Dix années de politiques du logement britanniques : le tournant néo-conservateur
Dossier coordonné par William Le Goff
Un bilan des dix dernières années de politique du logement au Royaume-Uni constitue une analyse inédite pour le lecteur francophone. Or la crise économique brutale de 2008 marque un coup d’arrêt à l’inflation du marché résidentiel qui a perturbé le Royaume-Uni entre la fin des années 1990 et le début des années 2000. Relevons ce paradoxe : pays comparable en termes de population, de développement économique, sa politique du logement nous reste mal connue. Notons aussi que les objectifs ainsi que les mesures prises en matière de logement entre 2007 et 2016 semblent se distinguer fortement selon le parti politique au pouvoir. Gordon Brown apporte une réponse « néo-keynésienne » à la crise tandis que les gouvernements de David Cameron mettent en place une véritable politique conservatrice du logement, en insistant sur l’accession à la propriété et le démantèlement du parc social. Ces orientations très marquées politiquement contrastent avec la situation française où règne une forme de consensus politique : le droit au logement opposable est institué en 2007 par la droite, qui ne remet pas profondément en cause les obligations de construction de logements sociaux imposées aux collectivités locales par la loi SRU. Enfin, le soutien à l’accession à la propriété ou le développement du parc privé, en particulier via de nombreux dispositifs fiscaux, illustrent cet apparent consensus politique.
Ce « détour par la Grande-Bretagne » doit néanmoins se lire en soulignant tout d’abord trois éléments de contexte fondamentaux. Le premier est que l’Angleterre demeure un pays très centralisé. La quasi-totalité des dépenses relatives au logement relève de dépenses du gouvernement central. Le « localisme » promu par David Cameron constitue ainsi une vraie rupture dans ce pays historiquement centralisé (voir article Du néo-keynésianisme post-crise au localisme). Le deuxième élément concerne l’organisation du Royaume-Uni (Angleterre, Pays de Galles, Ecosse et Irlande du Nord). Cette dernière met en œuvre depuis 1998 un processus puissant d’autonomisation des nations qui la composent : cette « devolution » concerne avant tout l’Ecosse et elle permet ainsi que chaque pays mène sa propre politique du logement. L’Ecosse s’oppose ainsi à la vente des logements sociaux à leur locataire.
Enfin, le dernier élément concerne le faible niveau structurel de construction de la Grande-Bretagne (et de l’Angleterre). Cet élément explique en partie la tension qui s’exprime sur le marché de l’immobilier où les prix atteignent des sommets en zone tendue, en particulier dans l’agglomération londonienne. Ce faible niveau de construction est imputable aux attaques successives qu’a subi le secteur locatif social (voir article La consolidation conservatrice en matière d’aides et de logement social).
Ce dossier comporte trois articles qui s’articulent les uns par rapport aux autres : leurs contenus se complètent et constituent un ensemble dont l’ambition est d’aborder l’ensemble du champ des politiques du logement.
Le premier article cadre les principaux éléments du dossier : Gordon Brown arrive au pouvoir au moment où le marché immobilier passe du boom à la crise. La réaction du Premier Ministre à cette dernière peut-être qualifiée de « néo-keynésienne ». De puissants dispositifs sont mis en place pour soutenir le marché en période de crise. Puis l’arrivée au pouvoir des conservateurs et des libéraux démocrates (gouvernement dits de la coalition) est marquée par la redéfinition de la notion de « logement abordable » et une réforme des institutions publiques qui promeut le « localisme ». Le bilan de la « coalition » en matière de logement est enfin développé.
Le deuxième article précise les mesures prises pour répondre à la priorité des gouvernements Cameron, à savoir « l’extension du domaine de la propriété privée », en accession comme en location. Il s’agit de décrire les dispositifs mis en place (aide aux maires bâtisseurs, prêts à taux zéro, garantie d’emprunt, etc.) pour relancer l’accession à la propriété, mais aussi inciter les investisseurs institutionnels à développer une offre locative privée. Le bilan de ces dispositifs demeure mitigé.
Le troisième article porte sur la consolidation conservatrice en matière de logement, à l’heure où Cameron détient la majorité à la chambre des députés. L’inflexion conservatrice est sensible en matière de logement social (durcissement de la notion de « logement abordable »). L’article souligne les transformations des aides à la personne qui bénéficient aux locataires du parc privé comme à ceux du parc public. L’analyse décrit ensuite l’affaiblissement du secteur locatif social à travers la mise en œuvre des dispositifs que sont la remise en cause du droit au maintien dans les lieux, l’augmentation des loyers et l’extension du right to buy au secteur associatif.