Les normes, bouc émissaire de la hausse des prix ?
Introduction – Contexte
Une forte augmentation des prix immobilier et la crise du logement
Comme l’ont illustré les travaux de Jacques Friggit[1], les prix immobiliers ont considérablement augmenté au cours des années 2000 au regard de l’évolution du revenu des Français. Ils ont atteint en 2008 une forme de palier, et connaissent depuis lors des fluctuations autour d’un niveau qui demeure élevé. Dans le neuf, les prix ont encore augmenté de 25,8 % en France depuis 2006[2]. Cette hausse massive des prix réduirait considérablement la capacité des ménages modestes à accéder au logement.
À qui la faute ?
Pour expliquer cette augmentation, la presse et les experts évoquent de multiples facteurs[3]. Parmi eux, la question des normes dans le domaine de la construction occupe une place de choix. Pour la plupart des acteurs de la construction et du logement, il semble acquis que la réglementation a joué un rôle important dans l’accroissement des coûts de construction des logements neufs et donc de leur prix, les rendant inabordables pour une partie de la population. Sont principalement évoquées les normes thermiques – dont la dernière modification a donné lieu à la réglementation thermique 2012 (RT 2012), les normes parasismiques et les normes accessibilité, renforcées en 2006.
Dans un rapport de la Fédération Française du Bâtiment (FFB) de juillet 2013, intitulé « Analyse de l’évolution comparée des prix et des coûts dans le bâtiment », les professionnels de la construction dénoncent notamment les importants surcoûts qu’occasionnent les réglementations dont l’effet serait « trop souvent ignoré ». Ils considèrent, par exemple, que la réglementation accessibilité aurait accru le coût de construction de 5 % depuis 2000, la réglementation thermique de 10 % et la réglementation parasismique de 2,8 %. D’après un groupe de travail FPI-USH-UMF[4], le développement réglementaire et normatif aurait induit une augmentation du prix de la construction entre 2000 et 2011 située dans une fourchette de 23 à 38 %[5]. Sont mises en cause l’évolution des réglementations thermique, accessibilité handicapé, acoustique, la dépollution des sols, les dispositions parasismiques ou encore l’obligation de créer des locaux destinés aux vélos. Des propositions de simplification réglementaire sont formulées par la FPI pour l’ensemble de ces champs.
Les réactions des pouvoirs publics
Ces critiques des normes de construction ont largement été reprises dans le débat public et par les responsables politiques. Ainsi, la démarche « Objectif 500 000 » lancée en novembre 2013 par la Ministre Cécile DUFLOT comprenait-elle parmi ses 5 axes : « Simplifier les normes pour qu’elles pèsent moins sur la construction et instaurer une stabilité juridique pour les constructeurs »[6].
Depuis, le débat se poursuit. En 2017, le Président de la République déclarait vouloir « libérer » la construction grâce à « une réduction des exigences des normes environnementales et sociales » pour obtenir « une production massive » de logements neufs en quelques années.
« Notre pays construit trop peu car notre système est bloqué par la sur-réglementation », estimait Emmanuel Macron. Il faudrait « diminuer cette réglementation pour la rendre plus pragmatique, y compris sur des normes qui relèvent de très bons sentiments, quelquefois environnementales et sociales ». Ainsi, la simplification administrative participerait-elle du « choc d’offre » qu’il avait lui-même évoqué quelques mois auparavant. Cette orientation s’est concrétisée dans plusieurs dispositions de la loi ELAN[7]. Ce texte instaure notamment un allègement de la norme accessibilité : désormais, seuls 20 % des logements intégrés dans un ensemble immobilier doivent répondent aux normes d’accessibilité aux personnes en situation de handicap (art. 64 de la loi). Les autres logements revêtiront un caractère « évolutif », c’est-à-dire qu’ils seront transformables facilement en logements accessibles aux personnes handicapées.
Dans ce contexte, le Cerema et le Ministère en charge du logement ont souhaité analyser en profondeur cette question et un travail de thèse a été engagé en 2014 (cf. encadré).
Ce travail de recherche nous a conduits à des résultats déroutants, tant du point de vue des coûts, que des prix et des loyers des logements neufs, puisqu’ils étaient différents – voire contraires – aux résultats attendus. Les éléments d’explication que nous avons pu dégager s’articulent autour de la notion de « compte à rebours » et d’effets de demande plus importants que ceux de l’offre.
Il s’agissait plus précisément de mettre en lumière le lien entre le développement des normes de construction dans le neuf, l’augmentation des coûts de construction, des prix et des loyers des logements neufs et une éventuelle exclusion des ménages modestes de ces logements.
Si des liens de causalité directs se sont révélés rapidement difficiles – voire impossibles – à démontrer, le travail de la thèse a reposé sur l’identification, la description et l’analyse d’un faisceau d’indices devant mettre en lumière les effets de la norme à chacune des étapes du processus de constitution des coûts, des prix et de peuplement des logements (cf. graphique 1).
Figure 1 – Des composantes du prix à l’accessibilité économique des logements neufs.
Pour tester des hypothèses sur les effets de ces normes, des indicateurs nationaux ou locaux ont été construits ou mobilisés, des monographies d’opération ou de territoires ont été effectuées. En outre, des modélisations hédoniques ont été réalisées pour isoler les effets de certaines normes.
Les normes en matière d’urbanisme, telles que les prescriptions des plans locaux d’urbanisme ou des plans de prévention des risques n’ont pas été retenues dans le périmètre de la thèse. Les normes applicables en matière de rénovation n’ont pas non plus été examinées.
La thèse est consultable à l’adresse : https://tel.archives-ouvertes.fr/tel-01759304[/typography]
Des analyses aux résultats déroutants
Trouver un lien de causalité directe entre la mise en application d’une nouvelle réglementation et l’augmentation des prix des logements n’est pas chose facile. C’est donc par la constitution d’un faisceau d’indices, construits à partir de diverses sources de données et de monographies, que nous avons cherché à étayer scientifiquement les discours des promoteurs et lobbyistes. Les résultats que nous avons obtenus nous ont cependant surpris.
Une stabilité des coûts de production
Dans une étude parue en 2012 et actualisée en 2014, la Caisse des Dépôts et de Consignation (CDC), estime que le coût de production des logements locatifs sociaux a crû de 53% entre 2005 et 2013 en France hors Ile-de-France, passant de 1440 à 2000€/m²[8]. Plusieurs pistes sont évoquées pour expliquer cette croissance. Sont cités notamment : la hausse des coûts de production et des prix de la construction figurée par l’évolution des indices de référence que sont le BT01 et l’indice du coût de la construction (ICC) (Graphique 1), ainsi que l’effet qualité lié au renforcement normatif et réglementaire non pris en compte dans les indices d’après les experts du CGEDD.
Cependant, depuis la mi 2011, la tendance est à la stagnation des prix de la construction : l’ICC oscille autour de la valeur 120, alors même que plusieurs réglementations incriminées, telles la RT 2012 et la réglementation parasismique, ont été mises en application depuis.
Graphique 1 – Comparaison de l’évolution du BT01 et de l’ICC. Base 100 au T1 2006.
Bien qu’issu d’un modèle hédonique, le calcul de l’indice du coût de la construction n’appréhende pas les évolutions réglementaires, qui n’entrent donc pas parmi les « choses égales par ailleurs » que le modèle est censé corriger. Bien qu’en théorie ce ne soit pas le cas, l’évolution de l’ICC reflète donc, en pratique, la hausse des coûts de construction liée aux normes. Ainsi, un surcoût dû à la réglementation devrait entraîner automatiquement une évolution de cet indice plus forte que celle de l’index du bâtiment. Le prix de la construction « toutes choses égales par ailleurs » devrait évoluer alors plus rapidement que le coût des facteurs de production. C’est la thèse que défend Georges Debiesse, expert du Commissariat Général de l’Environnement et du Développement Durable. Lorsque l’on examine les courbes d’évolution des indices ramenés en base 100 au premier trimestre 2006, trois observations peuvent être formulées.
– Globalement, entre 2006 et 2015, les indices ont évolué de la même manière. Ce constat conduit les experts du CGEDD à affirmer que la réglementation n’a pas eu l’impact escompté sur les prix des logements neufs[9]. « Ce qui fait que le résidu qui est la somme algébrique des progrès de productivité, des marges commerciales et de la qualité de la construction n’est que de 5 % des 50 % de l’augmentation du coût de la construction […] ça revient à dire en gros que, plutôt que de s’en prendre à RT 2012, la FFB dans son rapport Tommasini aurait mieux fait de s’en prendre au prix du ciment. », Georges Debiesse, 16 octobre 2014.
– Au cours de l’année 2008, l’ICC a évolué un peu plus rapidement que le BT01. Sur cette période, deux réglementations majeures ont été mises en application. Il s’agit de la réglementation thermique 2005, applicable aux bâtiments neufs dont les permis de construire ont été déposés à partir du 1er septembre 2006, et de la réglementation accessibilité mise en application le 1er janvier 2007. L’impact de ces nouvelles réglementations sur le prix de revient pourrait expliquer cette évolution. Néanmoins, au quatrième trimestre 2008, l’ICC a chuté pour revenir à un niveau inférieur à celui du BT01, puis les indices ont suivi des évolutions similaires jusqu’en 2015. Ainsi, la mise en application de la RT 2012 au 1er janvier 2013, et même avant pour les opérations réalisées en zone de renouvellement urbain, ne semble pas avoir eu d’influence à moyen terme sur le prix de la construction des logements neufs.
Même si la réglementation a pu avoir un impact sur le prix de revient des logements neufs, il semblerait que des mécanismes d’ajustement de marges liés à la crise de la construction aient permis d’endiguer la hausse et donc d’annuler son impact direct sur le prix des logements neufs. Ce premier indice nous mène donc à penser que la réglementation a pu représenter un surcoût mais qu’elle n’est pas responsable de l’importante hausse des prix des logements neufs.
– Par ailleurs, l’analyse des opérations de logements sociaux neufs, renseignées dans la base de données Sisal[10], montre qu’entre 2011 et 2015, la part des travaux dans le prix des logements sociaux a diminué au profit de la charge foncière alors même que le prix diminuait et passait, en euros constants de 2015, de 2084€/m²SU à 2032€/m²SU.
Des prix de vente et des loyers à la hausse, ou presque…
Cette étonnante stabilité des prix de revient, alors même que les acteurs de la construction en dénoncent l’accroissement, s’est accompagnée, entre 2008 et 2014, d’une stagnation du prix de vente des logements neufs recensés dans Perval[11], après la forte augmentation constatée au cours des années 2000. En effet, après avoir augmenté de respectivement 40 % et 50 % points entre 2000 et 2008, les prix moyens des logements neufs collectifs et individuels ont stagné entre 2010 et 2014.
C’est également le cas pour les prix calculés grâce à ECLN (cf. Graphique 2).
Graphique 2 – Evolution des prix des logements neufs en promotion immobilière en fonction de la date de mise en vente. Base 100 en 2000 (euros courants).
Cette dernière évolution ne semble pas justifiée par des effets de structure, liée à la ventilation des logements par nombres de pièces (cf. graphique 2) ou par l’évolution des surfaces des logements (cf. suite, graphique 8). En outre les études monographiques d’agglomération conduites dans la thèse n’ont pas montré un plus grand éloignement des centres des logements privés neufs en 2003 qu’en 2013, en particulier pour le locatif privé.
Graphique 3 – Evolution du prix des logements collectifs neufs T2 et T3 (Base 100 en 2000)
… sans que l’on puisse directement incriminer la norme
Le recoupement de tous les indicateurs, modèles et analyses que nous avons mobilisés lors de nos travaux nous a conduit à infirmer le lien supposé entre réglementation et hausse des prix et des loyers.
Parmi les indicateurs utilisés, nous avons par exemple étudié les prix disponibles dans la base ECLN[12].
Régressions sur discontinuité
Les trois réglementations que sont la RT 2012, la réglementation accessibilité et la réglementation parasismique peuvent être observées de façon quasi différenciée dans ECLN grâce au renseignement des années de dépôt de permis de construire et des années de commercialisation des logements. Nous avons effectué plusieurs régressions sur discontinuité (RD) avec variables de contrôle concernant ces différentes réglementations portant sur les prix des logements neufs : RT 2012, réglementation accessibilité, réglementation parasismique.
Plusieurs types de variables de contrôle ont été retenus :
- une variable de localisation : des indicatrices pour les Zones d’Emploi ;
- des variables sur les caractéristiques physiques des logements : la surface moyenne des logements, la surface moyenne des pièces, la surface moyenne des terrains et balcons ;
- une indicatrice concernant le niveau de standing du logement ;
- une variable relative à l’application de la réglementation étudiée : une indicatrice pour l’année de dépôt de permis de construire.
Les données étant trop hétérogènes pour être traitées ensemble, deux régressions, une pour les appartements et l’autre pour les maisons, ont été réalisées à l’aide du logiciel de traitement des données et d’analyse statistique R[13].
Toutes les régressions conduites ont montré une absence d’effet de la mise en place des normes étudiées sur les prix des logements[14]. Examinons par exemple la régression relative à la RT2012.
Dans le collectif notamment, les faibles coefficients de régression R² (Tableau 1) représentant le niveau de correspondance entre le modèle et la réalité, nous apprennent que la variabilité des prix des logements neufs s’explique par bien d’autres facteurs que la situation géographique, la surface ou encore le standing. N’ayant, semble-t-il, oublié aucun facteur pouvant influer sur le prix en lien avec l’année de dépôt du permis de construire, nous pouvons affirmer que, dans chacun des cas étudiés, l’année de dépôt du permis de construire n’a pas d’influence sur le prix. En effet, la régression nous apprend que, par exemple, pour des logements commercialisés en 2014, il n’y a pas de différence de prix, à localisation, standing et surface constants, entre un logement dont le permis a été délivré en 2012 – alors que la réglementation accessibilité ne s’appliquait pas encore – et un logement dont le permis date de 2013. Cela s’observe grâce à la p-value élevée du facteur correspondant à l’année de dépôt du permis de construire, indiquée entre parenthèse à la suite du coefficient dans le tableau ci-dessous. Si celle-ci avait été faible, de l’ordre de 10-3, nous aurions pu conclure à un effet de cette date sur le prix grâce au coefficient. Ainsi, l’année de délivrance du permis de construire – et donc l’application de la RT2012 – n’a pas d’influence sur le prix des logements neufs.
Tableau 1 – Résultats des régressions sur discontinuité effectuées à partir de l’ECLN – Etude de la réglementation thermique.
Observation différenciées
Observer les prix à année de commercialisation identique mais à année de dépôt de permis – et donc à situations réglementaires différentes – permet de mesurer l’impact des normes sur les prix, en annulant les effets de conjoncture.
Ainsi, trois périodes ont-elles été étudiées :
- La réglementation accessibilité étant entrée en application au 1er janvier 2007, la comparaison s’opère entre les prix des logements pour lesquels le permis a été déposé en 2006 et ceux pour lesquels le permis a été déposé en 2007 puis en 2008 ;
- Pour la réglementation parasismique, le nouveau zonage étant entré en vigueur au 1er mai 2011, nous étudions les années 2010, 2011 et 2012 ;
- Enfin, pour la RT2012, entrée en vigueur au 1er janvier 2013, les prix sont examinés pour les permis déposés entre 2012 et 2014.
Lorsqu’on observe le prix des logements, la différence de prix paraît limitée et s’avère quasiment inexistante pour la réglementation accessibilité.
Comme le montrent les graphiques 4, 5 et 6, les logements concernés par la nouvelle réglementation présentent parfois des prix moins élevés que les autres. Quand les logements apparaissent plus chers, comme constaté pour l’application de la RT 2012, le surcoût reste minime et s’élève au maximum à 3%.
Graphique 4 – Différence de prix entre les logements commercialisés en 2009 mais dont le permis a été déposé en 2007 et 2008 par rapport aux logements commercialisés la même année mais dont le permis a été déposé en 2006.
Graphique 5 – Différence de prix entre les logements commercialisés en 2012 mais dont le permis a été déposé en 2010 et 2011 par rapport aux logements commercialisés la même année mais dont le permis a été déposé en 2009.
Graphique 6 – Différence de prix entre les logements commercialisés en 2015 mais dont le permis a été déposé en 2013 et 2014 par rapport aux logements commercialisés la même année mais dont le permis a été déposé en 2012.
Alors que les prix des logements ont clairement augmenté au cours des années 2000, le renforcement des réglementations accessibilité, parasismique ou encore thermique ne semble pas avoir eu d’effet en ce sens ou un effet négligeable au regard de cette hausse.
Tentatives d’explication
Les résultats de nos travaux étant apparus sensiblement différents de nos prévisions et peu conformes au discours porté par les professionnels du bâtiment, attachons-nous à apporter à cette contradiction apparente des éléments d’explication.
Pour les coûts
Tout d’abord, plusieurs professionnels ont mentionné des effets « d’apprentissage » ou « d’accoutumance » ayant conduit à absorber rapidement les surcoûts liés à l’application de nouvelles normes. Si les constructeurs ont besoin d’un certain temps d’adaptation aux nouvelles réglementations, ils parviennent néanmoins à les absorber en opérant des changements dans la conception des logements, dans les matériaux utilisés ou encore dans l’organisation des chantiers.
Ainsi, les normes accessibilité handicapé auraient dû se traduire par une augmentation du prix des logements liés à l’augmentation de leur surface. Pourtant, on n’observe aucune rupture à partir de 2007 du point de vue de l’évolution de la surface moyenne des logements, voire une stagnation des surfaces moyennes pour le parc social et le parc locatif privé.
Graphique 7 – Evolution de la surface moyenne des logements collectifs neufs, base 100 2003.
Si l’on étudie l’évolution des logements collectifs à nombre de pièces constant, on n’observe pas d’augmentation des surfaces non plus dans les années suivant la mise en place de la norme accessibilité, ou bien une augmentation de surface de faible ampleur, ne dépassant pas 2%, et rapidement effacée par la suite. C’est le cas par exemple pour les T2 et les T3 du parc HLM et du parc locatif privé.
Graphique 8 – Evolution de la surface moyenne des logements collectifs locatifs de 2 et 3 pièces, base 100 en 2007. Parcs locatifs privé et public, par année de construction
Il est cependant probable que le renforcement des normes ait pu se traduire par d’autres effets. Aux dires des professionnels, la norme accessibilité de 2007 a conduit à une diminution de la qualité d’usage pour les personnes ne souffrant pas de problèmes de motricité. Si la surface totale des logements est restée stable, les espaces de circulation, des toilettes et des salles de bain se sont agrandis au détriment des pièces de vie et des chambres.
« Je pense surtout que [la norme handicapé] a un effet sur la qualité du logement. Parce que finalement la taille du logement n’a pas augmenté, parce que la taille du logement c’est le pouvoir d’achat des gens qui ont une capacité à acheter, parce que le prix moyen, on le connaît à peu près, donc ils ont une capacité à acheter des mètres carrés, enfin brutalement c’est un peu ça. Donc, pour un nombre de mètres carré donné, on donne plus de place aux circulations, aux pièces humides, au détriment des pièces de vie. » (président du Cecim Nord, mars 2015).
Concernant la norme thermique, l’étude monographique de plusieurs opérations permet de conclure que la RT 2012 a été bien moins coûteuse à mettre en œuvre que le label BBC (graphique 8), mais aussi qu’une certaine accoutumance à cette nouvelle réglementation a pu se développer grâce, notamment, à la généralisation préalable du label BBC. En effet, celui-ci a forcé les constructeurs à optimiser leurs dépenses. Lorsque l’on observe les prix des logements BBC, comparés toutes choses égales par ailleurs aux prix des logements n’ayant pas été labellisés, l’écart de prix paraît très significatif (Figure 2). On peut supposer qu’il s’agit là d’un effet d’aubaine bénéficiant aux promoteurs. Ceux-ci ont vendu leurs logements à des prix plus élevés car ils étaient étiquetés comme moins consommateurs que les autres et qu’ils donnaient droit à des subventions.
Figure 2 – Résultats des modélisations hédoniques cherchant à déterminer l’impact du label BBC. Champ : Logements neufs financés par un PTZ en France métropolitaine : maisons sous maîtrise d’ouvrage de particulier, maisons vendues par des promoteurs, appartements.
Graphique 9 – Comparaison des dépenses par poste entre cinq opérations de Pas-de-Calais Habitat. Etude de la réglementation thermique et ses labels.
Ainsi, il apparaît impossible de mettre en lumière un effet des normes sur les coûts ou les prix.
Pour les prix
Le compte à rebours
Lorsqu’on interroge les promoteurs sur la formation des prix, ceux-ci – tout en dénonçant l’inflation normative – évoquent fréquemment le « compte à rebours ». Cette notion classique recouvre l’ajustement du prix, non pas en fonction des coûts de construction, mais du prix de vente des logements que le promoteur estime acceptable par le marché. Son montant lui permet d’estimer la charge foncière maximale compatible avec la commercialisation des logements. La régulation se ferait donc à terme sur le prix du foncier et non sur le prix de vente[15].
Figure 3 – Fiche pédagogique du CERF Rhône-Alpes «Enjeux» n°2 Le compte à rebours de l’aménagement et de l’immobilier
Les prix du neuf sont des prix de marché : ils suivent les prix de l’ancien
En fait, cette explication rejoint l’idée que les prix du neuf sont avant tout des prix de marché, pour une grande part, déterminés par la demande et non par les coûts de construction.
Il est d’ailleurs frappant d’observer la corrélation entre les prix du neuf et de l’ancien depuis 20 ans alors que la formation des prix initiaux n’a plus aucune influence sur leur valeur marchande actuelle. Le coefficient de corrélation entre les deux séries s’élève ainsi à 0,97.
Graphique 10 – Indices des prix des logements neufs et anciens – base en moyenne 2013.
Le prix du neuf est en grande partie déterminé par la demande
Un autre élément en faveur de cette interprétation est l’augmentation des prix au cours des années 2000, qui s’observe sur tout le territoire national, même sur les marchés détendus. Elle est concomitante avec une augmentation générale de la solvabilisation des ménages, assurée par la baisse des taux d’intérêts et l’augmentation de la durée des prêts.
Ainsi, dans l’hypothèse où l’accroissement des normes provoquerait une hausse des coûts – ce qui n’est pas avéré – une opération ne pourrait se faire, car la charge foncière deviendrait intolérable au regard du prix de vente acceptable par le marché. Le marché foncier répondant peu aux effets de demandes, l’effet à court terme serait donc sensible non pas sur les prix mais sur les volumes de construction. Ainsi les hausses de coût n’auraient d’effet que sur les volumes.
« Le problème est que, si on augmente les prix de construction sans qu’il en ressorte de la valeur d’usage supplémentaire, c’est-à-dire sans changer finalement le prix que les gens sont prêts à payer pour une surface […] il va falloir un certain temps avant que le vendeur du terrain n’accepte de baisser son prix pour que le prix total reste dans l’enveloppe. Donc, il va en résulter une baisse de la construction. C’est tout le problème. Autrement dit, cela va avoir un effet sur les volumes et non pas sur les prix […] à court terme. Alors ensuite, à moyen et long terme, cela va s’ajuster, parce que, pour les vendeurs de terrains, il y en a certains qui peuvent attendre, il y en a d’autres qui ne peuvent pas. » (Jacques Friggit, entretien réalisé dans le cadre de la thèse, avril 2015).
On observe effectivement une baisse des volumes des permis de construire en 2008 lors de la mise en place de la norme accessibilité en France et plus modérée en 2013 lors de la mise en place de la RT 2012[16]. Cependant, il serait hasardeux de l’attribuer à la seule mise en place de normes, alors que d’autres facteurs peuvent jouer un rôle bien plus important, comme la conjoncture internationale (crise des subprime…).
Les seuls effets des normes mis en lumière par les modélisations que nous avons conduites s’observent sur les logements BBC (+11 %). Paradoxalement, ce constat renforce la thèse selon laquelle c’est la demande qui conditionne pour une grande part le prix des logements. En effet, les maîtres d’ouvrage – familles pour le PTZ ou bailleurs sociaux – bénéficiaient pour la réalisation de ces opérations d’aides publiques conséquentes[17]. C’est donc dans le cadre d’un renforcement de la solvabilité de la demande que s’observe le seul effet des normes sur les prix que nous avons pu mettre en lumière.
Conclusion
Le discours des lobbys sur l’effet inflationnistes des normes n’apparaît étayé que par des études à dire d’expert. Les tentatives de quantifications des effets des normes sur les coûts ou les prix des logements neufs aboutissent à des impasses. Seul l’effet des normes liées au label BBC semble avéré, mais, paradoxalement, cette observation confirme le rôle de la solvabilisation de la demande sur les prix et non celui de l’offre. En fait, les prix des logements se comportent comme des prix de marché, essentiellement déterminés par la demande, en raison du compte à rebours, fondé sur les prix envisagés comme acceptables pour les acquéreurs.
Réduire les normes ?
Dans cette perspective, il paraît hasardeux de considérer qu’une simplification des normes puisse conduire à terme à une baisse des prix du logement.
Sur un sujet voisin, François Bertière, Président de Bouygues Immobilier, déclarait : « Afin de réduire les prix de sortie, la présidente de la Fédération des promoteurs immobiliers milite pour une TVA à 10 % sur le logement intermédiaire (contre 20 %)… FB : A l’instant T, cette mesure pourra effectivement les faire baisser. Mais je rappelle que le prix du foncier est calculé à l’envers, en fonction du prix de vente des logements, TVA incluse. J’obtiens le prix d’achat d’une parcelle en déduisant les coûts des études, les coûts de commercialisation, les coûts généraux… et en enlevant ma marge. Si la TVA passe à 10 %, dans deux ou trois ans, les promoteurs auront intégré cette baisse, et elle nourrira in fine la hausse du prix des terrains. » (le Moniteur 16 mars 2018, p. 18)
Il est probable qu’une diminution des exigences en matière de normes ne se traduise de la même manière par une augmentation des prix du foncier, mais pas par une baisse des prix du logement.
Lucile Bavay et Sylvain Guerrini
Juillet 2020
Les bases de données utilisées dans le cadre de cet article
SISAL : système d’information pour le suivi des aides au logement
Mis en œuvre par le Ministère en charge du logement, l’infocentre SISAL rassemble des données sur le financement des logements sociaux en France. Au travers du logiciel GALION, il est alimenté par les service instructeurs : DDT/M ou délégataires des aides à la pierre.
http://www.financement-logement-social.logement.gouv.fr/sisal-a1332.html
ECLN : Enquête sur la commercialisation des logements neufs
Réalisée par le CGDD/SDES, ECLN est une enquête trimestrielle qui assure le suivi de la commercialisation des logements neufs destinés à la vente. Exhaustive sur son champ, elle couvre les permis de 5 logements et plus destinés à la vente. Le secteur locatif (permis de construire intégralement destinés à la location) en est notamment exclu. https://www.statistiques.developpement-durable.gouv.fr/enquete-sur-la-commercialisation-des-logements-neufs-ecln
Base PTZ SGFGAS : Base de données du prêt à taux zéro gérée par la Société de Gestion des Financements et de la Garantie de l’Accession Sociale à la propriété.
Obtenues dans le cadre de la distribution de ces prêts subventionnés par l’État, ces données sont transmises par les organismes de crédits qui le distribuent dans le cadre d’une convention avec le Ministère en charge du logement et la SGFGAS.
https://www.data.gouv.fr/fr/datasets/base-de-donnees-ptz-prets-a-taux-zero/
PERVAL : les références immobilières des Notaires de France
Les Notaires de France, au travers de la société ADNOV, mettent à disposition des collectivités, des établissements publics et des entreprises, des statistiques sur les prix de l’immobilier en Province, se fondant sur la collecte des données des ventes enregistrées par les études notariales.
https://www.perval.fr/
ENL : Enquête nationale sur le logement
Réalisée historiquement par l’INSEE, l’enquête Logement a pour objet de décrire les conditions de logement des ménages et leurs dépenses en logement. L’enquête vient compléter l’information donnée par les recensements : les loyers, les charges, les plans de financement, les revenus. Elle comporte une description détaillée de la qualité de l’habitat des ménages. Ses usages sont multiples : données de cadrage structurelles, étude de sous-populations fines et modélisation des comportements, analyses semi-conjoncturelles ou en pseudo-panels basées sur des comparaisons chronologiques entre enquêtes successives.
https://www.insee.fr/fr/metadonnees/source/serie/s1004
FILOCOM : Fichier des logements à la commune
A la demande du CGDD/SDES, FILOCOM était constitué tous les deux ans par le Cerema à partir de fichiers élaborés par la Direction Générale des Finances Publiques pour les besoins du Ministère en charge du logement, et des collectivités territoriales. Il apportait des informations sur le parc de logements et ses occupants, selon leur statut et leurs modes d’occupation. Il offrait également des indications sur les revenus des occupants. Le dernier millésime disponible est FILOCOM 2015. Il a vocation à être remplacé par FIDELI, développé par l’INSEE.
https://www.insee.fr/fr/information/3897375
[1] http://www.cgedd.developpement-durable.gouv.fr/prix-immobilier-evolution-a-long-terme-a1048.html
[2] Série longue ECLN (2006 T2 ; 2018 T2)
[3] Par exemple : L’évolution des prix du logement en France sur 25 ans, Mahdi BEN JELLOUL, Catherine COLLOMBET, Pierre-Yves CUSSET, Clément SCHAFF, départements Économie – Finances et Questions sociales, Conseil d’analyse stratégique, note n°221, avr. 2011
[4] Fédération des Promoteurs Immobiliers, Union sociale pour l’Habitat et Union des Maisons Françaises
[5] Par la plume de sa présidente, la FPI réaffirmait encore récemment : « Nous avons déjà une réglementation (dite RT 2012) qui est probablement la plus exigeante d’Europe, et qui nous a imposé des surcoûts de construction de l’ordre de 15 %. […] Sur le bâti proprement dit, nous avons fait le choix de la sur-qualité, au détriment des prix. », Alexandra FRANçOIS-CUXAC, L’immobilier au cœur, 2017
[6] République Française (2013), Plan d’investissement pour le logement, « Les 20 mesures », 31 pages
[7] Loi n° 2018-1021 du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique, dite « loi ELAN »
[8] CDC (2014), Eclairages, « Les coûts de production du logement social. Tendances nationales et spécificité d’Ile-de-France », 7 pages
[9] « Cet écart global reste très mesuré : de début 2000 à fin 2013, les coûts (BT 01 corrigé) augmentent de 46 % environ, les prix (ICC) de 49 %. L’incidence cumulée des variations des marges, des gains de productivité et de l’impact de réglementations telles que RT 2012 est alors de l’ordre de 2 % (149/138= 1,02). », BAULINET, DEBIESSE, NATAF, TAILLARDAT, COLAS, LAURENTY, LE RU, Diagnostic sur les indices statistiques des coûts de construction et sur les marges des entreprises du secteur, avril 2014
[10] Les seules données aisément disponibles concernant le coût de production des logements neufs sont celles des bailleurs sociaux. Du fait de leur mécanisme de financement, ces données sont répertoriées dans la base Sisal qui, depuis 2008, recense notamment le prix de revient estimatif par poste de ces opérations. Pour plus d’informations sur les bases de données utilisées dans le cadre de cet article, voir encadré sur les bases de données
[11] Cf. encadré sur les bases de données en fin d’article
[12] Cf. encadré sur les bases de données en fin d’article
[13] Les conditions de non-colinéarité des variables explicatives ainsi que d’homoscédasticité du modèle, impliquant que, pour être valide, les résidus du modèle se répartissent de manière homogène sur le spectre des valeurs prises par la variable expliquée, sont respectées. La question de l’autocorrélation spatiale n’a pas été traitée dans les différentes régressions effectuées.
[14] Seule une autre régression, portant sur label BBC, a montré un tel effet (cf. suite de l’article)
[15] Cf. Le compte à rebours de l’immeuble au terrain, Joseph COMBY, Etudes Foncières, déc. 1996 ; Éléments de réflexion sur le foncier et sa contribution au prix de l’immobilier, Sandrine Levasseur, Revue de l’OFCE 2013/2 (N° 128)
[16] Cf. séries longues Sitadel2 du CGDD/SDES relatives aux permis de construire
[17] En 2011 pour l’acquisition ou de construction d’un logement neuf bénéficiant d’un label BBC (bâtiment basse consommation), le montant du PTZ est majoré à hauteur de 20 000 € au maximum. Pour les opérations financées en 2012, l’obtention du label Bâtiment Basse Consommation donne droit à une quotité de prêt PTZ de 38 % en zone A (au lieu de 26%), 33 % en zone B1 (21%), 29 % en zone B2 (16%), 24 % en zone C (14%). En 2011, les programmes de logements sociaux BBC bénéficiaient d’un Coefficient de majoration pour qualité (MQ) de 10 % pour la fixation de l’assiette de subvention.
La démonstration de cet excellent article est claire.
Le compte à rebours est enseigné et employé depuis un demi-siècle par tous les promoteurs. Il est exact que tout changement d’habitude incite un constructeur à prendre des marges de sécurité sur ses prix, mais la courbe d’apprentissage est bien réelle. La pose de balcons avec rupture de ponts thermique fut ainsi vite intégrée, donc la RTE n’a pas « empêché de faire des balcons ». On peut rappeler aussi que dans un bilan de promotion, les honoraires techniques (MOE, BET, OPC,…) et les autres frais (GFA, AMO, Frais Fi, marge) sont calculé en % du coûts de construction. Ceux-ci (GO et SO) représente 55% du bilan total de l’opération et honoraires et autres frais 25%. Avoir un bâtiment plus isolé, antisismique et avec des locaux vélos corrects s’accompagne d’une hausse des autres postes non pas par la nature même des améliorations demandées, mais bien par la méthode de travail et de calcul des rémunérations des uns et des autres.
Si on changeait la méthode de calcul des honoraires pour en exonérer les coûts liés aux éléments de qualité ? Bien sûr que non va-t-on répondre car cette qualité demande au contraire une attention plus soutenue de l’ingénierie. Alors peut-être les frais de com et de gestion de la SCI ? Bien évidemment non vont répondre les commerciaux et financiers. Donc on garde le calcul actuel est tout le monde gagne plus quand les coûts montent. Mais alors arrêtons de nous lamenter sur la hausse de qualité des logements.
En fait évoquer un frein à la construction par ces exigences de qualité est déconcertant quand dans les comparaisons internationales, la France reste sur ces vingt dernières années l’un des pays les plus constructeurs de l’Union.
En espérant que les promoteurs privés et sociaux lisent cet article (et la thèse) et ne proposent pas d’immeubles sans locaux vélos, locaux dont l’utilité se fait fortement sentir chez ceux qui en sont dépourvu. Quant à renoncer aux normes antisismiques comme à l’isolation thermique est-ce vraiment raisonnable ?
Jean-Pierre Schaefer
Bonjour,
Concernant le coût final d’une habitations, il existe de nombreuses possibilités d’action. En étant un acteur de la construction de maison en bois, je sais de quoi je parle. Et je n’aime pas cette approche généraliste basé sur des moyennes. Car elle n’aide pas à voir quel est le vrai problème. Je vois tout les jours les difficultés d’apprentissage concernant la méthodologie de mise en oeuvre. Car ceux qui réalisent ces ouvrages sont pression et non pas le temps d’avoir une vision large du problème. Le secteur de la construction est la seule industrie à réaliser encore des prototypes sur-mesures. Quel serait le coût d’un voiture aujourd’hui, si l’industrie qui la fabrique avez ce même mode opératoire tout en conservant le même appétit financier. Il suffit tout simplement de participer à un salon de l’automobile présentant les derniers concept car imaginés par les constructeurs. Combien de temps faut-il encore attendre pour espérer voir le secteur de la construction être capable de proposer des maisons de séries personnalisées?