Défense et illustration des aides au logement
À l’aune des comparaisons internationales, la France a un parc de logements abondant, premier producteur européen de logements tant en chiffres absolus que relatifs à sa population. Et pourtant les débats autour de la production de logement, son occupation, sa facilité ou difficulté d’accès pour les nouveaux ménages sont toujours vifs, souvent focalisés sur la situation francilienne.
A côté d’une dominante de propriétaires occupants (58%) il existe un parc locatif social (17%) et un parc locatif privé. Ces trois composantes de l’offre sont inégalement réparties sur les territoires, mais elles existent. Ce n’est pas le cas dans des pays voisins où certaines font défaut. Et de l’Espagne à la Grande Bretagne, nombre d’analyses insistent sur la nécessité de développer une offre locative, et locative sociale.
Un riche appareil statistique fournit nombre de données sur le logement. Encore faut-il les lire sans idéologies préconçues. Diverses critiques des dispositifs français, émanant tantôt de milieux ultra-libéraux (comme la publication de l’IFRAP « stopper la production de logement sociaux »), tantôt d’autres milieux opposés aux aides à l’offre privée, peuvent conduire à affaiblir les différentes filières de production de logement donc à accroître les déséquilibres qu’elles prétendent dénoncer. Ces idées fausses sont étayées par des chiffres picorés sélectivement sans vision d’ensemble. Il est utile de comprendre les erreurs les plus fréquentes dans l’interprétation des chiffres pour saisir les véritables enjeux des politiques du logement.
Une mobilisation particulièrement productive de l’épargne privée grâce au fonds d’épargne
Une erreur usuelle sur le financement du logement social est d’évoquer « l’immobilisation de l’épargne des Français ». Sur les 357 milliards déposés (volontairement) par les épargnants sur leurs livrets A (au 31/12/2015), deux tiers, soit 238 Md €, sont centralisés dans le Fonds d’épargne. Cela représente moins de 6% de l’épargne financière des ménages (238 Md € /4 460 Md €). La part de dette à long terme (150 Md € de prêts au logement social et à la politique de la ville) représente moins de 3,3%, c’est donc une dette qui, via le parc social, contribue à loger 10 millions de personnes. En outre, le solde du fonds d’épargne est investi dans des actifs financiers liquides, donc dans l’économie de marché. Il en est de même pour le tiers des fonds d’épargne conservé par les banques gérant le livret A.
Depuis 120 ans (premier prêt au logement social en novembre 1896) que fut mis en place le financement par prêts sur fonds d’épargne, il n’a pas privé l’économie nationale de ressources financières. Il n’est pas sérieux de critiquer « une immobilisation de l’épargne » portant sur 3,3% de l’épargne financière des ménages.
Un effort national raisonnable en matière de logement
La politique du logement ne « coûte » pas 2,3% de PIB (ou 1,9%, cela dépend des années…), elle représente un équivalent de 2,3% du PIB. Les Comptes du logement nous fournissent ces estimations. Dire que la France dépense 40 Md€ pour sa politique du logement est inexact. Cette formulation sous-entend pour la plupart des gens une dépense au sens comptable. Il s’agit en fait d’une agrégation de vraies dépenses budgétaires (25Md€) avec des montants estimés qui ne correspondent pas à des décaissements, ou seulement en partie et étalés dans le temps, soit enfin avec des « non recettes » fiscales, estimées et parfois virtuelles.
Le terme correct est « l’effort public ». En effet, il inclut des avantages conférés, dispositifs qui ne coûtent rien au contribuable mais induisent une économie pour le bénéficiaire par rapport à un mécanisme de marché ordinaire. Ainsi les prêts au logement social, accordés sur des fonds privés, représentent un avantage, par rapport à des prêts de marché (prêts théoriques à 40 ans) estimé à environ 1,5 Md€. Sans logement social, cet avantage disparait mais il n’apparaitra nulle économie pour les finances publiques.
Il n’y aucune dépense publique dans ces prêts sur fonds privés. En fait, la gestion du Fonds d’Épargne est bénéficiaire. Son résultat est reversé à l’État au titre de la garantie qu’il accorde (en cas de demandes soudaines de remboursement). Ainsi le versement 2015 au profit de l’Etat (donc du contribuable) fut de 715 M€.
D’autres avantages fiscaux, comme la TVA réduite pour les HLM, sont des dépenses fiscales, c’est-à-dire des recettes non perçues par rapport à la règle de droit commun. Supprimer cette dépense fiscale est facile, il suffit de ne plus construire de HLM, soit 100 000 logements en moins chaque année. On perdrait un quart de la production neuve et au passage la TVA de 5% acquittée pour la construction de locatif social.
Mais l’aide fiscale à la pierre concerne aussi, depuis trente ans, l’investissement en locatif privé et, plus récemment, l’accession à la propriété dans les quartiers de renouvellement urbain. En réalité, la principale aide fiscale à la construction reste la TVA à 10% pour les travaux sur logements existants, aide universelle (aux ménages, voire aux entreprises), donc consensuelle. La remise en cause d’une aide fiscale (une « non-recette ») sur un secteur conduit à revoir l’ensemble des dispositifs.
Calculer le budget consacré au logement pose des questions de définitions. Si les aides personnelles au logement (AL-APL) fusionnent avec d’autres aides sociales, pourra-t-on dire que la dépense en logement décroit ?
La politique française du logement, de longue date, repose sur trois piliers que sont l’accession aidée à la propriété, le locatif social et le locatif privé. En outre, elle combine aides à la personne, aides à la pierre et aides fiscales. Le résultat global doit donc être apprécié sur la longue durée en termes d’amélioration générale de la qualité et de la quantité de logements, sur la plupart des territoires. Cette tendance d’ensemble est moins ressentie sur le centre de l’Ile de France et par des groupes sociaux fragilisés par la crise économique. Là encore le locatif social joue son rôle d’amortisseur de crise.
Un sixième du parc en locatif social, une portion très raisonnable, parfois insuffisante
La France aurait en logement social « le double de la moyenne européenne ». Faut-il s’en réjouir ou le déplorer ? En fait la comparaison avec une moyenne européenne n’a pas de sens. Les moyennes européennes sont-elles arithmétiques (la Slovénie compte autant que l’Allemagne) ou bien pondérées par le poids du pays ? La vraie question est de savoir si chaque pays répond à la demande en logement.
La réponse est claire, pour les britanniques pas du tout. Un rapport de la Chambre des Lords britanniques « Building more homes » (Juillet 2016[1]) plaide pour une dépense accrue en logement, tout spécialement en locatif social jugé insuffisant ! La crise du logement, par-delà le Grand Londres, touche tout le pays. On peut afficher des indicateurs économiques flatteurs et ne pas produire assez de logements.
Il faut en effet analyser pays par pays comment s’est structurée l’offre en logement en termes économique et social. Trouver un modèle qui serait supérieur chez les voisins est un exercice vain. L’offre en logement dans chaque pays d’Europe a des spécificités nationales, souvent très anciennes, donc leurs moyennes sont sans intérêt pour déterminer si elle rencontre une offre adaptée en qualité et en prix.
Les pays méditerranéens ont traditionnellement peu de locatif, et peu ou pas de locatif social, c’est un choix économique et social. Or face à la difficulté des jeunes à s’émanciper, les différents gouvernements espagnols cherchent à développer une offre locative, l’accession ayant montré ses limites, notamment dans les périodes de crise.
En matière de logement, la France relève de l’Europe rhénane de tradition industrielle (Pays Bas, Allemagne, Suisse, Autriche), pays où l’offre locative est abondante, avec un poids important de bailleurs sociaux ou institutionnels et une grande attention portée au statut locatif et à sa sécurité pour les locataires et les bailleurs.
Le taux de logement locatifs sociaux est comparable en France et au Royaume Uni, mais le rôle de ce secteur y est différent. Au Royaume Uni le parc social loge les plus pauvres, tandis qu’en France, dans la tradition généraliste (ou « rhénane »), le parc HLM loge aussi des ménages modestes et des travailleurs. Il contribue à la mobilité résidentielle et à la fluidité des marchés. De son côté, l’accession aidée joue aussi son rôle pour loger les ménages modestes, à d’autres étapes de leur cursus résidentiel. Chaque composante du marché doit être analysée en lien avec les deux autres.
Un parc locatif social s’adressant aux ménages pauvres, modestes et aux travailleurs mobiles
Réserver le parc locatif social aux ménages des deux premiers déciles fait fi de toute l’évolution historique et économique de l’offre en logement. Nombreux sont les ménages très modestes propriétaires et pas du tout demandeurs de logements sociaux. Les ménages des deux premiers déciles de revenu ont des cursus résidentiels variés, selon qu’il s’agit d’étudiants, d’actifs, de retraités. En secteur privé, l’ANAH est bien l’outil adapté, en lien avec des acteurs spécialisés (réseau SOLIHA), pour adapter et améliorer le parc privé des ménages modestes, et agir sur le parc existant.
Spécialiser le parc locatif social revient à le résidualiser, ce qui impliquerait une réelle fragilisation. Sans abuser de la notion (controversée) de mixité sociale, le parc HLM fonctionne depuis plus de cent ans en parc généraliste destiné aux besoins des catégories les plus pauvres (le PLAI), des classes modestes (PLUS) et d’une fraction (restreinte) des classes moyennes (PLS). Cette relative diversité de population contribue à sa solidité et aux péréquations internes (les logements plus chers financent les moins chers).
Il convient de tordre le cou à une légende selon laquelle les plafonds de ressources des HLM les rendent « accessibles à 65% des ménages ». Il faut enlever les ménages propriétaires occupants, soit 58% des ménages. Sur les non propriétaires (42%), 80% ont des revenus inférieurs aux plafonds PLUS. Au total, seulement un tiers (42%*80%) des ménages en France sont à la fois éligibles au PLUS et non propriétaires, donc peuvent demander un logement HLM. A la question « le parc HLM est-il ciblé vers les ménages modestes ? », la réponse est oui.
Des situations contrastées entre la métropole parisienne et le reste du pays
La situation francilienne, toujours associée à la notion de marché tendu, est souvent opposée au reste de la France, où la plupart des marchés sont équilibrés. Pas détendus, équilibrés au sens où une demande rencontre une offre. C’est parce que la construction est active de longue date sur ces marchés régionaux qu’ils sont équilibrés. Quand on constate qu’un marché est tendu, c’est trop tard, il faut des années pour initier un vrai mouvement de production ou de reconquête du parc existant sous utilisé.
Il n’est pas aisé de trouver une réponse simple sur le marché du Grand Paris, où la densité moyenne est de 8 000 habitants au km2 (21 000 hab. /km2 Paris intramuros, 6600 hab. /km2 sur 92+93+94), face au reste de la France où la densité est bien inférieure, quatre fois moindre (2380 hab. /km2) dans la métropole lyonnaise et six fois moindre dans la métropole bordelaise (1300 hab. /km2).
La répartition des trois statuts (propriété occupante, locatif social et privé) est loin d’être uniforme. Les petites communes sont à dominante de propriété. La très faible offre locative ne permet pas d’y loger des jeunes ménages et nouveaux arrivants sur le marché ni des foyers en recomposition. Sur ces territoires le besoin d’une offre locative privée comme sociale est un débat classique qu’il faut sans doute étudier selon les spécificités et la taille de chaque marché.
Mais on peut assurer que le locatif social joue son rôle dans les marchés équilibrés. Il stabilise l’offre en garantissant un produit de qualité contrôlée et accessible.
Une production locative privée a aussi un intérêt qui ne doit pas être sous-estimé sur de nombreux marchés où cette offre nouvelle oblige les acteurs traditionnels à améliorer leurs produits ou à revoir leur prix. Ces effets favorables sont perceptibles sur les marchés équilibrés mais moins sensibles sur les marchés tendus ou les effets de flux pèsent peu face aux effets de stock.
Le parc des grandes villes (plus de 100 000 habitants) est à 60% locatif. Le locatif social y joue un rôle important (mais parfois insuffisant) en offrant un produit dont les loyers correspondent aux coûts et pas à un niveau de marché qui, lui, dépend des niveaux de revenus des demandeurs (un flux) et de la pénurie ou l’abondance de l’offre (un stock).
Le locatif social : une gestion moderne, toujours perfectible
Moins de 530 organismes (Offices publics et Entreprises sociales pour l’habitat) pour gérer 4,3 millions de logements locatifs, cela fait une moyenne de plus de 8 000 logements par organisme. Les organismes cherchent à optimiser leur gestion, avec des regroupements, des échanges de patrimoine. Le développement de leur parc n’est pas « une fuite en avant » mais une stratégie patrimoniale formalisée dans des outils de gestion modernes.
Les organismes, à côté de la démolition de fractions obsolètes du parc, pratiquent la vente aux occupants. Depuis plus de quinze ans, la vente HLM n’est ni un tabou, ni un but, mais un acte de gestion qui oblige à s’interroger sur les prix, sur la gestion de l’immeuble en période transitoire et sur le devenir de la future copropriété.
Les fonds propres obtenus sont à mettre en regard des pertes de loyers futurs. La vente ne procure aucune ressource nouvelle, elle anticipe sur le calendrier d’autofinancement futur. Dire que la vente contribue au développement du parc, c’est croire au mouvement perpétuel alors qu’on se prive de ressources dans 5, 10, 20 ans. La vente a un sens dans une stratégie patrimoniale d’ensemble d’un organisme. L’amortissement des prêts n’est pas un critère unique pour justifier une revente, car c’est à ce moment qu’apparaissent des retours de fonds propres, et des retours récurrents. Or ce sont ces fonds récurrents qui alimenteront une production nouvelle régulière.
Il faut continuer à disposer d’une politique du logement raisonnable et dynamique, qui aide l’accession, le locatif social et le locatif privé
La construction en France est active, l’une des plus actives en Europe. La satisfaction des ménages est élevée, en lien avec la hausse de la qualité de l’habitat depuis trente ans. Il y a effectivement des laissés pour compte de ce développement et des poches d’insalubrité, d’inconfort et de sur-occupation. Ces difficultés sont d’autant plus vivement ressenties qu’une grande partie des besoins est satisfaite, notamment hors Ile de France.
La régulation « naturelle » des marchés immobiliers, chère aux économistes libéraux, n’a jamais été observée depuis la révolution industrielle. Les spécificités du bien logement (investissement immobile, non substituable, à durée de vie et d’amortissement longues, à double rôle patrimonial et de service) conduisent les économistes de marché (comme la Banque Mondiale) à admettre la nécessité d’une intervention publique sur ce secteur.
Mieux répartir le locatif social, comme le locatif privé, est une ardente obligation. L’essentiel du parc des années 1960 était concentré sur un petit nombre de communes. Tous les efforts depuis vingt ans consistent à mieux le répartir. D’où l’intérêt de l’article 55 de la loi SRU, nécessité ressentie par-delà les clivages politiques. Son application concerne moins de 2000 communes. Inversement, dans les villes ayant beaucoup de logements sociaux, faut-il réduire cette place ? En fait seules 80 communes en France ont plus de 50% d’HLM et leurs élus seront ravis de diversifier leur parc de logement, mais cela ne se décrète pas. Et il faut interpréter les chiffres. La commune de Val d’Isère compte 50% de logements sociaux, pourcentage calculé sur les 800 résidences principales. En fait, face aux 5200 résidences secondaires, il faut se féliciter qu’il y ait une offre en locatif social pour loger les travailleurs assurant aux skieurs d’avoir des dameurs disponibles dès potron-minet.
« Stopper la production HLM » n’a pas plus de sens que de critiquer l’investissement locatif privé ou les aides à l’accession. Le marché du logement en France est organisé avec trois axes majeurs qui ont chacun besoin d’un rythme régulier de production, tant du point de vue des maîtres d’ouvrage que de la satisfaction des usagers en accord avec leurs marchés. Les ralentissements suivis d’accélérations sont néfastes à la réponse aux besoins et à la qualité de l’habitat. Assurer, en cohérence avec les plans locaux de l’habitat, sur tous les territoires, une production régulière de logements, sur les trois secteurs, contribue à répondre aux besoins des habitants. C’est vrai en France, c’est vrai dans d’autres pays.
Jean-Pierre SCHAEFER
ingénieur économiste (Centrale Lille, Maîtrise Sc Eco, ScPo Urba) est chargé de mission au Conseil National des Villes. De 2000 à 2013 responsable Études économiques « Habitat-ville » à la Caisse des Dépôts, il a auparavant travaillé en Agence d’urbanisme, en bureau d’études et dans des sociétés immobilières. Président de SOLIHA Essonne, il est membre de la Commission des Comptes du Logement. Il a publié en 2015 « Aides et financements des projets de logements » aux Editions du Moniteur.
[1] http://www.parliament.uk/economics-uk-housing-market
On ne peut que s’étonner de l’appréciation subjective s’il en est du chiffre d’ 1/3 des non occupants éligibles au HLM. Pour moi ce chiffre est énorme! Il devrait concerner moitié moins de personnes pour être raisonnable
En fait si on se restreint à 1/6 de de la population, c’est déjà la part moyenne du parc HLM dans le parc actuel. Dans la tradition française (et divers pays) le parc HLM est généraliste et concerne les ménages modestes et les travailleurs mobiles. Il y a une vraie rotation (8 à 14% selon les marchés et les produits).
Donc il a un ciblage effectivement plus large que dans les pays où il est toléré comme un segment marginal du marché destiné à loger les exclus. Le fait que le logement social bénéficie d’aides publiques (aides parfois surestimées) conduit à ce que dans les pays où il s’adresse aux populations très marginales (Etats Unis, Espagne) il est juste toléré et s’inscrit presque dans l’aumône, le grand public étant invité à aller sur le marché libre…
Dans la tradition généraliste, le locatif social (qui par ailleurs compte quelques nuances internes) vise une fraction plus large et réalise un consensus politico-social nettement plus large, car beaucoup de personnes (jeunes en début de carrières, couples en séparation) peuvent y trouver un accueil. Donc meilleur acceptabilité sociale. En tout cas c’est comme cela que cela fonctionne dans les pays d’économie « rhénane » France, Pays Bas, Allemagne, Suisse plus des pays nordiques.
Ce sont bien deux conceptions différentes. Si on change de doctrine il faut revoir pas mal de choses dans les financements, les taxations, les aides à la personne et à la pierre. Je ne suis pas sûr que les comparaisons internationales permettent de dire que les plus pauvres sont mieux logés ailleurs. Il faudrait aussi tenir compte de la structure du pays, avec une région capitale ou les décalages de marché sont exacerbés et cela perturbe le débat national, les situations sont plus sereines ailleurs.