Ilot 

L’îlot est en urbanisme le fragment urbain délimité par un certain nombre de voies qui en définissent en même temps la forme. Il existe ainsi des îlots réguliers et irréguliers dont l’assemblage influe fortement sur la forme urbaine. Il s’agit en réalité d’une figure ancienne (l’insula de la Rome antique) et importante, dont le dessin, les dimensions, la division interne en parcelles et l’occupation construite et non construite ont des incidences considérables sur l’habitabilité des quartiers.

Ainsi largeur et profondeur des parcelles se définissent en relation avec la typologie des édifices (qui, elle-même, résulte des modes d’habiter) et de la morphologie des îlots. Dans la ville traditionnelle, classique et haussmannienne, les constructions sont alignées sur les voies, qui sont soumises à une police urbaine, cependant que l’occupation interne de l’îlot est laissée à l’initiative privée. L’insalubrité en a été la conséquence, les cours intérieures se transformant, du fait de l’addition de constructions diverses, en puits étroits laissant à peine pénétrer la lumière. L’haussmannisation, sous certains aspects, et à l’occasion de la réalisation des percées, agit dans le sens d’une régularisation des îlots et d’une distribution parcellaire plus rationnelle. Le type de l’immeuble haussmannien participe de ce processus en conciliant la distribution des appartements, la hiérarchie de leurs accès (entrée principale, entrée de service), l’orientation des pièces (sur la rue ou sur la cour) à une association des cours intérieures appartenant à des parcelles voisines, de telle sorte que l’intérieur des îlots ménage une circulation de l’air et une pénétration du soleil maximales.
En 1867, l’urbaniste espagnol Ildefonso Cerdà développe plus avant cette orientation : il conçoit et réalise, pour le plan d’extension de Barcelone (Ensanche), un îlot rigoureusement carré, de 113 M x 113 M, simplement tronqué dans ses angles pour faciliter la bonne visibilité des croisements de rue. Dans leur tracé initial, ces « intervoies », comme Cerdà appelle ses îlots, sont libres de construction sur deux de leurs quatre côtés. Elles n’échapperont pourtant pas à la densification, comme on le remarque aisément aujourd’hui.
Avec la découverte par Koch de l’effet de l’ensoleillement sur la régression du bacille de la tuberculose, le critère d’exposition prendra une importance encore plus grande et suscitera, notamment lors du concours de la Fondation Rothschild pour l’immeuble HBM de la rue de Prague, à Paris, en 1904, la configuration de « cour ouverte » proposée par l’architecte Augustin Rey. L’îlot triangulaire (5600 m2), destiné à cette opération de 321 logements, initialement découpé en plusieurs parcelles, se présente d’un seul tenant et des brèches ouvertes dans des immeubles strictement alignés sur la rue ménagent la pénétration des rayons du soleil.
Malgré ces recherches, mises aussi en application pour les HBM de l’ancienne ceinture des fortifications, Le Corbusier dénonce ces « îlots de taudis » et leurs « rues corridors », et fera de l’abandon de l’alignement, au nom de l’hygiène, l’un des principes importants de la Charte d’Athènes de 1933 (points 17 et 27). Les constructions, selon cette règle, doivent s’élever au cœur de l’îlot, ce qui a un double effet. L’abandon de l’alignement tend d’abord à faire disparaître la séparation entre espace public et espace privé, autrefois clairement structurée par l’alignement des immeubles. Ensuite la rue urbaine, qui disposait d’un profil fortement déterminé par l’élévation des immeubles qui la bordaient et l’interface de fonctions sociales qui l’accompagnait (commerces, entrées d’immeubles destinés à l’habitation…) voit ses attributions se réduire à celles de la seule circulation des véhicules, appauvrissant ainsi la richesse d’espace public urbain qui caractérisait antérieurement la rue en ville. Au cours des années 70 Henri Lefebvre a vigoureusement dénoncé cette perte de sens et inspiré tout un courant de recherche, tant fondamental qu’expérimental, sur ce que l’on a plus tard appelé l’ « architecture urbaine ».
Un ouvrage comme « Formes urbaines : de l’îlot à la barre » (Panerai, Castex, Depaule, 1977) a montré, dans le domaine architectural, les étapes de l’effacement de l’îlot au profit du bâtiment solitaire qu’incarne bien la Cité Radieuse de Le Corbusier. Ce type de recherche historique montre notamment comment, dans la perspective d’industrialisation qui est celle des modernes, la barre est une forme architecturale qui élude le type d’édifice complexe qu’est, dans l’îlot, l’immeuble d’angle.
Cette réflexion faisait aussi écho aux « luttes urbaines » engagées dans les quartiers anciens voués à ce que l’on a bientôt appelé dans les milieux militants la « rénovation bulldozer ».  S’intéressant à l’îlot insalubre n°4 du quartier de la Place d’Italie en rénovation à Paris, le sociologue Henri Coing, en 1966, avait ainsi mis en évidence l’étendue du « changement social » induit par la substitution d’un urbanisme de barre à un urbanisme d’îlot.
Puisant à ce double mouvement, l’idée de la « réhabilitation » des immeubles des quartiers anciens trouve les arguments théoriques et les moyens de sa réalisation pratique, fortement inspirée par l’expérience italienne de Bologne. Cette ville, dès 1969, préférant la « conservation » à l’extension et renonçant ainsi à accroître son périmètre, s’engagea dans la reconquête de son centre dégradé.
Mais cette redécouverte des « vertus » de l’îlot ne se limita pas à la ville ancienne.
Dans ces mêmes années 70, des expérimentations et des concours comme la 7e session du PAN (Programme Architecture Nouvelle), dont le jury fut présidé par l’architecte Bernard Huet, firent apparaître un certain retour de l’îlot dans la conception des opérations neuves. C’est notamment cette voie que trace le projet lauréat de Christian de Portzamparc, intitulé « architecturer la ville ». Cet architecte a depuis enrichi sa réflexion en formulant son concept de l’« îlot libre » ou de l’« îlot ouvert » : il l’a en particulier appliqué dans le quartier Masséna à Paris. Dans cette opération, représentative de tentatives nombreuses d’autres architectes, en France et en Europe, de Portzamparc s’efforce de concilier le maintien de l’alignement sur la rue et la respiration des immeubles implantés dans un îlot généreusement arboré, alors que bien d’autres réalisations sont, pour leur part, revenues vers une forme d’îlot assez directement inspirée de l’îlot de la ville classique.

Daniel Pinson
Mars 2015

Immeuble, réhabilitation, rénovation

 

Auteur/autrice