Quand le droit naît de la pratique : le contrat de construction d’une maison individuelle

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S’il est habituel et souvent très vrai de considérer le droit comme un marqueur décalé de la réalité économique et sociale, le « contrat de construction d’une maison individuelle », selon son appellation officielle du Code de la construction et de l’habitation (CCH art. L.231-1 et suivants), est peut-être un cas à part tant sa naissance et son développement se sont forgés sous l’emprise d’une profession, de son exercice et de ses pratiques.

Contrat de construction et vente d’immeuble à construire : enjeux identiques mais traductions juridiques différentes de la sécurisation du consommateur

La loi d’orientation foncière de 1967 avait ouvert la voie de la sécurisation de l’acquéreur, qui n’était pas encore devenu un consommateur de biens immobiliers, en réglementant la vente de logements neufs (réglementation de la vente d’immeubles à construire codifiée au CCH aux articles L. 261-1 et suivants), mais avec un enjeu qui restait lié à la nature professionnelle du maître d’ouvrage qu’est le promoteur.
Il s’agissait, en s’appuyant sur les principes du contrat de vente tels qu’édictés par le Code Civil, de permettre au professionnel de percevoir des fonds avant la livraison de l’immeuble tout en sécurisant l’acquéreur. La solution retenue fut la sécurisation par la forme du contrat, en l’occurrence un contrat notarié, et par le mode de garantie des fonds versés avant la livraison, garantie intrinsèque consistant en des versements inférieurs aux avances de fonds réellement consentis par le professionnel ou garantie extrinsèque nécessitant l’engagement d’un tiers (banque, établissement financier ou entreprise d’assurance).
En matière de construction de maisons individuelles, la solution de problèmes identiques (perception de fonds avant la réception des travaux et sécurisation de la livraison du bien pour le consommateur), devait tenir compte de contraintes particulières en raison de la nature même du maître d’ouvrage, particulier faisant construire, et du contrat envisagé pour le faire, contrat d’entreprise se déroulant dans le temps à l’inverse de l’instantanéité du contrat de vente source de la vente d’immeuble à construire.
Le caractère non professionnel du maître d’ouvrage, souvent modeste, faisant construire sa maison, a certainement pesé pour écarter le recours au contrat notarié vecteur de coûts spécifiques. Plus fondamentalement c’est la nature même du contrat qui a orienté l’architecture du contrat de construction d’une maison individuelle. S’agissant d’un contrat d’entreprise, son objet n’est pas de transférer la propriété, mais de régir l’intervention de celui qui construit sur le terrain acquis au préalable par le maître d’ouvrage. La sécurisation de la vente immobilière via le contrat notarié est dévolue à l’achat préalable du terrain, mais pas au contrat de construction lui-même puisque la propriété du bien construit se fait non par la vente, mais par l’incorporation des matériaux au terrain dont l’acte d’achat notarié a été antérieur (Code Civil art. 553).

De la séduction commerciale à la sécurisation du consommateur

Inscrit dans l’environnement économique favorable des « trente glorieuses » le développement de masse de la construction de maisons a trouvé ses fondations solides dans une approche en phase avec les attentes d’un consommateur qui souhaitait et qui souhaite toujours lever trois inconnues qui sont autant d’angoisses dans son ambition de devenir propriétaire d’une maison : quelle maison, pour quel prix et dans quel délai ?
Le succès de l’approche des constructeurs a été de répondre à ces attentes en désignant, au service du consommateur, un référent unique pour mener à bien l’opération et en proposant un catalogue de typologies de maisons, un prix affiché clés en mains et un délai.
En s’imposant comme le seul interlocuteur, il levait l’angoisse et la difficulté du choix et de la coordination de l’ensemble des intervenants, il séduisait par une offre de modèles et de prix variés et modulés selon les revenus du client et il affichait la promesse d’une livraison à date convenue.
La difficulté est que cette approche relevait d’une promesse faite dans un contrat peu réglementé (article 45-1 de la loi du 16 juillet 1971) et dont le régime dépendait grandement des articles du Code Civil (louage d’ouvrage), donc de peu de secours pour un consommateur démuni de la force d’une protection juridique dite d’ordre public.
Si la loi du contrat était la loi des parties, imposer son respect à un professionnel défaillant s’est avéré un exercice difficile, aléatoire et souvent coûteux par la nécessité d’un parcours judiciaire.
Les difficultés du marché de la maison individuelle à partir des années 1980 ont mis en lumière l’insuffisance des garanties contractuelles et surtout l’absence d’un mécanisme de protection en cas de défaillance totale du constructeur. Le rapport du Sénateur Laucournet, précédant l’adoption de la loi du 19 décembre 1990 qui allait définir le nouveau régime d’ordre public du « contrat de construction d’une maison individuelle », pointait en 1989 quatre mille chantiers inachevés pour cause de liquidation judiciaire de l’entreprise de construction.

Fondements de la loi du 19 décembre 1990

Dans une approche pragmatique, le législateur de 1990 a repris ce qui faisait le succès de l’approche d’ensemblier des constructeurs en sécurisant, par l’ordre public de protection, les trois piliers de l’offre (description du bien, prix et délai de livraison) et en ajoutant celui dont le manque cruel s’était révélé lors de la chute du marché et de la défaillance des entreprises : la garantie de livraison par un tiers au contrat.
Voilà donc un texte de droit qui sanctuarise un mode d’exercice professionnel qui s’est façonné au gré du développement d’un marché en corrigeant les dérives de pratiques préjudiciables à la sécurité du consommateur. On pourrait ainsi affirmer que ce texte est la vision en creux des succès commerciaux d’une profession tout autant que de certaines de ses turpitudes passées et heureusement oubliées aujourd’hui.
Qu’impose ce texte désormais codifié aux articles L .231-1 (contrat avec fourniture du plan) et L.232-1 (contrat sans fourniture de plan) du CCH ?

  • de s’appliquer à toute personne qui se charge de la construction d’une maison (thème du référent unique qui prend en charge l’entière opération face à un maître d’ouvrage particulier),
  • de décrire précisément le projet avec le concours d’une notice descriptive précise (quelle maison),
  • d’indiquer le prix global en distinguant le coût des travaux exécutés par le constructeur et le coût des travaux réservés par le client (quel prix),
  • d’indiquer le délai d’exécution des travaux et les pénalités en cas de retard de livraison (quel délai),
  • de justifier de la souscription d’une garantie de livraison.

La précision de la loi, son caractère d’ordre public de protection qui interdit toute dérogation contractuelle et l’édition de clauses types et d’une notice descriptive type laissent une très faible part à la liberté de rédaction contractuelle. Au bénéfice du consommateur sans aucun doute mais au préjudice de l’adaptation nécessaire de la profession et des attentes nouvelles des consommateurs.

Le système de la garantie de livraison : sécurité des consommateurs, professionnalisation des acteurs mais verrou d’accès

L’apport majeur de la loi a été, tant pour les consommateurs que pour les professionnels, le caractère obligatoire de la « garantie de livraison à prix et délai convenus » codifiée à l’article L.231-6 du CCH. Caractère obligatoire d’une garantie exclusivement extrinsèque, par intervention d’un tiers se portant caution, qui n’est venu que tardivement dans le cas du contrat de vente d’immeuble à construire (ordonnance du 3 octobre 2013 applicable aux opérations pour lesquelles la demande de permis a été déposée à compter du 1er janvier 2015).
Apport positif pour le consommateur qui, malgré la défaillance du constructeur, a la certitude de voir sa maison terminée au prix convenu et conformément aux prestations contractuelles prévues. La faiblesse de l’ancien système que pointait le rapport Laucournet a été parfaitement corrigée et on peut observer que, dans le contexte actuel de forte dépression du marché, le système fonctionne de façon très satisfaisante.
Apport positif pour le professionnel qui, pour bénéficier de cette garantie obtenue auprès d’un tiers (assureur spécialisé la plupart du temps), doit d’astreindre à une gestion rigoureuse avec le respect des fondamentaux financiers et organisationnels du métier. En souhaitant que le garant devienne « constructeur à la place du constructeur défaillant » le législateur a inventé une garantie puissante et dépassant un cautionnement traditionnel. La jurisprudence, en confirmant le caractère « sui generis » de cette caution, quelquefois avec excès, a largement incité les garants à une sélection rigoureuse des professionnels et cette sélection opérée, à un accompagnement et à une vigilance quant à l’évolution de la gestion des entreprises qui bénéficient ainsi d’un encadrement déjouant les comportements déviants. La profession en a tiré profit, comme en témoigne la résistance remarquable de ses entreprises aux aléas du marché avec un nombre de défaillances très limité.
Mais cette hyper sélectivité a eu une conséquence prévisible : la profession de « constructeur loi de 1990 », soumise à un droit d’entrée, a laissé exister en dehors de la loi, pourtant d’ordre public, nombre d’opérateurs à l’exercice non réglementé (artisans, maîtres d’œuvre non architectes…) et le rêve initial de voir la production de maisons interdite à d’autres intervenants que ceux de la loi de 1990 n’est bien sûr jamais devenu réalité. La conséquence en est une concurrence inégale entre opérateurs garantis et autres opérateurs qui n’ont pas à intégrer dans le prix de leur offre le coût des garanties obligatoire de la loi de 1990 (garantie de livraison, assurance dommages-ouvrage etc.).
Le rôle de gendarme de la loi confié aux prêteurs fonctionne de manière imparfaite, même si son efficacité s’accroit pour éviter l’intervention d’opérateurs qui se présentent commercialement au client comme se chargeant de l’entière opération alors qu’ils n’apportent aucunes des garanties exigées par le contrat de construction.
Le choix stratégique des garants dans leur politique d’offre plus ou moins restrictive conduit à un effet de vases communicants : plus ils sont restrictifs et plus ils laissent des opérateurs en dehors du système, notamment les entreprises en création ce qui ne favorise pas le renouvellement de la profession.
Toutefois, plus ils seraient laxistes, en ouvrant largement le droit d’entrée avec très peu de sélectivité, mieux la loi de 1990 serait respectée en termes de nombre d’opérateurs mais au risque de voir le nombre de défaillances de constructeurs augmenter, avec pour conséquence une fragilisation de leur activité de garant. La garantie de livraison et les opérateurs qui la délivrent constituent le dispositif central de fonctionnement de la loi et les choix qu’ils sont amenés à faire dans leur politique d’offre pèsent forcément sur l’équilibre même de l’édifice « loi de 1990 ».
On doit ajouter cependant que la tentation du laxisme est culturellement assez étrangère au fonctionnement des garants qui tiennent le marché de façon majoritaire et que les règles prudentielles qui leur sont imposées (rapport entre les engagements et les fonds propres) limitent d’autant ce risque.
La « maison loi de 1990 » est donc bien tenue côté garants, mais nettement moins bien côté pouvoirs publics qui sont peu actifs pour effectuer un contrôle efficace de la bonne application de la loi et activer l’arsenal de sanctions pénales prévu par le texte.

En guise de conclusion

Comme tous les acteurs d’une profession « réglementée » dont les contours ont été façonnés à sa main, les constructeurs subissent aujourd’hui les assauts de nouvelles tendances de consommation avec la montée en puissance de consommateurs de plus en plus « intervenants » alors que le schéma initial était celui d’un professionnel agissant en lieu et pour le compte du client en vertu d’un contrat qui peut s’apparenter à un mandat global. Le contrat de construction et le contrat de promotion, même s’ils sont de nature juridique différente, vu sous l’œil du juriste, ont ainsi beaucoup de similitude « sociologique » en ce sens que le professionnel s’est organisé pour répondre à une demande du consommateur de le suppléer dans toutes les démarches administratives et techniques jusqu’à la remise des clés. Si au regard des catégories juridiques du Code Civil le contrat de construction reste un contrat d’entreprise et le contrat de promotion s’articule autour de la notion de mandat, l’approche du consommateur reste la même : lui offrir un service global et l’aider dans ses démarches.
Le contrat de construction d’une maison individuelle aura ainsi à faire face à de nouveaux enjeux qui nécessiteront sans aucun doute sa réforme en tenant compte des nécessités suivantes :

  • adaptation à l’industrialisation de la construction alors qu’il est bâti sur un schéma de chantier traditionnel se déroulant sur un temps long et avec un échelonnent des paiements liés à l’intervention successive de corps d’état traditionnels ;
  • amélioration de la définition des conditions de partage de l’intervention du client qui souhaite faire des travaux lui-même
  • reconnaissance du rôle du constructeur dans son activité d’intermédiaire en fourniture de foncier sans tomber dans les obligations de la loi Hoguet ;
  • limitation du formalisme juridique qui favorise aujourd’hui des actions en nullité d’opportunité ;
  • harmonisation des délais et régimes des facultés de rétractation en faveur du consommateur, rendus très complexes et illisibles avec l’empilement de plusieurs législations, la dernière en date étant la loi Hamon ;
  • réforme de la notice descriptive pour tenir compte de l’évolution des techniques constructives et des approches transversales des métiers,

cette liste n’étant bien sûr pas exhaustive.
Née et écrite en tenant compte des modes de faire des professionnels et des attentes des consommateurs, la loi doit donc évoluer sous peine de voir le droit s’éloigner de plus en plus de la réalité et donner raison à Giraudoux quand il fustigeait les juristes dans la « Guerre de Troie n’aura pas lieu » en faisant dire à Hector :« Nous savons tous ici que le droit est la plus puissante des écoles de l’imagination. Jamais poète n’a interprété aussi librement la nature qu’un juriste la réalité ».

Auteur/autrice

  • Dominique Duperret

    Secrétaire général de l’Union des Maisons Françaises depuis 2000 après en avoir été le directeur des affaires juridiques, il a été chargé de mission à l’ANIL de 1986 à 1994, responsable de la formation des juristes du réseau ADIL. Il A participé à l’écriture du premier rapport sur l’application de la loi de 1990 commandé à l’ANIL par le Ministère du Logement en 1992.

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