Ménage

Dans toutes les analyses du logement, le concept de ménage est l’élément clé qui permet aux statisticiens, démographes et économistes de relier les domaines de la famille et de l’habitat. C’est une unité statistique repérée à un moment donné selon un critère de résidence.
Font partie du ménage toutes les personnes habitant normalement dans le logement, quel que soit leur lien de parenté, incluant donc les personnes absentes de longue durée qui sont appelées à y revenir (malades en cure, militaires, enfants placés dans un internat, jeunes en foyer, ouvriers logés dans des habitats de chantiers). Il s’agit du logement habité de façon permanente, c’est-à-dire de la résidence principale.
On distingue quatre types de ménages :
– les couples : les couples mariés mais aussi vivant maritalement (dits de fait) ;
– les familles monoparentales : composées d’un parent et de ses enfants (quel que soit leur âge s’ils n’ont pas de conjoint) ;
– les personnes seules ;
– les autres ménages sans famille : composées de plusieurs isolés.

Rappel historique

En France, on trouve pour la première fois l’usage d’un bulletin de ménage dans le recensement de 1856. “Par ménages, on a désigné non pas les familles, mais les individus, mariés ou non mariés, avec ou sans enfants, habitant un local distinct. Ainsi, aux termes des instructions ministérielles, une personne vivant seule dans un logement séparé a été considérée comme formant un ménage, aussi bien qu’une famille composée du mari, de la femme, d’un ou plusieurs enfants, d’un ou plusieurs domestiques demeurant ensemble dans le même appartement.”
Cette conception du ménage reprend une des définitions formelles du groupe domestique. Malgré cet effort de clarification, il faut souligner que les définitions du ménage et du logement se caractérisent par une certaine imprécision et incohérence qui ne disparaîtront qu’après la Seconde Guerre mondiale. On trouve, en effet, plusieurs définitions en 1891 : le ménage est un groupe d’individus vivant sous la même clé, ou encore vivant sous la direction d’un même chef. Ainsi malgré la définition du ménage donnée en 1856, son application n’était pas homogène, certains agents recenseurs se référant au critère de vie effective en commun et non aux personnes vivant dans un même logement. On ne peut que s’en étonner quand on sait l’importance de la question du logement au XIXème et dans la première moitié du XXème siècles. Cette pauvreté des données s’explique par l’absence d’une véritable politique du logement et qualifie la première moitié du XXème siècle de “préhistoire des statistiques du logement”.

Deux critères de définition du ménage

La statistique des ménages varie fortement d’un pays à l’autre ; en fait deux thèses s’affrontent : dans la première, le critère de définition du ménage est l’habitation ; la seconde correspond au concept de ménage-foyer fondé sur le critère de la mise en commun des ressources et des dépenses.
Afin d’harmoniser les statistiques, l’ONU a précisé les définitions suivantes :
– un ménage d’isolé, c’est-à-dire une personne qui vit seule dans une unité d’habitation distincte ou qui occupe, en qualité de sous-locataire, une ou plusieurs pièces d’une unité d’habitation, mais qui ne forme pas avec d’autres occupants de l’unité d’habitation un ménage multiple répondant à la définition ci-après :
– un ménage multiple, c’est-à-dire un groupe de deux personnes ou plus qui s’associent pour occuper une unité d’habitation en totalité ou en partie et pourvoir, en commun, à leurs besoins alimentaires et autres besoins essentiels de l’existence.
Les deux notions, ménage-foyer et ménage-habitation apparaissent ainsi clairement. Si l’on retient la première notion, un logement peut contenir deux ménages-foyers (par exemple une famille et un sous-locataire occupant une pièce de la maison ou de l’appartement sans qu’il y ait partage). Au contraire, dans la définition ménage-habitation, le logement ne contient qu’un ménage. Pour les pays ayant retenu cette dernière définition (dont la France), l’ONU recommande de comptabiliser les ménages privés d’après la définition du ménage-foyer, ou d’en donner une estimation.
A travers le concept de ménage-logement, on poursuit en fait trois objectifs :
– décrire le parc de logements en distinguant les résidences principales, les résidences secondaires et les logements vacants dans les différents recensements, afin de suivre l’évolution du confort des logements ou encore l’évolution des statuts d’occupation (par exemple la diffusion de la propriété au sein des catégories sociales). Ce souci de description du parc de logements est relativement récent, et ce n’est que depuis 1946 que l’on dispose de statistiques fines sur les logements et les ménages. En fait, le problème du logement ouvrier du siècle dernier a influencé fortement l’élaboration des statistiques et justifié l’identité ménage-logement ;
– trouver l’unité pertinente de décision au sein d’un groupe d’individus pour pouvoir étudier la façon dont les choix s’opèrent en matière de logement, d’équipement en biens durables et de consommation. Le ménage est donc défini en économie à partir de la notion d’unité de consommation qui tient compte non seulement de la taille du ménage mais également de l’âge de ses membres ;
– décrire le système familial dans le but de cerner « cette famille insaisissable » dans les statistiques. Pour cela, on cherchera à identifier dans le ménage les différents types de familles qu’il peut inclure, en définissant les liens entre les différents membres du ménage et son chef.
Si ce concept paraît simple (un ménage = un logement), il est également trompeur car il cache, sous une certaine évidence, une complexité que l’on a parfois tendance à oublier. Aussi est-il nécessaire de préciser son usage afin d’éviter des glissements sémantiques. Le concept de ménage permet d’atteindre le premier objectif qui est décrire le parc de logements, et aussi, dans une moindre mesure, le second, celui de cerner l’unité de consommation pertinente. Par contre, il paraît peu adéquat pour saisir la famille, en la réduisant à une dimension atomiste et instantanée.

Une unité encore pertinente ?

On peut alors se demander si, avec l’évolution familiale, le ménage reste l’unité pertinente de décision. En effet, avec les divorces, les séparations, les phénomènes de décohabitation de plus en plus complexes, le concept statistique de ménage s’écarte de plus en plus de la réalité familiale et sociale qu’il est censé décrire. Par ailleurs, de nouvelles pratiques résidentielles émergent, notamment la multilocalité (enfants de divorcés, semi-cohabitants, couples séparés géographiquement pour raison professionnelles ou autre…), qui remettent en cause l’unité de l’appartenance des individus à un ménage et un seul et brouillent ainsi l’identité ménage logement.
En dépit des critiques que l’on peut adresser au concept du ménage, et sans doute parce que “l’on n’a pas trouvé mieux ou moins mauvais”, “ le concept de ménage reste opératoire, particulièrement pour l’étude du logement et pour l’analyse et la prévision des besoins en logement passés et à venir. Il reste pertinent tant que l’on s’en tient à la liaison mécanique ménages-logement. En revanche, il paraît moins adapté lorsque l’on cherche à cerner les comportements à l’égard de l’habitat.

Catherine Bonvalet et Denise Arbonville

cohabitation, décohabitation, demande, famille, unité de consommation, « Evolution de la famille et mode d’habiter : les grandes évolutions depuis les années cinquante »

Auteur/autrice