Le financement est l’ « opération par laquelle un agent économique se procure les ressources nécessaires à son activité » (Larousse). Le financement du logement ne se confond donc pas avec le crédit au logement et encore moins avec l’intervention des pouvoirs publics. Pourtant les nombreux rapports et ouvrages dont le titre laisse à penser qu’ils traitent du financement du logement consacrent l’essentiel de leurs pages aux aides au logement. En France et depuis un demi-siècle du moins.
Le premier prêt hypothécaire aurait été accordé à Babylone en 430 avant J.C. (source : http://www.pret-hypothecaire-atipa.fr/actualites/l-histoire-du-pret-hypothecaire-128.html) avant de devenir pratique courante en Egypte et en Grèce. Le mot hypothèque signifie d’ailleurs au propre « mis en-dessous », devenu au figuré « principe, conseil » puis « gage, hypothèque ».[1] Le recours au crédit pour financer la construction ou l’acquisition d’un logement n’est cependant devenue pratique courante dans les pays développés que depuis le début de l’ère industrielle.
Tous les systèmes de financement du logement reposent sur un principe simple : la collecte de fonds auprès de personnes ou d’organismes qui sont en mesure et acceptent de les prêter sur une longue période. A défaut, le candidat à la propriété ne pourra compter que sur sa propre épargne, soit en attendant qu’il ait accumulé les fonds nécessaires, soit en construisant son logement au fur et à mesure de ses rentrées de fonds.
Schématiquement, on distingue quatre modèles de financement du logement selon le degré de transformation de l’épargne et d’intermédiation :
– la voie directe, la plus primitive, qui consiste à obtenir des fonds directement auprès de particuliers, typiquement les parents qui prêtent à leurs enfants, divers intermédiaires, par exemple les notaires, ou groupements de personnes, notamment organisées en coopératives, ou encore du vendeur, en l’occurrence un promoteur : on parle alors de vente à tempérament ; cette pratique reste répandue dans certains pays (Brésil, Egypte, Turquie)[2] ;
– le mode contractuel : il s’agit des systèmes d’épargne logement, qui se sont développés en Allemagne dès les années 1940 (Bausparkassen) et dans les années 60 en France ; l’épargne est alors mutualisée au sein de la sous-population des candidats à l’accession (même si, en France le système s’est dévoyé en attirant plus de « bons frères » que de réels candidats à l’accession) ; sauf exception[3], l’épargne logement n’a vocation a financer seule l’acquisition du logement ; en revanche, les fonds d’épargne logement, qui se sont répandus dans de nombreux pays en développement (Brésil, Chine, Mexique[4], etc.) sur un modèle créé à Singapour, mutualisent des cotisations obligatoires de l’employeur et du salarié pour financer des prêts principaux à faible taux[5] ;
– le financement par les dépôts : c’est sans doute le mode de financement le plus naturel et le plus répandu, dans lequel les collecteurs d’épargnent utilisent une part des dépôts pour prêter aux acquéreurs de logements ; les « buildings societies » britanniques, les « savings and loans associations » aux Etats-Unis, les « « loan associations » au Canada, et plus généralement les caisses d’épargne fonctionnent sur ce modèle que les banques commerciales ont adopté et développé depuis les années 80 ; son inconvénient majeur est le mauvais adossement entre une ressource constituée de dépôts à vue et d’épargne à court terme, et des crédits à long terme : c’est le « risque de transformation » qui débouche sur un « risque de liquidité » c’est-à-dire de ne pas pouvoir faire face à des retraits importants et simultanés, et à un « risque de taux » lorsque les crédits sont consentis à taux fixe, comme en France et aux Etats-Unis[6] ; des règles prudentielles de plus en plus strictes ont été introduites ces dernières années afin de limiter le risque de liquidité des banques commerciales, avec comme conséquence de les éloigner du modèle de financement par les dépôts pour les rapprocher du modèle des banques hypothécaires ;
– le système de la banque hypothécaire : dans ce système, les fonds nécessaires au crédit sont obtenus par des émissions obligataires (hypothécaires ou sécurisées) qui sont très majoritairement souscrites par des investisseurs institutionnels ; ce système, très ancien (il remonte au 18ème siècle en Prusse et au Danemark), permet un adossement parfait de la dette aux créances ; les banques hypothécaires sont en déclin au profit des banques généralistes et ont même disparu du marché primaire en France avec le Crédit Foncier, à cause de leur trop grande spécialisation[7] ; la titrisation, d’apparition beaucoup plus récente s’apparente à ce modèle, mais elle en diffère notamment par ce qu’elle consiste à vendre les prêts aux investisseurs plutôt que de solliciter leur épargne, rejoignant ainsi en quelque sorte la voie directe, mais parcourue à l’envers !
Le financement direct constitue le point de départ historique de tous les systèmes de financement du logement. Il reste en vigueur pour la constitution de l’apport personnel. Dans la majorité des pays occidentaux, le financement du logement s’est développé en s’appuyant soit sur la collecte de dépôts, soit sur la vente d’obligations sur les marchés des capitaux ; les pays anglo-saxons et ceux du nord-ouest de l’Europe ont privilégié les dépôts, alors que l’Europe centrale et la Scandinavie ont préféré recourir au marché obligataire. Le sud et l’est de l’Europe ont conservé plus longtemps le mode direct avant de rejoindre le modèle de collecte des dépôts.
De nombreux pays ont eu recours à des formes d’aide publique pour établir leurs systèmes institutionnalisés de financement du logement au cours du XIXème siècle, ou plus tard lorsque les circonstances l’exigeaient, par exemple pour faire face à la pénurie de capital dans les périodes de reconstruction après les guerres. Cette intervention a toujours été forte en France, ce qui explique qu’elle constitue la colonne vertébrale de la plupart des ouvrages et rapports consacrés au financement du logement ; elle se poursuit d’ailleurs aujourd’hui avec le financement hors marché du locatif social par la Caisse des Dépôts. Aux Etats-Unis, les plus importantes institutions intervenant dans le financement du logement, Fannie Mae et Freddy Mac, mais sur le seul marché secondaire (celui du refinancement), sont des « government-sponsored enterprises », aux capitaux privés mais avec une mission d’Etat et des avantages fiscaux, soit un modèle proche du Crédit Foncier. Il s’agit d’exceptions quand la tendance générale est à la banalisation (le terme privatisation serait plus exact mais parfois impropre, comme on vient de le voir).
Les banques publiques du logement restent nombreuses dans les pays émergents où elles répondent à un triple besoin : fournir un service qui n’existe pas sur le marché, servir des populations non bancarisées, et distribuer des aides de l’Etat (comme le Crédit Foncier autrefois). Le financement du logement reste en effet très peu développé dans de nombreux pays : si le ratio encours de crédit au logement / PIB dépasse largement les 100 % en Suisse (où il existe des prêts non amortissables sur une durée qui peut atteindre 100 ans) et les approche aux Pays-Bas (à cause de la pratique de l’extraction hypothécaire), il n’est que de 8% en Roumanie et souvent inférieur dans le reste du monde : 8% au Brésil et en Inde, 6% en Russie, et il dépasse rarement 2% en Afrique subsaharienne[8].
Claude Taffin
Octobre 2020
Ce texte doit beaucoup aux auteurs suivants :
– Boleat, Mark (1985): “National Housing Finance Systems: A Comparative Study”
– Blackwell, Timothy and Kohl, Sebastian (2017):“The origins of national housing finance systems: a comparative investigation into historical variations in mortgage finance regimes”. Review of International Political Economy, 25 (1). pp. 49-74. ISSN 0969-2290;
– Chiquier, Loïc, and Michael Lea (2009): “Housing Finance Policy in Emerging Markets », edited by Loïc Chiquier and Michael Lea. The World Bank.
[1] Curieusement, la langue anglaise utilise le terme « mortgage » issu du français « mort-gage » ou « gage-mort » qui signifiait « Gage qui ne produisait pas de fruits ou dont les fruits ne venaient pas en déduction du capital de la créance et profitaient au créancier ». (Source : Larousse).
[2] Cette technique fut aussi utilisée aux Etats-Unis, sous le nom flatteur de « creative financing », à la fin des années 70 et au début des années 80 lorsque le système des Savings and Loans s’est effondré.
[3] L’Autriche.
[4] Le Mexique a adhéré à l’OCDE en 1994 mais la création des fonds (Infonavit et Fovissste) est antérieure.
[5] Action Logement (ex PEEC, ex 1% Logement) relève de ce modèle à ceci près que la cotisation salariale est absente et que le financement de l’accession est une activité très minoritaire.
[6] La championne incontestée de la transformation est la Caisse des Dépôts qui recycle les dépôts sur les livrets A en prêts aux organismes Hlm sur une durée pouvant atteindre 50 ans.
[7] La CRH (Caisse de Refinancement Hypothécaire) continue en revanche de refinancer les prêts au logement en émettant des obligations sur le marché financier.
[8] On notera que l’écart entre la France et les Etats-Unis qui était de 50 points il y a dix ans, n’est plus que de 10 points en 2018 : 43% contre 53%.