France, Allemagne, Angleterre, le logement social en question
La notion de « logement social » ne connaît aucune définition communautaire partagée. Chaque pays de l’Union en a sa propre conception, liée à son histoire, sa culture, sa géographie et son économie. C’est pourquoi aucun modèle socio-économique ne s’est imposé en Europe. Les ressemblances se limitent finalement à trois grandes tendances : l’augmentation du mal logement et la fragilisation des populations (+2,2 % de ménages en taux d’effort excessif en 10 ans), la concentration démographique en grandes zones métropolitaines (+ 6 points depuis 1988), et la baisse globale des dépenses publiques affectées au logement (0,4 points de moins en 10 ans).
Selon la fédération européenne des bailleurs sociaux, Housing Europe, c’est un plan d’investissement de 300 milliards d’euros qui serait nécessaire pour résoudre le problème du logement dans l’Union.
Depuis les années 1980, nos voisins allemands et anglais ont conduit des politiques libérales qui, accompagnant des réformes structurelles, ont engendré une forte diminution de leur parc de logements sociaux (près de -20 % en Allemagne et de -35 % en Angleterre). A tel point que les deux Etats tentent désormais de réintervenir pour faire face aux crises, notamment dans les métropoles de Londres et de Berlin.
Dans le même temps, la doctrine européenne continue à privilégier le modèle dit « résiduel » qui oriente l’argent public sur les seules populations les plus défavorisées.
Au sein des 28 pays de l’Union Européenne, la France conserve une position singulière avec des chiffres enviables, tant en stock de logements sociaux qu’en termes de mises en service annuelles (près de 75 000 par an). Elle dispose également d’un dispositif original de financement public avec le concours de la Caisse des Dépôts et Consignations qui contribue à 78 % dans les opérations des organismes de logements sociaux, leur permettant une mobilisation de fonds propres plus faible que nos deux voisins (13 % de fonds propres pour la France, contre 33 % en Angleterre et 35 % en Allemagne).
Pourtant, cette singularité française semble pressée de toute part de rejoindre les tendances et doctrines européennes. Devant l’accroissement de la grande pauvreté, le modèle résiduel, cher à la Commission Européenne, ne risque-t-il pas tôt ou tard de s’imposer en France ?
Le problème du mal-logement et des sans-abri en France impose, de façon urgente, de poser les questions des évolutions réglementaires, de la redistribution des rôles entre parties prenantes, des normes de construction et des attributions.
De même, si la diversification du financement des organismes de logements sociaux est une question légitime pour maintenir leur équilibre économique, les voies pour ce faire ne doivent pas se limiter au seul exemple allemand (le recours aux foncières privées) mais devront vraisemblablement être plurielles et concertées tout en s’inscrivant dans le cadre des Services d’Intérêt Economique Général.
Plus loin, c’est sûrement le dynamisme du monde HLM français qui saura répondre en premier à l’hybridation des attentes et des besoins des populations. Face à un conservatisme de la construction et de l’habitat, l’urgence à innover est cruciale en matière d’environnement, d’aménité du bâti et de bien-être, d’enjeu sanitaire ou de dépendance face au vieillissement, de mobilité entre étudiants et actifs, de services étendus et de médiation des locataires, etc.
Enfin, face à un déséquilibre géo-économique croissant entre territoires, le logement social doit contribuer à une réflexion systémique quant à leur aménagement en l’abordant avec les domaines qui lui sont connexes : l’emploi, le transport, la santé et l’éducation.
Observer ce qu’ont fait nos voisins anglais et allemands ne permet pas de trouver des solutions à importer clé en mains ; mais ouvre un regard aux enjeux des cinquante prochaines années qui sont globalement communs aux trois pays.
La singularité et le dynamisme des organismes de logement social français sont une chance pour réfléchir à ces enjeux, sans rien attendre des Etats ou des pouvoirs publics. En matière de logement de demain, la prospective appartient plus que jamais à ceux qui font le logement d’aujourd’hui.