« L’incendie de l’hôtel Paris-Opéra », de Claire Lévy-Vroelant
Claire Lévy-Vroelant
Creaphis Editions, 2018.
« Il faut que les gens sachent pour que nous ne soyons pas seuls avec nos souvenirs, et pour ceux qui sont morts aussi, et pour tous ceux qui souffrent aujourd’hui. » Fatou Signaté (p. 350).
Dans la nuit du 14 au 15 avril 2005, dans le 9ème arrondissement de Paris, un hôtel qui héberge des familles prises en charge par le Samu social brûle. Vingt-quatre personnes, dont onze enfants, perdent la vie et cinquante-quatre personnes sont blessées. À travers le récit de ce fait divers par ses victimes, Claire Lévy-Vroelant propose une importante réflexion sur les dysfonctionnements du système de l’hébergement d’urgence et l’indignité des conditions de vie imposées aux personnes en situation irrégulière mais aussi sur les mobilisations collectives et la défense des droits des plus précaires.
Ce petit livre gris, au graphisme minimaliste très soigné, ne ressemble pas à un ouvrage scientifique. L’originalité de la forme reflète l’originalité du contenu, car si cet ouvrage est bien le fruit du travail d’une sociologue, il a été écrit « autrement que sous la forme canonique de l’analyse sociologique » (p. 25). En effet, le choix a été fait de mettre au centre du livre les récits de personnes ayant survécu à l’incendie de l’hôtel dans le but de « laisser aux acteurs la responsabilité de la prise de parole et l’entièreté de son espace » (p. 26). Ainsi, les récits couvrent plus de 400 pages sur les 477 que compte l’ouvrage.
Dans le propos introductif Claire Levy-Vroelant dévoile d’abord les coulisses de la démarche scientifique en montrant l’importance du hasard des rencontres et de la dimension personnelle dans la construction d’un objet de recherche et dans le déroulement d’une enquête en sciences sociales. Elle explique également pourquoi elle s’est intéressée à ce fait divers en particulier, qui est à la fois tristement habituel – d’autres incendies d’hôtels hébergeant des familles précaires ont eu lieu avant et après celui du Paris-Opéra – et exceptionnel, avec un grand nombre de morts et une importante organisation collective des victimes. En outre, elle évoque l’objectif de contribuer à la constitution de la mémoire collective d’une population discriminée et invisibilisée en donnant un cadre à des souvenirs qui sans cela pourraient être voués à disparaître.
De la lecture des récits eux-mêmes, on retient d’abord leur forte charge émotionnelle. La description de l’horreur de l’incendie et l’expression de la douleur du traumatisme et du deuil rendent la lecture intense et difficile. Mais la parole des victimes présente une dimension politique, que l’auteure s’attache à analyser en introduction. Elle souligne d’abord la puissance du groupe et l’importance décisive de la solidarité (création d’une association, organisation de commémorations). Les récits révèlent aussi un système du mal logement, dont le principe de « mise à l’abri » est à haut risque car il est placé sous le signe de la dépendance. Les pratiques du Samu social, qui imposait des « déménagements » répétés aux familles et contrôlait insuffisamment la sécurité des infrastructures, sont dénoncées. Les témoins formulent enfin la revendication d’un « plus jamais ça » et la nécessité de réviser les politiques migratoires, à l’instar de Diabou Sylla qui explique : « Je suis là pour ce que j’ai vécu. C’est très important que ce que j’ai vécu soit connu, pour que ça ne se répète plus dans un autre endroit. » (p. 282). L’auteure souligne le lien très fort entre les politiques migratoires et celles de l’hébergement, affirmant que « [le système] de l’hébergement d’urgence se nourrit de la privation de droit au séjour » (p. 24). Si l’analyse proposée par l’auteure peut paraître succincte – elle tient en moins de quatre pages –, elle apparaît plutôt comme une invitation aux lectrices et aux lecteurs à considérer cette série de récits comme un « corpus susceptible d’être analysé comme un tout » (p. 25) et, ainsi, à prolonger ce « travail de couture, qui réunirait les morceaux épars d’une histoire collective » (p. 21).
Il ne faut donc pas chercher dans L’incendie de l’hôtel Paris-Opéra une analyse socio-historique, technique ou économique du système de l’hébergement d’urgence. D’autres ouvrages – que l’auteure mentionne et qu’elle a co-écrits pour certains – ont déjà proposé un tel travail. Bien au contraire, c’est dans sa manière sensible (et politique) de révéler les conséquences humaines des manquements et des dysfonctionnements des politiques sociales et migratoires que réside tout l’intérêt du livre de Claire Lévy-Vroelant.
Clément Luccioni
Septembre 2018
> L’auteure souligne le lien très fort entre les politiques migratoires et celles de l’hébergement, affirmant que « [le système] de l’hébergement d’urgence se nourrit de la privation de droit au séjour » (p. 24).
Le droit au séjour n’est pas un dû. Certes, si ces personnes bénéficiaient de papiers en règle, peut-être le drame n’aurait-il pas eu lieu (encore que… le logement insalubre et dangereux ne concerne pas que les sans-papiers). Mais, de la même manière, on pourrait dire que, si ces personnes avaient été dûment expulsées au lieu qu’on les garde hypocritement sur le territoire, le drame n’aurait peut-être pas eu lieu non plus.
Bref, l’auteur semble avoir choisi l’angle d’attaque politique qui l’arrange.