Charge foncière

On l’oublie trop souvent, le premier matériau de construction est… le terrain à bâtir.
C’est d’abord une évidence technique puisqu’on n’a pas encore inventé la construction « hors-sol ». Ce l’est aussi sur le plan économique, dans la mesure où la part du terrain dans le coût global du logement, au-delà des évolutions cycliques de court ou moyen terme, ne cesse d’augmenter depuis au moins un siècle. En effet, inférieur au début du siècle à 10%, ce pourcentage est aujourd’hui en France en moyenne proche de 25% et il peut atteindre 50% dans les grandes villes, voire dépasser parfois 60% à Paris, et frôler voire dépasser les 80% dans le centre de Tokyo ou de Séoul.

Qu’est ce que la charge foncière ?

L’expression de « charge foncière » a un sens précis, qui va au-delà du seul prix du terrain : elle comprend l’ensemble des dépenses qui doivent être effectuées sur le terrain avant de pouvoir donner le premier coup de pioche : outre le prix du terrain proprement dit, elle inclut les impôts sur la transaction, les honoraires du notaire, les coûts de « libération » du terrain (éviction et relogement éventuel, démolition) et la réalisation des équipements d’infrastructure.
Pourquoi la charge foncière est-elle si élevée, et en croissance à long terme? Si les diverses variantes de la théorie de la rente foncière n’ont pas (encore) conduit à des méthodes opératoires permettant de déterminer le prix d’un terrain donné, on peut comprendre intuitivement – et vérifier expérimentalement- que dans un régime de libre marché et de propriété privée du sol, la concurrence pour les meilleurs emplacements conduit, dans un contexte de croissance économique et démographique, à des prix fonciers de plus en plus élevés en termes réels. Les freins multiples à la construction (juridique, politique, refus de la densité, etc. ) et la lutte contre l’artificialisation des sols viennent accentuer cette tendance.
Les conséquences de cette croissance de la charge foncière sont importantes en termes de politique urbaine, à la fois en termes d’allocation de l’espace (ségrégation fonctionnelle et sociale) et en termes de redistribution (enrichissement sans cause des propriétaires fonciers).

Quelle politique foncière ?

La politique foncière est donc une composante essentielle de la politique du logement et on s’explique aisément la demande récurrente des responsables de la politique du logement adressée aux responsables des politiques d’urbanisme : faites en sorte de baisser les prix des terrains pour contribuer à peser sur le prix du logement.
Le premier mode d’intervention, très général, consiste à réglementer l’usage des sols, par la planification urbaine et le zonage, avec le contrôle au moyen du permis de construire. Cette planification urbaine est critiquée, précisément parce que, en raréfiant l’espace constructible, elle ferait monter les prix des terrains. Cette critique, incontestable en bonne logique économique, appelle deux commentaires.
Tout d’abord, en milieu urbain, l’absence de réglementation conduirait à des conséquences absurdes en termes d’organisation de l’espace, de répartition des activités, de coût de réalisation des équipements publics etc. La question est bien plutôt celle d’inciter les propriétaires fonciers à utiliser leurs terrains conformément aux exigences des règles. Sur ce point, force est de remarquer que le régime de la fiscalité foncière – notamment en France – est mal adapté à cet objectif.
On peut aussi observer – empiriquement – que les politiques d’assouplissement des règles d’urbanisme, supposées faire baisser les prix fonciers par suite de l’augmentation de l’offre, ont eu très généralement un effet contraire en la matière, par exemple en France au début des années 1970, en Angleterre au début des années 1980, en France à nouveau à partir de 1986…
On pourrait multiplier les exemples d’échec de ces politiques d’offre foncière.
Ces échecs résultent fondamentalement d’une erreur d’analyse sur le comportement des propriétaires fonciers qui, en l’absence d’incitations fortes, ont un comportement de rétention, économiquement rationnel face à une perspective de tension sur les prix…
Une orientation intéressante, largement pratiquée par exemple dans plusieurs pays scandinaves, consiste à dissocier la propriété du terrain et la propriété du bâti: une collectivité publique, généralement la commune, donne à bail le terrain à un constructeur, qui vend la construction tandis que le terrain d’assiette reste propriété de la collectivité. Les exemples de la Suède et des Pays Bas ont conduit à des résultats suffisamment probants pour qu’il ne soit pas la peine d’y insister.
En France, l’appareillage juridique existe pour de telles pratiques : le bail emphytéotique, la concession immobilière, le bail à construction, plus récemment le bail réel solidaire (BRS et la création des organismes fonciers solidaires (OFS ) ont permis la réalisation d’opérations intéressantes, mais jusqu’ici peu nombreuses.

Vincent Renard
Révision Bernard Coloos, 2023

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