Chez les plus ardents bricoleurs, les plus polyvalents, les plus compétents techniquement et les plus entreprenants, les plus tenaces aussi, l’ensemble des bricolages entrepris concourt véritablement à la construction de la maison, ou à la réhabilitation d’un bâtiment ancien, dans des productions considérables. A la limite, mais toujours en mobilisant comme ressource un réseau social de compétences complémentaires, c’est la totalité de la construction qui est assumée. Le fait exprime alors parfaitement cette valeur d’autonomie qui provient des cultures rurales, qu’elles soient autochtones ou immigrées.
Dans la conception de l’économie domestique des foyers populaires revient à l’homme le rôle d’assurer le maximum d’autarcie, au moins d’indépendance par rapport au marché des services artisanaux, considérés comme trop dispendieux. L’autoconstruction vient alors réaliser l’idéal de l’homme complet, polyvalent, qui se transmet aussi parfois dans les classes moyennes ou chez des cadres supérieurs.
Le fait de l’autoconstruction a donné lieu à un phénomène de grande ampleur, dans l’après deuxième guerre mondiale, sous la forme du mouvement des Castors (Légé 1987, Inyzant 1980). Cette association ouvrière, qui a bâti plusieurs dizaines de milliers de pavillons en France, a permis à autant de familles, dans une période de grave crise du logement, de se loger décemment et d’accéder à la propriété. Fondée sur le principe de la solidarité et de la réciprocité, l’organisation permettait de réunir les compétences techniques, la force de travail, tout en valorisant le loisir bricoleur au prix du travail rémunéré. L’entreprise nécessitait une très forte mobilisation de l’ensemble de la famille et de son réseau de proximité. De ce fait, se construisait simultanément la sociabilité locale qui est demeurée ancrée dans les mémoires comme caractéristique de l’époque et de ces quartiers.
Avec le développement industriel et celui de la consommation, le mouvement castor a périclité en France, non sans avoir servi de modèle à de nombreux mouvements du tiers-monde. Il a par ailleurs donné naissance à l’une de ces chaînes de supermarchés du bricolage qui fleurissent les abords de nos villes.
Philippe Bonnin
Mars 2015