pas systématique mais le plus souvent indispensable, notamment dans les zones les plus chères. Plus cet apport est important, moins le montant des emprunts est élevé et plus le loyer est bas. En cas de départ d’un locataire, sa contribution, diminuée d’un abattement annuel de 1%, lui est remboursée et une contribution du même montant est demandée au nouvel entrant. Ceux qui n’ont pas d’apport peuvent l’emprunter à bas taux auprès des Länder. Pour un appartement de 70 m², cette contribution est en moyenne de l’ordre de 20 000 €.
Prêts bancaires et prêts aidés des Länder
Les coopératives peuvent bénéficier de prêts aidés des Länder (en moyenne 30% pour une opération type), d’une durée est de 30 à 35 ans, dont le taux, fixe (1% en 2021, 3,5% en 2024), varie en fonction du coût des emprunts publics. Ces prêts sont « subordonnés », ce qui signifie que les prêts bancaires (46% en moyenne pour une opération type), d’une durée de 25 à 30 ans, doivent être remboursés en priorité : c’est une sécurité pour les prêteurs qui permet aux coopératives d’emprunter sur le marché à des conditions favorables.
Les prêts des Länder s’accompagnent de conditions portant notamment sur les règles d’éligibilité des locataires et la qualité énergétique des logements, qui diffèrent d’un Land à l’autre. Ils sont largement utilisés, mais pas systématiquement : dans 20% des cas environ les coopératives préfèrent s’en passer.
Les loyers
Pendant la période de remboursement des emprunts, le loyer est calculé de façon à couvrir les coûts et à assurer la rémunération des fonds propres investis. Une fois les emprunts remboursés, un « loyer de base » réglementaire s’ajoute aux postes de dépenses.
Le loyer diminue donc (hors inflation) avec le temps, mais dans de faibles proportions, ce qui permet d’accumuler des fonds propres qui serviront à financer de nouveaux investissements.
Les loyers des logements d’utilité publique sont en moyenne d’environ 25% inférieurs à ceux du secteur privé. Le parc coopératif exerce en outre une influence sur le secteur locatif privé. Une étude récente[4] a conclu que les organismes de logement d’utilité publique ont un impact significatif sur l’ensemble du marché autrichien du logement, à la fois en termes de qualité et de niveau des loyers. Elle montre qu’une augmentation de 10 % de la part des logements d’utilité publique entraîne une diminution moyenne des loyers non réglementés de 30 à 40 centimes par mètre carré. En moyenne, cela correspond à une baisse d’environ 5 % des loyers dans le secteur locatif non réglementé.
En Allemagne
L’Allemagne compte environ 1 800 coopératives de logement, représentées au niveau national, via des fédérations régionales, par le GdW (à l’origine Gesamtverband deutscher Wohnungsunternehmen, Association générale des sociétés de logement allemandes), qui regroupe les anciennes sociétés de logement à but non lucratif[5].
Elles détiennent et gèrent un parc de 2,2 millions de logements (figure 1), soit 10% du parc locatif et un peu plus de 5% de l’ensemble du parc de résidences principales et, emploient 25 000 personnes et ont un volume d’investissements annuel de près de 6 milliards d’euros. Il s’agit d’un parc essentiellement urbain.
Cadre juridique
Leur activité est régie par la loi sur les coopératives, adoptée en 1889 et réformée en 2006. La loi détermine leurs règles d’organisation, y compris leur conduite commerciale. Les coopératives sont également soumises, comme tous les bailleurs, à la loi sur la réglementation des loyers.
L’assemblée générale, composée des coopérateurs, élit un conseil de surveillance et un conseil d’administration. Toutefois, à partir d’une certaine taille le conseil d’administration n’est pas élu directement par les coopérateurs, mais par le conseil de surveillance.
L’utilisation des logements n’est pas forcément réservée aux membres de la coopérative. Si les statuts l’autorisent, une part (minoritaire et qui ne dépasse guère 10%) peut également être louée à des non membres. Presque toutes les coopératives de logement ont des membres non-résidents (personnes physiques et morales). Ces membres non-résidents sont des membres promoteurs, ce qui signifie qu’ils soutiennent la coopérative de logement en y investissant de l’argent. Les coopératives versent des dividendes limités sur leurs parts (4 %). Ils sont invités à l’assemblée générale mais n’ont pas le droit de vote.
Les membres achètent des parts dont le montant varie d’une coopérative à l’autre. Lorsqu’ils quittent la coopérative, le montant initial est remboursé aux membres à la valeur nominale par la coopérative.
Chaque coopérative doit faire l’objet d’un audit tous les deux ans, effectué par une association agréée.
Contexte
Dans un contexte de crise généralisée de l’accessibilité financière du logement, le gouvernement fédéral allemand a déclaré en 2017 les coopératives d’habitation comme un partenaire indispensable pour contribuer à assurer une offre locative abordable. Cette attente bouleverse un secteur de marché quelque peu en sommeil depuis la suppression du statut fiscal spécial de « logement sans but lucratif pour le bien commun », dont elles bénéficiaient.
Aujourd’hui la nécessité d’un soutien public est reconnue. Le gouvernement fédéral octroie des crédits pour le logement social aux Länder, lesquels proposent des aides au financement des projets des coopératives, sous forme de subventions pour le logement social et des prêts spécifiques. Certaines villes ont commencé à attribuer des terrains publics soit avec des quotas pour les coopératives. Toutefois, ces aides publiques sont assorties de conditions que les coopératives estiment souvent trop contraignantes.
Financement et fixation du loyer
Les coopératives sont financées en partie par la souscription de parts par les futurs membres de la coopérative et, pour le reste, par des crédits bancaires (et éventuellement par des subventions publiques). Le prix des parts pour un logement varie d’une coopérative à l’autre. Il est généralement modique – de l’ordre de quelques centaines d’euros – dans le cas des coopératives anciennes, qui disposent de fonds propres alimentés par les recettes locatives. Dans les plus récentes, notamment celles fondées à partir de 1990, qui disposent de peu de fonds propres, il est plus élevé et peut atteindre ou dépasser 10 000 €. En outre, le coopérateur doit également verser une contribution au financement dont le tarif, souvent fonction de la surface habitable, peut atteindre 500 à 1 000 €/m². Ainsi pour un logement de 65 m², le prix du « ticket d’entrée » se monte fréquemment à plusieurs dizaines de milliers d’euros. En cas de départ du membre, son apport lui sera remboursé au prix initial, il ne réalisera donc pas de plus-value.
Les caractéristiques des prêts dépendent de la politique de la coopérative et de sa situation financière. En règle générale leur durée est de 10 à 30 ans, avec des taux fixes sur des pas de 10 ans et une garantie hypothécaire.
Les opérations peuvent également bénéficier d’aides publiques octroyées par les Länder, sous diverses formes. A Berlin, il s’agit de subventions ou de prêts sans intérêt : en contrepartie, un certain pourcentage des logements doit être loué pendant 30 ans au moins à des locataires à faible revenu et à un loyer plafonné à 7 €/m²/mois, c’est-à-dire largement inférieur aux loyers de marché. Si l’opération ne bénéficie pas d’aide, le loyer et son rythme d’évolution futur est fixé librement par les coopératives, dans le respect de la législation générale sur les loyers. Ce taux d’évolution s’appliquera sans limitation de durée, c’est-à-dire y compris après la fin du remboursement des prêts. Le principe du calcul du loyer en fonction des coûts n’est donc pas parfaitement respecté. La location dégage de ce fait des excédents qui alimenteront les fonds propres et contribueront au financement de nouvelles opérations.
Le loyer initial est évidemment fonction du coût de l’opération et de la part de fonds propres investis. L’évolution des loyers après le remboursement des emprunts est limitée car elle est soumise au contrôle des locataires, de sorte qu’au fil du temps, l’écart avec les loyers privés tend à augmenter. A titre d’exemple, en 2022 les loyers mensuels médians de relocation d’une grande coopérative berlinoise variaient, selon le quartier, entre 6,19 et 9,88 €/m², alors que les ceux du secteur privé s’étageaient entre 8,67 et 15 €/m².
Cet écart explique que les logements des coopératives soient très prisés. Les candidats aux logements coopératifs sont nombreux malgré le coût parfois élevé des parts. L’offre est limitée car la mobilité est faible (5,5 % par an dans la coopérative berlinoise précitée). La plupart des locataires occupent leur logement pendant de longues années : leur comportement résidentiel est en cela proche de celui des propriétaires occupants.
Aspect participatif
En règle générale, les membres ne participent pas à la planification de nouveaux bâtiments, car le choix des locataires (choix des utilisateurs) est souvent déterminé par les règles d’attribution de la coopérative concernée. Il existe toutefois, mais seulement dans certaines coopératives, des conseils d’immeubles dont le rôle semble analogue à celui d’un conseil syndical de copropriété.
En Suisse
Le statut de locataire est prédominant en Suisse : le secteur locatif dans son ensemble représente 62% du parc de résidences principales. 186 000, soit environ 4% de l’ensemble des résidences principales, sont des logements coopératifs. Ces logements sont inégalement répartis sur le territoire : ils représentent 10% du parc dans le canton de Zürich (et 20% dans la commune de Zürich), mais moins de 1% dans les cantons les plus ruraux.
Les loyers sont plutôt élevés : le loyer moyen était de 16,9 F/M²/mois[6] en 2022, mais il atteignait, voire dépassait 20 €/m²/mois dans les cantons de Genève et Zürich. Toutes choses égales par ailleurs, les loyers des logements coopératifs sont nettement inférieurs à ceux du parc privé (Figure 2).
Cadre général
Les coopératives de logement sont régies par une loi confédérale de mars 2003, qui « a pour but d’encourager l’offre de logements pour les ménages à revenu modeste ainsi que l’accession à la propriété ». Elle définit les « maîtres d’ouvrage d’utilité publique », obligatoirement des organismes à but non lucratif, dont font partie les coopératives et institue des aides pour la production de logements à loyer modéré.
Les maîtres d’ouvrage d’utilité publique (MOUP) sont regroupés dans des fédérations régionales, elles-mêmes adhérentes d’une fédération nationale, Wohnbaugenossenschaften Schweiz (en Français Coopératives d’habitation en Suisse), qui assure ainsi la représentation de quelques 1 265 coopératives et autres offreurs de logements à but non lucratif possédant au total environ 165 000 appartements dans toute la Suisse. Les organisations faîtières (les fédérations) ne font pas qu’assurer la représentation de leurs adhérents : elles leur proposent aussi des services, notamment des formations, l’assistance à maîtrise d’ouvrage et l’accès à des financements spécifiques.
La définition et la mise en œuvre de politiques du logement, dans le cadre fixé par la Confédération, incombe aux cantons et aux communes. Certains d’entre eux ont mis en place des mesures d’encouragement en faveur des MOUP (cf. détails plus loin sur le droit de superficie). La confédération propose, pour sa part, un accès à des financements privilégiés et un système de cautionnement.
Financement
Parts sociales
Chacun des coopérateurs doit acheter des parts sociales, lesquelles doivent au total représenter au moins 10% du coût du projet. Leur montant est donc fonction de ce coût. A titre d’exemple, pour une opération récente dans le Genevois : 6 000 F/ pièce (le loyer correspondant est de 420 F/pièce/mois).
Tout coopérateur peut revendre ses parts sociales à la coopérative, à la valeur nominale. Il perd alors son droit à l’occupation du logement. Le nouvel occupant doit racheter des parts, en règle générale au même prix.
Aides publiques et autres financements spécifiques
Les institutions impliquées sont : le Fonds de roulement, les coopératives de cautionnement hypothécaire (CCH) et la Centrale d’émission [d’obligations] pour la construction de logements (CCL), auxquelles s’ajoutent en Suisse romande deux autres fonds créés par la fédération régionale (l’Armoup : association romande des maîtres d’ouvrages d’utilité publique).
Le Fonds de roulement accorde des prêts à taux très faible sur 20 ou 25 ans, aux conditions suivantes :
- mobilisation d’au moins 10% de fonds propres ;
- l’opération doit être agréée au vu de critères techniques, du respect de coûts plafonds et de l’examen du dossier de financement (l’évaluation financière est faite par les fédérations). Il doit également respecter les normes relatives aux personnes à mobilité réduite.
Le montant du prêt varie de 15 000 à 60 000 F par logement en fonction de la qualité énergétique.
Il peut aussi exister (c’est le cas dans le Genevois) des prêts locaux à taux réduit, dit prêts relais, destinés au portage de l’opération et remboursables après l’achèvement des travaux. Ces prêts permettent de réduire de 50 % les exigences de fonds propres.
Le Fonds de solidarité, géré par l’Armoup en Suisse romande et alimenté par des contributions volontaires de ses membres, peut également accorder des prêts à faible taux, d’un montant de 15 000 à 50 000 F/logement.
Des emprunts obligataires garantis par la Confédération financent une partie du reliquat. Le taux (fixe) est de ce fait « très intéressant ».
Emprunts bancaires
Le solde est financé par des emprunts bancaires, aux conditions du marché.
Ces emprunts bénéficient d’un arrière-cautionnement de l’Office fédéral du logement (organisme chargé de la mise en œuvre de la politique du logement) : il s’agit d’une garantie des cautionnements accordés par des établissements de cautionnement hypothécaire.
Les caractéristiques de ces emprunts sont particulières : il s’agit de prêts pour partie non amortissables, apparemment sans limite de durée. La somme prêtée par l’établissement bancaire est divisée en deux parties distinctes, de la manière suivante :
- le premier rang, qui comprend entre 0% et 65% de la valeur du bien immobilier qui est non-amortissable: l’emprunteur ne rembourse que les intérêts;
- le second rang, qui comprend entre 65% et 80% de la valeur du bien immobilier est quant à lui amortissable.
Droit de superficie
Il est fréquent que les immeubles coopératifs soient construits sur des terrains fournis par les communes via des fondations. Le terrain reste propriété de la fondation et il est concédé à la coopérative par un bail de longue durée. En contrepartie, la coopérative paie une redevance (« rente ») dont le montant n’est en général pas symbolique (jusqu’à 5% du prix du terrain). Ces baux ne sont pas rechargeables, ils doivent donc être renouvelés à l’approche de leur expiration.
A titre d’exemple, La ville de Zurich et la coopérative Mehr als wohnen ont défini d’un commun accord les objectifs essentiels d’un projet. Le contrat du droit de superficie établit non seulement les responsabilités sociales et écologiques, mais également les investissements dans les projets d‘art et de construction. La ville de Zurich dispose à titre gracieux d‘un pour cent de la surface utile pour des fonctions de quartier et d‘un droit de location des appartements à hauteur d‘un pour cent. Sur la durée du droit de superficie, qui est de 62 ans (plus deux fois quinze années en option), la commune perçoit une rente significative (0,8 millions de francs cette année). Ce montant est régulièrement revu en fonction de l’évolution des taux d‘intérêt et des prix.
Fixation du loyer
L’acquisition de parts sociales donne au coopérateur le droit d’occuper son logement en tant que locataire. Il paie donc un loyer, dont le montant est fixé en fonction des coûts. Pendant les premières années il est proche des loyers de marché.
Ces charges diminuent avec le temps, notamment lorsque les emprunts les plus courts sont remboursés. Si, comme c’est presque toujours le cas, les loyers de marché augmentent, l’écart se creuse. En moyenne sur le stock, les loyers des logements coopératifs sont de 20 à 30% inférieurs à ceux du parc locatif libre. Cet écart peut atteindre 60% dans certaines villes. Il peut y avoir dans ce cas de longues listes d’attente de demandeurs de logement dans les coopératives existantes. L’attribution est faite par des commissions, en principe en privilégiant le critère de l’antériorité des demandes.
L’évolution des loyers dépend des décisions des coopérateurs, notamment en ce qui concerne le remboursement ou la prolongation des emprunts. Ils peuvent également décider de consacrer une part de la ressource générée par les loyers au financement de nouveaux investissements.
*
* *
Les trois exemples que nous venons d’évoquer à grands traits montrent que, sous un vocable et des principes communs, se cache une réalité multiforme. Etroitement encadrées en Autriche, les coopératives de logement bénéficient d’une plus grande liberté en Allemagne et en Suisse. Leur rôle dans les politiques du logement diffère également : acteur essentiel en Autriche, moindre mais important en Suisse, elles ne sont que depuis peu considérées comme des partenaires potentiels des pouvoirs publics en Allemagne.
Ce type de coopérative n’existe plus ou pratiquement en France. Il pourrait pourtant y avoir sa place pour contribuer à la production d’une forme de logement locatif intermédiaire. Leur spécificité consiste en effet à faire financer une part du coût des investissements par les coopérateurs à qui elles offrent, en contrepartie, la possibilité d’occuper un logement sans limitation de durée moyennant le paiement d’un loyer abordable et stable. Le statut coopératif permet en effet de garantir cette stabilité, car les décisions sur ce point émanent des coopérateurs, via les organes de gouvernance. Cette garantie est solide, plus peut-être que celle d’un Etat qui peut à tout moment décider de changer les règles du jeu. Les exemples allemand, autrichien et suisse montrent que ce mode d’accès au logement rencontre une demande.
Jean Bosvieux
Bernard Coloos
Novembre 2024
[1] J. Bosvieux et B. Coloos, « Les statuts résidentiels atypiques », étude réalisée pour la fédération des ESH, juin 2024.
[2] Il existe ou a existé des coopératives d’accession à la propriété dans certains pays, mais cet aspect est hors champ de l’étude.
[3] Il n’est pas possible de réaliser de plus-values en revendant les parts.
[4] Michael Klien, Peter Huber, Peter Reschenhofer, Gerlinde Gutheil-Knopp-Kirchwald & Gerald Kössl, “The Price-Dampening Effect of Non-Profit Housing”, Research brief 6/2023, WIFO.
[5] Le logement à but non lucratif a été supprimé en 1989. Cf. J. Bosvieux et B. Coloos, « Logement social : les enjeux du modèle français », Les ozalids d’humensis, juillet 2021.
[6] Franc suisse = 1,03 euro en avril 2024.