La location meublée a une longue histoire ; elle est aujourd’hui d’une actualité brûlante. Extrêmement diversifiée, l’offre s’est renouvelée d’une façon spectaculaire au cours des dernières années. Une commission[1] n’a-t-elle pas été mise en place en 2015 à la demande du premier ministre pour étudier le secteur, et décider s’il convient que la puissance publique intervienne, notamment en l’orientant par le biais de la fiscalité ? Quand certains y voient le vivier d’une offre résolument adaptée aux nouveaux modes de vie, de travail et de loisirs, d’autres pointent le syndrome d’une financiarisation soustrayant au parc locatif les logements rares et précieux qui lui manquent. Dans les grandes villes, et en particulier dans la capitale, le débat tourne à la polémique. L’intervention publique vise, depuis la loi ALUR[2], à rapprocher la location meublée de la location vide, tant du point de vue des conditions d’habitat (protection accrue du locataire) que du régime fiscal (diminution des avantages fiscaux consentis aux propriétaires).
Pourtant, héritière d’une histoire pluriséculaire, la location meublée ne se laisse pas appréhender facilement. Le secteur constitue une nébuleuse que la statistique nationale publique peine à saisir entièrement. De plus, aucune définition légale ne précise ce qu’est un local meublé. Entre le meublé du monde ouvrier et pauvre, « l’humble garni qui (nous) servait de nid » que chantait Charles Aznavour au milieu des années 1960, et les logements spacieux et bien équipés proposés par des sites qu’on ne compte plus sur la toile et dont AirBnb est une des figures emblématiques, entre le meublé occupé en résidence principale et celui qui vise une clientèle de passage, quels traits en partage ? Quoi de commun entre un foyer de travailleurs migrants, une résidence étudiante, des chambres de service ou des appartements loués à la journée, à la semaine ou au mois en l’absence de leur propriétaire, des chambres louées dans un logement toujours habité par le maître ou la maîtresse des lieux, des centres d’hébergement et de réinsertion sociale, des centres d’accueil des demandeurs d’asile, des hôtels mobilisés par le Samu social de Paris ou encore des hôtels meublés logeant depuis des décennies des immigrés vieillissants ?
De fait, il n’y en a guère, ou plus exactement, ces traits communs résultent d’un classement (vide/meublé) et de pratiques qui elles-mêmes ont une histoire. Depuis la fin des années 1980, c’est d’une véritable métamorphose du secteur qu’il s’agit, anéantissant ou reconvertissant l’ancien, transformant son centre traditionnel, générant des formes et des pratiques inédites que les politiques publiques tentent de réorganiser. Préoccupations sanitaires et sociales (définition du « logement décent », rénovation d’une partie des anciens foyers-logements), volonté d’équité fiscale (suppression du régime « de faveur » des propriétaires de logements loués meublés[3]), promotion de nouveaux droits (baux d’un an, avancées relatives en faveur des résidents des foyers) et de la mobilité (préavis de départ réduit à un mois), le secteur des meublés, particulièrement sensible à la conjoncture, constitue une potentielle variable d’ajustement, cible idéale pour les velléités réformatrices.
Un secteur historique, composite, mal connu
Là où le nouveau venu, arrivé sans bagage et sans meubles, trouve à se loger, la police veille : hôtels meublés et garnis ont de tout temps connu une surveillance rapprochée. Le contrôle mêlait dans une même catégorie les hôtels meublés et les garnis, ces derniers meublés mais n’offrant pas les services hôteliers (changement des draps, nettoyage, repas) qui étaient, en principe, offerts par les premiers. L’émergence de cette offre d’hébergement, sa transformation en logement relativement durable, sa diversification, ses mutations, constituent des processus de longue haleine qui ne sont pas encore arrivés à leur terme. Le premier état des garnis parisiens qui a pu être retrouvé date de 1673 et en dénombre 996. Au milieu du XVIIIème siècle, la dénomination d’hôtel regroupe tout aussi bien les hôtels aristocratiques, qui servent également de demeure temporaire à l’élite sociale des voyageurs, que les auberges populaires, les hôtels meublés ou garnis. Dans cette masse extrêmement hétérogène, les autorités de police font la distinction entre les établissements à petites portes et à porte cochère, critère qui renvoie au niveau de fortune des diverses clientèles et permet de séparer le bon grain de l’ivraie. Son caractère temporaire et transitoire est au principe même de la location meublée : les villes de France, mais aussi d’Europe, se sont donc équipées de logement temporaires pour offrir un premier domicile à ceux qui venaient de la campagne voisine, puis de pays frontaliers, enfin des territoires colonisés. Ainsi, la croissance démographique des centres urbains pendant la première révolution industrielle (selon les pays, au cours du « long 19ème siècle »), doit beaucoup aux garnis, meublés, à l’offre fournie par des logeurs – souvent des logeuses – dans leur propre logement, ainsi qu’aux asiles et autres abris provisoires si bien décrits par Georges Orwell dans son récit partiellement autobiographique, Dans la dèche de Paris à Londres[4]. La location meublée, quelle qu’en soit la forme, permettait de prendre pied dans la ville, et était suivie d’un départ ou d’une installation en location ordinaire, dans ses meubles[5]. Une fois l’ « âge d’or » des garnis passé (les années 1920), les hôtels meublés ont diminué comme peau de chagrin : à Paris, on passe de plus de 20 000 établissements dans les années 1920, à environ 800 aujourd’hui[6]. Cette évolution se double de l’augmentation parallèle des « garnis », au sens d’appartements meublés, généralement modestes et composés d’une seule pièce. Si les hôtels meublés parisiens sont aujourd’hui mobilisés, pour environ la moitié des chambres disponibles, pour l’hébergement des personnes hébergées via le 115 (ligne téléphonique d’urgence sociale, inaugurée par le Samu social de Paris), les garnis ont proliféré sous la forme de locations meublées. Tandis que les premiers se trouvent de plus en plus assignés à l’urgence sociale, les seconds poursuivent leur carrière de logement des personnes en mobilité quelle qu’en soit la cause, des jeunes et des pauvres principalement.
Après la seconde guerre mondiale et la période de la reconstruction, les initiatives de la puissance publique deviennent déterminantes. Les conditions de logement des travailleurs immigrés sont extrêmement mauvaises, pour des raisons qui tiennent à la fois au racisme et à l’impréparation des acteurs du logement[7]. La création en 1956 de la Sonacotral, devenue Sonacotra en 1963 puis Adoma en 2007, témoigne de l’entrée dans l’ère de l’hébergement promu par l’Etat et ciblant spécifiquement les travailleurs immigrés. Ceux-ci habiteront entre eux, partageant cuisines et sanitaires collectifs, dormant à plusieurs dans des chambres dont le mobilier est souvent très réduit. Dans un esprit inspiré cette fois du catholicisme social et progressiste, des foyers logent de jeunes travailleurs souvent venus des campagnes pour travailler en ville. Aujourd’hui, le secteur hétérogène et disparate de l’offre meublée, logement ou hébergement, est constitué de couches successives résultant d’initiatives de la puissance publique, d’actions privées, toutes marquées par des contextes qui se suivent sans se ressembler : urbanisation et industrialisation du pays, essor des migrations internes, puis des immigrations, mutations du travail, précarisation de l’emploi.
D’après le recensement de 2012, la location meublée concerne environ 700 000 ménages (un peu plus d’un million de personnes car la plupart sont composés d’une personne) représentant donc 2,4% des logements occupés en résidence principale[8]. D’un autre côté, on compte 1,6 million de « personnes vivant en communauté ». Ces personnes ne sont pas à proprement parler des locataires de meublé ; ce sont des résidents disposant d’une chambre meublée et de locaux communs équipés. Le chiffre comprend les personnes vivant en maison de retraite, dans un foyer de travailleurs migrants, dans une cité universitaire, et autres communautés[9].
L’histoire du logement meublé en communauté s’ancre dans des logiques de domination et de marginalisation. Autrefois marqués par le soupçon, voire l’opprobre, attaché à l’image d’une intégration inachevée ou déviante, le garni ou l’hôtel meublé n’avaient pas bonne réputation. Après la seconde guerre, la pénurie criante de logements à louer banalise cependant le meublé. En 1948, 36% des jeunes ménages habitant le département de la Seine n’ont pas de logement indépendant, la moitié vivant dans une chambre meublée ou à l’hôtel. Cette situation persiste encore pendant deux décennies au moins. Issue des garnis d’autrefois, la location meublée stricto sensu, en forte croissance, est aujourd’hui en voie de gagner des titres de noblesse. Ce qui ne va pas sans controverses ni révisions.
La location meublée, opportunité ou détournement ?
La location meublée est aujourd’hui au cœur d’une controverse qui met en exergue les abus permis par le flou juridique de la législation, ainsi que par son caractère de « niche fiscale ». Elle se focalise sur le parc de logements loués meublés, en résidence principale d’une part, en location saisonnière d’autre part.
Toute location meublée d’une résidence principale doit respecter les dispositions de l’article L632-1 du Code de la Construction et de l’Habitation, dont voici les dispositions principales : « Toute personne qui loue un logement meublé (…) bénéficie d’un contrat établi par écrit d’une durée d’un an dès lors que le logement loué constitue sa résidence principale. A l’expiration de ce contrat, le bail est tacitement reconduit pour un an sous réserve des dispositions suivantes. Lorsque la location est consentie à un étudiant, la durée du bail peut être réduite à neuf mois. (…) Le locataire peut résilier le contrat à tout moment sous réserve du respect d’un préavis d’un mois. (…) Le bailleur qui souhaite, à l’expiration du contrat, en modifier les conditions doit informer le locataire avec un préavis de trois mois. Si le locataire accepte les nouvelles conditions, le contrat est renouvelé pour un an. » On le voit, ce qui fait l’intérêt du meublé, c’est sa souplesse, puisque les parties contractantes peuvent s’en libérer plus facilement que dans la location vide. Mais l’ADIL de Paris révèle, dans une enquête récente (décembre 2013)[10], que si le meublé convient aux étudiants, aux jeunes travailleurs, et aux personnes en déplacement ou mutation professionnelle, aux couples en situation de double domiciliation et aux personnes confrontées à des ruptures conjugales, il est fréquemment l’unique solution de logement pour les personnes à faibles ressources. La durée d’occupation moyenne, à Paris, étant de trois ans et demi, on peut en conclure que le meublé est souvent un « choix contraint ». Plus petits (63% des meublés ont une surface inférieure à 30m2) et plus chers que la location vide, les meublés pêchent aussi par les conditions d’habitation souvent médiocres, et parfois un mobilier vétuste ou insuffisant. Compte tenu des enjeux pour la question du logement dans son ensemble, la loi ALUR du 24 mars 2014 a modifié la réglementation applicable aux locations meublées à titre de résidence principale en rapprochant le régime de la location meublée de celui de la location vide, telle que définie par la loi du 6 juillet 1989[11]. Ainsi, les locataires en meublé jouissent en principe de la même protection juridique que les locataires d’un local loué vide. Une location meublée ouvre droit – si le locataire et le logement remplissent les conditions requises – aux aides au logement de la Caf. Le logement loué meublé doit comporter des éléments de mobilier et d’équipement très précis incluant vaisselle, luminaires, et matériel d’entretien ménager. Enfin, les loyers en meublés sont encadrés tout comme ceux de la location vide.
Une spécificité du meublé consiste encore dans son régime fiscal particulier, qui est celui de la micro-entreprise. La taxe, qui porte donc sur les bénéfices industriels et commerciaux (BIC), s’établit selon le montant des revenus locatifs. Si les recettes n’excèdent pas 32 600 euros, un abattement à hauteur de 50% des loyers est consenti. Il apparait comme avantageux par rapport au système en vigueur dans la location vide, dit micro-foncier, qui ne permet un abattement que de 30% au-delà de 15.000 euros de recettes annuelles. Faut-il encourager encore les bailleurs de logements meublés en résidence principale, notamment pour qu’ils ne se tournent pas vers la location saisonnière, plus rentable, notamment à Paris ?
L’exception parisienne
C’est sous sa forme touristique, et donc de courte durée, que la location meublée est vivement critiquée. En effet, pour échapper aux contraintes qui régissent les baux d’habitation, le propriétaire peut aussi louer un logement, vide ou meublé, à la journée, à la semaine, à la quinzaine ou au mois. Le législateur a tenté de réfréner les appétits des bailleurs : dans les villes de plus de 200 000 habitants et dans les départements des Hauts-de-Seine, de la Seine-Saint-Denis et du Val de Marne, une demande d’autorisation de changement d’usage doit être déposée par le propriétaire qui loue « un local meublé destiné à l’habitation de manière répétée pour de courtes durées à une clientèle de passage » (article L 631-7 du Code de la construction et de l’habitation, créé par la loi ALUR) pour une durée totale supérieure à 120 jours. Le dispositif peut également être étendu à d’autres communes sur décision du maire, selon l’article L 631-9 du Code de la construction et de l’habitation. Le contrevenant s’expose à une amende de 25 000 euros en sus d’une astreinte quotidienne.
De fait, dans l’agglomération parisienne, la part des meublés a presque doublé en moins de quinze ans (de 1999 à 2012)[12]. Elle représente aujourd’hui près de 16 % de l’offre locative privée. A Paris, elle avoisine 19%. A côté des locations meublées de longue durée et enregistrées comme telles, se développe une forme de location jugée préjudiciable non seulement à tous ceux qui cherchent un logement pour se loger, mais aussi aux professionnels du tourisme. Ces derniers se mobilisent, avançant que 25% des baux locatifs meublés seraient « hôtellisés », contribuant ainsi à la diminution du secteur locatif vide.[13] D’après l’OLAP, celui-ci aurait, de fait, perdu 20 000 logements entre 2011 et 2014, sans toutefois que cette disparition soit totalement imputable à la transformation en meublé. Et de suggérer que Paris suive la trace vertueuse de capitales européennes qui, telles Madrid et Berlin, auraient carrément interdit la location touristique d’un logement entier, tandis que San Francisco elle-même impose la taxe hôtelière aux particuliers mettant leur résidence en location saisonnière… Gageons que la partie est loin d’être terminée, les besoins, au demeurant très divers, générant une offre qui cherche, aujourd’hui comme hier, le meilleur profit possible. Il ne faudrait cependant pas perdre de vue l’intérêt que représente l’existence d’un secteur de logements adaptés à la mobilité, qu’elle soit choisie ou qu’elle constitue une étape dans un parcours résidentiel en devenir.
Claire Lévy-Vroelant
Juillet 2016
→ « L’hospitalité », parc social de fait, mal logés, conditions de logement
[1] Mission d’évaluation du marché de la location meublée, commandée à l’inspection générale des finances et au conseil général de l’environnement par le Premier ministre, lettre de commande du 4 juin 2015.
[2] Loi dite ALUR, n° 2014-366 du 24 mars 2014, pour l’accès au logement et un urbanisme rénové. Titre 1bis, articles 25-3 à 25-11, « Des rapports entre bailleurs et locataires dans les logements meublés résidence principale ».
[3] De 50% à 30% d’abattement
[4] Georges Orwell, Dans la dèche de Paris à Londres, 1933.
[5] Voir Alain Faure, « L’hébergement du migrant à Paris au 19ème siècle, ou les différentes façons de ne pas être dans ses meubles », Logements de passage. Normes, formes, expériences, Claire Lévy-Vroelant éd., L’Harmattan, 2000.
[6] Voir APUR, « Les hôtels meublés à Paris. Diagnostic et premier bilan du plan d’action engagé », juin 2007, 28 pages.
[7] Voir les travaux d’Andrée Michel, par exemple, Les travailleurs algériens en France, CNRS, 1956, 239 pages. Voir aussi l’enquête d’Henri Bastide et René Girard : Mobilité de la population et motivations des personnes : une enquête auprès du public, Population, INED, 1974 .
[8] Tableau INSEE, Résidences principales selon la taille des ménages et le statut d’occupation en 2012. INSEE, RP 2012, Exploitation principale.
[9] Voir « La vie en communauté : 1,6 million de personnes en France », INSEE première n° 1434, février 2013.
[10] « Locations meublées à titre de résidence principale ». Enquête de l’ADIL 75, décembre 2013, 41 pages
[11] Loi n°89-462 du 6 juillet 1989, dite loi Mermaz, tendant à améliorer les rapports locatifs et portant modification de la loi n° 86-1290 du 23 décembre 1986. Cette loi établit l’obligation d’un bail avec une liste de clauses précises devant y figurer, les conditions de location (logement décent, bail de 3 ans renouvelable, obligations des deux parties), les conditions de résiliation.
[12] Voir l’article de Geneviève Prandi, publié le 4 juin 2016 : https://politiquedulogement.com/2016/06/1999-2012-une-croissance-du-parc-de-logements-francilien-tres-differenciee/ consulté le 29 juin 2016
[13] Voir l’article du 23 juin 2016 d’Isabelle Rey-Lefèbvre, http://www.lemonde.fr/economie/article/2016/06/23/les-acteurs-du-tourisme-en-guerre-ouverte-contre-les-plateformes-de-location_4956348_3234.html, consulté le 28 juin 2016