Lees Johanna

Auteur/e

Lees Johanna

Discipline

Géographie

Titre

Ethnographier la précarité énergétique : au-delà de l’action publique, des mises à l’épreuve de l’habiter

Université

Marseille, EHESS

Date de soutenance

12/09/2014

Directeur/trice de thèse

Suzanne de Cheveigné, Florence Bouillon

Résumé

A l’intersection des secteurs du logement, du social et de l'environnement, la « précarité énergétique » est un problème public inscrit depuis quelques années à l’agenda politique en France. Au début de ce travail, si le terme de « précarité énergétique » avait essaimé dans divers champs - action publique, recherche-action, monde associatif- les situations réelles auxquelles cette notion réfère demeuraient largement méconnues. L'objectif de cette thèse a dès lors été de requalifier la notion de précarité énergétique à partir des expériences des personnes concernées et, partant, d'analyser les ressorts de l’action publique dans le domaine. La thèse est organisée en trois parties. Une première est une analyse de l’émergence du problème public dans le contexte contemporain, en France et en Grande Bretagne, fondée principalement sur une étude de la littérature et des entretiens d'acteurs locaux. Une seconde partie s'appuie sur l’enquête ethnographique et vise à comprendre ce que signifie « habiter » en situation de précarité énergétique et, plus encore, « être habité » par la précarité énergétique, du point de vue des familles concernées. Enfin, une troisième partie, toujours basée sur le travail ethnographique, aborde les relations des enquêtés avec les fournisseurs d’énergie, les syndicats de copropriétés, les propriétaires bailleurs mais aussi avec l’État, en tant que bénéficiaires des dispositifs d’action publique en matière de lutte contre la précarité énergétique. Elle vise ainsi à établir une anthropologie des rapports entretenus par les milieux de la grande pauvreté à l’État, rapports qui seront décrits et analysés « par le bas ».

Principales conclusions

Le premier apport de ma thèse est de retracer la genèse de la catégorie précarité énergétique et de dévoiler la manière dont l’action publique définit des situations, catégorise des publics et décide de bénéficiaires. Je montre alors, que le problème de l’inégalité d’accès à l’énergie, construit à l’occasion de l’ouverture à la concurrence du marché de l’énergie en France, relève de la question sociale, notamment parce qu’il s’inscrit dans un contexte de paupérisation de la société, et de difficultés sur le plan macro sociale pour se loger. C’est pourtant dans le champ de l’environnement que la précarité énergétique va être reconnue à l’échelle politique. Ce qui témoigne d’un mouvement plus large à l’œuvre dans les politiques publiques : celui de l’écologisation du social. Dans cette perspective, pour être pris en charge, un problème doit concerner l’environnement. Ce qui, du point de vue de la situation écologique catastrophique d’aujourd’hui peut apparaître comme politiquement pertinent. Néanmoins, ce mouvement, dans le cas de la précarité énergétique, participe d’une euphémisation de la question sociale : la précarité énergétique n’est en effet pas pensée comme une forme d’inégalité environnementale et, par ailleurs les dispositifs d’action publique pour traiter le problème sont d’une envergure relative. Si quelques programmes décident de la rénovation thermique, les résultats sont encore faibles. L’ethnographie des familles, atteste par ailleurs, que ces dispositifs ne règlent pas au fondement du problème éprouvé : la pauvreté et les difficultés face au logement.
Le second résultat de ma thèse est, par le biais de l’ethnographie, de documenter les situations attenantes à la précarité énergétique en leur donnant l’épaisseur de l’expérience. Ce qui permet de complexifier ces différentes figures par rapport aux définitions législatives ou aux indicateurs à l’œuvre. Ainsi, bien au-delà des difficultés à payer les factures ou à accéder au confort thermique, connaître la précarité énergétique, c’est être en prise avec le danger et la peur lorsque les installations électriques sont défectueuses, à la honte liée par exemple aux difficultés pour veiller à son hygiène, ou encore devoir régler ses déplacements et donc ses activités journalières en fonction de l'état de marche des ascenseurs. Comprendre la précarité énergétique, c’est alors considérer l’ensemble de ces dimensions, souvent invisibles. L’approche par l’habiter permet de saisir ces invisibles et interroge le rapport au monde des personnes concernées. En distinguant 3 fonctions essentielles de l’habiter : la protection, le maintien de soi et la permanence dans le temps, j’ai pu montrer que les figures de la précarité énergétique mettaient à l’épreuve d’habiter.  Être en situation de précarité énergétique c’est avoir froid et ne pouvoir se protéger de la menace extérieur,
C’est aussi voir la continuité de son existence quotidienne sans cesse malmenée par des petites ruptures qui durent : les fuites d’eau qui se répètent, les coupures d’énergie, et les pannes d’ascenseurs. C’est enfin veiller difficilement au maintien de soi face à un habitat qui peut être vécu comme dégradant.
Ma thèse, et c’est là un troisième résultat, participe d’une critique de l’action publique grâce à la méthode ethnographique. Dans cette perspective, il s’agit de saisir les relations au travers desquelles l’action publique se réalise et l’Etat se matérialise. l’un des apports central de ce travail relève du fait que la question de l’expérience de la précarité énergétique ne peut se saisir qu’à travers un ensemble de relations : des habitants avec leur logement, mais aussi des usagers avec les fournisseurs d’énergie et avec l’Etat et des citoyens entre eux. Ainsi, il a été montré de quelle manière la fréquentation des dispositifs d’action publique construit un certain rapport au corps social et politique pour les habitants de ces logements dégradés. L’Etat est ainsi jugé tour à tour inutile, discrétionnaire, intrusif dans ses actions. L’ethnographie témoigne également d’une forme de politisation des enquêtés qui établissent des discours politiques sur le fonctionnement de l’aide sociale et qui, dans bien des cas, rejoignent les travaux sociologiques sur le travail social.
En outre, l’analyse de ce que j’ai nommé le « système généralisé de l’arnaque » à l’échelle des grandes copropriétés dégradées  montre que, sur ces territoires objets d'un ensemble de discours relatifs à la criminalité, la "magouille" et la délinquance sont également le fait d’acteurs moins attendus comme les propriétaires privés, les fournisseurs d’énergie, les syndics mais aussi l’État.

Mots-clés

Habiter, précarité énergétique, pauvreté, logement, Marseille, énergie

Accès en ligne

https://halshs.archives-ouvertes.fr/tel-01117039

Articles/WP liés à la thèse

- Lees, (2016), « Quand la vulnérabilité autorise l’exploitation : l’arnaque, une pratique ordinaire en copropriétés dégradées », Métropolitiques, 24 février 2016. URL : http://www.metropolitiques.eu/Quand-la-vulnerabilite-autorise-l.html
- Lees J., F. Bouillon, S. Musso, S. de Cheveigné, 2015, « La précarité énergétique : Enquête sur une nouvelle catégorie d’action publique », in Sociologie de l’énergie. Gouvernance de l’énergie et pratiques sociales, dir. C. Beslay et M-C Zelem, CNRS éditions, coll Alpha, Paris, 476 p.
- Bouillon F., S. Musso, J. Lees, S. De Cheveigné., 2015, « Repérer et vivre la précarité énergétique en ville », Annales de la recherche urbaine, n°110, pp 88-97
- Lees J., 2014, «Les copropriétés dégradées de l’après-guerre à Marseille : un nouvel habitat social de fait »,  Espaces et société, n°156-157, pp 69-81

CV

http://lassa-org.fr/chercheurs-formateurs/johanna-lees-socio-anthropologue/

Auteur/autrice