Transparence du marché, mutualisation et économie de courtage

Une disposition nouvelle, votée à la suite de l’amendement Bourquin, pourrait autoriser, à partir du 1er janvier 2018, tous les emprunteurs, anciens ou nouveaux, à renégocier chaque année leur contrat d’assurance et ce pendant toute la durée d’un prêt immobilier.  Son entrée en vigueur est encore suspendue à la décision du Conseil Constitutionnel qui avait précédemment annulé une disposition de même nature contenue dans la loi Sapin-2. Dans un premier temps, on ne peut que se réjouir d’une règle qui jouera en faveur du consommateur et qui rétablira un certain équilibre dans ses relations avec « la finance », en l’occurrence l’établissement de crédit qui lui consent un prêt immobilier.  C’est la dernière étape d’une évolution qui a d’abord permis en 1986 aux emprunteurs de refinancer leurs emprunts immobiliers et qui a ensuite, à l’occasion de la loi Lagarde en 2010, permis de dissocier le choix des différentes prestations liées à un prêt immobilier, assurant ainsi une meilleure transparence du marché.  A plus long terme, il faut cependant se demander quelles peuvent être les conséquences de cette déliaison complète entre les différents services liés à l’emprunt immobilier.

Le précédent de la renégociation des prêts

Il faut se rappeler que le refinancement d’un prêt, c’est-à-dire, le remboursement d’un prêt en cours au moyen d’un nouveau prêt à taux plus avantageux, était toujours refusé et même présenté comme contraire à la loi, sans que le fondement juridique de cette interdiction soit précisé, jusqu’à ce qu’en 1986 le gouvernement ne l’encourage pour permettre aux accédants de passer le cap de la désinflation. Nombre d’emprunteurs avaient en effet souscrit des emprunts, généralement réglementés, à taux fixes et à échéances progressives. Ils y avaient été encouragés par l’Etat qui tablait alors sur la progression des revenus nominaux liée à l’inflation. En favorisant le refinancement d’un prêt à taux fixe en cours d’amortissement par un prêt à taux moins élevé, l’Etat a permis à ces accédants d’amortir les conséquences de la désinflation en supprimant la progression de leurs échéances. Pour ce faire, les emprunteurs placent leur prêteur devant le choix de baisser le taux de leur prêt en cours d’amortissement ou de les voir se tourner vers un établissement concurrent. Les courtiers, dont la part de marché s’est accrue depuis cette époque ont joué un rôle actif pour inciter les emprunteurs les moins vigilants à tirer parti de cette opportunité. Dommage collatéral, ce mouvement de renégociation a précipité la marginalisation des établissements spécialisés et permis aux banques universelles de cannibaliser leur encours. Cette pratique est maintenant entrée dans les mœurs et chaque baisse de taux s’accompagne d’une vague de renégociations de prêts. La plus grande partie de l’encours a fait l’objet d’une renégociation au cours de ces deux dernières années. Cela fait dire aux banquiers qu’en France les taux sont fixes à la hausse et variables à la baisse. C’est l’objet des critiques du Comité de Bâle sur le contrôle bancaire, mais les établissements de crédit français savent gérer ce risque qu’ils ont intégré dans le paysage.

Les prestations accessoires au prêt.

Au taux de l’emprunt immobilier stricto sensu, s’ajoutent les frais liés à un certain nombre de prestations accessoires, lesquelles peuvent être obligatoires de droit ou de fait. Ainsi, la souscription d’une assurance décès-invalidité ne répond pas à une obligation légale, mais aucun établissement de crédit, sauf à de très rares exceptions, n’accordera de prêt immobilier sans l’exiger. C’est même, avec la complexité du droit successoral français, l’un des principaux obstacles auxquels se heurtent les personnes âgées solvables qui souhaitent emprunter pour changer de logement. Les pays qui ont une pratique de prêt plus strictement hypothécaire et moins personnelle exigent l’assurance du gage et non celle de la personne. En France, jusqu’à ce que la loi le leur interdise, les établissements de crédit recommandaient fortement aux emprunteurs, pour employer un euphémisme, la souscription du contrat d’assurance « maison ».  N’y échappaient qu’une faible part des emprunteurs, notamment les fonctionnaires qui bénéficiaient de longue date de l’assurance et de la caution à des coûts plus qu’attrayants de la part de leurs organismes de caution mutuelle.  La rémunération versée par l’assureur à l’établissement de crédit, qui peut aller de 0,15 à 0,40 %, au même titre que celle versée le cas échéant par l’établissement de caution qui se substitue à la garantie hypothécaire, est présentée comme la contrepartie de frais d’instruction de dossiers, mais peut aussi s’analyser comme la rémunération d’un courtage et constitue un apport important au produit net bancaire. Plus les taux sont bas, et ils sont présentement au plus bas depuis la deuxième guerre mondiale, plus l’incidence actuarielle de cette rémunération est importante. 0,5 % pèse beaucoup plus dans un taux annuel effectif global (TAEG) lorsque les taux nominaux sont à 2% que lorsqu’ils dépassent 10 %, ce qui était le cas avant 1986. Cette disposition va en outre conduire à la généralisation de la tarification de l’assurance au capital restant dû et faire disparaitre la tarification en fonction du capital initial.
La concurrence sur les prêts immobiliers est vive, parce que c’est le principal outil des banques pour fidéliser les clients, voire élargir leur part de marché. La négociation se joue d’abord sur le taux du prêt stricto sensu. Les rémunérations annexes, notamment celle procurée par l’assurance, assurent l’équilibre de l’opération. La comparaison des TAEG, qui tiennent compte du coût de l’ensemble des prestations liées à l’acte de prêt, est en effet difficile puisqu’ils intègrent des frais annexes, lesquels dépendent notamment des caractéristiques de l’assurance.  Actuellement les établissements prêteurs semblent avoir reconstitué leur taux de marge puisque les taux des prêts se situent autour de 2,5%, pour un refinancement proche de 1,5 %, mais on ne peut exclure que la baisse des rémunérations liées à l’assurance soit compensée par une hausse du taux du prêt stricto sensu.
La possibilité pour l’emprunteur de recourir à l’assureur de son choix, même si elle se heurte parfois à des difficultés de mise en œuvre, a conduit les principaux assureurs à diversifier leurs offres et à mettre au point des offres individuelles de substitution, ne serait-ce que pour être en mesure de répondre à celles de la concurrence. La plus ou moins grande insistance des banques à vendre à la fois le prêt et le contrat d’assurance diffère selon leur proximité avec l’assureur. Certains assureurs font partie du même groupe que la banque alors que d’autres travaillent avec la plupart des établissements de la place. On estime entre 50 et 80 %, selon les établissements prêteurs, la part des emprunteurs qui recourent à l’assurance proposée par le prêteur. Désormais, pour conserver leur encours, les prêteurs devront peut-être revoir périodiquement les conditions d’assurance faites à leurs clients..

La démutualisation

 Une meilleure transparence permet aussi de mieux adapter l’assurance au profil de l’emprunteur, par exemple en épargnant le coût important de certaines caractéristiques du volet invalidité  à certains emprunteurs. La couverture offerte pour le risque invalidité, le plus coûteux, peut en effet être réduite pour certaines professions, qui présentent moins de risques.
Cette évolution a profité aux emprunteurs en général, mais pas à tous. Dans les assurances de groupe, les emprunteurs à faible risque paient en partie pour les autres : c’est le principe de la mutualisation. La diversification des offres va avec la démutualisation. L’emprunteur jeune et en bonne santé bénéficie d’une offre plus avantageuse que celui qui se trouve à l’autre extrémité du spectre, vieux, souffrant de certaines affections et le cas échéant exerçant une profession à risque. Il faudra veiller à ce que ce mouvement ne mène pas à proposer des taux de primes inaccessibles aux personnes souffrant de certaines affections et auxquelles la convention Aeras (S’Assurer et Emprunter avec un Risque Aggravé de Santé)  avait permis d’obtenir une assurance et donc un emprunt. Ce phénomène de démutualisation n’est pas propre au marché des prêts immobiliers, et c’est tout l’enjeu de l’accès aux données concernant la santé des personnes.
La révolution numérique apporte un nouvel éclairage à cette question. En effet, la logique de certains nouveaux acteurs s’apparente à la logique du courtage. Nombres de plateformes de transactions immobilières adoptent un modèle économique dans lequel ni le vendeur ou le bailleur, ni l’acheteur ou le locataire, ne paient leur service. La plateforme se rémunère en vendant ce que l’on appelle des leads, que l’on peut qualifier de prospects. Qu’il s’agisse de prêts ou d’assurance, ou de tout autre service, l’intervention des courtiers est bienvenue quand elle vient troubler un marché protégé, mais in fine, son prélèvement sur la valeur vient s’ajouter au coût du service. De surcroît, elle remodèle les schémas de commercialisation des produits et des services. A plus long terme, la question qui sera posée sera celle du rôle des établissements prêteurs. S’il est probable qu’ils garderont le quasi-monopole de la fabrication des prêts, une part de leur commercialisation risque de leur échapper, mais ceci est une autre histoire.

Bernard Vorms – Novembre 2107

Auteur/autrice

  • Jean Bosvieux

    Jean Bosvieux, statisticien-économiste de formation, a été de 1997 à 2014 directeur des études à l’Agence nationale pour l’information sur l’habitat (ANIL), puis de 2015 à 2019 directeur des études économiques à la FNAIM. Ses différentes fonctions l’ont amené à s’intéresser à des questions très diverses ayant trait à l’économie du logement, notamment au fonctionnement des marchés du logement et à l’impact des politiques publiques. Il a publié en 2016 "Logement : sortir de la jungle fiscale" chez Economica.