Rien sur les gilets jaunes ?
L’auteur d’un commentaire récent sur l’article de Jean Bosvieux et Bernard Coloos « Les aides personnelles au logement ou les bienfaits du paternalisme » fait état de « sa perplexité devant l’absence du thème de la crise du logement en France dans le grand débat proposé par le gouvernement ». La même perplexité pourrait naître de l’absence d’article consacré aux revendications des gilets jaunes dans politiquedulogement.com.
C’est que le logement ne semble pas avoir occupé une plus grande place dans les revendications des Gilets jaunes, que dans les programmes des candidats aux élections présidentielles. Ou du moins ce sujet n’était-il abordé que sous l’angle du coût des transports liés à l’habitat pavillonnaire. Que les gilets jaunes se recrutent essentiellement dans la périphérie des grandes villes, c’est notamment la conclusion qui se dégage des entretiens conduits par des universitaires et dont le géographe Jacques Lévy rendait compte à France Culture[1], ou que le mouvement s’étende aux zones plus rurales, perçues comme délaissées, il reste que la majorité des gilets jaunes semble constituée de ménages vivant en maison individuelle, et largement tributaires de la voiture pour leurs déplacements. On comprend que l’augmentation des coûts de transport ait déclenché un mouvement de révolte de ces catégories sociales, proche de celui que l’on observe dans la plupart des pays développés, même s’il a pris chez nous des formes propres à notre génie national. Mais le logement en tant que tel ne figurait pas en première place dans les causes pourtant nombreuses à l’origine du « ras-le-bol ».
Depuis, la forme même du mouvement des gilets jaunes a permis aux commentateurs de profiter de l’absence de programme traditionnel pour accrocher leurs propres mots d’ordre aux diverses revendications formulées par tel ou tel porte-parole des gilets jaunes.
C’est ce qui a permis ici ou là de faire resurgir la question de la crise du logement ou le discours sur les ménages modestes chassés des villes par le prix de l’immobilier et conduits malgré eux vers des quartiers pavillonnaires, à tous points de vue énergivores et anti-écolo, en périphérie des grandes agglomérations. « Or, » notait Philippe Genestier, « ces condamnations ne perçoivent pas que la préférence pour le péri-urbain correspond aussi bien souvent à un choix de vie et exprime une réelle prédilection pour un type de socialité où l’on privilégie l’autonomie individuelle et les liens sociaux d’interconnaissance, plutôt que les liens anonymes et mercantilisés propres à la ville centre[2] ».
Le seul point d’accord entre tous les commentateurs, en France comme à l’étranger, semble être le mépris dont ces catégories révoltées ont le sentiment d’être l’objet. Or chez nous, s’il est bien un objet qui symbolise le mépris des élites, et spécialement des élites administratives pour ces catégories sociales chez qui semblent se recruter les gilets jaunes, c’est bien leur goût pour l’habitat pavillonnaire.
Bernard Vorms
Février 2019
[1] https://www.franceculture.fr/emissions/linvite-des-matins/la-carte-et-les-territoires-de-la-colere
[2] https://www.telos-eu.com/fr/societe/gilets-jaunes-une-rupture-culturelle-autant-que-te.html. Ph. Genestier est architecte-urbaniste en chef de l’Etat, professeur à l’Ecole nationale des travaux publics.